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De par leur condition économique défavorable et leur statut illégal, les migrants chinois sont exclus du marché du logement formel, tant public que privé. Ils n’ont pas d’autres choix que de recourir aux informations circulant au sein de l’immigration chinoise. Les acteurs qui participent à ces échanges d’informations – demandes ou offres de logement – étant quasiment tous Chinois, un marché du logement ethnique émerge. Ce marché ethnique est caractérisé par un accès relativement facile au logement, des contreparties notamment financières et une mobilité relativement plus fréquente qu'ailleurs.

En comparant trois sous-groupe d'immigré chinois : les immigrés venant de Wenzhou, ceux du Fujian et ceux du Nord, nous avons pu comprendre la logique de leurs différents choix des formes de logement : la situation familiale, plutôt que la ville dont ils sont originaires, pèse énormément dans la stratégie de l'habitat, sous l'influence de la politique migratoire qui favorise les immigrants en famille, et exclut les immigrés seuls. L'espoir d'être régularisé, dans le futur, joue également un rôle important dans le choix du logement.

Si le recours au marché ethnique est considéré comme une stratégie de la part des immigrants chinois pour faciliter leur accès au logement, la question se pose des conséquences de cette stratégie. La plupart des études travaillant sur les stratégies des migrants insistent sur l’agency (capacité d’agir) que montre la stratégie, et s’arrêtent là, peu de réflexion porte sur les conséquences éventuelles de ces stratégies. Or, la stratégie, souvent considérée comme preuve de l’agency des migrants, doit être comprise par rapport aux contraintes dans lesquelles elle prend forme, comme une réaction à des situations défavorables à un moment donné. C'est pourquoi il est impossible que cette stratégie n'ait pas aussi ses propres contraintes. Pour mieux maîtriser les relations entre l’agency et les contraintes structurelles, il faut les saisir à travers un processus dynamique : les situations changent, les attentes par rapport à l’avenir évoluent, si bien qu'il n’y a pas une stratégie, mais des stratégies, ou une série de stratégie, qui s’actualisent selon les trajectoires migratoires, en suivant les changements dans la situation socio- économique des migrants. Sans ce point de vue dynamique, il est impossible pour nous de comprendre pourquoi ce recours au marché du logement ethnique place une part des habitants chinois dans une situation de plus grande marginalité.

En résumé, ce marché se caractérise par son fonctionnement informel. Comment ce caractère informel rend-il la condition d’immigré plus vulnérable encore ? Le cas de la sous-

137 location, tel que nous l’avons étudié ci-dessus, nous a montré le processus de marginalisation des migrants chinois en situation vulnérable.

Le caractère informel du marché ethnique du logement est traduit par plusieurs aspects, d’abord par le statut juridique des acteurs sociaux au sein de ce marché, comme la plupart des sous-locataires sont des immigrants irréguliers. Néanmoins, certains immigrants, même après leur régularisation, continuent à sous-louer chez d’autres, pour des raisons de projets migratoires et des raisons familiales. De même, tous les locataires en titre ne sont pas des migrants réguliers, une partie importante d'entre eux entre dans la catégorie « immigrants illégaux » par le gouvernement français. En comparaison des migrants en sous-location, leur situation est aussi irrégulière, mais plus stable, en termes de logement, de travail et de situation familiale. Avec des projets migratoires plus clairs et déterminés, ils s’investissent plus dans leur habitat, en louant un logement en leur nom propre, car cette forme de location, protégée par la loi, peut leur offrir les justificatifs nécessaires pour leur régularisation au bout de dix ans.

Ensuite, l’informel existe également dans les contrats de bail. Ici on doit distinguer les sous-locataires et les locataires en titre. Les sous-locataires chinois ne signent même pas de contrat de bail, ils n’ont qu'un accord oral avec leur sous-bailleur. Sans contrat formel, ils ne sont pas protégés par la loi. De cette manière, la sous-location informelle à laquelle ils accèdent rend ces migrants plus marginaux et plus vulnérables. On discutera plus loin la question de la marginalité extrême des migrants en dapu.

Bien qu’ils signent un contrat de bail, les locataires en titre n'entrent pas totalement dans le marché formel. Les ruses des propriétaires sur le loyer ou les sous-locations qu’ils utilisent comme moyen pour baisser les dépenses quotidiennes, les mettent dans une situation intermédiaire entre le formel et l’informel.

A la fin, les pratiques du logement sont également caractérisées par l’informel. Aussi bien en location qu'en sous-location, de nombreux migrants chinois résident dans des logements non conformes, en particulière aux normes concernant la dignité, l’hygiène et la sécurité. Le

dapu, forme d’habitation populaire parmi les migrants chinois, implique des appartements

surpeuplés, ce qui ne correspond pas aux critères de dignité, lesquels insistent sur l’espace résidentiel minimum pour les occupants. La pression sur l’espace habité, et la concentration des occupants dans un petit logement, font diminuer les espaces à usage commun ; certains espaces destinés à la circulation, comme le couloir, sont également utilisés pour d’autres emplois - dans

138 le cas du Monsieur Tu Shangbei, le couloir sert à son sous-bailleur pour stocker des packs des bouteilles de lait et d’eau, ce qui gêne la circulation des occupants du logement - représentant un risque pour la sécurité, notamment en cas d'incendie. Certains habitants, comme Monsieur Tu Shangbei, sont conscients du caractère informel de leurs pratiques de logement, ainsi que des conséquences éventuelles si jamais ces formes d’habitation informelles étaient dévoilées (« si jamais la municipalité le savait, je n’aurai plus de logement »). Néanmoins, vu leur situation vulnérable, il semble que recourir au marché ethnique est une nécessité difficile à contourner pour les migrants chinois lors de leur accès au logement.

Au travers des différentes formes d’habitat, les migrants chinois accèdent au logement et deviennent ainsi des habitants de la société d’accueil. Ce constat nous conduit à analyser leurs relations avec l’espace urbain à partir à différents niveaux : de l’intérieur du domicile à l’extérieur, tel que le quartier et la ville.

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Chapitre 2

Relations des migrants chinois avec

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