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Argumentation socio-scientifique : définitions et panorama général

Chapitre II. Problématiques socio-scientifiques : Argumentation, science et société

2. Argumentation socio-scientifique : définitions et panorama général

Le terme « question socio-scientifique » définit des concepts sociaux ou des thématiques sociales qui créent des liens controversés avec les concepts, les procédures et les aspects technologiques de la science (Sadler & Donnelly, 2006). Les problèmes socio-scientifiques actuels comprennent, entre autres, la biotechnologie et l’environnement, l’ingénierie génétique, le clonage, les problèmes locaux de pollution et le changement climatique global. Nous avons choisi l’analyse des QSS car nous considérons indispensable de créer des espaces de discussion active pour les étudiants colombiens autour des problématiques qui concernent leur pays. Et chaque participation doit être guidée par une analyse réflexive autour de toutes les implications sociales provoquées par quelques-uns des problèmes. L’élaboration d’alternatives, la proposition de nouveaux points de vue qui éclairent la discussion ainsi que la capacité de prendre des décisions à partir de l’évidence présentée, sont des compétences fondamentales pour chaque citoyen.

L’une des caractéristiques des QSS est qu’il s’agit de questions généralement polémiques et mal structurées ; elles sont donc des problèmes ouverts assujettis à de multiples perspectives et solutions (King & Kitchener, 2004). Les implications du caractère ouvert des problèmes sont bien connues par la psychologie cognitive. Les problèmes controversés ouverts ont deux caractéristiques : ils ne peuvent pas être définis avec précision et ils ne peuvent pas être résolus avec certitude.

Selon Lodewyk et Winne (2005), les problèmes bien structurés sont ceux qui peuvent être résolus à partir de la construction de processus tangibles, réalisant des évaluations prédictibles et ayant des standards clairs pour leurs produits dérivés. En revanche, les problèmes mal structurés contiennent des tâches qui ne sont pas abouties de manière évidente, caractéristique aussi des opérations pour la création de produits, ce qui entraîne parfois des évaluations erratiques à propos de l’état de la résolution de la tâche. Malgré le manque de clarté, il est probable que les gens se trouvent face à des problèmes mal structurés plus souvent qu’à des problèmes bien structurés, surtout en ce qui concerne la politique sociale, l’économie et les domaines scientifiques. Lodewyk et Winne (2005) proposent que les tâches bien structurées puissent réduire la perception que les étudiants ont de leur propre contrôle de la résolution de la tâche. Une tâche mal structurée peut stimuler l’étudiant à être plus soigneux dans le processus de résolution et à s’engager et se focaliser dans sa propre efficacité.

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Le raisonnement des étudiants impliqués dans l’analyse des QSS a été généralement reconnu comme un processus de raisonnement informel. (Sadler, 2004 ; Sadler & Zeidler, 2005). En opposition au raisonnement formel, orienté par les règles de la logique et les mathématiques, dans le raisonnement informel, les sujets utilisent divers processus heuristiques pour déduire la meilleure solution proposée. Pour certains auteurs comme Kuhn (1993), le raisonnement informel est aussi reconnu comme un processus cognitif sous-jacent au processus rationnel de construire et d’évaluer des arguments. L’argumentation socio-scientifique possède une composante formelle de connaissance mais aussi une grande quantité de croyances sociales, étiques, morales et religieuses.

Cette position est soutenue par des auteurs tels que Wu et Tsai (2011). D’un point de vue cognitif, le raisonnement informel serait un processus qui façonne les analyses socio-scientifiques. Ce raisonnement entraîne la production et l'analyse des arguments en opposition à la démonstration typique du raisonnement formel. Pour ces auteurs, les QSS ont un lien direct avec les croyances épistémologiques, en particulier sur la notion de sciences et des formes valables d’apprentissage, puisque pour défendre une décision on doit faire appel à des savoirs personnels sur la question discutée mais aussi sur les fondements de ces savoirs.

L’importance des QSS est fondamentale dans le développement d’un citoyen. De très nombreuses problématiques qui influencent la société actuelle sont dérivées ou ont besoin d’être comprises à l’aide de la science. Et tel que plusieurs organismes l’ont proposés (CEE, 2007), la compréhension des QSS est fondamentale car le citoyen d’aujourd‘hui doit posséder une culture scientifique, c’est-à-dire qu’il doit être capable de lire et comprendre totalement un article pseudo-scientifique ou un rapport scientifique. En fait, l’un des principaux objectifs de cette Thèse est de positionner les étudiants comme des futurs citoyens et les convoquer à discuter des problématiques qui touchent directement des groupes humains en Colombie. Ce positionnement prend la même optique des organismes chargés des politiques publiques autour de la qualité de l’éducation en Colombie, selon les recommandations du Ministère de l’Éducation Nationale colombien.

Topcu, Sadler et Yilmaz-Tuzun (2010) ont examiné l’idée que l’argumentation socio-scientifique dépend des différents contextes discutés. Si l’argumentation dépend du raisonnement, alors, un raisonnement informel de haute qualité mettrait en évidence une argumentation de haute qualité, indépendamment du contexte. Divers scénarios ont été proposés aux étudiants : thérapie génétique, clonage en vue de reproduction, réchauffement global. Les résultats obtenus soutiennent l’idée que le raisonnement informel en QSS n’est

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pas strictement indépendant de la question discutée et que les pratiques du raisonnement informel peuvent être assez « transférables » tout au long de différents contextes.

Ceci est en concordance avec les travaux de Wu et Tsai (2011). Ces auteurs ont enquêté sur les croyances des étudiants de Seconde (15 - 16 ans) autour de la production d’électricité à partir des centrales électriques et leurs relations avec le raisonnement informel. Evans (1996, cité par Wu & Tsai, 2011) a affirmé que les gens décident d’abord et réfléchissent après pour justifier les décisions qu’ils ont pris inconsciemment. Du point de vue de la théorie de traitement duale (discutée en détail dans le chapitre 3 de cette Thèse), Evans appelle cette attitude comme un « biais de croyance » qui décrit la tendance à évaluer la validité d’un argument à partir de l’accord ou désaccord avec la conclusion.

Les résultats ont montré que les étudiants proposent significativement plus de contre-arguments avant de prendre des décisions personnelles qu’après la prise de décisions personnelles. Autrement dit, après avoir affirmé leurs décisions personnelles dans une QSS, les étudiants tendent à ignorer quelques contre-arguments qu’ils ont connus auparavant dans la discussion. Cette constatation suggère que, dans les tâches d’apprentissage sur l’argumentation et la prise de décisions en QSS, les professeurs de sciences doivent essayer d’améliorer l’utilisation du système duale 2 de la part des étudiants, à savoir, évaluer des preuves et justifier des décisions initiales. Ainsi, les étudiants réussissent à produire un raisonnement plus rationnel et prendre des décisions plus réflexives sur les QSS.

2.1. L’utilité éducative et discursive des questions

socio-scientifiques.

Les défenseurs de l’utilisation des QSS tel que Klosterman et Sadler (2010) ont mis en exergue que le fait de contextualiser l’apprentissage de la science dans le monde réel promeut significativement la capacité de lire et écrire des textes scientifiques, de même qu’une communauté de citoyens biens renseignée puisse participer activement dans la résolution des problèmes de chaque société. D’après ces auteurs, les QSS apportent des contextes propices pour exploiter les savoirs scientifiques dans la salle de classe.

Les étudiants, selon Dawson et Venville, (2010), doivent penser d’une manière critique la société qu’ils habitent ; ils doivent comprendre et présenter des arguments d’une manière logique et cohérente, à l’oral et à l’écrit car ceci leur permettra de participer à l’élaboration des destins démocratiques d’une société. D’un point de vue pédagogique, et à partir de l’analyse du discours des étudiants de Première avec le modèle de Toulmin (1958),

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les auteurs mentionnés affirment que l’utilisation des QSS promeut significativement l’utilisation de toutes les composantes d’un argument formel, y compris les garanties, les fondements et les réfutations. En effet, ils ont examiné l’impact de l’instruction explicite de l’argumentation sur la compréhension conceptuelle des étudiants de Première. Ils ont constaté que la discussion explicite offerte aux étudiants de lycée sur l’argumentation éveille une meilleure compréhension des thématiques scientifiques. En fait, les auteurs ont l’évidence que la discussion engendrée par l’argumentation est une stratégie plus effective pour produire la compréhension des QSS que le travail individuel en classe.

Sadler et Donnelly (2006) affirment que les étudiants de secondaire participent souvent aux débats sur l’ingénierie génétique interprétant les thématiques comme des problèmes moraux plutôt que comme des problèmes scientifiques. Les participants citent fréquemment les considérations morales dans leur argumentation sur les questions d’ingénierie génétique. Beaucoup de chercheurs travaillent les concepts du bon ou du mauvais, du correct ou de l’incorrect dans des contextes moraux pour faire référence aux technologies génétiques en discussion. Et les points de vue issus de la religion sont fréquents dans ces discussions, atteignant un rôle important dans la négociation de scénarios ou des opinions des autres.

Un domaine particulièrement intéressant à l’heure actuelle c’est l’étude des implications de l’interaction par l’intermédiaire de l’ordinateur dans l’argumentation des étudiants de différents niveaux scolaires. Cette problématique est devenue un domaine prometteur de recherche. Lu, Chiu et Waiying (2011) ont mis en évidence que l’argumentation peut être stimulée significativement lorsque les adolescents sont confrontés à une situation de communication par l’intermédiaire de l’ordinateur. Les justifications élaborées par les étudiants deviennent plus complexes lorsqu’ils se trouvent en situation d’argumentation collaborative, en temps réel avec leurs pairs. Cette situation accorde une impulsion particulière aussi bien aux aspects cognitifs qu’aux aspects sociaux de l’argumentation.

Dans des espaces éducatifs, l’utilisation des discussions synchroniques encourage l’utilisation d’évidences proposées par les interlocuteurs. Et ceci arrive particulièrement lorsqu’ils répondent au désaccord avec les autres. Le désaccord élicite un raisonnement de haut niveau, puisqu’il est nécessaire d’utiliser l’évidence disponible et mettre en évidence de multiples explications. Dans ce sens, les professeurs doivent encourager les étudiants à

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exprimer ouvertement leurs désaccords, spécialement chez des étudiants qui ne savent pas gérer les désaccords émotionnels.

La notion d’apprentissage collaboratif en situations online a été abordée également par Noroozi et al. (2011). Ces auteurs ont exploré quelles sont les différences dans les processus d’apprentissage entre les binômes d’étudiants les plus réussis et les binômes les moins réussis en termes de construction de savoir dans des ambiances d’apprentissage collaboratif. L’évidence rend compte d’une amélioration dans le nombre de raisons qui expliquent un phénomène puisque les étudiants peuvent discuter, avec des arguments, leurs idées et leurs réflexions à partir de plusieurs points de vue, en reconstruisant et co-construisant de nouveaux savoirs pendant qu’ils résolvent des problèmes réels. Cette étude révèle que les couples réussis d’étudiants construisent un dialogue plus large, profond, convainquant et logique que les couples moins réussis.

De Vries, Lund et Baker (2002) ont proposé que l’ordinateur puisse jouer des rôles essentiels. Un premier rôle est de devenir une espèce de mémoire collective et garder les interactions entre les étudiants ; le second est celui d’être le lieu de focalisation du dialogue et en même temps un moyen de communication dans un cadre structuré ; en dernier lieu, l’ordinateur prend le rôle d’un moyen de représentation d’une discussion sous différents formats (de Vries, Lund & Baker, 2002). L’argumentation dans des contextes crées par l’utilisation de l’ordinateur permet qu’ait lieu un dialogue épistémique, contribuant à la compréhension conceptuelle des notions scientifiques. C’est ce que Séjourné, Baker, Lund et Molinari (2004) affirment.

« Le travail avec de nouvelles technologies a permis de montrer comment l'activité de débat à l'aide du CHAT peut conduire les élèves à approfondir leurs connaissances relatives à un espace du débat, en particulier sous la forme de discussion sur la précision du sens d'un énoncé, la définition d'un terme, en contre-argumentant sur un argument (2004 ; p. 12) ».

Grâce à cette activité réalisée par l’intermédiaire d’un ordinateur, les étudiants peuvent construire de véritables objets de débat et approfondir et enrichir leurs points de vue, produisant un dialogue de qualité et suscitant la co-construction de savoirs argumentatifs.

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