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2.2. Patrimonialisation des mémoires de l’esclavage : un même vocable pour plusieurs

2.2.4. Dans les Amériques

Dans les Amériques, les barrières contre la mémoire de l’esclavage sont nombreuses. Le processus de « blanchiment » de la population en République dominicaine sous la dictature de Rafael Leónidas Trujillo y Molina (1930-1961) avait encouragé certains Européens et des Blancs américains à venir s’y installer et enfanter avec la population noire. Le « blanchiment » de la population soutient une politique raciste qui a nourri « el Corte » plus connu sur l’appellation de « massacre du persil » en octobre 1937 au cours duquel des milliers d’Haïtiens ont trouvé la mort. Toutefois, la population dominicaine actuelle reste le fruit d'un métissage très large entre les descendants des esclaves africains et les colons européens309 quoiqu’ils veuillent s’identifier à des descendants d’Indiens310. Le même processus de « blanchiment » a été aussi constaté à Porto-Rico à partir des Européens pour la plupart des Espagnols d’origine paysanne. Aujourd’hui, les Portoricains sont appelés les « blancs de l’Amérique latine ». Ces deux démarches peuvent être traduites comme un acte de refus de la mémoire de l’esclavage, de ce passé, de tout lien avec l’Afrique. Elles visent à faire oublier complètement les traces de l’esclavage chez ces populations. La question de la mémoire de l’esclavage est occultée. Certains Dominicains continuent à croire et enseignent encore qu’il existe un rapport entre « Esclavage,

308 Jocelyn Chan Low, Laval Jocelyn, «Les enjeux actuels des débats sur la mémoire et la réparation pour l'esclavage

à l'île Maurice (The Present Stakes of the Debate over Memory and Reparations for Slavery in Mauritius) », dans Cahiers d'Études Africaines, vol. 44, Cahier 173/174, Réparations, restitutions, réconciliations: Entre Afriques, Europe et Amériques (2004), pp. 401-418. EHESS. En ligne : http://www.jstor.org/stable/4393382, consulté le 08 février 2012, p. 404-405.

309 En ligne : http://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/R%C3%A9publique_dominicaine/116821, consulté le 11

février 2014.

310 Il faut souligner que la loi électorale dominicaine de 2011 a légalement enlevé la couleur « indien » des cartes

d’identité électorale. Les couleurs officiellement adoptées depuis sont: blanc, mulâtre et noir. Lire « Reforma a ley electoral eliminaría el color indio, RD será de negros, blancos y mulatos », Listín Diario, R.D., 11 noviembre 2011. Lire aussi Leslie Péan, « Haïti-République Dominicaine : Une responsabilité partagée dans le crime (1 de 3) », dans http://www.alterpresse.org/spip.php?article15298#.UwU53PldW8A, consulté le 18 février 2014.

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Haïti, vodou et Afrique » qui n’est pas évident dans leur cas. Ils n’ont rien à voir avec le passé historique esclavagiste et l’origine africaine. C’est, en effet, un silence et un oubli dans l’historiographie de cette société.

Au cours des années 1970 et jusqu’à très récemment, certains chercheurs et universitaires commencent à poser le problème de la place de l’esclavage noir en République dominicaine, dans leur histoire et leur mémoire collective311. L’Arrêt 168/13 du 23 septembre 2013 de la Cour constitutionnelle de la République dominicaine visant à enlever la nationalité dominicaine à des centaines de milliers de Dominicaines et de Dominicains d’ascendance étrangère depuis les années 1929 a encore soulevé le débat autour de la volonté des hommes politiques dominicains de faire un « nettoyage ethnique virtuel » en dehors de tous principes de droits humains312.

Des intellectuels comme J.C Malone et Avelino Stanley fustigent cette décision. J.C Malone condamne vivement les visées de cette Cour dominicaine : « nous avons là un groupuscule de néo-trujillistes, néonazis déguisés en nationalistes libéraux détenant le pouvoir absolu, faisant la promotion de marches anti-haïtiennes, organisant des lynchages et leurs réponses, ce sont des pyromanes politiques préparant une grande virée »313. Avelino Stanley, pour sa part, trouve ridicule la prétention de refuser aux descendants d’immigrants « une nationalité gagnée au prix de la transpiration, de la sueur, de la faim, des mauvais traitements et de l’exploitation la plus vile »314.

Dans les communautés d’Amérique latine comme en Uruguay, au Chili et au Pérou, la problématique de la présence des Noirs, de leur lien avec l’Afrique et du passé colonial esclavagiste commencent à être traités. Les populations prennent conscience de ce qui s’est passé grâce aux efforts de nombreux chercheurs et universitaires. Jusqu’en 1873, on pouvait compter

311 Nous pouvons citer l’écrivain dominicain, Carlos Agramonte, auteur de l’ouvrage El Sacerdote inglés, éd.

Palibrio, 2013 et du documentaire El precio del Azúcar (2006). Ce dernier a été contraint de quitter la République Dominicaine le 28 mars 2009, en raison de menaces dont il a été l’objet.

312 Cette décision concerne en majorité des dizaines de milliers de citoyens dominicains d’ascendance haïtienne.

313 A ce sujet voir Joseph C. Malone «La sentencia del TC », Listin Diario, du 30 septembre 2013. En ligne :

http://www.listindiario.com/puntos-de-vista/2013/09/30/294004/la-sentencia-del-tc, consulté le 15 octobre 2013.

314 Lire Avelino Stanley, « Yo tambien soy hijo de un extranjero en situacion irregular », dans Journal Hoy, Santo

Domingo, numéro du samedi 5 octobre 2013.

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des Noirs dans la population d’Argentine. Les recherches ont démontré que le tango315 provient

de pratiques culturelles venues directement de la communauté noire d'Amérique latine issue de l'esclavage. Michel Plisson en peu de mots relate que « les Noirs [anciens esclaves] empruntent de leurs anciens maîtres les danses de couples que la tradition africaine ignore. Les danses de salons européennes comme la mazurka, la polka se déforment à leur contact, car les Noirs les investissent d'éléments culturels qui sont étrangers à ces danses. Le compadrito reprend des Noirs ces formules nouvelles, sans se rendre compte qu'en se moquant des Noirs, il invente dans la danse des pas nouveaux. Issue des figures du candomblé, c'est dans les bas-fonds et les bordels que cette alchimie se produit»316.

La contribution brésilienne à la recherche sur l’esclavage est l’une des plus riches dans les Amériques. Le marxisme influence l’historiographie brésilienne de l'esclavage. Des historiens et sociologues de l'École de sociologie de Sâo Paulo (Caio Prado Junior, Florestan Fernandes, Roger Bastide, Celso Furtado, Octavio Ianni) ont grandement contribué à ce mouvement317. Ana Lucia Araujo et Anna Seiderer révèlent des contrastes dans le développement de la mémoire de l’esclavage au Brésil. Selon elles, la valorisation de la mémoire de l’esclavage est très controversée au Brésil :

Au Brésil, pays des Amériques qui a reçu le plus grand nombre d’esclaves africains, les conflits mémoriels se présentent par le biais de la lutte pour l’implantation d'actions affirmatives pour abolir l’exclusion sociale dont les Afro-descendants sont les victimes depuis des siècles. Cependant, même si la mémoire de l’esclavage occupe l’espace public brésilien de façon inégale, la culture afro-brésilienne s’affirme à l’intérieur et à l’extérieur du pays par la musique, le carnaval, le candomblé et les arts visuels. La valorisation de la mémoire de l’esclavage prend souvent forme de conflit mémoriel318.

315 Le tango avant de désigner la danse très rythmée en Argentine a eu divers sens par le passé dont le premier établit

son lien avec la présence des esclaves noirs sur le territoire. Tango se définissait à l’époque comme: « Endroit où le négrier parquait les esclaves avant l'embarquement». Lire Michel Plisson, Tango du noir au blanc, Paris, Cité de la Musique / Arles, Actes. Sud, 2001, p. 207-209. En ligne : URL : http://ethnomusicologie.revues.org/818, consulté le 10 décembre 2015.

316 Michel Plisson, op. cit., p. 207-209.

317 Voir Ana Lucia Araujo, Mémoires de l'esclavage et de la traite des esclaves dans l'Atlantique Sud : Enjeux de la

patrimonialisation au Brésil et au Bénin, Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en Histoire pour l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.), Département d'histoire Faculté des lettres Université Laval Québec, 2007, p. 24.

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Cette mémoire est présente aussi dans des institutions comme les musées (Musée Afro- brésilien à Salvador de Bahia consacré à l'art africain et à la place de la culture africaine au Brésil, Musée de l’abolition de l’esclavage à Recife) qui se donnent pour mission de la valoriser et de la transmettre. Selon Carlo Avierl Célius, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud regorgent aussi de musées traitant de la période coloniale, mais le thème « esclavage » n'y apparaît pas319.

Tout le discours brésilien est basé sur la reconnaissance et éventuellement sur la compensation pour les descendants d’esclaves fiers de braver le joug colonial. La mémoire de l’esclavage est devenue une sorte de référence personnelle à un point tel qu’on se demande si ce n’est pas une création, une construction. Les individus arrivent à réintégrer l’esclavage dans leur mémoire personnelle, non pas en remontant aux souvenirs de leurs parents, mais par des films320, des chants, des manifestations religieuses et artistiques d’origine africaine (candomblé), de l’art martial (capoeira321).

L’ouvrage de Jean Hébrard, Brésil, quatre siècles d’esclavage. Nouvelles questions, nouvelles

recherches est un apport considérable sur les nouvelles questions et les nouvelles recherches sur

l’histoire et la mémoire de l’esclavage au Brésil. Selon l’auteur, les chercheurs brésiliens ont appris à lire les paroles couchées sur le papier pour en faire renaître, au-delà du propos, les intentions, les effets attendus, les ruses, les tours rhétoriques. Si les esclaves qui ont vécu au Brésil n’ont jamais laissé, à de très rares exceptions près, de traces directes de leurs mots, ils sont certainement aujourd’hui ceux qui, par-delà le temps, parviennent le plus efficacement à se faire entendre322.

À la Jamaïque, la mémoire de l’esclavage est vécue comme un présent continu. À travers le Conserveries mémorielles, 2007, vol. 3. En ligne : http//cm.revues.org/109., consulté le 15 octobre 2013.

319 Carlo Avierl Célius, « L'esclavage au musée. Récit d'un refoulement », dans L'Homme, tome 38 no.145. De

l'esclavage, 1998. En ligne : http://www.persee.fr, consulté le 9 février 2012.

320 Francine Saillant, « Le navire négrier. Refiguration identitaire et esclavage au Brésil », dans Figures noires /

Black Images, Ethnologies, vol. 31, no. 2, 2010, p. 69-97. Dans la vidéo réalisée et transcrite dans cet article, l’auteure présente l’analyse de la narration théâtrale d’une mère de saint d’un terreiro de Rio de Janeiro portant sur le départ, le voyage et l’arrivée des esclaves au Brésil.

321 La capoeira est un art martial d’origine brésilienne combinant danse rythmée et acrobatie créée par les

descendants d’esclaves africains avec l’influence des créoles brésiliens au cours du XVIe siècle.

322 Pour de plus amples renseignements lire Jean Hébrard, Brésil, quatre siècles d’esclavage. Nouvelles questions,

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«rastafarisme»323, on assiste à une sacralisation de la mémoire de l’esclavage. Les rastas vivent encore la traite négrière et l’esclavage comme quelque chose qui n’est pas passé. Pour eux, l’oubli n’est pas possible. Dans ce cas, l’on peut parler de la mémoire de l’esclavage. Elle doit servir d’une certaine manière à sortir de l’oubli ou à se souvenir de ce qui s’est passé.

Les lieux de mémoire de l’esclavage se présentent aujourd’hui comme des témoins indispensables de la « réappropriation » de soi pour les descendants d’esclaves, de l’«acceptation » de l’Autre, du passé douloureux de l’esclavage, voire de célébration de liberté. Ils sont présentés sous des formes diverses (mémorial, statues, fresques, plaques commémoratives) qui rappellent l’origine géographique des esclaves et renvoient aux attributs de l’esclave (l’univers de la condition servile comme les chaînes, les boulets ou les tambours). À la Barbade, à Saint-Martin ou au Surinam se développe également une pluralité de lieux de mémoire en rapport avec l’esclavage comme signe d’acceptation et de compréhension de leur passé esclavagiste. Des fouilles archéologiques y ont été encouragées et réalisées324.

Aux États-Unis, les descendants d’esclaves et les descendants d’esclavagistes cohabitent. Cette singularité de la société des États-Unis permet de comprendre, au-delà de la patrimonialisation de la mémoire de l’esclavage, le multiculturalisme pèse lourd. Les enjeux et débats sont divers. Aborder la question de l’esclavage et de la ségrégation raciale était un sujet embarrassant jusqu’au début des années 1960. Depuis quelques années, il y a une mémorialisation assez importante de l’esclavage qui se fait à travers le mouvement nationaliste noir. « The slave narrative » permet d’avoir un discours axé sur l’esclavage, ce qui n’existe pas dans la Caraïbe francophone. Elle s’intéresse aux conditions de vie des esclaves et de leurs descendants. Des intellectuels afro-américains comme Richard Wright325 et Gwendolyn Brooks326 ont beaucoup milité à travers leurs ouvrages pour le respect des droits civiques de la communauté afro- américaine. Les témoignages sur l’esclavage sont au cœur de l’œuvre des écrivains du

323 Le rastafarisme est une religion ou un mode de vie des rastas descendants d’esclaves noirs en Jamaïque.

Nombreuses prophéties, mythologies et légendes caractérisent le rastafarisme. Son principal dieu est JAH RASTAFARI (Hailé Sélassié I) qui fut l'ancien empereur d'Ethiopie.

324 Il faut renvoyer à Yannick Le Roux, Réginald Auger et Nathalie Cazelles, Jésuites et l’esclavage Loyola :

L’habitation des jésuites de Rémire en Guyane française, Montréal, Presses de l’Université de Québec, 2009.

325 Voir, entre autres, Richard Wright, Introduction to Black Metropolis : A study of Negro Life in Northern City,

1945. Voir aussi Richard Wright, White Man, Listen! (Garden City, New York: Doubleday, 1957.

326 Nous citons, par exemple, parmi les œuvres de Gwendolyn Brooks, Negro Hero, 1945. Malcolm X, 1968. A

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mouvement nationaliste noir. Depuis plusieurs années, les discours de revendication de la contribution des Afro-Américains à la création de la société américaine ont été entendus. Tout le combat pour le respect de leurs droits civiques s’inscrit dans cette démarche. Ils veulent que leur histoire, celle qui est fortement marquée par la traite et l’esclavage, soit connue.

En dépit de cette ouverture, la mémoire de l’esclavage est encore passée sous silence en beaucoup d’endroits. Par exemple, les cultures afro-américaines ne sont pas représentées dans les anciens musées tels que le Musée américain d’histoire naturelle de New York, alors que la culture amérindienne est présente. C’est aussi le cas du « musée de la confédération » de Richmond qui traite de la guerre de Sécession, mais passe sous silence l’esclavage qui fut un élément déterminant dans cette guerre.

Au cours des années 1960, des Noirs comme John Kinard conscients de l’absence de lieux de mémoire se sont donné pour mission de créer des espaces de mise en valeur de leur propre mémoire, histoire et culture. Les musées communautaires sont les résultats de cette initiative. Nous pouvons citer le cas du « musée de voisinage »327 d’Anascotia conçu par John Kinard. Le musée « Sandy Spring Slave Museum and African Art Gallery » créé par Dr. Winston Anderson en 1988 à Maryland est un autre exemple de musées communautaires consacrés à l’histoire et à la mémoire de l’esclavage aux États-Unis. D’autres musées ou sites historiques tentent d’aborder la question en évitant de présenter directement l’histoire de l’esclavage pour ne pas exacerber les tensions sociales et politiques, mais en contribuant à faire valoir l’apport et la place des cultures afro-américaines dans la société américaine. Des historiens comme Carroll R. Gibbs, Kathleen Lesko et Valerie Babb 328 ont publié des travaux sur cette contribution. Le National Park Service célèbre aussi la présence de la culture africaine dans le paysage américain au travers de ses sites qui mettent en relief la mémoire de l’esclavage329. Des travaux de recherches ont été initiés sur

327 Aujourd’hui le musée est appelé « Anascotia Community Museum » situé à Washington D.C. rattaché à la

Smithsonian Institution. Des expositions sur l’histoire et la culture afro-américaines y sont réalisées.

328 Carroll R. Gibbs dans Black Explorers: 2300 B.C. to the Present, Three Dimnesional Pub, 2e édition, 2003 parle

des inventions scientifiques et techniques faites par les noirs. Voir aussi Kathleen M. Lesko, Valerie Babb and Carroll R. Gibbs, Black Georgetown Remenbered. A History of its Black Community form the founding of “The Town of George” in 1751to the present day, Washintong D.C., Georgetown University Press, 1991.

329 Par exemple, la maison de Frederick Douglas à Anascotia présente l’histoire des luttes pour l’abolition au XIXe

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l’«underground Railord » (chemin de fer clandestin330) et des institutions patrimoniales travaillent sur « la maison de l’huître » dont le propriétaire facilitait la fuite des esclaves. L’ensemble des mémoriaux (Emancipation statue à Boston, Manhattan African burial memorial à New York…) viennent parachever des travaux scientifiques, didactiques et présentent une dimension de recueillement et une valeur émotionnelle.

En 2008, à l’occasion de la commémoration du bicentenaire de l’abolition de la traite et de l’esclavage, de nombreuses manifestations culturelles ont été réalisées pour inverser la perspective sur les esclaves et les Noirs aux États-Unis. C’est l’un des rares pays où la gestion des revendications culturelles est mieux établie. Les historiographies sur la traite négrière et l’esclavage sont riches et diversifiées331. Elles expriment la volonté d’objectivation de la recherche la plus rigoureuse sur la mémoire de l’esclavage dans les universités. Nous ne saurions oublier le projet de musée afro-américain de la Smithsonian Institution qui sera inauguré en 2015. Il viendra montrer, une fois de plus, la contribution des Afro-Américains dans la culture américaine et confirmer la volonté de la société américaine de faire de la mise en valeur de la mémoire de l’esclavage un devoir de mémoire.

Les Américains sont en train aujourd’hui de réfléchir sur les méthodes pour mieux patrimonialiser l’histoire et la mémoire de l’esclavage. Une véritable conscience noire est née de cette mise en place. Les Américains veulent sortir de l’histoire européanisée. Les Européens ne sont plus les seuls acteurs de cette histoire. Si l’esclavage était aboli, c’est parce que les esclaves depuis le début ne cessent de lutter de façon à rendre complètement impossible la perpétuation du système. Les esclaves sont les premiers acteurs de cette histoire, de cette prise de conscience. Un ensemble de musées est en train de se mettre en place comme celui de Washington qui veut respecter l’esprit cosmopolite de la population américaine dans lequel chaque Américain, quelle que soit son origine, trouve sa place dans l’histoire de la nation qui est celle des États-Unis conquis, colonisés et construits par les Amérindiens, par les Blancs, par les Noirs et par les

330 Ces chemins de fer permettaient aux esclaves de fuir vers les États du nord où l’esclavage a été déjà aboli ou vers

le Canada.

331 La bibliothèque « Schomburg Center for Rechearch in Black Culture » située à Harlem offrait la plus grande

collection privée sur la culture noire aux Etats-Unis au début du XXe siècle. Achetée par la ville de New York en

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Hispaniques. Ce ne sera pas un musée de l’esclavage à proprement parler, mais un musée qui représente la mosaïque ethnique américaine.

Est-il déjà le temps de dire qu’il n’existe plus un camouflage de l’histoire de l’esclavage aux États-Unis? On n’est pas encore arrivé à ce point. Certes, des efforts sont faits notamment à New York. Cet État très visité aujourd’hui par les touristes, la grosse pomme, le cosmopolite, faut-il le rappeler, fut un exemple d’État du nord des États-Unis qui a voulu rejoindre le Sud durant la guerre de Sécession. New York fut esclavagiste332. Il comptait énormément de fortunes résultant de la pratique de l’esclavage et en particulier du prélèvement des droits de douane qui étaient tellement importants. Les négriers passaient en revue les esclaves dans les cales et jetaient par- dessus bord les esclaves encore vivants qui ne valaient pas le prix de payer ce droit de douane exorbitant. Aujourd’hui, l’État de New York veut reconnaître et assumer ce passé en le mettant en lumière.