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5. Mathématiques et géométrie

5.3 Concept, langage et surdité

5.3.1 Langage et géométrie

Nous avons mentionné auparavant les différentes capacités utiles à la géométrie, mais il ne faut pas oublier qu’un langage naturel a aussi son utilité dans la géométrie (Ermel, 2006).

En effet, certains auteurs considèrent que le langage permettrait aux individus de progresser dans leurs capacités géométriques et numériques. D’ailleurs des études ont montré un lien entre l’acquisition du langage des notions spatiales et numériques avec les capacités de ces mêmes domaines (Condry & Spelke, 2008 ; Wynn, 1990, 1992, cité par Hyde, Winkler-Rhoades, Lee, Izard, Shapiro & Spelke, 2011, p. 924). D’autres études ont montré l’influence que peut avoir le langage sur les capacités spatiales (Hyde et al., 2011). Cette réflexion que le langage permettrait l’intelligence et le raisonnement, est souvent revenue dans les recherches, et même dans l’histoire, comme nous l’avons vu. Or il n’est pas exacte de dire cela, il serait davantage juste de dire que pour certains enfants sourds, notamment ceux de parents entendants et donc qui ne sont pas confrontés précocement à une langue, ont davantage de difficultés dans certaines acquisitions. Ces difficultés relèvent surtout du manque d’expériences et d’opportunités qu’un enfant entendant pourrait obtenir naturellement via le langage et ses interactions avec son entourage. Le langage n’est donc pas quelque chose de primordiale ou nécessaire dans le développement des compétences intellectuelles, mais peut être un facilitateur (Furth, 1964).

En géométrie, l’utilité du langage a plusieurs fonctions, d’un côté pouvoir se représenter la situation et ses connaissances en mathématiques, et de l’autre pouvoir expliquer les étapes ou les actions utilisées (Duquesne, 2005 ; Ermel, 2006). Nous pouvons alors dire que « la verbalisation est un outil » permettant « l’acquisition des connaissances en géométrie » (Ermel, 2006, p.41). Mais, le langage permet aussi de passer de l’implicite à l’explicite, qu’il soit oral ou signé. Il peut également conduire à la réalisation d’une tâche (Duquesne, 2005). Son utilité ne s’arrête pas là, étant donné qu’il peut également servir à contrôler ce qui a été fait ou à justifier une réponse (Duquesne, 2005 ; Ermel, 2006). Cela fait donc appel à la métacognition, où le langage joue un rôle important (Duquesne, 2005).

Lorsque nous parlons de langage, cela fait aussi référence au vocabulaire spécifique qui accompagne la géométrie. Ainsi, lors de l’apprentissage de la géométrie, l’élève est confronté à un nouveau vocabulaire qu’il doit acquérir par la suite. Ce vocabulaire est spécifique à la géométrie et est rarement utilisé dans la vie quotidienne, sauf dans certains domaines, tels que

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l’architecture par exemple. Une autre difficulté de ce vocabulaire est le fait qu’il n’est pas possible d’utiliser de synonymes, comme c’est le cas pour les mots de tous les jours : une droite ne peut s’appeler que droite. Donc un mot ou une notion en géométrie désigne spécifiquement un objet ou une relation. Ce « langage géométrique », qui va « contribuer à créer chez l’élève la prise de conscience de la spécificité des objets géométriques » (Ermel, 2006, p. 40), est dans un premier temps compris, puis ensuite produit, et comme dans d’autres domaines, il y a davantage un vocabulaire passif (compris) qu’actif (utilisé). Cela signifie donc qu’un élève peut reconnaitre et comprendre une notion, sans pour autant l’utiliser lui-même dans la pratique. Nous savons que le vocabulaire en mathématiques, et donc en géométrie, demande des termes précis, or la précision du vocabulaire d’un élève se développe petit à petit. Ainsi au lieu de parler de rectangle penché pour un parallélogramme, il apprendra que cela se nomme parallélogramme. Il est donc important que l’enseignant reprenne ce manque de justesse en citant les noms adéquats, sans pour autant empêcher les élèves d’utiliser leurs propres termes. En effet, cela leur fait davantage de sens qu’un mot technique, permettant alors à tous les élèves de s’y retrouver. Il faut cependant que ce vocabulaire imprécis reste temporaire (Ermel, 2006), car au fil de leur scolarité les élèves seront confrontés à de plus en plus de termes nouveaux (Duquesne, 2005). Nous pouvons alors facilement imaginer que si les termes de bases ne sont pas intégrés, les nouveaux mots pourront être difficilement compris. Malgré la difficulté de certaines connaissances mathématiques, il est important, pour ne pas dire nécessaire, de connaître les différents termes ainsi que de comprendre une syntaxe précise (Duquesne, 2005).

Une autre difficulté au « langage géométrique » est le fait qu’un mot peut se retrouver dans le langage dit naturel, c’est-à-dire de tous les jours, sans pour autant en partager la même définition. Cela peut alors prêter à confusion. Par exemple la notion de droite, en géométrie, fait référence à une barre, qu’importe son orientation, mais dans la vie de tous les jours, cela peut être interprété dans le sens « se tenir droit ». À ce moment-là, l’élève a qui il est demandé de dessiner une droite, peut interpréter cela comme une ligne qui doit être dessinée debout, c‘est-à-dire en étant parallèle aux bords de la feuille. C’est non seulement la spécificité du vocabulaire qui peut poser problème, mais également celle des expressions utilisée. Le meilleur exemple est celui-ci « la droite A est parallèle à la droite B », cela sous-entend logiquement que la B est parallèle à la A, mais cette évidence ne l’est pas pour tous les élèves (Ermel, 2006).

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5.3.2 Géométrie et spécificités de l’élève sourd

Ce lexique très spécifique que requièrent souvent les branches scientifiques peut poser problèmes dans le cadre de la surdité. Les spécificités des mots peuvent parfois être difficiles, demandant alors aux enfants de les connaître déjà dans la langue orale, or ceci peut ne pas être le cas pour les élèves sourds. De plus, cela peut aussi poser problème lorsqu’il n’y a pas de correspondance en langue des signes. Dans ces cas-ci, il faut alors créer des signes afin de traduire ce lexique (Dinée, 2010 ; Duquesne, 2002, 2005 ; Gardie & Matillat, 2010), car il serait difficile de parler de géométrie sans son vocabulaire spécifique. Mais étant donné que les signes doivent parfois être créés, le danger peut être alors qu’il y ait des différences entre les différents enseignants. Mais dans tous les cas, les nouvelles notions présentées aux élèves vont être assimilées au fur et à mesure (Gardie & Matillat, 2010), surtout si elles sont souvent répétées (Navarro, 2010). Nous voyons ici que le vocabulaire peut poser problème, si nous ajoutons à cela les difficultés souvent rencontrées en lecture, il est alors évident que l’enseignant doit en tenir compte. Il peut ainsi adapter certaines de ces manières de faire : écrire le symbole de perpendicularité ou de parallèle au lieu d’écrire leur nom respectif (Labouré, 2010).

5.3.3 Géométrie et concept

En géométrie, l’élève n’est pas seulement confronté à un nouveau vocabulaire, mais aussi à des concepts ou des notions encore inconnus. Mais qu’entendons-nous avec le terme de concept ? Il faut d’abord savoir qu’il existe des concepts communs, abstraits ou scientifiques. Les premiers englobent tout ce qui peut appartenir à la vie quotidienne, cela peut faire référence à la classification des objets. Les deuxièmes regroupent tout ce qui porte sur les croyances ou les pensées, elles sont alors souvent floues, car mal définies. Enfin, les troisièmes contiennent les notions scientifiques, telles qu’aire ou angle, qui sont des concepts bien définis (Courtin, 2002). C’est alors ce troisième groupe qui nous intéresse dans le cadre de ce mémoire.

Les difficultés que peuvent avoir les enfants sourds concernent la généralisation d’un concept, c’est-à-dire de pouvoir le transférer à d’autre contexte que celui de son apprentissage (décontextualisation). Cela a été démontré par plusieurs chercheurs, notamment à l’aide de tâches piagétiennes. Il faut parfois être capable de s’appuyer davantage sur la cognition que sur le perceptif, ce qui demande de l’abstraction (Courtin, 2002) mais également de la flexibilité. Nous avons vu avant que les jeunes enfants ont certaines connaissances concernant

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les noms des formes. Mais ces appellations sont associées à une certaine représentation, pour ne pas dire « prototype ». Par exemple le triangle a toujours un sommet plus grand que les autres et qui est toujours orientée vers le haut (comme les montagnes). Cela devient problématique si l’enfant, entendant ou non, bute contre d’autres présentations de ces formes, pouvant alors mettre en évidence une difficulté dans la plasticité du concept de triangle (Ermel, 2006). Nous pouvons alors penser que les représentations des différentes formes peuvent poser problème selon la tâche donnée.

Un concept géométrique qui peut poser problème pour beaucoup d’élèves, et non seulement pour les élèves sourds, est celui de l’angle. Il est complexe, car il peut avoir différentes définitions possibles : angle de secteur ou angle de rotation par exemple. Un angle est défini par deux droites qui partagent une même extrémité. Pour certains enfants sourds, deux mêmes angles présentés dans une position spatiale différente peuvent leur paraître différent (Duquesne, 2002). Pour tout enfant, le concept, une fois reconnu et nommé, appartient au « savoir explicite dont les propriétés peuvent être formalisées à l’aide d’un langage » (Duquesne, 2005, p. 121). Nous voyons ici qu’une fois de plus le langage joue un rôle important et qu’il est indispensable que chaque concept possède un signe qui lui est propre. En effet, l’importance est l’utilisation d’une langue, qu’elle soit orale ou signée, cela n’est pas le plus important. La répétition d’un signe pour désigner tel ou tel concept va permettre à l’enfant de faire une généralisation, qu’importe le support ou la tâche donnée (Duquesne, 2002), ainsi un angle reste un angle qu’il soit visible sur une forme quelconque ou un schéma. Ces apprentissages de concepts et de notions de géométrie peuvent être un apprentissage difficile, étant donné qu’il y a souvent des définitions multiples, ce qui demande de laisser du temps aux élèves afin qu’ils puissent les connaitre et s’en servir adéquatement (Ermel, 2006). Ces définitions multiples peuvent poser problème pour les élèves sourds, notamment parce que pour les Sourds il peut être difficile de concevoir le fait qu’un même mot peut avoir différente signification (Paul, 1987, cité par Aceti & Wang, 2010, p.119 ; Sabaté, 2010). Cela est d’autant plus difficile si un mot leur a été présenté avec une certaine signification et qu’ensuite nous leur en présentons une autre, il se peut qu’ils restent avec la première définition, rendant difficile une certaine flexibilité dans le vocabulaire (Labouré, 2010).

Deux concepts qui reviennent souvent en géométrie et qui sont présentés aux élèves assez rapidement sont les suivant : parallèle et perpendiculaire. Le concept de perpendicularité peut être introduit aux élèves avec la notion d’angle droit car c’est quelque chose qui est plus

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facilement imaginable, comme c’est le cas avec l’angle d’une table par exemple. L’élève peut voir un angle droit, différent d’un angle presque droit (cône de glace) ou pas du tout. L’angle droit, et du coup la perpendicularité, peut être présenté avec le rectangle. Cette forme est l’une des formes souvent vues dans l’environnement par l’enfant, qu’il soit à la verticale ou l’horizontale. Comme indiqué précédemment, l’enfant va d’abord voir ce rectangle comme quelque chose de perceptible, puis il va devoir petit à petit transformer cet objet spatial en objet géométrique ayant des particularités qui lui sont propres. L’élève devra alors acquérir les connaissances concernant les propriétés du rectangle : appartient à la famille des quadrilatères, possède quatre angles droits, deux fois deux droites parallèles d’une même longueur, etc. (Ermel, 2006).

À côté de cette notion de perpendicularité, il y aussi celle de parallélisme. Une fois de plus, c’est dans son environnement que l’élève peut constater que certains objets ont des bords qui vont dans le même sens (cahier). La définition qui est souvent donnée est celle de deux droites ne pouvant jamais se croiser si nous prolongeons leurs extrémités (Ermel, 2006). Cette définition-ci de la notion de parallélisme peut alors paraître difficile à présenter à des élèves, car ce n’est pas une définition simple (Floris, 1996). De plus, cette définition part du principe que ces droites peuvent être étirées à l’infini, mais cela n’est pas évident pour les élèves qui confondent le terme « droite » avec le trait dessiné sur la feuille. Car ce trait est bien entendu d’une certaine longueur, alors si nous leur présentons deux droites non parallèles, mais ne se touchant pas, ils peuvent conclure que ce sont des parallèles. Cependant, des élèves peuvent comprendre que c’est non seulement le fait que les droites ne se touchent pas, mais aussi qu’elles ont un écart constant entre elles, pour pouvoir dire qu’elles sont parallèles. Au début, l’élève peut confondre droites parallèles et droites de même longueur, car ces dernière peuvent sembler identiques. L’élève confronté à un rectangle ou un carré, ne va pas dans un premier temps parler de deux côtés parallèles, mais davantage d’angle droit, ou de 2 versus 4 côtés de mêmes longueurs (Ermel, 2006).

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