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4. Surdité et éducation

4.5 Rôles de chaque acteur

4.5.2 Enseignants - élève

Nous avons parlé des adaptations et des relations pouvant exister entre l’enseignant ordinaire et l’enseignant spécialisé, ou l’interprète, mais qu’en est-il des relations entre l’élève sourd et les enseignants ? Avant de s’y pencher, il faut préciser que lors de la recherche dans la littérature, peu d’auteurs et de recherches traitent ce sujet, c’est pourquoi avant de regarder ce qu’il se passe entre élève sourd et enseignant, il est important de s’intéresser aux relations enseignant-enseignés de manière générale.

En effet, dans tout enseignement, nous pouvons dire qu’il existe un lien entre l’enseignant et l’enseigné, ou autrement dit entre l’enseignant et ses élèves. Il existe alors une interaction entre ces deux partenaires, cette interaction signifie bel et bien qu’il n’y a pas l’influence d’une seule personne. Les deux partenaires produisent un effet, sinon nous ne pourrions parler d’interaction (Markovà, 1997). Lorsque nous parlons d’interaction cela fait alors référence à minimum deux individus interagissant ensemble et partageant un même lieu physique et un but partagé (Filliettaz & Schubauer-Leoni, 2008). Nous avons bien compris que dans cette interaction chacun va influencer l’autre (Markovà, 1997), mais dans le contexte éducatif, car il est évident qu’une interaction dans un tel contexte ne partagera pas les mêmes propriétés et fonctionnements que lors d’interactions familiales ou amicales (Filliettaz &

Schubauer-Leoni, 2008), la base de l’interaction est asymétrique. Effectivement, l’enseignant

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possède le savoir, alors que les élèves sont dans l’attente de recevoir ce savoir. Il y a donc des statuts différents, ne permettant pas de dire que l’influence de chacun soit similaire.

L’interaction dans le cadre éducatif diffère aussi par le fait qu’il est plus difficile de partager un but commun. En effet, l’enseignant qui mène les leçons a bel et bien un objectif de départ qui peut parfois être que partiellement atteint, notamment à cause des interactions avec les élèves qui peuvent amener de nouvelles choses (Tominska Conte, 2011). Mais la représentation traditionnelle que nous pouvons nous faire de l’enseignement ou de la pédagogie, donne une place privilégiée à l’enseignant. C’est lui qui régule le rythme de ses leçons et donne la parole aux élèves. Dans ce contexte-ci, le rôle des élèves est alors de répondre aux demandes de l’enseignant. Le savoir est également placé en position de tête avec tout ce qui touche à l’évaluation. Cela mettant une pression sur les élèves, en leur faisant faussement croire qu’ils sont seul maîtres de leur réussite ou échec (Houssaye, 2000). Mais alors est-ce vraiment une telle mise en place que nous souhaitons et observons ? La réponse est oui si nous nous satisfaisons à croire que l’enseignement consiste uniquement en une relation de duo entre l’enseignant et l’enseigné, laissant le savoir de côté. Mais en réalité nous pourrions modifier ce duo en un véritable trio, en ajoutant les savoirs enseignés. Alors que dans le premier il y a exclusivement une interaction entre l’enseignant et l’élève, dans le deuxième l’interaction se fait entre ces deux mêmes acteurs mais également avec le savoir (Filliettaz & Schubauer-Leoni, 2008). Houssaye (2000) nomme cela le « triangle pédagogique » et distingue trois processus distincts permettant de comprendre le fonctionnement d’un enseignement. Dans le processus « enseigner », nous nous situons dans un contexte où l’enseignant et le savoir prennent toute la place, c’est-à-dire que l’enseignant reste focalisé sur les contenus et son programme, laissant alors peu d’initiative et de place aux élèves. Ces derniers se doivent d’accepter cette situation, car dans le cas contraire, ils peuvent être perçus comme indisciplinés ou inattentifs. La relation entre le savoir et les élèves se reflète alors dans les devoirs. Cela fait alors référence à la représentation traditionnelle de la pédagogie. Le processus « former » est davantage sur une relation entre l’enseignant et l’enseigné, et il serait même plus juste ici de parler de formateur – formé. Le savoir, n’est donc pas présent dans un premier temps, laissant la place aux interactions entre l’enseignant et les élèves, il s’établit alors un véritable dialogue entre chaque partenaire. Enfin, le processus

« apprendre », permet de mettre en relation l’enseignant avec les élèves, mais également avec le savoir. L’enseignant n’est plus le seul détenteur du savoir, mais prend davantage la place d’un « organisateur de situations de formation » (Houssaye, 2000, p. 42). Ici, l’enseignant a donc une place plus discrète, permettant aux élèves et aux savoirs d’exister (Ibid.).

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Afin de revenir à la situation des élèves sourds, va être maintenant présentée la recherche de Cawthon (2001). Elle s’est intéressée aux stratégies mises en place par les enseignants lorsqu’ils s’adressent à l’enfant sourd, de savoir quelles sont les adaptations mises en place. La chercheuse a donc observé deux classes de différents degrés, accueillant 2 à 7 enfants sourds, âgés de 5 à 9 ans. En plus de l’enseignant ordinaire, il y avait également la présence à temps complet d’un interprète. L’observation s’est faite sur la base de notes et d’enregistrements vidéo de la classe (30 à 60 minutes), sur une période de deux mois. La chercheuse a pris note sur ce que chaque enseignant a pu dire à la classe ou à un élève en particulier. Les retranscriptions des séances en classe ont été analysées à l’aide d’un système d’analyse (SALT) permettant de relever le nombre d’énoncés et leur nature (questions ouvertes ou fermées, déclarations). Les résultats ont montré que les enfants entendants recevaient davantage d’énoncés que les enfants sourds. Cela montre peut-être la difficulté de l’enseignant à faire participer les élèves sourds aux échanges de la classe. Les opportunités d’expression et d’interactions sont peut-être moins présentes qu’en classe spéciale, avec uniquement des élèves sourds. Une autre explication de cette faible fréquence d’énoncés envers les élèves sourds est peut-être tout simplement le fait que l’enseignant, ne sachant pas signer, ne peut pas faire de différence à qui il s’adresse. Les résultats ont aussi relevés que les élèves sourds sont moins questionnés que les élèves entendants. La chercheuse a complété ses observations par des entretiens avec chaque enseignant, où elle les questionnait sur leurs expériences concernant l’intégration, les besoins individuels des élèves, les stratégies utilisées pour travailler avec l’interprète et l’élève sourd. Dans les classes observées, les enseignants utilisaient les forces et les faiblesses des élèves, et ils ont ajouté que l’intégration n’est pas seulement pour les élèves avec des besoins spéciaux, mais pour tous les élèves. Le fait que l’enseignant et l’interprète soient tous deux présents dans la classe, demande de la communication et de la flexibilité, comme tout travail en équipe. Dans sa recherche, le rôle de l’interprète était celui de traduire ce que disait l’enseignant, mais il a aussi été relevé qu’il jouait parfois un rôle un peu différent. Il se peut en effet que l’interprète, voyant que des élèves sont dans le flou, leur réexplique ce qui a été dit, ou il peut attirer leur attention lorsqu’ils ne sont plus concentrés. Lorsque l’enseignant est occupé avec un enfant, l’interprète peut alors répondre à des questions en utilisant la langue orale et la langue des signes.

Quant à Swanwick (2001), elle a essayé d’illustrer comment un enseignement et les apprentissages dans un contexte bilingue pouvaient être complexes pour chaque acteur. Pour cela, il fallait identifier par quels moyens et à quelles fréquences sont utilisées la langue orale,

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la langue écrite et la langue des signes. La recherche a alors été menée en Angleterre, avec des enfants de 7 à 11 ans en éducation bilingue, à l’aide d’enregistrements vidéo. Il a été montré que l’enseignant entendant répond à l’enfant dans la modalité que ce dernier choisi.

Par exemple, si l’enfant utilise la langue orale, l’enseignant le fera aussi, mais avec l’aide de signes (anglais signé), si par contre l’enfant utilise la BSL, l’enseignant le fera aussi. Les enseignants peuvent alors « switcher » d’une modalité à une autre, notamment afin que les élèves restent intéressés et aussi pour maintenir la communication entre eux. Les enseignants sourds par contre « switchent » à un moindre degré, dans le cas où l’élève ne comprend pas quelque chose, il réexplique alors différemment tout en continuant à utiliser la BSL. Il peut également ajouter des détails importants pour l’explication. Nous pouvons nous rendre compte ici, que le « switching » peut être très présent, cela demande alors aux élèves de pouvoir passer d’une modalité à une autre (Swanwick, 2001). Nous pouvons alors facilement penser que cela requiert une certaine flexibilité dans l’utilisation des divers canaux de prise d’information. Il est d’ailleurs connu que les Sourds ont une meilleure vision périphérique que les entendants, car c’est leur seul moyen de prise d’information et servant surtout à la mise en alerte (Swisher, 1993).

5. Mathématiques et géométrie