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Chapitre II. Matériel et méthodes générales

5. Concepts taxonomiques et démarches utilisés

5.1. Concepts d’espèce

5.1.1. Les concepts d’espèce classiques

L’espèce est couramment reconnue comme l’unité de base de la taxonomie, pourtant il est difficile de définir la notion d’espèce. Il y a près d’un siècle et demi, Darwin (1859) relatait les difficultés liées à la définition du terme « espèce » avec les mots suivants: « Nor shall I here discuss the various definitions which have been given of the term species. No one definition has as yet satisfied all naturalists; yet every naturalist knows vaguely what he means when he speaks of a species”. Pour Hey (2006), il n’existe a priori toujours pas de concept d’espèce consensus à ce jour parmi la vingtaine de concepts trouvée dans la littérature. Ceci serait dû en particulier au fait que le concept d’espèce dépend principalement des taxons considérés et des caractères observables (Manhart et McCourt 1992). D’après Reviers (2003), « le critère d’espèce n’a donc pas de valeur absolue et relève autant de la philosophie que de la biologie ». Dans ce contexte, il est inquiétant de réaliser que la façon de philosopher - et donc d’aborder le concept d’espèce pour un genre en particulier – dépend probablement de l’éducation et de la culture du phycologue. Deux concepts classiques d’espèces sont néanmoins à noter: le concept d’espèce « biologique » et le concept d’espèce « morphologique ».

9 Le concept d’espèce biologique

Le concept d’espèce « biologique » est discuté par Mayr (1963). Dans ce concept, appartiennent à une même espèce, tous les individus de populations qui se reproduisent entre elles, ou peuvent potentiellement se reproduire entre elles, et donner naissance à une génération fertile. Des espèces différentes sont alors reconnues par leur isolement reproductif. Néanmoins, pour les algues, ce concept semble difficilement applicable et il existe aussi bien des espèces répondant au concept d’espèce « biologique » (ex. des espèces d’Ectocarpus, Müeller et Eichenberger 1995) que des espèces capables d’hybridation (ex. des espèces de Fucus, Engel et al. 2005). Dans le cas du genre Fucus, même si l’hybridation entre deux espèces est possible naturellement quand elles sont en sympatrie, leur système de reproduction divergeant (monoïque vs dioïque) est probablement responsable du maintien de l’intégrité de chacune des espèces (Engel et al. 2005). Selon Reviers (2003), la difficulté d’appliquer le concept d’espèce « biologique » chez les macroalgues est liée à la complexité de leurs cycles de reproduction et de culture en laboratoire. Des méthodes de génétique des populations, par exemple, pourraient permettre de mesurer les flux géniques entre populations et donc éventuellement de rechercher la présence ou non d’infertilité. Cette alternative pourrait permettre d’éviter de décrire de nouvelles espèces sur la base de variants morphologiques inhabituels résultants seulement de paramètres environnementaux particuliers (Revier 2003).

9 Le concept d’espèce morphologique

Pour Wattier et Maggs (2001), chez les macroalgues, la taxinomie au niveau spécifique est basée sur le

concept d’espèce « morphologique », c'est-à-dire la détection de caractères morphologiques

discontinus. Ainsi un spécimen appartient à une espèce donnée dès lors qu’il montre une morphologie comprise dans le gradient (borné) de variations morphologiques de cette espèce. Cronquist (1988) définit les espèces comme étant « … the smallest groups that are consistently and persistently distinct and distinguishable by ordinary means. ». Le concept d’espèce « morphologique » présente plusieurs avantages (i) un aspect pratique et pragmatique qui permet d’adapter les techniques d’identification et les limites des espèces au taxon étudié, (ii) la nécessité que les espèces soient morphologiquement distinctes implique un certain degré d’isolement reproductif, et ainsi englobe dans une certaine mesure le concept d’espèce « biologique », et (iii) la reconnaissance de tous les caractères morphologiques et de leurs variations phénotypiques. Néanmoins, délimiter une espèce reste complexe car il est difficile d’évaluer toutes les variations morphologiques infra-spécifiques liées par exemple à un dimorphisme sexuel, aux différents stades de vie, ou aux conditions environnementales. Selon Wattier et Maggs (2001), les données génétiques (séquences ADN, arbres phylogénétiques, etc.) permettent de tester les limites morphologiques des espèces et éventuellement de les réévaluer.

5.1.2. Le concept d’espèce phylogénétique

Baum (1992) propose deux types de concept d’espèces « phylogénétiques »: (i) dans le premier, une espèce correspond à un groupe d’organismes qui possèdent au moins un caractère diagnostique commun (morphologique, biochimique ou moléculaire), (ii) et, dans le second, une espèce doit être un ensemble monophylétique et partager un ou plusieurs caractère(s) dérivé(s). Une espèce peut donc être définie de deux façons, (i) soit elle regroupe tous les descendants d’un ancêtre commun y compris cet ancêtre commun, (ii) soit elle regroupe des organismes plus proches les uns des autres que de n’importe quel autre organisme (Baum 1992). Selon Mallet (1995), le concept d’espèce « phylogénétique » implique que deux groupes d’individus dont l’histoire évolutive est suffisamment différente pour générer deux groupes génétiques monophylétiques distincts, puissent être considérés comme des espèces différentes. Ceci est applicable si les deux groupes d’individus étudiés sont en sympatrie. Dans le cas contraire, la différentiation génétique peut potentiellement être liée à l’isolement géographique de deux populations appartenant à la même espèce, et la décision de considérer une ou deux espèces reste arbitraire (suivant que l’on considère leur histoire évolutive suffisamment éloignée ou non). D’après Mallet (1995), l’aspect le plus important du concept d’espèce « phylogénétique » réside dans le fait qu’une espèce peut être affectée par les flux géniques, la sélection et l’histoire, plutôt que d’être définie par ces processus. Il est ainsi possible de discuter l’origine du maintien d’un groupe génétique (continuité géographique, flux géniques, sélection, dérive, mutations).

Le projet de « Barcoding » génétique du monde vivant repose sur le concept d’espèce

« phylogénétique ». Hebert et al. (2003) démontrent qu’il est possible d’identifier de façon précise et fiable plus de 200 espèces de lépidoptères grâce au séquençage du gène mitochondrial cox1. Saunders (2005) démontre également que le code barre du cox1 est efficace pour discriminer plusieurs espèces appartenant à des genres différents de Rhodophyceae. Néanmoins il apparaît que la méthode du code barre ne peut être dissociée des techniques d’alpha-taxonomie traditionnelles et représente finalement plus un outil de taxonomie supplémentaire qu’une méthode universelle (Saunders 2005, Schander et Willassen 2005). Le concept d’espèce « phylogénétique » ne peut donc pas être dissocié d’un autre concept d’espèce classique (Manhart et McCourt 1992).

5.1.3. Le concept d’espèce utilisé pour la taxonomie du genre Sargassum

Au vu de la littérature, le concept d’espèce pour le genre Sargassum n’a pas encore été discuté et il n’existe a priori pas d’étude relatant d’expérience d’hybridation pour le genre. Il apparaît néanmoins évident que c’est le concept d’espèce morphologique qui a été le plus souvent considéré. Cependant, l’importante variabilité morphologique reconnue pour le genre, dépendante des conditions environnementales, rend floues les limites des espèces. L’application du concept d’espèce morphologique dans ces conditions est sans aucun doute responsable du nombre pléthorique de taxons de Sargassum décrits à ce jour (cf. chapitre I.3.5.1). Dans ce contexte, et sur les suggestions de

Wattier et Maggs (2001), il a été choisi d’utiliser le concept d’espèce morphologique couplé à l’analyse de caractères génétiques. Néanmoins, les limitations de l’interprétation des données génétiques ne sont pas encore maîtrisées et il est difficile de définir jusqu’à quel point les données génétiques fournissent des caractères diagnostiques pour l’identification des espèces. En conséquence, l’identification des espèces s’est appuyée avant tout sur les résultats des analyses morphologiques, et les données ADN ont été utilisées pour tester la monophylie et les limites morphologiques des taxons.