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Chapitre I. Introduction Générale

4. Importance écologique du genre Sargassum

4.3. Evolution des populations de sargasses: changements de communauté

D’une manière générale, la distribution et l’abondance des macrophytes marins sont principalement influencées par la disponibilité des ressources (lumière, nutriments), la nature et la disponibilité du substrat, leur mode vie (fécondité, dispersion, recrutement), les stress physiques auxquels elles sont exposées (profondeur, exposition, salinité, température, cyclones, sédimentation) et les interactions

entre espèces (compétition, prédation, parasitisme, maladies) (Lobban et Harrison 1994, McCook 1999, Turner 2004). Les assemblages naturels sont capables d’adaptation à des fluctuations

« normales » des conditions environnementales (par exemple les fluctuations saisonnières).

Néanmoins, l’addition d’un stress supplémentaire d’origine naturelle ou anthropique, entraîne potentiellement un changement de communauté. Dans le cas d’algueraies tropicales à Sargassum, deux issues semblent possibles en cas de modification d’une des composantes essentielles à leur maintien: (i) une prolifération ou (ii) une régression.

4.3.1. Prolifération

En milieu corallien, l’altération environnementale des récifs est souvent suivie d’un remplacement d’une communauté à dominance de coraux, complexe et riche en espèces, par une communauté peu structurée, dominée par quelques espèces de macrophytes marins (McCook 1999). Il est couramment reconnu que la prolifération de macrophytes en milieu corallien n’est pas liée à un seul facteur déclencheur mais à la combinaison de plusieurs facteurs dont les plus courants sont l’augmentation des concentrations en nutriments, la surpêche d’espèces herbivores, la réduction de la couverture corallienne et de manière générale la dégradation des récifs (McCook 1999, Szmant 2002, McCook et Diaz-Pulido 2004). L’augmentation de la concentration en nutriments favorise la croissance des populations de sargasses et contribue à la dégradation des récifs (Smantz 2002). La dégradation des récifs réduit la compétition pour l’espace et offre de nouveaux substrats durs pour le recrutement des zygotes et la colonisation par les sargasses (McCook et Diaz-Pulido 2004). Par exemple, l’augmentation de la sédimentation peut induire l’inhibition d’espèces compétitrices et/ou la réduction de l’intensité du broutage et être ainsi favorable à la prolifération des espèces de Sargassum (McCook 1999). La surpêche d’espèces herbivores a un effet négatif sur le contrôle des populations de sargasses. L’effet de la surpêche a été illustré dans une étude in situ de Bellwood et al. (2006) visant à simuler l’effet de la surpêche sur une portion de la Grande Barrière de Corail en Australie. Leurs résultats démontrent que la suppression, en particulier, du poisson perroquet Scarus rivulatus Valenciennes, 1840, est à l’origine de la prolifération des espèces de sargasses sur la Grande Barrière Australienne.

Un exemple bien documenté est celui des récifs de la Jamaïque où un ensemble de macrophytes, dont Sargassum, a proliféré de manière durable entraînant une modification de la communauté récifale (Hughes 1994). En 20 ans, la couverture corallienne est passée de 50% à moins de 5% alors que les macroalgues ont atteint un pourcentage de couverture de 90%. L’origine et la persistance de ce changement s’expliquent par la combinaison d’un ensemble de facteurs dont la surpêche, les dégâts causés au récif par deux ouragans ainsi que la quasi-disparition due à une épizootie des populations d’oursins, principaux prédateurs des algues (Hughes 1994). En Polynésie française, S. mangarevense prolifère sur les récifs des îles hautes (îles montagneuses par opposition aux îles basses ou atolls) depuis 1983 au détriment des coraux (Stiger et Payri, 1999a, b). Cette prolifération pourrait être liée à

l’apport de nutriments dans le lagon dû à l’élevage de cochons, à la sédimentation et à la surpêche (Hutchings et al. 1994, Smantz 2002). Dans une étude concernant les îles Samoa, Fidji et Tonga, Zann (1994) note que la surpêche et les techniques de pêche destructives sont pratiques courantes dans les trois régions. L’auteur souligne également la destruction des mangroves et des marais, entraînant une sédimentation importante dans les lagons, et la dégradation irréversible des récifs frangeants aux abords des zones les plus peuplées. Dans l’archipel Fidjien, la prolifération de Sargassum a été rapportée récemment (Lovell et Tamata 1996, Moseley et Aalbersberg 2003). Selon Moseley et Aalbersberg (2003), l’eutrophisation est reconnue comme une des plus grandes menaces pesant sur les récifs de l’île de Viti Levu. Par exemple d’après Lovell et Tamata (1996), sur l’île adjacente d’Ovalau, l’eutrophisation du milieu due à l’installation d’une usine de canne à sucre serait responsable du remplacement d’un récif corallien en « bonne santé » par un récif dominé par S. polycystum.

Il en va de même, dans certaines zones de Nouvelle-Calédonie où la forte pression anthropique est responsable de la détérioration du complexe récifal et de la prolifération des macrophytes marins, initiant ainsi un cycle pouvant aboutir à une modification radicale des écosystèmes littoraux. Au regard de ce qu’il s’est passé dans d’autres régions du monde, il convient donc de rester vigilant quant à l’évolution des populations de sargasses dans les lagons de Nouvelle-Calédonie.

4.3.2. Régression

Selon Norton (1992), la perte de l’habitat est une des plus grandes menaces qui pèsent sur les macrophytes marins. Divers types de dégradations environnementales peuvent être à l’origine de la perte de l’habitat. La dégradation physico-chimique du milieu naturel (par exemple: hyper-sédimentation, turbidité, pollution, changement climatique) est susceptible d’entraîner la régression de certaines espèces sensibles alors qu’elle favorisera d’autres espèces plus résistantes à ces perturbations (Norton 1992, Arévalo et al. 2007). Dans le cas du genre Sargassum, de forts taux de sédimentation aux abords d’Adélaide en Australie ont été désignés comme responsables de la dégradation des algueraies situées à proximité de la ville (Turner 2004). D’autres types de dégradation de l’habitat peuvent être cités comme ayant un impact négatif sur les populations de sargasses du Pacifique. C’est le cas en particulier des aménagements littoraux ayant recours au remblaiement du littoral. Au Japon, la régression des herbiers et des algueraies est principalement liée à l’utilisation importante de remblais pour palier le manque d’espace terrestre (Terawaki et al. 2003). Les dégâts sont tels que des programmes de restauration des algueraies à Sargassum ont été entrepris (Terawaki et al. 2003). Ces programmes de restauration utilisent plusieurs techniques dont l’aménagement de l’habitat, la construction de substrats artificiels et la transplantation d’individus cultivés.

La surpêche peut également représenter une menace pour les populations de sargasses, soit directement comme dans les pays asiatiques où les populations naturelles de sargasses sont exploitées (Prud’homme van Reine 2002), soit indirectement par la surexploitation des prédateurs qui peut entraîner la prolifération des herbivores et un surpâturage des macrophytes (Tuan et Hambrey 2000).

Ainsi Bellwood et al. (2006) ont démontré l’importance du poisson papillon Platax pinnatus Linnaeus, 1758, dans les phénomènes de régression des algueraies de sargasses de la Grande Barrière Australienne.

La prolifération d’espèces exotiques compétitrices représente également un risque non négligeable vue l’augmentation considérable du trafic maritime et de l’aquaculture principaux vecteurs d’introduction d’espèces marines (Nelson 1999).

Les évènements climatiques cycliques et les changements climatiques (réchauffement global, intensité et fréquence des perturbations atmosphériques et des cyclones, modification de la circulation océanique) peuvent être à l’origine de la disparition de certaines espèces (Keser et al. 2005). Des études ont montré la sensibilité de certaines algues à des températures élevées (e.g. Luning et Freshwater 1988). Keser et al. (2005) soulignent que l’augmentation de la température de l’eau de mer est un facteur stressant pour la Fucales Ascophyllum nodosum (Linnaeus) Le Jolis. Aux îles Galápagos, à la suite d’évènements ENSO (El Niño-Southern Oscillation) à la fin du 20ème siècle, plusieurs populations de sargasses ont été sévèrement diminuées. En conséquence, plusieurs espèces endémiques ont été proposées pour un classement en espèces « menacées » par l’IUCN (International Union for Conservation of Nature) (Miller et al. 2007b). La sensibilité des populations de sargasses par rapport au réchauffement climatique ne semble pas avoir été étudiée expérimentalement. Au Japon, dans une étude prospective sur les effets d’un réchauffement global sur les sargasses, Komatsu et al. (2008) énumèrent les changements possibles suivants: (i) une réduction d’abondance des espèces, (ii) une baisse de la quantité de Sargassum en épaves dans le courant Kuroshio au sud-est du Japon, (iii) une régression subséquente de S. horneri (Turner) C. Agardh dont la reproduction et la dispersion sont proportionnelles à la quantité d’algues dérivantes, (iv) enfin, le remplacement de S. horneri par des espèces sub-tropicales comme S. tenuifolium Yamada.