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Il est logique que sur la question du développement des coordinations motrices et de leurs troubles, les conceptions soient multiples, tant la part des hypothèses est grande. En particulier les divergences sont majeures sur la détermination d'un primum movens à l'origine du trouble. Dans l'état actuel des connaissances, on peut observer toutefois des éléments de convergences sur les points suivants :

- l'analyse séméiologique et les contours du syndrome lui-même,

- la pluralité des facteurs intervenant dans l'apparition et l'évolution du trouble : les facteurs d'ordre individuels (génétiques, biologiques et psychologiques) et environnementaux, - l'inscription précoce dans le développement de l'enfant entraînant des interférences avec les autres domaines et modifiant les interactions avec son environnement.

7.1.

Généralités

Des hypothèses ont été proposées sans qu’un réel consensus ne soit établi. Les facteurs étiologiques de la « maladresse » des enfants dyspraxiques sont divers : facteurs héréditaires, trouble acquis du développement cérébral, etc. De plus, une production motrice requiert la participation de plusieurs fonctions neurologiques. On note parfois une altération de la dominance cérébrale (Reuben et al., 1968), un dysfonctionnement des afférences tactiles (Ayres, 1972), des troubles de connexion inter et intra hémisphériques (Geschwind, 1975). Toutefois, la prématurité est reconnue comme un facteur responsable (Picard, 2000 ; Leroy-Malherbe ; 2005) avec le syndrome de l’ancien prématuré décrit par Bergès (1969) qui serait fréquent notamment dans les troubles visuoconstructifs (Albaret, 2003).

Cermak (1985) trouve l’existence de facteurs congénitaux, périnataux ou néonataux, chez la moitié des enfants dyspraxiques dont la cause la plus fréquente serait la conséquence d’une anoxie à la naissance (Gubbay, 1975 ; Johnson et al., 1987) ou d’une hypoxie (Towbin, 1980). Elle entraînerait la destruction de centres situés dans le tronc cérébral, et des noyaux du thalamus impliqués dans les fonctions somato-sensorielles fréquemment perturbées dans la dyspraxie. De plus, une étude faite chez les rats et rapportée par Cermak (1985), démontre que le cervelet joue un rôle dans le contrôle moteur et que le sous-développement de celui-ci provoque la maladresse chez l’animal. Chez des enfants prématurés, dont le cervelet est sous-développé, on observe une maladresse et une efficience cognitive pour les tâches « visuomotrices et graphomotrices », nettement inférieures aux tâches « verbales ». Un dysfonctionnement au niveau du cortex, du cervelet ou des ganglions de la base est aussi décrit par d'autres auteurs (Lesny, 1980 ; Cermak, 1985 ; Gubbay, 1975 ; Volman et al., 1998 ; Ivry, 2003)). Un développement incomplet du cervelet serait en cause (Lesny, 1980).

Les principales manifestations comportementales, avec notamment une atteinte du contrôle postural, des coordinations et de l’apprentissage moteur, suggèrent l’implication du cervelet, des ganglions de la base ainsi que des lobes pariétal et frontal (J.-M. Albaret, Y. Chaix, 2011).

Pour Gubbay (1975), la maladresse serait due à la combinaison de plusieurs facteurs. Il souligne la nécessité de l’intégrité de différentes fonctions neurologiques dans l’exécution des mouvements. Ces structures comprennent les circuits pyramidaux, extrapyramidaux et sensoriels. Les praxies impliqueraient aussi tous les systèmes nerveux centraux (cortex et cervelet) ainsi que le système périphérique (moelle épinière, nerfs sensitifs et moteurs). Pour lui, il n’y aurait donc aucune spécificité d’atteinte lésionnelle dans la dyspraxie.

Les technologies les plus récentes ont permis de mettre en évidence un taux élevé d’anomalies cérébrales non spécifiques : atrophie corticale ou démyélinisation (Bergstrom, 1978 ; Knuckey, 1983), dilatation ventriculaire (Le Normand et al. 2000).

Les observations cliniques ont permis d’observer des troubles oculomoteurs et du regard (Mazeau, 1995), des troubles neurovisuels (Langaas et al., 1998 ; Sigmundsson et al., 2003 ; Ingster-Moati et al., 2005).

pourrait invoquer une immaturité neurologique de l’un des systèmes impliqués dans l’élaboration des praxies. Cette hypothèse est démontrée dans certains cas, mais les maladresses motrices devraient s’amenuiser et disparaître avec la maturation, hors les enfants véritablement dyspraxiques éprouveront toujours des difficultés. En effet, des études longitudinales (Cermak et al., 1990 ; Loos et al., 1991 ; Cousin, 2003 cité dans Geuze, 2005) ont démontré que les enfants avec des problèmes d’équilibre et de coordination continuent de présenter ces difficultés motrices à l’adolescence et à l’âge adulte.

7.2.

Approche clinique de la dyspraxie développementale

7.2.1.

Rôle du lobe frontal dans la dyspraxie

Luria (1973) introduit le rôle du lobe frontal dans la planification et la programmation du geste et des séquences d'action dans l'apprentissage de nouveaux comportements moteurs. Selon cet auteur, la manipulation des objets impliquerait plusieurs composantes qui peuvent être sélectivement affectées : le traitement des afférences proprioceptives (apraxie kinesthésique), le traitement visuospatial perturbé par des lésions pariétaux- occipitales, la formation de séquences de mouvements élémentaires (apraxie kinétique) qui ferait intervenir les noyaux de la base et le cortex pré moteur et enfin le contrôle de l'action en relation avec l'intentionnalité et la verbalisation implicite qui seraient affectées en cas de lésions frontales. Les lésions du cortex préfrontal chez l'adulte ont un retentissement sur le comportement moteur (ralentissement avec appauvrissement des gestes) et peuvent également être responsables de troubles de la programmation du mouvement (difficulté à réaliser des tâches motrices complexes avec apparition de persévérations, de comportements intrus, véritables « digressions » gestuelles). Les lésions du lobe préfrontal perturbent également la capacité pour le sujet à élaborer un plan d'action qui peut effectuer des gestes automatiques, routiniers, mais ne peut plus réaliser un nouveau comportement moteur, nécessitant une nouvelle séquence d'action.

7.2.2.

Syndrome des Dysfonctions Non-Verbales (SDNV)

Rourke (1995) décrit un tableau clinique particulier, appelé Syndrome des Dysfonctions Non Verbales (SDNV), Non Verbal Learning Disabilities. Il constitue un sous-groupe des troubles spécifiques des apprentissages (Corraze, 1999, 2009; Rourke,

1989, 1995) caractérisé par un retard graphique, un défaut d’habileté dans la tenue du crayon et des outils de la vie scolaire, une lenteur dans l'exécution des tâches manuelles qui s'accompagne d'un profil particulier sur le plan du langage qui se met en place de façon un peu retardée (l'enfant rattrape son retard mais si son vocabulaire paraît alors assez recherché voire sophistiqué, le sens des mots employés n’est pas toujours maîtrisé).

L'enfant entre dans la lecture avec une grande facilité. En revanche, on note une dysorthographie dite de surface. En mathématiques, c'est l'apprentissage des algorithmes qui est difficile alors que l'enfant est brillant en calcul mental, il mémorise les règles et les théorèmes.

Sur le plan de l'interaction sociale, l'enfant a du mal à établir des relations avec les enfants de son âge. Il va plus volontiers vers les adultes. Craintif par rapport aux situations nouvelles, il est décrit comme anxieux, il s'enferme dans des comportements répétitifs. Attiré par l'informatique, les jeux vidéos, ses parents expriment leur inquiétude de le voir s'y réfugier. Il supporte mal les frustrations, les interdits et cela est source de conflits intrafamiliaux. Il comprend mal les métaphores, l'humour. L'enfant peut présenter des perturbations émotionnelles dans le sens d'un repli, aspect dépressif ou au contraire excitation, impulsivité, voire acte délictueux. L'enfant peut rencontrer des difficultés pour décoder les expressions corporelles, mimiques et en retour à les exprimer : ainsi il pourra faire une mimique de dégoût alors qu'il relate un événement plaisant.

Rourke suggère que, comme cela a été décrit chez l'adulte sous le terme de syndrome de l'hémisphère droit (Joanette et Goulet, 1988), la mise en place des habiletés cognitives et sociales dépendrait de la maturation de l'hémisphère droit. Ainsi le SDNV serait caractérisé par une perturbation des fonctions qui relèvent de cet hémisphère : les habiletés visuospatiales, les processus attentionnels, en particulier pour les stimuli visuels et tactiles, les comportements sociaux et émotionnels.

Les troubles cognitifs qui font partie du SDNV font penser à ceux décrits dans les syndromes de type autistique. II est également aisé de rapprocher le SDNV des tableaux psychopathologiques complexes décrits par De Ajuriaguerra chez certains enfants dyspraxiques et de s'interroger sur l'association de pathologies distinctes ou sur l'existence d'un continuum entre motricité, cognition, interaction sociale.

7.2.3.

Dyspraxie visuospatiale (DVS), « Visual perceptual

impairment» : l'implication de la voie dorsale

décrit par Mazeau (1995), sous le terme de Dyspraxie VisuoSpatiale (DVS). Il s’agit d’un trouble praxique constructif chez l'enfant avec lésion cérébrale précoce (ou paralysie cérébrale). Ce trouble s'associe à un trouble visuospatial et à un trouble de la poursuite oculaire.

Fazzi et al. (2004) confortent ce tableau clinique, appelé « Visual-Perceptual Impairment » (VPI), caractérisé par un trouble de la coordination oculomotrice et un trouble praxique constructif, à une atteinte de la voie occipito-pariétale (ou voie dorsale). L'administration du Developmental Test of Visual Perception2 (DTVP), (Hammill et al., 1994), a montré que des enfants prématurés présentent une différence significative entre le quotient visuomoteur et le quotient non visuomoteur au profit de ce dernier.

Les travaux de Mazeau et Fazzi sont proches de ceux de Jeannerod (1994), sur l'étude de la coordination visuomotrice3 et de l'utilisation de l'espace chez l'adulte. Cette coordination nécessite de la part du sujet d'identifier l'objet, de le localiser spatialement, de déterminer la position de l'objet par rapport à son corps, et de mettre en adéquation la forme de l'objet et la configuration motrice de la main. La DVS et le VPI sont également proches du tableau d'ataxie, qui fait suite, chez l'adulte, le plus souvent, à une atteinte bilatérale des régions pariétaux-occipitales.

7.2.4.

L'approche perceptivo-visuelle

Schneider (1969), à partir d'expériences d'ablation du cortex visuel chez l'animal, propose l'existence de deux systèmes, un système responsable de la discrimination des formes et un système sous-cortical responsable de l'orientation spatiale. Ce modèle sera rapidement considéré comme insuffisant, notamment par rapport à l'importance accordée à la voie sous-corticale, dans les fonctions visuomotrices et visuospatiales. Actuellement, deux systèmes visuels corticaux sont reconnus chez l'homme :

- une voie occipito-temporale (voie ventrale) : l'interruption de cette voie entraînerait une perte de la capacité à discriminer des objets sans affecter la perception de leurs relations spatiales;

- une voie occipito-pariétale (voie dorsale) : l'interruption de cette voie entraînerait une perte de la capacité à percevoir les relations spatiales entre les objets et un déficit du comportement visuo-moteur.

2 Le DTVP est la version révisée du test de Frostig (1973), test qui vise à mesurer les fonctions cognitives

visuelles en distinguant les fonctions visuo-motrices des fonctions non visuo-motrices

3 La coordination visuo-motrice se définit comme la capacité à adapter le mouvement à des données visuelles en

Il y aurait donc deux mécanismes corticaux : pour la reconnaissance d'un objet et pour l'action dirigée vers cet objet. Chacun d'eux devrait être activé en fonction de la tâche à accomplir, si celle-ci consiste à reconnaître, mémoriser, se représenter l'image de cet objet, seule la voie ventrale devrait être activée. En revanche, si la tâche consiste à préparer un mouvement de saisie, c'est la voie dorsale qui devrait être activée.

Gonzalez-Monge et al. (2010) rapporte la mise en évidence de la responsabilité des troubles perceptivo-visuels dans la manifestation de troubles praxiques chez l'enfant (troubles qui ont longtemps été sous-estimés).

Les enfants dyspraxiques obtiennent un quotient perceptif global plus faible que les enfants normaux (Tsaï et al., 2008) au TVPS (Test of Visual Perceptual Skills). Mais on note encore une grande variabilité des résultats obtenus aux différents sous-tests, révélant ainsi une importante hétérogénéité de cette population d’enfants dyspraxiques.

On constate ainsi que, pour comprendre les mécanismes sous-jacents d'une éventuelle dyspraxie dite «constructive» il est nécessaire de pouvoir recourir à un ensemble d'épreuves qui testent la composante visuospatiale avec participation motrice (dyspraxie visuospatiale), la composante visuospatiale « pure », c'est-à-dire sans participation motrice (trouble visuospatial de Mazeau, 2005), la composante perceptivovisuelle relevant du «seul» traitement occipital.

8. LES SYMPTOMES