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Chapitre 1 Contexte et problématique

1.1 La gestion axée sur les résultats (GAR) en éducation

1.1.4 Enjeux liés à l’approche de GAR

La GAR soulève divers enjeux : le contrôle qu’elle exerce; le travail de conciliation des directions qu’elle oblige; sa lourdeur et sa complexité; la gestion administrative qui peut se faire aux dépens d’une gestion pédagogique; la mobilisation difficile du personnel enseignant; l’obligation de performance; et l’effet modéré des données tertiaires et secondaires sur la réussite des élèves.

1. Le contrôle exercé par la GAR

Les outils d’opérationnalisation de la GAR sont d’abord perçus, à certains égards, comme des voies de récupération de pouvoirs sur les commissions scolaires et les établissements d’enseignement. La GAR est ainsi entrevue comme un moyen de contrôle additionnel sur l’autonomie professionnelle5 des équipes-écoles (Brassard, Lusignan et Pelletier, 2013).

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5 L’autonomie professionnelle réfère à la maîtrise relative des acteurs sur la façon dont le travail doit être

accompli, sur les normes et les critères de qualité et sur la définition des tâches à accomplir (Freidson, 2001). L’autonomie professionnelle doit être contrebalancée par une transparence des actions posées.

La perte d’autonomie organisationnelle apparaît comme une sanction potentielle liée au manque d’efficacité. En effet, la législation prévoit que le ministère de l’Éducation peut « réaligner » ou réduire les marges de manœuvre des commissions scolaires ou des établissements d’enseignement « qui auraient failli à leur engagement contractuel en n’atteignant pas les résultats convenus » (Brassard, Lusignan et Pelletier, 2013, p. 145). Or, rien ne prouve avec certitude que les sanctions imposées aux établissements moins performants puissent favoriser de quelconque manière l’apprentissage des élèves (UNESCO, 2017). À l’opposé, précisons que la GAR ne prévoit pas de récompense pour les établissements performants (Maroy, 2013).

Prenant note de cette dimension « de contrôle » souvent attribuée à la GAR, le MEES (2018a) réitère que la GAR ne soit pas être définie « comme un outil de gestion pour évaluer la performance du personnel [et que] les objectifs et les cibles ne doivent pas être atteints au détriment de l’autonomie professionnelle du personnel » (p. 4).

2. Le travail de conciliation des directions dans la mise en œuvre de la GAR

Les directions doivent composer avec des pressions externes exercées par la commission scolaire et internes exercées par le personnel de l’établissement (Lapointe et Brassard, 2018; Shaked et Schechter, 2017; Spillane et collab., 2002). Elles sont ainsi en constante « recherche de cohérence entre les obligations institutionnelles en matière de reddition de comptes, leurs valeurs professionnelles et leurs perceptions des besoins des élèves » (Lapointe et Brassard, 2018, p. 165).

Ce faisant, un fort contrôle exercé par les commissions scolaires pourrait réduire la liberté d’action des directions quant à l’application des stratégies qu’elles jugent les plus appropriées (Lapointe, 2018). Dans cette optique, Lapointe et Brassard (2018) soutiennent que les directions exercent une réflexion critique sur les politiques de GAR, et pour se les approprier, elles en « négocient le sens pour leur travail » (p. 166). Enfin, elles amènent généralement les enseignants à reconnaître à leur tour le bien-fondé de ces politiques.

3. La lourdeur et la complexité de la GAR

L’éventail des documents ministériels est « vaste au point que personne ne peut raisonnablement prétendre les connaître tous » (Bernatchez, 2011, p. 169). La conception, la négociation, la réalisation et l’évaluation des conventions et outils d’opérationnalisation de la GAR mobilisent aussi un nombre considérable de ressources organisationnelles, temporelles et humaines, ce qui rend ce dispositif lourd, complexe et bureaucratique (Brassard, Lusignan et Pelletier, 2013). Aussi, les outils d’opérationnalisation de la GAR contiendraient des objectifs trop nombreux et pour la plupart trop qualitatifs, et seraient plus ou moins actualisés au cours de l’année scolaire (Prud’Homme et Leclerc, 2014; Striggins, 2002).

4. Une gestion administrative aux dépens d’une gestion pédagogique6

La tâche de la direction d’établissement s’est considérablement alourdie et complexifiée au Québec à la suite de la plus récente réforme adoptant la GAR. En effet, « en raison d’une déconcentration de responsabilités et de pouvoirs au profit de l’établissement, bon nombre de directions consacreraient beaucoup plus de temps à la réalisation de tâches autres, dont celles d’intendance, qu’à celles de gestion éducative » (Lapointe, Brassard, Garon, Girard et Ramdé, 2011, p. 182). Dans cette optique, 90 % des 544 membres de la direction d’écoles primaires et secondaires qui ont participé à l’étude de Brassard et collab. (2004) ont estimé que le temps à consacrer à des tâches administratives avait augmenté depuis le début de la réforme en 2000.

5. La mobilisation difficile du personnel enseignant autour de l’approche de GAR

Si la GAR sous-tend un travail interdépendant de l’ensemble des acteurs du système éducatif, nous notons la problématique de la mobilisation du personnel enseignant par les directions pour

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6 Nous entendons par gestion pédagogique « l’ensemble des interventions d’une direction [qui] port[ent]

directement ou indirectement sur les activités d’aide à l’apprentissage des élèves. Cela implique, entre autres, la gestion de l’enseignement, l’encadrement, la supervision et le développement professionnel du personnel enseignant et l’instauration d’un climat valorisant l’apprentissage des élèves » (Lapointe et collab., 2011, p.

instaurer une démarche collaborative (Brassard, Lusignan et Pelletier, 2013; Dembélé et collab., 2013). Certains milieux se sentent en effet peu interpellés par les données colligées, qui finissent tout simplement par être ignorées. De plus, de nombreux enseignants se sentent insuffisamment préparés pour analyser et utiliser les données (UNESCO, 2017). Ajoutons également que les enseignants tendent à percevoir la GAR comme une forme de « standardisation des pratiques en fonction de leur effet immédiat sur les évaluations externes » (Maroy, Mathou et Vaillancourt, 2017, p. 555), ce qui limite leur mobilisation à long terme. Ajoutons toutefois que le personnel enseignant offrira son plein soutien si les processus et les objectifs sont perçus comme légitimes et réalisables et que les ressources sont disponibles (UNESCO, 2017).

6. L’obligation de performance commandée par la GAR

D’une certaine façon, les approches de gestion par les résultats soutiennent « un nouveau paradigme politique, où l’école est conçue non plus comme une institution, mais comme un système de production » (Maroy et Mangez, 2011, p. 15). Ce faisant, la GAR peut exercer une certaine pression de performance sur les milieux socialement plus défavorisés où l’ampleur des défis scolaires et sociaux des élèves est marquée et où les capacités pour faire progresser les apprenants divergent (Lessard et Meirieu, 2004). Nous observons ainsi le paradoxe central de la GAR, soit celui d’appliquer un alignement stratégique « descendant » tout en cherchant à concilier les besoins et les dynamiques locales des milieux (Brassard, Lusignan et Pelletier, 2013). À cet effet, il convient de prendre en considération les caractéristiques et les contraintes locales lors de la formulation de politiques relatives aux données ouvertes sur les écoles. Il est aussi fondamental de concevoir des mécanismes permettant des « comparaisons équitables » entre les établissements (UNESCO IIEP, 2018).

D’autres enjeux liés à la performance sont recensés, notamment la focalisation sur les matières à sanction, la triche et le risque de surinterprétation des données chiffrées (Maroy et collab., 2016). Ajoutons également le fait de cibler certains apprentissages essentiels sans couvrir l’intégralité d’un programme ou la « planification à rebours », qui consiste à créer des tâches d’évaluation en premier, puis de planifier l’enseignement en conséquence (Cloutier, 2016). Cet enjeu de performance relève l’inévitable tension entre l’importance des résultats et le respect des règles d’éthique.

7. L’effet modéré des données tertiaires et secondaires7 sur la réussite des élèves

Les données dites « tertiaires » (par exemple, les taux de réussite aux différentes épreuves ministérielles et les taux de diplomation de la commission scolaire, les taux d’abandons et d’échecs, les résultats nationaux, les études nationales et internationales, etc.) rapportées dans les outils d’opérationnalisation de la GAR engendrent un effet modéré sur l’apprentissage des élèves (Prud’Homme et Leclerc, 2014). Ces données recueillies à grande échelle et de façon peu fréquente trouvent principalement leur utilité pour les administrateurs et les gestionnaires. Elles sont particulièrement utiles pour le système scolaire lui-même. Enfin, les intervenants auraient du mal à observer précisément s’ils progressent vers l’atteinte des objectifs lorsque peu de données d’observation de l’apprentissage (données primaires) sont colligées et analysées (Prud’Homme et Leclerc, 2014). En outre, les données collectées ne seraient pas systématiquement centralisées, comparables ou accessibles (UNESCO, 2017). Somme toute, ces données sont « des constats loin de la réalité des enseignants en salle de classe [et par conséquent] n’ont pas d’effets directs sur l’enseignement et l’apprentissage en salle de classe » (p. 16).

Les données dites « secondaires » (par exemple, les notes de tests et les résultats du bulletin) sont plus ciblées que les données tertiaires. Elles permettent surtout de sanctionner le succès ou l’échec et de « prendre un portrait actualisé des élèves et d’observer les produits des apprentissages » (Prud’Homme et Leclerc, 2014, p. 17). Elles ont un effet sur le contenu et les méthodes d’enseignement, mais à certaines conditions :

- l’école doit être en mesure de les compiler;

- il faut procéder à leur analyse avec les enseignants pour évaluer la qualité des programmes;

- des décisions doivent être prises pour améliorer l’apprentissage.

1.1.4.1 La GAR : frein ou levier à la gestion de la pédagogie?

À la lumière des enjeux précités, la GAR peut apparaître comme un frein à la gestion de la pédagogie. Cela se produit lorsque les outils d’opérationnalisation sont perçus comme étant trop hiérarchiques, nombreux et directifs. De plus, la GAR apparaît comme un frein lorsque les discours managériaux entravent, ralentissent ou complexifient la mise en œuvre de pratiques pédagogiques. Enfin, apprécier les retombées des pratiques exclusivement en termes de résultats mesurables constitue aussi un obstacle à la GAR.

À l’opposé, la GAR apparaît comme un levier à la gestion de la pédagogie lorsque : les outils d’opérationnalisation sont perçus comme des moyens pour parfaire les pratiques pédagogiques du personnel enseignant en vue d’améliorer la réussite des élèves; les outils d’opérationnalisation créent des moments d’échanges et de mobilisation dans les équipes afin d’atteindre les résultats d’apprentissages ciblés; les ressources pour la gestion du système éducatif sont suffisantes (Brassard et collab., 2013).

En somme, deux lectures possibles par l’équipe-école s’opposent : entrevoir la GAR comme un outil de gestion pour évaluer le rendement et la performance ou la percevoir comme un outil de mobilisation et de collaboration à un projet collectif, soit la réussite et la persévérance scolaires (Brassard, Lusignan et Pelletier, 2013).