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: ENTRETIEN AVEC LA PSYCHOLOGUE DE REANIMATION

Expérience professionnelle

Ü Avez-vous déjà eu des personnes sédatées à prendre en charge ou qui ont vécu une sédation ? Dans quel service ? Combien de temps ?

Oui bien-sûr, je travaille en réanimation donc il y a beaucoup de personnes sédatés. Je travaille au CHMS depuis octobre 2012.

Ü Quand est-ce que le suivi psychologique commence ?

C’est très différent d’un suivi thérapeutique en cabinet ou dans un service où le patient vient régulièrement… Ici, on est plus dans une aide psychologique ponctuelle, donc ce n’est pas vraiment un suivi au sens psychothérapeutique et en plus, on n’a pas le même travail. Dans une psychothérapie, on va essayer de travailler, d’élaborer. Là les défenses elles sont massives, les défenses psychologiques, les mécanismes de défense et c’est important de bien les conserver et de faire attention de ne pas trop mobiliser la personne dans ses ressources psychologiques, psychiques car il en a besoin pour gérer la situation.

Après, il n’y a pas de « règle », c’est-à-dire qu’il y a des patients qui viennent et qui ne sont pas sédatés en arrivant en réanimation et il m’arrive de les voir parce qu’ils sont anxieux d’être en réanimation. Qu’on leur parle du risque d’intubation, je peux être là à ce moment.

Il y a des patients qui arrivent déjà intubés et à ce moment-là je ne les vois pas forcément tout de suite mais je vais plutôt voir l’entourage familiale. Je suis là aussi bien pour l’entourage familiale que pour les patients.

Après, si le patient est sédaté et intubé je vais plutôt intervenir au réveil mais pas forcément tout de suite au réveil parce qu’il y a quand même des troubles cognitifs, une confusion et c’est donc difficile d’avoir un entretien. C’est souvent quand ils reprennent un peu leurs esprits qu’on peut avoir une discussion mais ils peuvent être intubés lors du premier entretien.

Ü Quand est-ce que la prise en charge s’arrête ?

Il m’arrive de rencontrer des patients, comme là, vendredi, une patiente qui a été hospitalisée au mois d’octobre et psychologiquement elle a des troubles après la réanimation. Voilà, donc

ça m’arrive, même si je ne peux pas faire tous les suivis, je fais quelques suivis comme ça.

Je peux aussi orienter les patients vers l’extérieur, ça dépend.

Ü En moyenne, combien de suivis post-sédation faites-vous ? Qui le demande ? J’essaye de voir au moins une fois chaque patient mais ce n’est pas systématique. Ça dépend du contexte, du temps d’hospitalisation. Une fois réveillé, le séjour est souvent court, ça dépend des patients et je me dis que des fois ça ne vaut pas forcément le coup d’instaurer une relation thérapeutique pour une fois. Je fais plus le lien avec les psychologues du service d’après, en rapportant le contexte et en leur demandant de voir s’il y a un syndrome post traumatique qui se développe après. C’est assez fréquent donc c’est pour ça que j’informe mes collègues du contexte de l’hospitalisation.

C’est rarement le patient qui demande un rendez-vous dans un contexte de réanimation.

C’est plus souvent soit la famille, que j’ai déjà rencontrée, qui me fait allusion à une fragilité psychologique ou un vécu difficile. En rencontrant la famille dès le début de l’hospitalisation je vais aussi essayer de connaître un petit peu le contexte du patient avant la réanimation, s’il a déjà connu des hospitalisations longues, des vécus difficiles, s’il a un contexte familiale compliqué. J’essaye de me renseigner et du coup ça me donne des idées des besoins qu’il y aura au réveil, d’un suivi psychologique ou pas. Ce sont les familles, parfois, qui me disent

« oh là je le trouve agité au réveil, est-ce que vous pourriez aller le voir ? ». Et après il y a beaucoup les soignants. Je travaille beaucoup avec les soignants, les médecins qui m’orientent vers les patients.

Et parfois le travail psychologique peut se faire qu’après, qu’à la sortie du service car ils ne sont pas encore disponibles. Les patients n’ont pas encore récupéré leurs ressources cognitives pour entamer quelque chose. Ça met souvent du temps à revenir.

Vécu des patients

Ü Pouvez-vous me raconter, si vous en avez eu, les retours de patients qui ont des souvenirs du vécu de leur coma ?

J’en ai pas mal, ça pourrait prendre des heures. Mais les patients ont souvent des souvenirs de leurs rêves qu’ils ont eu lors de la période de coma.

Le réveil peut être difficile parfois avec l’impression qu’on leur voulait du mal, qu’on voulait les tuer, qu’il y avait un complot contre eux…Il y a souvent ce type de ressenti.

Cela reste très aléatoire, il y a des patients qui ne se rappellent pas du tout. Mais parfois j’ai eu des entretiens avec eux et ils donnaient le change, et il y avait beaucoup d’échange. Soit

il y a des patients qui ont un vécu paranoïaque un petit peu. Soit il y a des patients qui se rappellent vaguement, il y a un peu de tout.

Mais il y en a beaucoup qui ont des vécus assez terrifiants de cette période-là. Ils ont mal vécu le fait de ne pas être compris, l’impression qu’il y avait une menace de mort. Il y a beaucoup de chose de cet ordre-là.

Ü Lorsque les souvenirs sont présents, apparaissent-ils au réveil du patient ou peuvent-ils apparaitre plus tard ?

Alors les souvenirs des cauchemars souvent c’est tout de suite mais y’en a qui garde des traces pendant plusieurs mois. L’absence de sens, pourquoi ce rêve ? Pourquoi cet élément-là ?

Je me rappelle une dame qui se souvenait du jaune et d’un clocher d’église et elle ne comprenait pas pourquoi ce jaune et pourquoi ce clocher. Elle était persuadée d’avoir vu un clocher d’église dans sa chambre. Je lui ai proposé d’aller dans sa chambre et de voir, de trouver si autour d’elle il pouvait y avoir des éléments de réponses. Elle a trouvé. Il y avait une couverture jaune dans le service et pour elle c’était certainement ça et effectivement de son lit, d’une certaine façon, on pouvait voir un toit qui faisait face à un clocher d’église et j’ai l’impression que ça l’a beaucoup apaisée de pouvoir mettre du sens sur ses souvenirs.

Un autre monsieur, en venant dans mon bureau alors qu’il n’était jamais venu, c’est moi qui venais dans sa chambre. Il a vu dans mon bureau un élément qui lui a fait penser à la vie et il m’a dit c’est ça. C’est exactement ça.

Pour certains patients, le fait de revenir, de réentendre des sonnettes, des alarmes, certains bruits rappellent aux patients des souvenirs. Et avant qu’ils reviennent, ils étaient incapables de se rappeler de ce bruit-là.

Ü Comment les patients vivent le fait d’avoir des souvenirs ?

Là par exemple, j’ai une dame, en ce moment, que je vois qui a le souvenir de la période de coma qui était très très agréable, dans un rêve, au paradis. C’était quelque chose de vraiment agréable. Par contre c’était le réveil qui a été moins agréable. Elle avait envie de retourner dans son rêve.

Certains patients ont l’impression d’avoir voyagé. Ce n’est pas forcément toujours désagréable les rêves de réanimation. Ce qui est désagréable c’est souvent le réveil avec l’intubation. Il y a une frustration de ne pas pouvoir communiquer, de ne pas tout

on va dire, parce que tous les patients se rappellent cette période-là, même si certains l’oublient. Ceux qui ont des souvenirs c’est souvent ça. Le fait de ne pas pouvoir boire et toutes les frustrations qui vont avec, la sonde d’intubation qui est désagréable, le fait de ne pas pouvoir bouger, ils souvent persuadés qu’on leur veut du mal.

Ü Au contraire, comment l’absence de souvenir est vécue par les patients ?

Oui oui, il y en a aussi. C’est pour ça que certains patients reviennent en réanimation, pour reposer des questions. C’est pour ça aussi qu’on a mis en place le journal de bord pour essayer de combler le trou réa et qu’il y ait des éléments repères dans leur parcours, dans leur passage en réanimation. Et ça c’est vrai qu’il y a beaucoup de patients à qui ça fait du bien. La plupart des patients mettent du temps à l’ouvrir ce journal de bord. Ils ont envie de prendre de la distance, de ne pas l’ouvrir tout de suite, de ne pas revenir dans cette période-là. Souvent, ils en ont besoin, ils le lisent un fois et quelques fois et après là, j’ai un monsieur par exemple que j’ai rencontré, il m’a dit « j’ai beaucoup lu tous les messages tout ça et maintenant je ne veux plus les relire ». C’est souvent un moment et après on trace un trait car on ne peut pas non plus rester fixé à cette période-là.

Bénéfices de la communication

Ü Pensez-vous que le maintien d’une communication avec une personne sédatée permet un meilleur vécu de l’hospitalisation ?

Oui, j’encourage beaucoup les familles. Souvent les familles se sentent impuissantes quand elles rentrent dans la chambre du patient et des fois elles disent à quoi ça sert qu’on lui parle et je leur dis : « si si c’est très important que vous leur parliez » et encore plus important, c’est pour ça que j’invite à faire passer des bandes sons, de la musique, des choses qui pourraient être proches de leur univers à eux, de leur environnement habituel. Ce qui est intéressant aussi c’est que j’avais pas mal de patients qui me racontaient avoir l’impression d’avoir voyagés et enfaite en reprenant avec eux, nous dans le service il y avait plusieurs soignants avec des accents. On s’est demandé si ça ne venait pas de là et les matelas aussi.

Il y a beaucoup d’allusion à l’eau, au bateau, des choses comme ça et on pensait au matelas à air, peut-être qu’il a contribué et le bruit de l’oxygène qui peut faire penser au bruit de l’eau.

Il y avait aussi toute une thématique sur l’attentat et c’était au moment des attentats de Paris.

On s’est demandé s’ils n’avaient pas entendu des conversations, des choses dans le service en rapport avec ça.

Ü Avez-vous remarqué, lors de vos entretiens avec les patients, les bénéfices de la communication verbale et non verbale lors d’une sédation ?

Oui oui ! On sent vraiment que les premières paroles qu’ils entendent aussi au réveil, où ils sont très frustrés, très angoissés parce qu’ils ont cette sonde d’intubation et qu’ils sont réveillés. Ils n’arrivent pas à poser leurs questions et qu’ils ont parfois des doutes sur la bienveillance des soignants. Le moindre mot va avoir son importance. Je me souviens d’une dame, il y a quelques années de ça. Il y avait un chirurgien qui passait la voir régulièrement, elle était persuadée qu’il était méchant, qu’il lui voulait du mal. Et je m’en rappelle, le moindre mot qu’il pouvait y avoir vis-à-vis de ce chirurgien ou vis-à-vis de sa venue ou quoi que ce soit, il suffisait qu’on emploie un mot ou un autre et ça avait un sens très important pour elle. Et pareil il a des patients qui sont sortis de ses doutes, et de ses délires interprétatifs juste parce qu’une parole a percuté et était très rassurante pour eux. Vraiment le moindre mot même de l’entourage qui suscite des doutes peut vraiment contribuer à l’anxiété chez le patient. C’est pour ça qu’il faut être vigilant au moindre mot.

Je me souviens d’une dame qui avait l’impression qu’on l’avait tournée pour un change, qu’on faisait exprès, qu’on allait la faire tomber. Il y a plusieurs patients qui m’ont dit ça, qu’ils avaient l’impression qu’on allait les faire tomber ou que les toilettes étaient brutales exprès, qu’on leur arrachait la peau. Mais voilà c’est des choses assez fortes.

Je pense que des fois on ne leur a peut-être pas suffisamment prévenu qu’on allait les retourner sur le côté, pour faire la toilette, qu’on allait les changer et parfois je pense aussi qu’il y a un rapport au corps qui est particulier, très sensible et peut être que frotter un peu plus fort sur la peau c’est tout de suite perçu comme « on m’arrache la peau ». C’est sur interprété.

Je pense que même lorsqu’ils sont sédatés le toucher a des bénéfices car ils ont quand même des rêves là-dessus. Donc je pense effectivement, qu’il doit y avoir des choses qui doivent se jouer au niveau du toucher, Je pense oui, vraiment je suis persuadée. C’est pour ça que j’invite les familles à les toucher, à les masser.

Et il y a des patients qui le disent, qui se souviennent d’avoir eu la présence de telle personne

Les soignants

Ü Quels dispositifs de soutien sont mis en place pour les soignants ?

Oui, là par exemple pendant la période de COVID il y a deux psychologues embauchés pour le soutien. Il y a aussi le médecin du travail qui est disponible pour les professionnels. Voilà, ce n’est pas toujours évident d’avoir du temps pour les soignants et n’y a pas de dispositifs réguliers, en ce moment oui pour le COVID.

Ça m’arrive ponctuellement de faire des débriefings.

Ü Pour vous, que peut apporter la communication aux soignants ?

Ça humanise le soin. Les soignants, c’est important pour eux de communiquer mais ce n’est pas toujours évident de le faire car c’est aussi une façon de se blinder, de mettre en place des mécanismes de défense, de se protéger et puis le temps. Il y a beaucoup de choses qui font que ce n’est pas toujours facile.