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Au cours de mes enquêtes de terrain, j’ai travaillé sur plusieurs sites, plusieurs arrondissements à Paris, puis Aubervilliers et Bagnolet. Ces différents sites constituent, malgré moi, une enquête multi-sites, qui rend une étude comparative possible. Pourtant, il s’agit d’une comparaison asymétrique, avec le quartier de La Noue de Bagnolet comme terrain d’enquête principal, et le quartier Quatre Chemins/Villette comme terrain contrasté. Dans ce sens-là, la ville d'Aubervilliers sert de miroir, dans lequel certaines questions, qui seraient restées invisibles s’il n’y avait pas eu de comparaison, ressortent.

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« La comparaison n’aura donc pas pour objectif de démontrer l’analogie entre deux objets d’études, mais d’enrichir l’étude de l’une des villes par la connaissance d’un autre terrain. (…) La comparaison permet d’accentuer les spécificités ou les processus en œuvre au cas par cas, tout en relativisant les facteurs déterminants. » (Spire 2011 :

19)

L’importance et l’intérêt de la comparaison sont indéniables dans les études de sciences sociales, et cette méthode est « particulièrement intéressante pour une réflexion sur les migrations et l’altérité » (Ibid. : 30), car

« (…) la comparaison offre la possibilité de diminuer la production de l’altérité en prenant de la distance par rapport au terrain. (…) Comme le soulignent Jean-Pierre Simon et Ida Simon-Barouh (1990), les études comparatives apparaissent particulièrement pertinentes pour l’analyse des rapports entre étrangers et ville dans la mesure où elles permettent de s’interroger « sur les conditions sous lesquelles [les étrangers/immigrants] réussissent plus ou moins à s’intégrer [en ville] ; et sur les expériences de transformations identitaires et structurelles de la collectivité immigrante et de la société d’accueil » (1990 : 12). » (Ibid.)

Pourtant, pour quelles raisons parlerais-je ici d’une comparaison asymétrique ?

D’abord, il est impossible de trouver deux terrains identiques qui pourraient permettre une comparaison systématique. A la réalité, les terrains non identiques sont la norme. Dans la recherche, deux terrains non identiques ne nous empêchent pas d’accéder à la découverte du problème et des réflexions, comme A. Spire a souligné dans son livre,

« Cette approche [la démarche comparative] ne prétend pas comparer terme à terme deux objets de recherche. Il s’agit davantage de déceler, par un aller-retour entre deux objets de recherche, le poids des invariants dans les processus signalant le maintien des étrangers en ville et ceux relevant de la structure de la ville, autrement dit du local. » (Spire 2011 : 19)

Ensuite, si l’on revoit la partie ci-dessus, on remarquera que l’entrée sur le terrain est un processus de négociation. Rien n’est défini, et l’entrée sur le terrain d’enquête est avant tout un processus relationnel. Les tissus urbains du quartier, les politiques locales, les relations entre les habitants et l’enquêtrice, les relations des habitants eux-mêmes, les configurations sociales

76 des habitants, etc. peuvent influencer l’entrée sur le terrain, l’efficacité du recueil des matériaux, ainsi que la quantité et la qualité des données. Tout cela implique que l’entrée sur deux terrains différents ne peut pas se faire de façon identique.

En outre, « la quête d’un terrain ‘autre’ auquel le chercheur doit s’adapter impose un

processus d’immersion qui requiert du temps. … Des séjours autant que possible prolongés ont ainsi été conduits afin d’avoir accès, par la répétition des rencontres et des contacts, à certaines données de terrain qui ne se dévoilent pas immédiatement. » (Spire 2011 : 30) Si je compare

avec mon enquête à Aubervilliers, j’ai un accès plus profond dans le quartier de Bagnolet, où le séjour sur place à long terme est plus envisageable, où les contacts avec les habitants sont plus systématiques, et où les données recueillies sont plus riches. C’est tout naturellement que Bagnolet est devenu le terrain principal, alors que pour enrichir mon point de vue porté sur Bagnolet, le quartier d’Aubervilliers ne s’est imposé, dans ces études, que comme terrain contrasté.

La comparaison, « elle permet d’envisager ensemble deux objets distincts, à condition

que la confrontation de ces derniers soit pertinente (Detienne, 2000 ; Dufaux, Gervais- Lambony, 1994a, 2003c). » (cf. Spire 2011 : 19) Dans ses études menées à Lomé et Accra sur

les interactions entre étrangers et espaces urbains, Spire a trouvé que, « la comparaison consiste (ra) ici à adopter une méthode mettant en valeur les points communs des interactions entre les étrangers d’Afrique de l’Ouest et deux villes dans le but de distinguer ce qui relève du structurel de ce qui relève du conjoncturel. » (Ibid.)

En ce qui concerne mes recherches sur les immigrants chinois résidant en banlieue parisienne, le terrain d’enquête à Bagnolet a commencé à partir de février 2013, alors que celui d’Aubervilliers s’est déroulé de février 2014 à octobre 2014. Comme il y avait des chevauchements sur les deux terrains, j’en ai profité pour mieux saisir et déceler les questions, avec des va-et-vient entre Bagnolet et Aubervilliers. Par exemple, après avoir vu l’association Union Franco-chinoise, symbole de l’auto-organisation des habitants chinois du quartier, j’ai cherché également le même type d’établissement à Aubervilliers, afin de bien saisir les manières avec lesquelles les habitants chinois interagissent avec les autorités locales. Finalement, sans le trouver, cela m’a incité à réfléchir en retour sur l’existence de l’association Union Franco-Chinoise à Bagnolet, en quoi elle pouvait être un cas particulier et comment elle avait pu voir le jour. En outre, en ce qui concerne l’accès au travail, les habitants chinois emploient en général les mêmes moyens, peu importe leurs quartiers d’habitation. Cette sorte

77 de comparaison, ces va-et-vient m’ont permis d’approfondir mes réflexions sur les deux quartiers, mais aussi sur la migration chinoise à une échelle plus étendue, et ce pendant les démarches de terrain ou lors de l’analyse des données recueillies. Pendant mes enquêtes, je n’ai pas cherché à comparer terme à terme ces deux terrains. Pour moi, « la comparaison a été

conçue comme un outil de réflexion propice à une démarche de terrain, et non comme un objectif en termes de résultats. » (Spire 2011 : 30)

Grâce à cette démarche, on pourra faire ressortir certaines questions sociologiques qui auront été dissimulées s’il n’y a pas de comparaison, telles que le manque du sentiment de sécurité que l’on trouve parmi les habitants chinois dans tous les deux quartiers (voir le chapitre 3), ou l’insertion urbaine de manière différente (voir le chapitre 3). De plus, j’espère que cette méthode comparative pourra mener à une étude qui « tempère l’interprétation les résultats de son enquête ethnographique, appelle une prise de recul nécessaire sur ses conclusions »38.

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