• Aucun résultat trouvé

Esclavage : une histoire diversifiée selon les pays et les époques

L'organisation des sociétés, l’indifférence et l’incompréhension humaines, la quête de la richesse et la recherche de la main d’œuvre intensive gratuite ont provoqué l’exploitation de certains et d’autres la richesse. Pour Marcel Dorigny et Bernard Gainot de l’esclavage est la « négation de l’être humain pour le réduire à l’état de force de travail brut »178. C’est une négation de l’humanité d’une personne dans le but de la réduire à une simple force de travail. L’esclave est, en effet, un « individu-objet »179 qui appartient à un maître qui use délibérément de sa force

178 Marcel Dorigny et Bernard Gainot, Atlas des esclavages de l’Antiquité à nos jours, Paris, Autrement, coll.

Atlas/Mémoires, 2013, p. 6.

179 Cette appellation concorde avec la définition de l’esclavage dans la Convention relative à l’esclavage, signée à

Genève le 25 septembre 1926 en son article 1er, titre 1 : « l’esclavage est l’état ou condition d’un individu sur lequel

55

physique et de son travail. Bien qu’il soit marginalisé, l’esclave constitue le carburant de fonctionnement à plein régime du moteur du système esclavagiste.

Les sources écrites disponibles sur les premières manifestations de l’esclavage en tant que système remontent à l’Antiquité. En témoigne le Code d’Hammourabi (1792-1750 av. J.-C.)180. Cependant, il reste encore difficile de préciser la date et les facteurs de son apparition. Est-elle vraiment d’origine familiale ? Voilà une autre interrogation qui n’a pas eu une réponse qui fasse l’unanimité chez les chercheurs. C’est sûr, l’esclavage a traversé les siècles, tous les continents ont connu leur page sombre de ce fléau qui continue à faire encore des victimes. D’une civilisation à l’autre, d’une époque à l’autre, les raisons évoquées pour imposer l’esclavage sont différentes. Les statuts, la place, les devoirs de l’esclave et les lois qui réglementent le système esclavagiste sont aussi fort différents. Aujourd’hui, des pratiques de l’esclavage apparaîssent encore sous diverses formes : exploitations des enfants au travail, domesticité, conditions inhumaines de travail des femmes, traite des blanches…

Des civilisations antiques (Mésopotamie, Inde, Égypte, Grèce, Chine…) pratiquaient l’esclavage pour répondre à la demande croissante de main-d’œuvre pour les grands travaux de construction ou d'agriculture, ou encore pour des tâches domestiques181. En Égypte, par exemple, les grands chantiers de construction comme les palais et les monuments impériaux reposaient sur la main- d’œuvre servile. Dans la Grèce antique, on dénombrait des centaines de milliers d’esclaves. À Athènes seulement, selon l’historien Raymond Descat 182 au IVe siècle avant notre ère, on

180 Ce texte de jurisprudence établissait la hiérarchisation de la société mésopotamienne en trois groupes d’individus : les hommes libres (awīlum et muškēnum), les subalternes et les esclaves (wardum). Les esclaves avaient un statut particulier qui les confond aux animaux et autres objets (selon l'article 7 du Code d’Hammourabi: «Si un homme a acheté ou reçu en dépôt, sans témoins ni contrat, de l’or, de l’argent, esclave mâle ou femelle, bœuf ou mouton, âne ou quoi que ce soit, des mains d'un fils d'autrui ou d'un esclave d'autrui, cet homme est assimilable à un voleur et passible de mort ». Lire aussi l’article 15 :«Si un homme a fait sortir des portes un esclave ou une esclave du palais, un esclave ou une esclave d'un mouchkîno, il est passible de mort». V. Scheil, La Loi de Hammourabi (vers 2000 av. J.-C.), deuxième édition, Paris, Ernest Leroux, 1904. En ligne : http://remacle.org/bloodwolf/erudits/amourabi/code.htm, consulté le 6 décembre 2015.

181 Voir à ce sujet les analyses de Christian Delacampagne, Une histoire de l'esclavage. De l'Antiquité à nos jours, Paris, Le livre de poche, 3e éd., 2002 ; de Mathilde Giard, L’esclavage de l’Antiquité à nos jours, Paris, Flammarion, 2013; et celles de Youval Rotman, Les Esclaves et l'esclavage. De la Méditerranée antique à la Méditerranée médiévale, vie-xie siècles, Paris, Les Belles Lettres, 2004.

182 Pierre Brulé, Raymond Descat, Patrice Brun, Jean-Luc Lamboley, Sylvie Le Bohec et Jacques Oulhen, Le Monde grec aux temps classiques, t. 2 : Le IVe siècle, Paris, PUF, « Nouvelle Clio », 2004, p. 367-370, dans « Comptes rendus. », Revue historique 1/2006 (no. 637) , p. 139-235 . En ligne : URL : www.cairn.info/revue-

56

pouvait dénombrer 200 000 à 250 000 esclaves, soit un habitant sur deux. Ces chiffres viennent confirmer l’idée selon laquelle l’économie athénienne (exploitation des mines, l’artisanat, etc.) reposait surtout sur l’esclavage.

Les esclaves dans l’Empire romain, en Grèce et en Égypte sont généralement de prisonniers de guerre, de personnes insolvables et d’étrangers barbares qui ne savaient pas parler la langue grecque183. Dans l’Empire romain, 40% de la population étaient des esclaves. Ils travaillaient la terre, s’adonnaient à d’autres tâches domestiques et vivaient dans des conditions infrahumaines. «[…] L’organisation du travail des esclaves constitua le fondement [Unterbau] indispensable de la société romaine »184. Les maîtres avaient le droit de vie ou mort sur leurs esclaves. La révolte des esclaves entre 73 et 71 avant notre ère, conduite par Spartacus n’arriva pas pourtant à freiner la machine broyeuse de l’esclavage. Cette révolte fut sévèrement réprimée dans le sang.

L’esclavage comme système d’exploitation de l’homme par l’homme avait trouvé sa note de légitimation sous les plumes des penseurs et philosophes de l’Antiquité comme Aristote qui, dans La Politique, affirma que :

Il est évident qu’il y a par nature des hommes qui sont libres et d’autres qui sont des esclaves, et que pour ceux-ci, la condition servile est à la fois avantageuse et juste […]. L’utilité des animaux privés et celle des esclaves sont à peu près les mêmes ; les uns comme les autres nous aident par le secours de leur force corporelle à satisfaire les besoins de l’existence […]185 ». Et la nature « destine à cet usage l’être capable de percevoir la raison sans pour autant la posséder en propre et doté d’une vigueur

historique-2006-1-page-139.htm., DOI : 10.3917/rhis.061.0139., consulté le 8 décembre 2015. Voir aussi Raymond Descat et Jean Andreau, Esclave en Grèce et à Rome, Hachette Littératures, Paris, 2006.

183 Cette même considération géopolitique était aussi applicable chez les anciens Hébreux. Seuls les individus extérieurs ou étrangers à la nation peuvent être réduits en esclavage. Voir dans la Bible du Semeur, Lévitique, 25 : 44-46 : « Les esclaves, hommes ou femmes, qui vous appartiendront, proviendront des nations qui vous entourent. C'est d'elles que vous pourrez acquérir des esclaves et des servantes. De plus, vous pourrez acheter des étrangers résidant chez vous et des membres de leurs familles qui vivent parmi vous et qui sont nés dans votre pays, et ils deviendront votre propriété. Vous pourrez les léguer en héritage à vos enfants pour qu'ils en aient la propriété. Ils seront vos esclaves à perpétuité; mais vous ne traiterez pas avec brutalité vos compatriotes, les Israélites ».

184 Max Weber, « GASWG», dans Économie et société dans l’Antiquité 69, p. 296, cité par Wilfried Nippel, « Marx,

Weber et l’esclavage », Anabases [En ligne] le 01 juillet 2011, no 2, 2005. En ligne : URL : http://anabases.revues.org/1531, consulté le 08 décembre 2015.

185 Aristote, Politique, LivreI, V, traduction française : J. Barthélemy Saint-hilaire, Paris, Librairie philosophique de

57

corporelle singulière. Le maître, quant à lui, est par nature doté d’intelligence et d’aptitude à la vie civique […]186 .

On peut dénoter dans les réflexions d’Aristote que l’esclavage est « naturel, avantageux et juste » et l’esclave est un « outil animé »187. Les empreintes de l’esclavage au Moyen Âge furent aussi indélébiles que dans l’Antiquité. La société médiévale n’a pas pu se passer de l’esclavage. Il était essentiel à son fonctionnement. Toute la ville de Constantinople était reconnue comme un grand marché d’esclaves188. Le contexte chrétien ne facilite pas l’abolition de l’esclavage. En réalité, l’Église catholique s’oppose et condamne l’esclavage pour les chrétiens et exige une amélioration dans le traitement de l'esclave. Toutefois, elle fait silence sur le sort des païens. Saint Augustin (Augustin d’Hippone, 354-430) le justifie clairement au IVe siècle en affirmant qu’il est acceptable de devenir esclave pour ses péchés :

Car c’est avec justice que le joug de la servitude a été imposé au pécheur. Le péché seul a donc mérité ce nom, et non pas la nature. Si l’on en juge par l’étymologie latine, les esclaves étaient des prisonniers de guerre à qui les vainqueurs conservaient 189 la vie, alors qu’ils pouvaient les tuer par le droit de guerre : or, cela même fait voir dans l’esclavage une peine du péché »190. Car il est écrit: « L’homme est adjugé comme esclave à celui qui l’a vaincu. Et certes il vaut mieux être l’esclave d’un homme que d’une passion […]191.

Des explications bibliques ont été utilisées jusqu’au XIXe siècle par des théologiens pour entretenir l’esclavage dans les colonies et dans le sud des États-Unis :

186 Aristote, Politique, op. cit., 1254 a 21-1255 a 2.

187 Voir Aristote, Ethique à Nicomaque, Livre VI, « Les vertus intellectuelles », chap. VIII-XIII. Traduction

française : Jean Tricot, Vrin, 1979.

188 Christian Delacampagne, Histoire de l'esclavage. De l'Antiquité à nos jours, Paris, Le livre de poche, 3e éd.,

2002, p. 108.

189 Lire l’étymologie (Servus, esclave, de serbare, conserver) donnée par le jurisconsulte Florentinus commentant le Digeste (lib. I, tit. V, § 5). C’est le nom qu’on donne aux esclaves prisonniers de guerre gardés pour être vendus par la suite. C’est dans la même veine que Donatus fait ses remarques sur les Adelphes de Térence (acte II, scène I, v. 28). Dans l’Esprit des Lois Montesquieu réfute aussi la doctrine des jurisconsultes romains et prouve que l’esclavage, également nuisible au maître et à l’esclave, est aussi contraire au droit des gens qu’au droit naturel (Esprit des Lois, livre XV, ch. 2). En ligne :

http://classiques.uqac.ca/classiques/montesquieu/de_esprit_des_lois/de_esprit_des_lois_tdm.html, consulté le 26 juin 2013.

190 Saint Augustin, La cité de Dieu, Livre 19e, Le souverain bien, chapitre XIV. En ligne : http://www.abbaye-saint-

benoit.ch/saints/augustin/citededieu/livre19.htm#, consulté le 26 juin 2013.

191 Saint Augustin, op. cit. En ligne : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/citededieu/livre19.htm#,

58

« En ce qui concerne l’allégation que l’esclavage est contraire au christianisme […] nous contestons de la façon la plus absolue qu’il se trouve quoi que ce soit dans l’Ancien Testament ou dans le Nouveau Testament qui viendrait montrer que l’esclavage doit être aboli ou que le maître commet un délit en possédant des esclaves. Les enfants d’Israël possédaient eux-mêmes des esclaves et ils n’étaient pas condamnés pour cela […] »192.

Du christianisme à l’islam, l’esclavage persiste. Les « infidèles » et les « mauvais musulmans » sont réduits en esclavage par les califes et les sultans bien que le Coran l’interdise. Le trafic des esclaves était très répandu et rémunérateur au IXe siècle dans le monde arabo-musulman. À Al- Andalus193, par exemple, on importait des esclaves d’Europe orientale194. Aujourd’hui, dans certains pays musulmans tels la Mauritanie, on autorise encore l’esclavage des Noirs chrétiens et des animistes.

Les sources consultées195 montrent que le terme « servage » a été surtout utilisé dans l’Europe méditerranéenne. Ce système apparaît avec le développement des petites exploitations agricoles ne nécessitant pas une main-d’œuvre intense. Mais, il n’en demeure pas moins vrai qu’il reste un système analogue à l’esclavage employé pour compenser le manque de main-d’œuvre entraîné par les conflits armés et les épidémies comme la peste. Il est important de souligner que l’esclavage ne se définit pas à partir du nombre d’individus, mais selon les critères de respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes exploitées. Selon les Nations unies, le servage désigne la « condition de quiconque est tenu par la loi, la coutume ou un accord, de vivre et de travailler sur une terre appartenant à une autre personne et de fournir à cette autre personne, contre rémunération ou gratuitement, certains services déterminés, sans pouvoir changer sa condition »196.

192 Thomas Roderick, Abolition of Negro slavery, 1832, cité par Marcel Dorigny et Bernard Gainot dans, Atlas des

esclavages de l’Antiquité à nos jours, Paris, Autrement, col. Atlas/Mémoires, 2013, p. 7.

193 Al-Andalus désigne l'ensemble des terres de la péninsule Ibérique et de la Septimanie qui furent sous domination

musulmane au Moyen Âge (711-1492).

194 Dominique Barthélémy, « serf », dans Claude Gauvard, Alain de Libera, Michel Zink (dir.), Dictionnaire du

Moyen Âge, Paris, Presses Universitaires de France, 2002, p. 1325.

195 Christian Delacampagne, op. cit., 2002 ; Mathilde Giard, L’esclavage de l’Antiquité à nos jours, Paris,

Flammarion, 2013.

196 Nations unies, Convention supplémentaire relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des

59

2.1.1. Organisation et développement du système esclavagiste dans le contexte de la colonisation européenne

Le développement des colonies au beau milieu du XVe siècle par les puissances ibériques (Portugal, Espagne) va susciter des besoins de main-d’œuvre. Mais, c'est à la fin du XVe siècle avec la « découverte »197 en 1492 de l'Amérique et la conquête du Nouveau Monde par les Espagnols que la Traite et l’esclavage s’intensifieront. Au début, le système d’exploitation qui a été mis en place pour la valorisation des territoires agricoles a été le système des engagés. Ces « engagés»198 étaient des « Blancs » européens, des gens qui vivaient dans une situation de paupérisation grave. Ils offraient leur main d’œuvre en échange du voyage gratuit et de la promesse d’avoir un lopin de terre au terme de leurs années de travail qu’ils auraient fourni aux colons propriétaires installés dans les colonies.

Les engagés, du moins français, avaient une petite rémunération, et ce système s’est poursuivi après l’institution de l’esclavage. Ces engagés devinrent des colons dans la Caraïbe199. Très tôt, ils furent confrontés à des difficultés de climat, aux conditions et à la dureté des travaux. Donc, ils ne pouvaient pas répondre aux tâches, par exemple, de travailler dans les plantations de canne à sucre. Ils survivaient très peu. Il était aussi évident que les propriétaires évitaient de maltraiter les « engagés » par solidarité de rôle. Car ces derniers seront de potentiels voisins à la fin de leur contrat.

Le système des engagés allait rapidement péricliter. La solution qui s’est offerte aux colons européens (espagnols, portugais…) a été celle de la mise en esclavage des populations

197 Le terme « découverte de l’Amérique en 1492» souvent employé dans les manuels d’histoire et que l’on

commémore encore chaque 5 décembre en Haïti est inapproprié. L’on ne saurait parler de « découverte » de l’Amérique puisqu’elle était déjà habitée par les Indiens depuis des dizaines de siècles lorsque Christophe Colomb y débarqua. Toutefois, cet événement fut capital pour le continent américain parce qu’il l’a projeté sur la scène de l’histoire mondiale et a fourni les prétextes d’ouverture de rapports avec l’Europe et l’Afrique. Il a débouché aussi sur des situations malheureuses qui conduisirent à un « ethnocide » (destruction de la plupart des cultures indiennes) et un génocide (disparition brutale d’Indiens au cours des dizaines d’années qui suivent la conquête). Voir sur cette question l’ouvrage de Christian Delacampagne, op. cit., 2002, p. 127 et 143.

198 « Engagé » est le nom donné aux Européens ayant un contrat d’engagement fixé à trois ans (trente six mois).

199 Voir Gabriel Debien, « Les engagés pour le Canada partis de Nantes (1725-1732) », dans Revue d'histoire de

l'Amérique française, vol. 33, no. 4, 1980, p. 583-586. En ligne : http://id.erudit.org/iderudit/303814ar, consulté le 20mai 2015. Voir aussi Aristide Beaugrand-Champagne, « Compte rendu », Gabriel Debien, Le peuplement des Antilles françaises — Les engagés partis du port de la Rochelle, 1683-1715. Notes d’histoire coloniale, II. (L’Institut français d’archéologie orientale du Caire, 1942), dans -8, 22 pages, Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 2, no. 4, 1949, p. 601-603. URI: http://id.erudit.org/iderudit/801510ar, consulté le 20mai 2015.

60

autochtones (taïnos, arawak et caraïbes) qui avaient survécu en grande partie à l’invasion de leur territoire et aux maladies comme la variole, la grippe, la peste apportées par les nouveaux occupants des Amériques. Ils ont été les premiers esclaves. En moins de cinquante (50) ans, leur nombre avait été réduit à quelques centaines dans les principales colonies des Amériques, notamment à Saint-Domingue, à partir d’une population précolombienne dont l’évaluation varie de quelques centaines de milliers à huit millions d’âmes200. Ces « sauvages, sans foi ni loi

ou perro (chiens)»201 comme les appela Christophe Colomb succombèrent par millions en peu d’années après avoir été contraints de travailler dans les plantations de canne à sucre ou dans les mines d’or et d’argent202. En fin de compte, les populations autochtones ont été pratiquement décimées. Comme le fait remarquer Jean Price-Mars « le 6 décembre 1492, date fatidique qui marqua l'entrée des Haïtiens dans l'Histoire. Peut-être faudrait-il mieux dire : date fatidique qui consacra la dépossession des naturels du pays et annonça simultanément l'ère de leur graduelle extinction203».

Les yeux des esclavagistes espagnols sont alors tournés vers les Noirs d’Afrique officiellement (entre 1500 et 1510) pour compenser le manque de main-d’œuvre et pour faire fonctionner à plein régime l’exploitation des ressources du sol et du sous-sol. « Le travail d’un seul Noir vaut celui de quatre Indiens »204 comme l’a soutenu Christophe Colomb. Les noirs d’Afrique ont déjà fait preuve de leur santé robuste et de leur force de productivité aux Canaries, à Madère et dans d’autres îles atlantiques.

200 Noam Chomsky, « La tragédie d’Haïti, chapitre 8 », dans L'an 501, la conquête continue, Paris, L'Herne, 2006.

L’auteur se base sur des estimations faites par Sherburne Cook et Woodrow Borah, Essays in Population History : Mexico and the Carribean, Californie, Berkeley, 1971. Voir aussi David E. Stannard, American Holocaust: Columbus and The Conquest of the New World, New York, Oxford University Press, 1992.

201 Voir le journal de Christophe Colomb, à la date du 12 octobre 1492 dans lequel Christophe Colomb consigne ses

premières impressions des Indiens qu’il compare à des bêtes en les voyant vivre sans Église, ni gouvernement institué. Rinaldo Cadeo, Journal de Christophe Colomb (1412-1493), traduit de l’italien ar Georges Petit, Paris – Bruxelles, Charles Dessart, 1943, p. 144.

202 Des historiens (Jacques de Cauna et autres) s’accordent pour dire qu’il n’y avait pas eu d’esclaves indiens lors de

la colonisation française à Saint-Domingue qui travaillaient dans les plantations. Toutefois, dans un registre trouvé aux Archives municipales de Bordeaux, Fonds Barbes, 210 S 112 : Dans l’état général des Nègres et négresses en date du 1er janvier 1791 de l’habitation appartenant à la famille Ménoire et Beaujau au quartier Morin, on retrouve

un Indien dénommé Actis âgé de 36 ans comme maître sucrier. Voir annexe 1

203 Jean Price-Mars, La République d’Haïti et la République Dominicaine, tome I, Port-au-Prince, Coll. du

Tricinquentaire de l’indépendance d’Haïti, 1953. En ligne :

http://classiques.uqac.ca/classiques/...Haiti.../Republique_Haiti_tome_1.doc, consulté le 22 avril 2013, p. 12.

61

Finalement, les Européens choisissent de pratiquer l’esclavage des populations noires de l’Afrique en s’inspirant du modèle des routes de traite déjà mise en place par la traite pratiquée par les Arabes qui étaient habitués à traverser l’ensemble des territoires africains. Petit à petit, des comptoirs sont établis sur les côtes de l’Afrique. Des systèmes de vente et d’échange (troc d’esclaves contre des produits européens : pacotille, arme…) ont été mis en place pour favoriser la Traite des populations noires qui seront par la suite déportées en Amérique de manière à mettre en valeur les territoires agricoles et à répondre du fruit de leur travail forcé à la demande de produits coloniaux (sucre, café, cacao…).

Pour assouvir leur soif économique et affirmer leur puissance, des pays européens (Portugal, Espagne, Angleterre, France, Hollande, Suède, Danemark)205 se sont tournés vers l’Afrique et ont établi la « traite des Noirs »206 et l’esclavage, une pratique dite « légale, structurée, voire encouragée par des primes »207. La position géographique de l’Afrique jouait aussi en bénéfice des Européens. Le commerce triangulaire208 (Afrique, Amérique et Europe) (figure 1) a atteint son apogée à la deuxième moitié du XVIIIe siècle. C’est la période de l’implication des Français et des Anglais qui cherchaient à avoir le monopole du marché des esclaves au détriment des Hollandais.

À leur arrivée en Afrique, les Européens ont rapidement conclu des rapports commerciaux avec différentes populations africaines des littoraux en échange de captifs. Des territoires d'approvisionnement d’esclaves ont été répertoriés sur le continent africain avec des

205 Un « Essai [non signé] sur l’esclavage et l’observation sur l’état présent des colonies européennes en Amérique »