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5.3 B ILAN GLOBAL

3.1.1 L exception de Vernadsky

De proche en proche, cette piste de travail nous mena jusqu au scientifique russe Wladimir Vernadsky (1863-1945). Membre éminent de l Académie des sciences de Russie puis d URSS, il fut le disciple de Dokouchaev (fondateur de la pédologie) et de Mendéléiev (tableau des éléments), le collaborateur et ami de Marie Curie, le fondateur du concept de « Biosphère », de la « biogéochimie », de l écologie scientifique, de la science ukrainienne, etc. Son œuvre est si large qu il fut considéré par ses concitoyens comme le « dernier humaniste », au point d apparaître comme un équivalent pour les géosciences, de Tolstoï (dont il était proche) pour la littérature. Lors d une analyse approfondie de ses travaux, et notamment la partie interdite par Staline, qui ne fut republiée en Russie qu après la Pérestroïka, à partir des années 2000, nous avons pu faire apparaître que celui-ci formula très explicitement une exception au principe de Carnot, qui n a jamais été publiée en Occident.

16Ce sur quoi nous avons eu l occasion de préciser que ce n est pas le concept en soi qui est absent, mais le principe de

Vernadsky (1930, p. 12) : « Ce n'est pas un amoindrissement de l'énergie libre, mais un accroissement qui s'effectue dans le milieu cosmique comme résultat de la vie. La vie procède dans ce cas de manière contraire à la règle de l'entropie. »

Comme ultime synthèse d une œuvre qui s étala sur près de cinquante ans, Vernadsky mettra en forme et traduira cette exception dans ses « deux principes biogéochimiques », qui valident scientifiquement, sur les bases d une pratique amplement vérifiée étendue sous forme de « généralisations empiriques », l hypothèse de directionalité exprimée par Lotka en (paragraphe 1.2.3.2).

3.1.1.1. Lénergie biogéochimique et les « deux principes » de Vernadsky

L exergie est aujourd hui le concept qui traduit la production d énergie libre du vivant. Mais du vivant de Vernadsky, ce concept, qui sous tend une relation directe à l énergie libre de Gibbs et à l entropie (paragraphe 1.2.1.7.4), n existait pas ; il n apparut qu en . Quant à l entropie négative, quoique formulée par Clausius en 1865, elle n apparut explicitement qu avec Schrödinger (1944), pour être reprise ensuite par Wiener , puis par d autres auteurs comme Léon Brillouin dès 1956.

Conscient cependant de la nécessité de traduire la différence entre lénergie libre en soi (cf. citation précédente de Vernadsky) et son expression « physique », une fois incorporée dans la « matière vivante », Vernadsky formula bien avant tout le monde, dès 1925, à Paris, dans un rapport destiné à la fondation Rosenthal, le concept d une énergie libre du vivant, spécifique à la Biosphère, qu il nomma « énergie biogéochimique » (Vernadsky, 1938).

Cette énergie biogéochimique, qu il peut nommer ailleurs « énergie géochimique biogène », ou encore « énergie géochimique de la matière vivante », représentait donc, 30 avant, cette traduction physique de l énergie libre ou entropie négative ; G = TS-) aujourd hui trop souvent assimilée à l exergie (cf. leur différence paragraphe 1.2.1.7.4.3) ; elle désignait ainsi explicitement pour Vernadsky l exception au principe de Carnot qu il avait soulignée, constituant en cela le phénomène essentiel qui caractérise la vie dans la Biosphère.

Vernadsky (1926. p.4) : « Il est clair que l'étude de l'énergie géochimique de la matière vivante est le problème essentiel pour la compréhension de la vie et de son rôle dans le Cosmos. Mais elle n'est pas évaluée habituellement et les notions qui lui correspondent n'ont pas pénétré la mentalité des naturalistes. »

Et c est de l étude de cette énergie de la matière vivante que Vernadsky déduira ses deux principes biogéochimiques. C est pourquoi, en exposant ci-dessous ces principes, nous avons accolé à chaque citation de cette énergie le terme « exergie », pour mieux établir leur lien avec les notions plus récentes d « ordre » ou d « entropie négative » qui n existaient alors pas sur un plan formel.

Les propriétés planétaires de la vie selon Vernadsky (1930, p.12) :

1 - Premier principe biogéochimique : « L énergie biogéochimique (exergie) tend dans la Biosphère à sa manifestation maximale. »

Ce principe signifie l existence et traduit la « directionalité » des fonctions vitales de la « matière vivante » dans la Biosphère.

2 - Second principe biogéochimique : « Lors de l'évolution des espèces, ce sont les organismes augmentant par leur vie l énergie biogéochimique (exergie) qui survivent. »

Ce principe signifie l existence et traduit la « directionalité » des fonctions vitales des « organismes vivants » dans l Ecosphère.

3 - Formulation élargie du second principe : « Lors de l'évolution des espèces, la composition chimique de la matière vivante demeure constante, mais l énergie biogéochimique (exergie) apportée par la matière vivante dans le milieu cosmique s accroît. »

Formulation à laquelle Vernadsky (1930, p.23) ajoute dans son article le commentaire suivant : « Ainsi, la vie se tient presque à l'écart dans l'énergétique de l'Univers, en diminuant et n'augmentant point l'entropie de celle-ci. »

En énonçant ensemble une apparente contradiction au second principe thermodynamique, ces 3 propriétés du vivant répondent explicitement à la question la plus centrale de la physique classique et de la thermodynamique d équilibre depuis plus d un siècle.

Mais c est la formulation élargie du second principe qui est plus particulièrement positionnée par rapport à la thermodynamique ; elle comprend en cela deux parties bien distinctes :

 La première énonce un principe de conservation de la « matière », complémentaire aux principes de conservation de l énergie et de la masse (paragraphe 1.2.1.7.1), qui sera formulé 40 ans plus tard par Nicolas Georgescu-Roegen (1979).

 La seconde énonce directement une exception au principe d entropie croissante de l Univers.

3.1.1.2. Un nouveau principe fondamental de la thermodynamique

Mais pour autant, ces principes, nous le verrons, ne sont pas « contradictoires » au principe de Carnot ; aussi surprenant que cela puisse paraître, ils fonctionnent en réalité « de concert » avec l entropie pour produire la distance à l équilibre du vivant. Plutôt qu une contradiction, ces

principes de Vernadsky apportent à la thermodynamique d équilibre un complément

indissociable, seul à même d unifier les théories autonomes de la physique et de la biologie selon le souhait de Schrödinger.

Les principes de Vernadsky auraient ainsi toute vocation à constituer, dans leur cohérence d ensemble, un nouveau (quatrième, cinquième, … ?) principe de la thermodynamique exprimant l action thermodynamique du vivant.

Et dont la relation « pV = G + TS+ » (paragraphe 1.4.3) aurait vocation à rendre compte.

3.1.2 Biosphère « et » Ecosphère, une distinction première du paradigme écologique