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Enjeux généraux et approches théoriques d’une recherche sur la ciné-danse

Ce premier aperçu des contours définitionnel et chronologique de la ciné-danse a déjà laissé entrevoir certains des intérêts historiques et esthétiques d’une recherche approfondie sur ce genre particulièrement hybride de film de danse. Ce sont ces enjeux et les approches théoriques qui peuvent les éclairer que je propose de détailler maintenant.

Tout d’abord, alors que les rapports du cinéma avec les autres arts ont été amplement analysés, la relation cinéma/danse a, elle, été largement ignorée, sauf en ce qui concerne la comédie musicale, quoique les ouvrages sur ce genre s’intéressent en réalité rarement de près à la danse. En effet, les liens du cinéma avec la littérature, le théâtre, la musique, la peinture, la photographie ou encore l’architecture ont été abondamment et depuis longtemps discutés par la recherche universitaire. Au contraire, les puissantes interférences entre la danse et le cinéma commencent seulement à faire l’objet d’études approfondies. Elles n’ont été que très peu examinées avant les années 2000 et très rarement selon une approche interdisciplinaire. Il est frappant, par exemple, que les études sur la comédie musicale, dont la très grande majorité sont produites par des chercheurs en cinéma, abordent si peu ces films sous un angle chorégraphique et qu’elles ne puisent quasiment aucune ressource conceptuelle dans les études en danse18. Ce point aveugle des études

18 C’est le cas par exemple des études les plus canoniques du genre, comme celles d’Alain Masson (Comédie musicale, Paris, Éditions Stock, 1981), de Rick Altman (La Comédie musicale hollywoodienne, Paris, Armand Colin, 1992), de Patrick Brion (La Comédie musicale : du « Chanteur de jazz » à

cinématographiques, voire peut-être leur mépris pour la danse, a notamment été remarqué par Nicole Brenez à la fin des années 1990 :

La réflexion sur le cinéma a très peu pris en compte l’extraordinaire culture du mouvement qu’a développée la danse. On pourrait même dire qu’elle l’ignore, au point de pratiquer une sorte dehold-up permanent sur la ques- tion du mouvement, comme en témoigne par exemple le titre du magnifique catalogue du Musée National d’Art Moderne,L’Art du mouvement. Pour suggestif et juste qu’il soit, un tel titre apparaît aussi comme singulièrement impérialiste : l’art du mouvement, c’est aussi, et d’abord, une définition de la danse elle-même. Il faudrait à l’inverse faire revenir quelque chose de la culture chorégraphique dans le cinéma, envisager comment celle-ci affleure ou jaillit dans les films, comment elle informe voire structure le cinéma – surtout si celui-ci ne veut pas le savoir19.

De fait, les études générales sur la présence et l’influence de la danse au cinéma sont très rares avant le milieu des années 2000 (je laisse ici de côté les recherches encore plus tardives qui abordent spécifiquement la ciné-danse car je les exposerai de manière détaillée dans une section ultérieure). En effet, mis à part un certain nombre de courts articles, seuls une poignée d’ouvrages publiés à la toute fin du XXesiècle et tous anglophones, retiennent l’attention. Publié en 1993, Parallel Lines: Media Representations of Dance20rassemble dix contributions qui se donnent pour objectif d’interroger les représentations de la danse à la télévision britannique à partir de perspectives diverses, les contributions provenant autant de chercheurs que de praticiens (programmateurs, producteurs, chorégraphes et réalisateurs). Les chapitres de cet ouvrage, qui admet explicitement s’adresser avant tout à un public de chercheurs en danse et de choréphiles21, portent ainsi sur les captations de spectacle, les publicités chorégraphiées, sur l’usage de la danse dans les émissions télévisées de divertissement, son rôle dans les vidéo-clips, mais aussi sur quelques films de danse expérimentaux qui recoupent ma définition de la ciné-danse. En 1997, Larry Billman propose dans Film Choreographers and Dance Directors une véritable encyclopédie bio-filmographique sur pas moins de neuf cent soixante-dix chorégraphes de films de danse22. L’ouvrage est bien sûr plus factuel qu’analytique ou théorique, mais il

constitue un outil de recherche très précieux. En outre, Larry Billman y propose pour

« Cabaret », Paris, La Martinière, 1993) et de Michel Chion (La Comédie musicale, Paris, Cahiers du cinéma, 2003). Il y a néanmoins deux exceptions : John Mueller, Astaire Dancing : The Musical

Films, New York, Wings Books, 1985 et Jerome Delamater, Dance in the Hollywood Musical, Ann Arbor, UMI Press, 1998.

19 Nicole Brenez, De la figure en général et du corps en particulier – L’invention figurative au cinéma, Bruxelles, De Boeck Université, 1998, p. 289.

20 Stephanie Jordan et Dave Allen (dir.), Parallel Lines: Media Representations of Dance, Londres, John Libbey, 1993.

21 Ibid., p. ix.

22 Larry Billman, Film Choreographers and Dance Directors, Jefferson, MacFarland and Company Inc. Publishers, 1997.

la première fois une histoire de la danse au cinéma décennie par décennie. Dans le même registre, l’ouvrage coordonné par Louise Spain, Dance on Camera: A Guide to Dance Films and Videos, et publié en 1998 recense et annote brièvement quelque mille quatre cents films de danse, embrassant ainsi toute la diversité des genres cinématographiques et des styles chorégraphiques23.

Au tournant des années 2000, des publications plus problématisées commencent à apparaître dont je mentionnerai ici les plus importantes. En 2001, Sherril Dodds propose un bref panorama du film de danse dans les deux premiers chapitres de Dance on Screen: Genres and Media from Hollywood to Experimental Art24 (les cha-

pitres suivants étant plus spécifiquement consacrés à la ciné-danse). En 2002, une somme de plus de cinquante essais est rassemblée dans un ouvrage dirigé par Judy Mitoma, Envisioning Dance on Film and Video25, qui couvre largement le spectre des

médiatisations audiovisuelles de la danse, du film de danse ethnographique à la comédie musicale hollywoodienne et bollywoodienne, des captations à la ciné-danse, en passant par les vidéo-clips et le documentaire. Enfin, en 2014, The Oxford Hand- book of Dance and the Popular Screen26regroupe vingt-sept essais qui s’intéressent essentiellement aux formes populaires que prend la danse à l’écran (comédies mu- sicales, films de danse à succès comme Black Swan, vidéo-clips, films de hip-hop, télé-crochets autour de la danse, etc.).

La littérature francophone en la matière se rattrape à partir des années 2000 et plus nettement encore depuis le début des années 2010. Les premières contributions se résument à un petit nombre de mémoires27, de revues universitaires28 et de dos- siers thématiques proposés ponctuellement par la presse spécialisée29. Puis, quelques ouvrages monographiques voient le jour. En 2007, Jacqueline Aubenas coordonne un ouvrage intitulé Filmer la danse qui propose un abécédaire des réalisateurs de films de danse belges (ou plus précisément des réalisateurs de films de danse de Wallonie–Bruxelles)30. Malgré ses restrictions géographiques, ce travail, qui relève de

23 Louise Spain (dir.), Dance on Camera: A Guide to Dance Films and Videos, Lanham, Scarecrow Press, 1998.

24 Sherril Dodds, op. cit.

25 Judy Mitoma (dir.), Envisioning Dance on Film and Video, New York, Routledge, 2002.

26 Melissa Blanco Borelli (dir.), The Oxford Handbook of Dance and the Popular Screen, New York, Oxford University Press, 2014.

27 Cf. le mémoire de master de Clotilde Amprimoz, Danse et cinéma. Un point de vue chorégraphique sur

le film « Playtime » réalisé par Jacques Tati, Saint-Denis, Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis, 2003 et celui de Julien Soudet, Le Film de danse, Paris, E.N.S. Louis-Lumière, 2013.

28 La revue universitaire Funambule a entièrement consacré l’un de ses numéros à la danse au cinéma :

Funambule. Revue de danse, n°6 « Mouvements à l’écran », Saint-Denis, Anacrouse, juin 2004. 29 Cf. Patricia Kuypers (dir.), « Filmer la danse », revue Nouvelles de danse, n°26, Bruxelles, Contredanse,

hiver 1996 et Fabienne Costa (dir.), Vertigo, revue d’histoire et d’esthétique du cinéma, Hors-série n°3 « Danses », Marseille, Images en Manœuvres Éditions, octobre 2005.

la recension encyclopédique, se révèle être une source d’informations étonnamment précieuse étant donné le dynamisme de la danse et du film de danse en Belgique. Filmer la dansepropose en effet des notices biographiques et filmographiques pour chaque réalisateur sélectionné, de courtes descriptions analytiques de tous leurs films de danse ainsi que quelques entretiens avec des réalisateurs. Toutefois, malgré son titre généraliste, la portée de cet ouvrage reste limitée, à la fois sur le plan géographique et linguistique donc (puisqu’il n’y est question que de films belges francophones), mais aussi sur le plan scientifique : le catalogue de brèves analyses de films qu’il constitue et les quelques entretiens qu’il transcrit ne suffisent pas à construire une perspective plus théorique sur la danse au cinéma en général, même si l’introduction esquisse une approche plus problématique du sujet.

En 2009, avec Kino-Tanz : l’art chorégraphique du cinéma31, Dick Tomasovic

propose une réflexion courte mais d’une plus grande ampleur théorique, l’auteur suggérant une nouvelle approche – chorégraphique – pour revisiter l’histoire du cinéma. Il livre ainsi une lecture stimulante de vingt films comme, par exemple, Les Chats boxeurs des frères Lumière, Pinocchio de Walt Disney ou Mulholland Drivede David Lynch qu’il analyse au travers d’une sensibilité chorégraphique aux images et par le prisme de catégories conceptuelles puisées dans les études en danse (« rythme et cadence », « flux et fluidité » « mémoire musculaire », « pesanteur et suspension », etc.).

En 2012, paraît Danse/Cinéma32, un ouvrage de vulgarisation sur les rapports réciproques de la danse et du cinéma dirigé par Stéphane Bouquet. Comme le démontre très bien la recension critique qu’en propose Marion Carrot33, l’ouvrage est peu rigoureux sur le plan scientifique, ce qui s’explique sans doute en partie par le fait que les contributions proviennent majoritairement de praticiens (programmateurs, chorégraphes et réalisateurs). La diversité des vingt-cinq articles et entretiens que regroupe l’ouvrage a néanmoins le mérite de faire sentir l’immensité d’un domaine de recherche qui vient seulement de s’ouvrir. On y trouve ainsi pêle-mêle une hypothèse sur la danse postfordiste, une réflexion sur les formes de la marche chez Mikio Naruse, John Waters et Roberto Rossellini, une étude des « nuits de prom » au cinéma ou encore une relecture chorégraphique du Miroir de Tarkovski. Enfin, les actes du colloque Cinéma et Danse [Sensibles Entrelacs], parus en 201334, rassemblent eux

31 Dick Tomasovic, Kino-Tanz : l’art chorégraphique du cinéma, Paris, Presses Universitaires de France, 2009.

32 Stéphane Bouquet (dir.), Danse/Cinéma

,Paris/Pantin, Capricci/Centre national de la danse, 2012.

33 Marion Carrot, « Danse et cinéma : une relation sans Histoire ? », Recherches en danse, mars 2014, [En ligne] URL : http://danse.revues.org/660. [Consulté le 24 juillet 2016].

34 Didier Coureau et Patrick Louguet (dir.), Cinéma et Danse [Sensibles Entrelacs], Paris, L’Harmattan, 2013.

aussi des contributions très diverses mais plus solidement scientifiques, qui balaient largement l’histoire du cinéma à travers des analyses de scènes de danse (littérales ou métaphoriques), notamment dans des films de Jean Epstein, Germaine Dulac, Luchino Visconti, Michelangelo Antonioni, Jean-Luc Godard, Chantal Akerman ainsi que plusieurs cinéastes français contemporains.

Malgré cet engouement récent de la recherche pour le sujet, de nombreux aspects des rencontres de la danse et du cinéma restent encore inexplorés. Aussi cette thèse vise-t-elle à participer à ce défrichement en cours. En effet, il me semble particulièrement important de développer ce domaine d’étude pour contribuer à l’enrichissement de la réflexion historique et esthétique sur le cinéma (ou, plus largement, sur les arts audiovisuels) car, contrairement à ce que laissent penser la rareté historique et la relative marginalité des recherches sur la question, la danse est l’un des grands motifs du septième art depuis ses origines, comme le démontrent la diversité des formes de films de danse que j’ai mentionnés ainsi que les innombrables scènes de bal, de fêtes de village, de cabaret et de music-hall, de discothèque, de flirtssur un slow et de danses impromptues en tous genres qui jalonnent et rythment l’histoire du cinéma. De plus, sans contenir de danses à proprement parler, un très grand nombre de films ou du moins de scènes mériteraient de bénéficier d’une lecture relevant d’une sensibilité chorégraphique. C’est le cas, pour ne prendre que quelques exemples, de la majorité des films burlesques, de la scène de l’escalier du Cuirassé Potemkine, des chorégraphies gestuelles qu’exécutent les « modèles » de Robert Bresson35, des déambulations ludiques et absurdes des héros des films de Jacques Tati, des errances mutiques et quasi spectrales des personnages de Elephant, Gerryet Last Days de Gus Van Sant, des mouvements suspendus en apesanteur dans des films comme Matrix, Inception et Gravity ou, au contraire, de la pesanteur, des chutes et de l’enlisement des corps dans le cinéma d’un Bruno Dumont, etc.36

S’il n’est pas étonnant que les recherches sur la danse au cinéma soient la- cunaires étant donné la richesse et le dynamisme de cette relation artistique, il est donc très surprenant en revanche qu’elle ait si peu ou si tardivement retenu l’attention des théoriciens alors que ces deux arts ont le mouvement, la durée et la

35 Vincent Amiel parle d’ailleurs d’une « lente chorégraphie de l’expérience » pour caractériser ces répétitions de gestes souvent filmées en gros plans chez Bresson, comme dans Un condamné à mort

s’est échappéou Pickpocket par exemple. Vincent Amiel, op. cit., p. 48.

36 J’ai proposé une lecture sensible à la kinesthésie exacerbée de ce qu’on pourrait appeler « la trilogie de la marche et de la mort » de Gus Van Sant dans « Existential wanderings in Gus Van Sant’s “Walking Trilogy”: Gerry, Elephant, and Last Days », in Klaus Benesch et François Specq (dir.),

Walking and the Aesthetics of Modernity: Pedestrian Mobility in Literature and the Arts, New York, Palgrave Macmillan, 2016. J’ai aussi proposé une critique de Gravity qui insiste sur la puissance des effets sensoriels du film et sur ses qualités quasi chorégraphiques : « Gravity d’Alfonso Cuarón »,

CMDR (Corps : méthodes, discours et représentations), Laboratoire Junior de l’ENS de Lyon, [En Ligne] URL : http://cmdr.ens-lyon.fr/spip.php?article96. [Consulté le 30/07/2016].

mise en scène des corps en partage et qu’ils ont témoigné de leurs affinités électives depuis les premières « vues » du cinéma jusqu’aux vidéo-clips, en passant par les comédies musicales et un nombre incalculable de scènes de danse. Puisqu’elle a été si longtemps occultée et qu’elle demeure encore largement sous-analysée, cette relation artistique appelle donc des recherches approfondies qui mettent au jour son histoire, les diverses formes esthétiques qu’elle prend, le type d’expériences cinématographiques qu’elle induit, les effets dramaturgiques qu’elle favorise, les corporéités qu’elle façonne et les manières de signifier qu’elle développe.

Ainsi, même s’il s’agira plus particulièrement de retracer dans ses grandes lignes l’histoire de la ciné-danse et d’élucider les formes ciné-chorégraphiques originales qu’elle a produites, cette recherche s’inscrit dans une volonté plus large d’élaborer un discours sur la danse au cinéma et d’éclairer l’histoire du cinéma à la lumière de la danse, c’est-à-dire à la lumière de ce que la danse « fait » au cinéma en incarnant puissamment ses fictions, en métamorphosant ses personnages, en inflé- chissant ses dramaturgies ou en lui prêtant des corps éminemment plastiques. En d’autres termes, bien que cette étude cherche avant tout à établir l’histoire et les singularités esthétiques de ces entrelacs ou entrechats de la danse et du cinéma que représentent les ciné-danses, elle vise aussi à promouvoir une approche du cinéma plus sensible aux corps, aux mouvements, aux gestes, aux énergies, aux flux, aux types de contacts entre les corps, aux formes d’engagement physique avec l’espace, aux rythmes, aux bruits des corps en mouvement, aux sensations, etc. Le prisme ciné-chorégraphique qu’adopte cette recherche espère participer à un certain renouveau des études cinématographiques, lesquelles voient émerger – après les grandes lectures essentiellement narratologiques, psychologiques, sémantiques et structuralistes – des méthodologies phénoménologiques, figurales et sensorielles, plus sensibles à la matérialité des images et des sons, à leur impact sensible, à la mise en scène des corps et à un engagement avec les films moins objectivant et distancié qu’émotionnel et physique.

Outre les lacunes de la recherche sur le sujet de la danse au cinéma qui né- cessitent d’en établir l’histoire et les implications esthétiques, une telle recherche trouve un intérêt par rapport au dynamisme de la réflexion actuelle sur le corps, à laquelle elle peut contribuer. En effet, le corps est l’objet d’une attention continue et toujours croissante dans la recherche en sciences humaines depuis les années 1960 et 1970, notamment sous l’impulsion des travaux de Marcel Mauss sur « les techniques du corps37 », de Maurice Merleau-Ponty sur le primat de la perception, la

37 Marcel Mauss, « Les techniques du corps », Sociologie et anthropologie, Paris, Quadrige/PUF, 1999 (1936).

corporalité de la conscience et l’expérience incarnée du monde38, de Michel Foucault sur les bio-pouvoirs39 ou encore de Gilles Deleuze sur le « corps sans organes »40. Philosophie, sociologie, histoire, littérature et histoire de l’art s’attachent à analyser les formes, les fonctions et les significations du corps humain, sa capacité (centri- pète) à absorber, in-carner et, réciproquement, sa capacité (centrifuge) à manifester, ex-primer des phénomènes et des problématiques culturelles, sociales, politiques et économiques. Quoique plus tardivement, à partir de la fin des années 1990, les études cinématographiques ont pris part à cette tendance forte de la recherche contemporaine. Les représentations du corps concrètes et variées que le cinéma décline font en effet l’objet d’éclairages théoriques encore récents, mais déjà riches41.

De nombreuses méthodologies sont ainsi apparues, telles que l’analyse esthétique de la mise en scène des corps (Vincent Amiel), l’approche figurale (Nicole Brenez), phénoménologique (Vivian Sobchack) et sensorielle (Laura U. Marks et Martine Beugnet), auxquelles on pourrait ajouter une variante : l’approche chorégraphique ou kinesthésique des corps, des images et des sons et de l’expérience du spectateur.

Approcher le cinéma par le biais d’une sensibilité chorégraphique peut en effet contribuer à cette recherche encore en cours sur les formes, les fonctions (poétiques, sensorielles, dramaturgiques et narratives) et les significations (sociales, culturelles, philosophiques et politiques) des représentations du corps au cinéma. De fait, comme le suggère Xavier Baert, on pourrait retracer toute l’histoire du cinéma « à partir du corps, des savoirs corporels et des états de corps que l’image en mouvement appelle, et dont la danse est un des aspects : des militaires de Marey aux artistes martiaux du cinéma de Hong Kong, des acrobates aux actionnistes viennois, des cascadeurs aux reines de beauté, le cinéma constitue aussi un conservatoire du corps, de ses pratiques et de son histoire42 ». L’approche chorégraphique des images des corps, du corps des images et des mouvements à l’écran que cette thèse propose espère donc participer à cette orientation des études cinématographiques qui bouscule les approches logocentrées du cinéma en réaffirmant les qualités non-discursives des

38 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1976 (1945).

39 Voir notamment : Michel Foucault, Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1998 (1975) ; Histoire de la sexualité, trois tomes, Paris, Gallimard, [1976-1984] et Naissance de

la biopolitique. Cours au Collège de France 1978-1979, Paris, Gallimard, 2004. Pour une étude synthétique de la réflexion foucaldienne sur le corps, consulter Arianna Sforzini, Michel Foucault,

une pensée du corps, Paris, PUF, 2014.

40 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux. Capitalisme et schizophrénie 2, Paris, Minuit, 1980. 41 Les représentations du corps au cinéma, mais aussi la question de la corporéité des images et des sons et l’étude des effets des films sur les corps des spectateurs ont, entre autres, été examinées par Jacques Aumont, Vincent Amiel, Nicole Brenez, Antoine de Baecque, Jérôme Game et Jean-Louis