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Chapitre I. Introduction Générale

3. Etat des lieux de la taxonomie du genre Sargassum

3.5. Difficultés taxonomiques

Des ambiguïtés de nomenclature ont été recensées dès l’établissement du genre Sargassum (Silva et al. 1996 p. 930). Sargassum est consensuellement reconnu comme un groupe difficile et nécessitant une importante révision taxonomique. Ces ambiguïtés taxonomiques se rencontrent à deux échelles: (i) celle des taxons terminaux, c'est-à-dire au niveau de la discrimination des espèces, et (ii) celle de la classification, c'est-à-dire au niveau de la répartition des espèces dans les différentes sous-divisions du genre.

3.5.1. Ambiguïtés au niveau spécifique

La classification et la description de la plupart des espèces datent du 19ème siècle avec principalement

les travaux de C. Agardh (1820, 1824) et de J. Agardh (1848, 1889). Les monographies et les collections de ces auteurs sont représentatives de la taxonomie du genre à cette époque. Les diagnoses sont constituées pour la plupart d’un court paragraphe décrivant succinctement le matériel type. Ce dernier est représenté, dans la majorité des cas, par un échantillon sec, incomplet, en mauvais état, collecté en épave (laisses de mer) dans une localité mal précisée lors des premiers voyages autour du monde. Sans connaissance des individus dans leur milieu naturel, ces auteurs et leurs contemporains ont pu décrire plusieurs taxons à partir de fragments appartenant à la même espèce. La situation est également aggravée par la teneur des diagnoses qui, sans illustration, peuvent correspondre à plusieurs espèces très différentes (obs. pers.). A cela s’ajoute encore la difficulté de localiser les collections et les spécimens types, dont certains ont probablement disparu, par exemple dans l’incendie du Muséum de Berlin lors de la Seconde Guerre Mondiale.

L’origine de ces premières confusions taxonomiques est sans aucun doute liée à la forte polymorphie du genre, certainement sous-estimée à cette époque. Les caractères morphologiques impliqués dans la taxonomie du genre Sargassum peuvent en effet montrer une part importante de variations phénotypiques en relation avec la diversité des habitats, les saisons ou même au sein d’une population (De Wreede 1976, Magruder 1988, Gavino et Trono 1992, Killar et al. 1992, Gillepsie et Critchley 1997, 2001). Cette polymorphie a parfois été interprétée à tort comme des variations interspécifiques générant alors plusieurs épithètes pour une même espèce (Womersley et Bailey 1970, Guiry et Guiry

2008). Considérant cette variabilité morphologique, Grunow (1915, 1916a,b) a décrit de nombreuses

variétés et formes, contribuant ainsi à la complexification du genre. Plusieurs de ces taxons infra-spécifiques sont aujourd’hui considérés comme superflus par divers auteurs (Womersley 1954, Yoshida 1987). A ce contexte s’ajoute un manque d’information concernant la variabilité morphologique des taxons. Identifier une espèce peut alors s’avérer hasardeux.

D’après Kilar et al. (1992), les ambiguïtés taxonomiques sont liées à l’existence d’une variabilité considérable au niveau de la description des espèces. Les auteurs listent 11 motifs potentiellement responsables de ces confusions taxonomiques: (i) une plasticité phénotypique importante, (ii) des formes ontogéniques variables, (iii) un polymorphisme important, (iv) des caractères morphologiques pouvant être absents (comme par exemple les vésicules ou les réceptacles), (v) une trop grande importance donnée à des caractères très variables comme les feuilles, (vi) l’hybridation qui peut générer des spécimens de formes intermédiaires, (vii) la possibilité de polyploïdie qui peut générer des morphologies divergentes, (viii) le nombre de variétés et de formes décrites dans la littérature, (ix) l’absence de représentation de la polymorphie par les spécimens types qui ne sont souvent que des fragments, (x) l’absence d’un consensus soulignant les caractères d’importance taxonomique, et (xi) l’absence d’information complète concernant l’écologie, le développement et de la reproduction de la

plupart des espèces. Afin de circonscrire la variabilité morphologique des taxons, Kilar et al. (1992) font plusieurs recommandations incluant notamment des études sur un nombre suffisant de spécimens à plusieurs saisons et issus de populations soumises à des conditions environnementales variées. Ces auteurs recommandent également des expériences de reproduction in vitro et des études génétiques.

3.5.2. Ambiguïtés au niveau des sous-divisions infra-génériques

Le classement des espèces dans les différentes sous-divisions du genre est souvent confus et ambigu (Wormersley 1954, Yoshida 1983) en raison de la combinaison (i) d’une forte polymorphie intra-spécifique et (ii) d’un système de classification basé sur un matériel ancien et fragmentaire. Par exemple, S. mcclurei a été placé au sein du subgen. Arthrophycus lors de sa description (Setchell 1935c), puis transféré au subgen. Bactrophycus section Phyllocystae (Tseng et al. 1985), et enfin au subgen. Sargassum lors du transfert de la section Phyllocystae à ce sous-genre par Stiger et al. (2000). Pour aider à résoudre ces ambiguïtés de classification, Yoshida (1983) a proposé de classer les sous-genres en deux groupes: (i) ceux avec des feuilles perpendiculaires aux rameaux (= orientées horizontalement) (Bactrophycus et Arthrophycus), et (ii) ceux avec des feuilles parallèles aux rameaux (= orientées verticalement) (Phyllotrichia, Schizophycus et Sargassum). Womersley (1954), propose d’inclure le subgen. Schizophycus dans le subgen. Sargassum, et ne reconnaît pas les différentes sous-divisions (Tribus) du sous-genre Phyllotrichia (J. Agardh 1889) qui, selon lui, sont mal définies et basées sur des différences minimes. Dans leurs révisions du sous-genre Sargassum en Chine, Tseng et Lu (1992a, b, 1995a, b, c, 1997a, b, 1999, 2002a, b, c) clarifient et synthétisent les caractères ayant valeur taxonomique pour la distinction des sections, sous-sections, séries et groupes d’espèces recensés jusqu’alors dans la littérature dédiée à ce sous-genre. Toutefois, d’après Abbott (1992, p. 1-3), le système entier de classification du genre Sargassum est confus et dans certains cas trop vague pour être utile. L’auteur précise qu’il existe des inconsistances à tous les niveaux y compris au niveau de la distinction des sous-genres. Selon Abbott (1992), supprimer les sous-genres ne serait pas une solution, et une approche nouvelle de la taxonomie du groupe est nécessaire pour mieux appréhender la composition et l’organisation du genre Sargassum.

3.5.3. Apport des analyses ADN

Les analyses moléculaires de l’ADN offrent une méthode alternative pour évaluer les concepts taxonomiques, systématiques et phylogénétiques traditionnels. En phycologie, les études systématiques utilisant les acides nucléiques ont permis d’appréhender les phylogénies d’une façon nouvelle dès les années 80-90 (Olsen 1990). Depuis, de nombreuses études ont démontré l’utilité des marqueurs ADN dans la compréhension de l’histoire évolutive des taxons (Kooistra et al. 1992, Hoarau et al. 2007, Phillips et al. 2008a,b), de leurs relations phylogénétiques (Kogame et al. 1999, Coyer et al. 2006, De Clerck et al. 2006), ou dans la résolution d’ambiguïtés taxonomiques (Coyer et al. 2001, Hayden et al. 2003, Faye et al. 2004). Pour les Phaeophyceae, les premières phylogénies

complètes (Draisma et al. 2001, Rousseau et al. 2001) ont permis de confirmer la monophylie de la majorité des ordres alors que les Laminariales et les Sphacelariales apparaissent comme polyphylétiques. La phylogénie des Fucales a été explorée par plusieurs auteurs utilisant des marqueurs nucléaires SSU et LSU (ADNr) (Rousseau et al. 1997, Rousseau et Reviers 1999) ou chloroplastiques psaA (Cho et al. 2007). Ces études ont permis de mettre en évidence la monophylie des Fucales, ainsi que celle de la majorité des huit familles couramment attribuées à cet ordre à l’exception des Cystoseiraceae. Deux nouvelles familles ont été proposées et les Cystoseiraceae ont été fusionnées aux Sargassaceae. Un nombre considérable d’études ont été consacrées aux Fucales et en particulier aux espèces de Fucus qui ont un rôle clef dans les écosystèmes marins européens (Wallace et al. 2004, Engel et al. 2005, Coyer et al. 2006, Oudot-Le Secq et al. 2006). Néanmoins, peu d’auteurs se sont intéressés au genre Sargassum malgré son importance écologique dans les régions intertropicales. La première étude à tester la classification traditionnelle et les relations phylogéniques

du genre Sargassum au moyen de phylogénies moléculaires date de la fin du XXème siècle (Phillips

1998). Depuis, peu de marqueurs ADN ont été testés. Les études existantes se sont limitées au marqueur nucléaire ITS-2 (ADNr) pour le subgen. Bactrophycus (Yoshida et al. 2000, 2004, Stiger et al. 2000, 2003) et au marqueur chloroplastique RubisCo pour le sous-genre Sargassum (Phillips 1998, Phillips et Fredericq 2000, Phillips et al. 2005). Ces études ont toutefois permis de mettre en évidence certaines incohérences entre le système de classification traditionnel et les phylogénies moléculaires. Ainsi, sur la base d’une approche moléculaire, Stiger et al. (2000, 2003) ont proposé le transfert de la section Phyllocystae du subgen. Bactrophycus au subgen. Sargassum, et de réduire le genre Hizikia Okamura au rang de section au sein du genre Sargassum subgen. Bactrophycus. Avec les mêmes approches, et contrairement à Womersley (1954) qui avait proposé d’inclure les espèces du subgen. Schizophycus dans le subgen. Phyllotrichia, Yoshida et al. (2004) ont proposé leur transfert dans le subgen. Sargassum. Les réarrangements taxonomiques mis en évidence par les études moléculaires basées sur les marqueurs ADN, indiquent clairement que le genre Sargassum doit être révisé.