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: ENTRETIEN AVEC L’INFIRMIER N°4

Expérience personnelle

Ü Avez-vous déjà eu des personnes sédatées à prendre en charge ? Dans quel service ? depuis combien de temps ?

Oui oui ici en Réanimation, depuis 4 ans et demi. J’ai fait de la chirurgie vasculaire avant.

Ü Quelle importance donnez-vous à la communication dans vos soins ?

Chez un patient sédaté avec des grosses doses, c’est vrai que je vais moins communiquer avec lui parce que tu te dis qu’il est loin même si on nous dit que c’est important. Et encore j’ai déjà entendu dire par certains médecins que quand il y a des grosses doses les patients ne nous entendent pas, ou vraiment de très loin. Et c’est vrai que quand on commence à les réveiller ou qu’ils commencent à avoir des signes de réveil, sans forcément parler d’ouverture des yeux ou quoi que ce soit, je vais plus avoir tendance à expliquer ce que je fais, à leur parler. Vu qu’ils ont un signe de réveil même si la communication est à sens unique. Il n’y a que moi qui communique avec eux au final. Je me dis qu’ils peuvent m’entendre, que ça peut les rassurer même s’ils auront oublié dans dix minutes ou dans une heure, peut-être qu’ils s’en rappelleront. C’est ce que je dis aux familles d’ailleurs. Mais c’est vrai que quand ils sont sédatés profondément j’ai pris peut-être cette mauvaise habitude de ne pas parler, ça dépend de la dose de sédation et de la réaction du patient. Aujourd’hui par exemple, je m’occupe d’un patient qui a des doses de cheval mais qui réagit. C’est en fonction de sa réaction et des doses que je vois sur les pousses seringues.

Vécu des patients

Oui, il n’y a pas longtemps, sur une patiente COVID que j’ai fait sortir. Sur le même week-end elle était sur le ventre, je l’ai retournée sur le dos, je l’ai réveillée et le mercredi elle rentrait à la maison. C’est rare les patients qui réagissent comme ça. Et elle se rappelle, alors ce n’est pas de moi mais elle en a discuté avec moi. Elle se rappelle le nom d’un infirmier et de sa voix alors qu’elle était encore dans le coma. C’était une des premières fois où j’ai réellement j’ai eu le retour d’un patient. J’avais entendu des collègues en parler et quand j’avais fait mon mémoire aussi on m’avait raconté des anecdotes. Mais c’était la première fois qu’une patiente me disait réellement qu’elle se souvenait, par exemple, de moi dans sa phase de réveil. Et sur la fin du week-end on l’a extubé, et parfois on réveille des patients,

voir son mari 3 jours après qui était lui aussi hospitalisé en réanimation et quand elle m’a vu elle m’a reconnu directement. Donc comme quoi ça l’a bien marquée.

Les moyens de communications

Ü Quels moyens de communication avez-vous développés avec les personnes sédatées ?

Alors moi je vais beaucoup communiquer par le verbal. Je suis beaucoup dans l’explicatif.

C’est peut-être pour ça que je fais du CESU, j’aime bien expliquer avec les étudiants. Je suis peu tactile, c’est mon tempérament, que ce soit dans la vie personnelle avec des amis ou au travail je ne suis pas quelqu’un de tactile. Le toucher relationnel dans la communication ce n’est pas trop mon truc. D’ailleurs cette dame, quand elle est arrivée elle était très là-dedans, quand elle m’a vu si elle avait pu me serrer dans ses bras, je suis sûr qu’elle l’aurait fait.

Même quand elle se réveillait elle voulait me toucher le visage pour me dire merci. Elle ne m’a pas adulé mais presque, j’étais celui qui la réveillait. Elle me l’a dit, après coup, quand elle est revenue. Elle voulait me toucher le visage lorsqu’elle se réveillait et qu’elle était encore intubée et c’est vrai que j’ai du mal avec ce contact physique.

Donc voilà, pour moi c’est de l’explication, je vais expliquer ce que je fais. Toujours pareil, comme je l’ai expliqué au début si j’ai un signe de réveil sinon la communication, c’est peut-être un tort mais elle est très basique c’est : « Monsieur je vais vous tourner ». C’est souvent quelque chose que je dis pour prévenir ou « je vais piquer » et encore des fois je ne le dis pas car même avec les patients conscients il y a des études qui prouve qu’il ne faut pas le faire donc maintenant je ne le fais presque plus. Mais quand je tourne le patient ou lève la tête pour remettre le coussin c’est peut-être les seules choses quand ils ne réagissent vraiment pas et quand ils réagissent j’explique un peu plus ce que je fais. Ça m’arrive des fois de leur dire qu’ils ont eu un coup de téléphone, que leurs femmes leur passent le bonjour mais pareil si j’ai des signes de réveil. Je n’aurais pas le reflexe s’il n’y a vraiment aucun signe et qu’ils sont dans un coma profond.

Ü Lors de mes recherches, j’ai remarqué que les soignants parlaient entre eux lorsqu’ils étaient dans la chambre du patient sédaté, qu’en pensez-vous ?

Oui, ça m’arrive et pas que quand ils sont sédatés. Encore hier, avec un collègue on a fait participer la personne à la discussion en lui demandant ce qu’elle en pense. Ça fait changer de sujet et parler de la pluie et du beau temps. C’est vrai que quand ils sont profondément sédatés, il n’y a pas de bruit dans la chambre, il ne se passe rien. La communication à sens

unique est quand même compliquée. Quand on a quelqu’un qui nous répond c’est plus facile de parler, avec l’aide-soignant qui est une personne face à nous, que quand on a une personne qui est dans le coma et probablement dans un coma profond qui ne nous entend peut-être pas.

Il y a des patients qui apprécient. Le grand-père de ma femme s’est fait opérer et il se rappelle tout ce qu’il s’est passé. Il s’est fait opérer du cœur et il se souvient de toutes les anecdotes que se racontaient les soignants et ça le faisait beaucoup rire. Ça l’a amusé, c’est sûr que c’est plus sympa. Ça occupe, c’est comme regarder la télé je pense. En tout cas, je ne me gêne pas de parler. Il faut quand même faire attention à ce qu’on dit quand on parle du patient ou d’un autre patient mais parler de notre vie à nous sans avoir trop de dérive, je ne pense pas que ce soit un souci.

Bénéfices de la communication

Ü Pouvez-vous m’expliquer les signes cliniques que vous avez pu remarquer et qui montre l’importance de la communication ?

Alors le signe que je vois le plus ce sont des larmes. On ne sait jamais trop, il y a des médecins qui disent que c’est parce qu’on leur fait mal, sur une aspiration par exemple, ça peut être aussi un réflexe comme quand tu t’étouffes, que tu pleures mais ce n’est pas de la tristesse. C’est déjà arrivé que je vois des larmes et que je me demande s’il n’y a pas d’émotions derrière. C’est une des choses où je me demande si c’est physique ou psychologique dans les larmes qu’on voit.

Après tout simplement, une main qui bouge. Pour le scope, j’ai déjà remarqué une tension qui monte, le pouls qui s’accélère et quand on s’en va ça diminue. Sans forcément communiquer mais cette présence, le fait que quelqu’un rentre. Après est-ce que c’est de l’angoisse ? De la joie ? Il est dans le coma et on ne sait pas trop ce qu’il vit.

Avez-vous déjà remarqué l’apparition de signe clinique lorsque que la famille est auprès du patient ?

Oui mais pas chez des patients sédatés. Ils étaient quand même réveillés et on voyait chez des personnes angoissées que la famille arrive et comme par hasard le patient il est détendu.

C’est là qu’on se rend compte que c’est un patient bien angoissé et que la famille fait du bien. J’ai pu le voir chez des patients réveillés et d’autres en train de se réveiller, avec une

On peut parler en RASS, c’est la seule échelle qu’on a et que je connais. Sur du RASS -3, RASS -2 où j’ai vu la famille qui apaise.

Ü Pensez-vous que le maintien d’une communication avec une personne sédatée permet un meilleur vécu de l’hospitalisation ?

Ah bah ça je suis persuadé que oui, après est-ce que je le fais à chaque fois ? Non, parce que tu penses à l’organisation de ta journée. Du fait que tu es quelqu’un en face qui entre guillemets « dors », forcément ton esprit pense à autre chose, à ce que tu vas faire après, à tes problèmes personnels parfois. Des fois, sans le vouloir tu ne vas pas lui parler parce que tu te dis qu’ils ne t’endentent pas. Mais je suis sûr et quand j’ai fait mon mémoire qui ressemble au tien, il y a des études qui montrent que la communication améliore le stress post-réanimation. Mais ça reste quelque chose de peu évaluable. Peu de personne ont des souvenirs. De ce qu’on voit par expérience et dans les recherches il y a peu de personnes qui sortent de réanimation et qui se souviennent de tout. Ils ont souvent des brides.

Après je pense qu’un mauvais souvenir peut faire un traumatisme qui engendre par la suite un stress. Ça peut être un mauvais moment avec un soignant. Mais oui, au fond, pour répondre à ta question, je suis persuadé que ça l’améliore mais je ne le fais pas forcément.

Les mots utilisés jouent un rôle important. « Je vais vous aspirer », il y en a qui ont l’impression qu’on va les aspirer dans un vortex. Ils délirent avec le sufentanil, les morphiniques. Ça j’y pense souvent, je fais attention aux mots que j’utilise. J’essaye, je me force, un truc tout bête mais quand je fais la toilette je préfère dire « je vais vous écarter les genoux » et pas « les jambes » parce que je me dis qu’elle peut croire qu’on la viole, ça peut aller loin. Quand je dis « je vais vous aspirer », ça m’est arrivé de me l’entendre dire et de me reprendre en disant « je vais aspirer les sécrétions dans vos poumons ». Là c’est un soin où je parle, souvent.

Il y a l’urgence aussi, quand c’est dans l’urgence je ne parle pas. L’idéal ça serait de tout faire mais je ne suis pas sûr qu’il y ait un infirmier qui prenne le temps de discuter dans l’urgence. Surtout quand on sait qu’il est sédaté. On le met encore plus dans un second plan.

Ü Pensez-vous que la technicité des soins en réanimation peut influencer la communication dans les soins ?

Dans la globalité je pense que oui mais je n’ai pas l’impression pour moi. Au début, oui.

C’est sûr qu’au début j’étais tellement concentré et d’ailleurs comme les étudiants où on voit

qu’ils ont le nez planté dans leur soin et qu’ils en oublient même le matériel comme le scope qui peut être tourné à l’envers, ils ne le voient pas. Je prends l’exemple d’un étudiant mais ça peut être un nouvel infirmier et là la communication passe encore dans un second plan mais on peut dire que c’est prioritairement normal. C’est bien de lui parler mais il ne faut pas faire n’importe quoi. Aujourd’hui, en étant à l’aise sur les soins que je peux faire et dans mon organisation pour moi ce n’est plus un frein. Vraiment, quand je ne parle pas aux patients c’est qu’ils dorment beaucoup. Après, je suis déjà rentré dans la chambre de patients conscients et mon tempérament fait que je vais leur dire bonjour mais je ne vais pas forcément à chaque fois taper la discussion. Tu vois, même quand j’étais en service, et même là on en a des patients conscients mais je vais rentrer dans la chambre, faire deux trois bricoles, la personne regarde la télé, je ne vais pas forcément aller parler, aller expliquer ce que je fais. Sauf si je viens faire un soin sur elle, bien sûr que je vais la prévenir.

Ça dépend aussi du feeling que tu as avec le patient.

Les soignants

Ü Pour vous, que peut apporter la communication au soignant ?

Un contrat avec le soigné, une mise en confiance. Le fait de parler avec lui ça peut le rassurer et faire que ta journée se passe mieux autant pour toi que pour lui. Si tu angoisses ton patient et que derrière il sonne toutes les cinq minutes ou qu’un clivage se fasse. Ça m’est déjà arrivé, de vexer un patient de bon matin pour une incompréhension entre nous et après pour la journée au final ton patient ne parle plus. Soit il va sonner toutes les cinq minutes parce qu’il est angoissé ou au contraire il ne sonne plus, il n’ose plus rien demander. Donc la communication peut autant être une aide qu’un frein lorsque ça se passe mal même si, dans la plupart des cas, c’est une aide. Ça peut être aussi un moyen de briser le silence.

Pour moi, ça sert à créer une relation de confiance avec le patient. Mais personnellement, pour moi ça ne m’apporte rien. Je n’ai pas besoin de parler avec un patient.

Ü Quelles sont vos impressions lorsque vous parlez à une personne non communicante ?

Je n’ai pas une sensation de ridicule déjà parce que je le fais quand même un minimum, peut-être beaucoup moins par rapport à d’autres. Justement, quand vraiment ils dorment mes impressions c’est que ça ne sert à rien, quand ils sont sédatés vraiment profondément.

Ü Pensez-vous avoir été suffisamment sensibilisé sur la communication avec les personnes sédatées ? Sur la conscience lors du coma ?

Non, on n’a pas de formation, on n’a rien, aucun outil. On a des formations sur les machines et c’est ça le problème. Quand j’avais mon mémoire, il y a sept ans, c’était la même chose, le problème c’est qu’on a des formations sur la dialyse ou alors une formation sur la communication sur tout l’hôpital mais elle n’est pas forcément adaptée aux patients en réanimation. C’est pour tout le personnel hospitalier. C’est pour les patients communicants, il y a une réponse en face.

Et puis on n’en parle jamais. Un peu entre nous mais sinon on n’a jamais de formation à part la formation dialyse, ECMO qui durent une demi-journée on n’a pas de formation en réanimation. Les autres formations sont celles qui sont en tronc commun avec l’hôpital mais elles ne sont pas adaptées à notre service.

La plus à même de nous apporter des billes ça serait la psychologue du service. Mais même elle ne va pas forcément voir les patients qui sont sédatés et curarisés ni même ceux qui se réveillent légèrement. Elle va voir les familles et les patients qui sont réveillés même s’ils sont encore intubés. Je pense que ça pourrait être intéressant, elle qui a une formation là-dedans qu’elle aille les voir car elle est mieux formée que nous. Même nous nous former, elle a peut-être des billes là-dessus à nous donner.

Auteur : LEFEBVRE Morgane

Titre : La communication avec les personnes sédatées en réanimation

Mots clefs : communication verbale, communication non-verbale, sédation, coma, soignant, patient, relation soignant-soigné

Résumé :

Ce travail de fin d’études traite de la communication avec les personnes sédatées en réanimation. Dans un premier temps, j’ai souhaité définir les termes importants sur ce sujet tels que la sédation, la conscience, le coma et la communication. Plusieurs entretiens ont été menés auprès de professionnels de santé dans le but de mettre en lien leur témoignage avec les recherches que j’ai effectuées. Les informations que j’ai recueillies m’ont permis de comprendre que le vécu et les souvenirs du coma dépendent en grande partie du niveau de sédation de la personne. De plus, les recherches que j’ai effectuées m’ont montré que l’environnement, pouvait influencer, positivement ou négativement le ressentit du patient sédaté. Cela peut être la présence de la famille, les situations d’urgence, les bruits de machines qui entourent le patient ou encore ce qu’il entend.

Une partie de mon travail traite des bénéfices de la communication pour les soignants.

Sans aucun doute, elle permet d’humaniser les soins de réanimation. Néanmoins, j’ai appris que l’importance donnée à la communication dans les soins dépend de chaque soignant, de leur personnalité mais également de leurs besoins. A la suite des entretiens et des recherches effectués, j’ai pu remarquer des freins à la communication tels que l’absence de feed-back du patient, les situations d’urgence ou encore la technicité des soins de réanimation.

Un séjour en réanimation n’est pas un moment anodin. Il peut y avoir des répercussions psychologiques sur le patient à distance de l’hospitalisation. Une prise en soin adaptée et l’utilisation d’outil comme le journal de bord sont donc nécessaires pour diminuer le risque de stress post-traumatique à la suite d’une hospitalisation en réanimation.