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Les enfants argumentent-ils ? Les compétences argumentatives dans la petite enfance

Chapitre II. Problématiques socio-scientifiques : Argumentation, science et société

4. Les enfants argumentent-ils ? Les compétences argumentatives dans la petite enfance

Qu’est-ce qu’on connaît sur l’argumentation socio-scientifique et quelle est sa relation avec le développement humain ? Nous pensons qu’il est important de faire une distinction en fonction de l’âge, puisque les compétences ne sont pas les mêmes à la petite enfance qu’à l’adolescence et même aux étapes ultérieures. Mais, spécifiquement, quelles sont les différences ? La réponse à cette question sera l’objet des sections suivantes.

Nous considérons qu’il faut commencer par une affirmation radicale : traditionnellement on a considéré que les enfants ne savent pas argumenter correctement. Ceci pourrait être une conclusion dérivée de leurs résultats dans des tâches où l’argumentation et le développement sont concernés. Mais analysons en détail le problème. Quels sont les savoirs et les compétences requis par le discours argumentatif et qui expliquent les faibles résultats caractéristiques de l’enfance ? Une ligne de recherche dans la littérature anglo-saxonne est dérivée de la théorie de Deanna Kuhn sur le développement humain et le raisonnement scientifique. Pour cette auteure, l’argumentation est un discours qui caractérise exemplairement le raisonnement scientifique, qui est à son tour, un outil sine qua non des scientifiques.

L’argumentation pour Felton et Khun (2001) est une activité sociale dans laquelle deux ou plusieurs personnes défendent et comparent des arguments qui soutiennent ou s’opposent à diverses positions. Ils soulignent que l’introduction de la composante sociale est relativement nouvelle dans l’étude de l’argumentation, puisqu’elle avait toujours été étudiée à partir des prémisses logiques. Le contexte social introduit la nécessité d’expliquer les implications sociales contenues dans l’objet du discours argumentatif et les liens sociaux et cognitifs établis entre les différents acteurs de la situation et qui permettent d’atteindre des accords et des savoirs partagés autour du sujet discuté. Le but, alors, de ce dialogue critique est d’arriver à une conclusion à partir des prémisses acceptées.

Kuhn et Pearsall (2000) proposent que lorsqu’on parle de raisonnement scientifique dans la littérature, en réalité on parle de la capacité de construire des théories implicites sur les savoirs, mais on parle aussi de la capacité de s’en faire une représentation par l’intermédiaire des croyances explicites. Lorsqu’on parle de théorie dans le domaine de la cognition, 4 usages apparaissent. Dans les théories que les auteurs appellent « type 1 et 2 », les personnes construisent des croyances sur les savoirs et elles en sont inconscientes. Dans les théories du

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« type 3 », il y a des explications qui sont des généralisations contenant une prédiction sur le résultat d’un phénomène particulier et qui ne sont pas entièrement conscientes. Les théories du « type 4 » font référence à une proposition sur l’explication correcte parmi un ensemble d’explications possibles. À noter donc que la consolidation de l’argumentation est un prérequis fondamental pour atteindre ce que l’auteure appelle « stade T4 », étant donné que la réflexion qui caractérise ce type de discours est le moyen qui permettrait d’éclaircir justement l’option correcte parmi une série d’alternatives. Arriver alors au stade T4 est justement atteindre le substrat qui renforcera l’argumentation.

C’est ce besoin de réfléchir sur l’évidence supportant un argument qui amène chaque individu à éliciter consciemment aussi bien les buts qu’il s’impose dans chaque situation discursive que la perception consciente des stratégies disponibles afin d’arriver à ce que la contrepartie accepte ses prémisses (Kuhn, 2001). Ces caractéristiques compromettent justement la compétence des enfants car elles se développent avec l’âge ; par conséquent il est difficile d’attribuer un raisonnement argumentatif élevé aux enfants, à partir de cette perspective théorique. Si on considère le discours argumentatif comme une activité qui se développe avec l’âge et le niveau scolaire, on doit donc analyser quand les enfants commencent à s’engager dûment dans le discours argumentatif.

Les études empiriques (Felton & Kuhn 2001; Leitão, 2001) mettent en évidence que les adultes possèdent un discours argumentatif de nature stratégique, contrairement aux adolescents, qui essaient seulement de maintenir le dialogue. Les adultes analysent des stratégies directes contre l’opposant ; en fait, les déclarations qui remplissent le rôle de contre-arguments, doublent les productions des adolescents. Par ailleurs, les QSS sont des problèmes étrangers à la vie quotidienne des enfants et sont difficilement tranchés par eux6. Kuhn a proposé que les adolescents, même s’ils discutent par groupes de trois individus, discutent et analysent les thématiques de manière peu systématique, dans des blocs thématiques peu délimités. Des analyses plus détaillées de la structure argumentative montrent que les sujets emploient un langage elliptique qui reprend des arguments apparemment déjà oubliés.

L’évaluation du savoir véhiculé dans l’argumentation exige, d’après Kuhn, Cheney et Weinstock (2000), au moins trois caractéristiques principales :

1 Quelques approches doivent être reconnues comme étant fausses.

2 L’intention de l’évidence de réfuter les premières approches doit être reconnue et ;

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La difficulté des QSS proposées dans cette Thèse pour les petits enfants s’est déjà mise en évidence dans la preuve pilote discutée dans la deuxième partie.

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3 Les approches et les évidences doivent être situées dans des catégories épistémologiques différentes.

Kuhn et al. (2000) affirment que la capacité d’identifier l’état mental d’autrui en fonction du savoir que celui-ci possède et de le distinguer de ses propres croyances est un progrès significatif pour établir la manière de mettre en relation l’origine du savoir et la dimension objectif de ce savoir. Une fois développé le concept de la fausse croyance chez les enfants, à partir de l’âge de 5 ans, les produits des savoirs seront liées à leur source générative et le terrain sera favorable à l’apparition d’un niveau épistémologique multiple dans lequel les croyances seront acceptées comme valables, à condition qu’elles dérivent d’une ressource cognitive fiable (l’inférence, par exemple). Sans la constitution d’une Théorie de la Pensée (Theory of Mind), les représentations mentales seraient confinées à une réalité singulière, définie par ce que le sujet considère vrai et l’évaluation des propositions ne pourrait pas avoir lieu, ce qui est essentiel pour construire des événements argumentatifs.

Khun affirme que la capacité des enfants à réaliser des expériences d’ordre scientifique est importante dans des situations contenant une exigence épistémique élevée. Cette modalité de pensée a généré une grande polémique lorsqu’elle a proposé que seulement à l’âge de 11 ou 12 ans, les enfants sont en mesure de comprendre le lien existant entre une hypothèse et une évidence (Kuhn, Amsel, & O´Loughlin, 1988). Kuhn, Amsel et O´Loughlin (1998) ont affirmé que les petits enfants emploient une évidence en faveur de leurs propres théories ignorant celle qui est contradictoire, ou ils emploient l’évidence qu’ils obtiennent pour construire de nouvelles théories, mais ils échouent au moment de comprendre comment ces théories diffèrent des théories préliminaires. L’importance accordée à la covariance de variables par Khun a été refusée par différents auteurs, qui, en définissant à nouveau la pensée scientifique depuis l’expérimentation, situent l’activité de l’enfant et l’amélioration de la réalité comme un indicateur évident de la présence d’une telle modalité de pensée.

Nous pensons qu’il est fondamental alors de comprendre que l’exigence de l’analyse de l’évidence et le rôle de la covariance de variables dans la compréhension de l’expérimentation ont été à l’origine de l’attribution d’une faible compétence argumentative chez les adolescents et particulièrement chez les enfants. Si la compétence discursive des étudiants est analysée à partir du discours scientifique, les enfants seront toujours en déficit. Si on analyse quels sont les précurseurs des compétences de base pour réussir une affirmation soutenue par une raison, et comment celles-ci évoluent avec le temps, alors on n’aura pas une vision si « dépourvue » de ce que les enfants sont capables de faire.

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Un exemple de ceci est le travail sur la compréhension que les enfants de CM1 et CM2 ont sur la structure des textes argumentatifs. Chambliss et Murphy (2002) ont analysé comment les enfants représentent la structure globale du discours argumentatif. Selon ces auteurs, les adultes désignent un argument écrit en accord avec une hiérarchie globale. En revanche ces enfants représentent la structure globale du discours typiquement comme une hiérarchie. Les différences entre les classes de quatrième et cinquième suggèrent que les enfants peuvent être de plus en plus capables de se représenter la structure du discours argumentatif. La comparaison entre les deux classes mentionnées ci-dessus a révélé une possible séquence de développement qui va de la représentation d’une liste d’attributs, à une représentation exacte de la structure du discours.

5. La consolidation de la capacité argumentative :