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Section 1. – Le traitement des affaires pénales

1.1. Les enjeux du délibéré

04.- Rappelons que formellement, délibérer consiste à accomplir plusieurs opérations

bien distinctes. Les débats contradictoires qui se déploient au cours de l’audience étant clos, il est dit formellement que les juges « entrent en délibération » : cette phase dure jusqu’au moment où la décision judiciaire — le jugement — est effectivement rendu, prononcé publiquement comme l’impose la procédure pénale,

puis rédigé et adressé au prévenu (62). On peut alors, du point de vue de l’activité de

travail, distinguer trois moments distincts qui organisent le délibéré.

05.- Le premier, dont on considère qu’il démarre formellement après le déroulement

du contradictoire, consiste à débattre de la solution à donner au procès : le prévenu est-il coupable ? Faut-il suivre les réquisitions du ministère public ? Faut-il prendre

61.- Outre l’examen des affaires et les notes d’observation rédigées et discutées en équipe,

l’identification des épreuves a supposé le plus souvent le recours à l’enregistrement audio des magistrats de manière à pouvoir suivre en continu les interrogations qu’ils se formulaient à eux- mêmes et à l’observateur. Ce matériau a été, pour une grande partie, exposé dans le rapport intermédiaire de cette recherche, Les juges de proximité au travail, rapport intermédiaire, vol.2. 62.- « Discussion des juges, après les débats et hors la présence du public, en vue de rendre leur décision. Lorsque la juridiction n’est composée que d’un juge, il s’agit du temps de réflexion de ce juge précédent le prononcé de sa décision », Nouveau dictionnaire juridique, septembre 2008 http://www.dictionnairejuridique.fr/ Voir aussi Duchesne, P., (2003), « Le délibéré », in La revue administrative, n°334

en compte les arguments du contrevenant ? Faut-il entendre le point de vue de la victime, lorsque celle-ci s’est portée partie civile ? Pour le juge de proximité, qui ne peut délibérer qu’avec lui-même sauf en correctionnelle où il siège en tant qu’assesseur, il s’agit bel et bien de clarifier ce qui s’est passé au regard de la norme pénale.

06.- Le deuxième moment, dont on considère qu’il est celui de la prononciation du

jugement en audience publique, consiste à indiquer la sentence, en déterminant la nature et le montant exact de la sanction et, au besoin, à accorder des dommages et intérêts. En l’occurrence, le juge de proximité doit déterminer la peine selon un barème réglementaire fixant le montant des amendes en fonction de leur classe

contraventionnelle (63), ou parmi une palette de dispositions légales possibles

(confiscation du bien ayant servi à commettre l’infraction, retrait de points au permis de conduite, etc.). Dans tous les cas, les théories pénalistes assignent un certain nombre d’objectifs, sinon de fonctions, à la sanction ainsi promulguée : une fonction

de rétribution, qui veut que l’on prenne en considération le mal inhérent à

l’infraction commise pour lui faire correspondre un mal équivalent de sorte que le juge se réfère non seulement au barème réglementaire en matière contraventionnelle, mais également à une jurisprudence locale en matière d’infractions similaires ; une

fonction de réparation, qui veut que le prévenu doit, s’il est déclaré coupable, payer

en retour pour sa faute de sorte que le juge doit déterminer les dommages quand une victime s’est constituée partie civile ; une fonction de prévention, qui veut que les peines, quelle que soit leur nature, sont aussi censées freiner, voire empêcher l’accomplissement de comportements jugés déviants, et comportant notamment une dimension socio-pédagogique que le juge ne manque pas de rappeler en soulignant

l’attachement de la société envers certaines normes (64). Si cette dernière se tourne

essentiellement vers l’avenir (considérant un mal futur possible), la rétribution se réfère d’abord au passé (considération en retour d’un mal réalisé) et la réparation au présent (considération d’un mal présent).

07.- Quant au troisième moment, il porte sur la rédaction du jugement proprement

dit, dont l’écriture est très largement cadrée par la procédure, en rappelant d’un côté les faits incriminés et, de l’autre, la norme légale. Ce travail d’écriture s’achève au moment où le juge signe le document. L’affaire est alors définitivement jugée.

08.- Ces trois moments distincts — douter, trancher, signer — présentent une ampleur inégale. Si les interrogations silencieuses qui sourdent dans la tête du magistrat ne semblent guère visibles en audience, elles ne sont pas sans rapport avec la connaissance de l’affaire que le juge a déjà

63.- Les quatre classes d’infractions pour lesquelles la juridiction de proximité est compétente

définissent une amende d’un montant maximal à 38 € (classe 1), 150 € (2e classe), 450 € (3e classe) et 750 € (4e classe) (CP, Article 131-13).

64.- Voir Van de Kerchove, M., « Les fonctions de la sanction pénale. Entre droit et philosophie »,

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préalablement, depuis le travail de préparation qu’il accomplit systématiquement avant l’audience. De fait, si l’hésitation est bien constitutive du travail de jugement, elle parcourt le traitement continu de chaque contentieux. Et, si le délibéré dure rarement plus longtemps que l’énonciation, il n’en a pas moins de rapport avec les questions qui ont pu le précéder. Quant à l’activité de rédaction du jugement, elle constitue, à quelques rares exceptions près, un élément plus périphérique du travail du magistrat et se réduit à un contrôle formel du document final que le juge signe au tribunal, généralement lorsqu’il se rend au greffe prendre connaissance des nouvelles affaires à préparer. Mais qui peut dire, parmi ces trois moments distincts, que rien de plus ne s’y passe vraiment ? Les observations réalisées à partir desquelles un corpus d’affaires a pu être constitué (voir encadré ci- contre) décrivent un processus de délibération qui prend massivement la forme d’une décision quasi instantanée, à l’instar du jugement évoqué en introduction, directement rendu sur le siège. Certes, il peut parfois décrire un différé dans le temps, quand le juge reporte sa décision en fin d’audience. Certes, il peut aussi prononcer formellement une « mise en délibéré » de manière à reporter sa décision jusqu’à une audience prochaine. Mais ce sont là des cas relativement marginaux eu égard à nos observations (tableau n°4). Faut-il en conclure que, de manière majoritaire, les affaires traitées sont simples et que les décisions prises par le juge ont un aspect mécanique, sans heurts et sans interrogations ? Ou faut-il seulement admettre que des hésitations, des doutes, des dilemmes peuvent surgir, mais que leur résolution s’opère le plus souvent dans le cours de l’audience de sorte que, lorsque le magistrat rend sa sentence, il la rend dans le prolongement immédiat des débats ?

Nombre de cas Fréquence

Délibéré instantané 147 0,93

Délibéré différé en fin d’audience 3 0,02

Délibéré reporté en audience ultérieure 8 0,05

Total 158 1,00

Tableau n°4.- Corpus pénal général : les trois formes du délibéré (65)

09.- Pour le savoir, il faut pouvoir retourner à l’examen complet des affaires. Car

c’est depuis le moment de l’étude des dossiers, puis de leur traitement en audience, que les hésitations du juge peuvent effectivement s’énoncer et être décrites. Prenons, pour ce faire, le cas d’une affaire précise telle qu’elle nous a été rendue visible au travers de nos observations situées, le magistrat produisant un commentaire continu sur ce qu’il fait à notre intention, et que nous avons enregistré.

Le corpus qui a été constitué recouvre, pour le pénal, une totalité de 212 affaires. Le travail de collecte a concerné les quatre juridictions de proximité (dont une tenue par un juge d’instance faisant fonction) de notre échantillon. Les données ainsi obtenues concernent au total 12 situations d’observations, dont 4 concernent le travail de préparation pénale quand l’accès en a été possible et 8 le travail en audience. Le tableau ci-dessous présente l’ensemble du corpus et des situations d’observation (tableau n°1) :

Cas observés Situations d’observations Monogr. Nbre de cas

observés en préparation Nbre de cas observés en audience Préparation pénale Audience pénale Remarque

65.- Nous avons exclu ici du comptage les affaires traitées en correctionnelle (n=18), dans la mesure

où c’est la procédure qui impose systématiquement une mise en délibéré différée pour la totalité des affaires, ainsi qu’une minorité d’affaires pour lesquelles il n’a pas été possible de saisir en situation d’observation la nature exacte de la décision du magistrat (n=12). Enfin, sont également non intégrées au comptage les affaires pour lesquelles un renvoi a été prononcé (n=24).

A 56 76 2 3 Traitement pénal complet suivi sur 2 audiences pénales (affaires générales), et 1 audience pénale suivie (sur 2 affaires)

B 28 65 1 3 Traitement pénal complet suivi sur 2

audiences pénales (affaires diverses et affaires mineurs), et observation d’une audience en tribunal correctionnel

C 23 23 1 1 Traitement pénal complet suivi sur 1

audience pénale (affaires générales)

D 0 48 0 1 Traitement pénal suivi sur 1 audience

pénale seulement (affaires générales)

Total 107 212 4 8

Tableau n°1.- Corpus général des affaires pénales : cas observés et situations d’observation

Parmi les affaires du corpus, on retrouve la diversité du contentieux pénal relevé par les enquêtes, indiquant une nette prépondérance des infractions au Code de la route et, dans une moindre mesure, des affaires de tapage et de violence sans entraîner d’incapacité de travail (66). De manière générale, le corpus apparaît significatif, sans prétendre à une quelconque représentation statistique, de l’ensemble des litiges qui parviennent aux juridictions de proximité (tableau n°2)

Cas observés Domaine des infractions Nbre de cas fréquence

Code de la route 84 0,45

Dépôt sur la voie publique 05 0,03

Tapage 36 0,19 Violences 28 0,15 Vente prohibée 16 0,08 Autres 19 0,10 Total 188 1,00 NSP 24 Total 212

Tableau n°2.- Corpus des affaires pénales : cas observés et domaine d’infraction

Ce corpus général demeure toutefois incomplet au regard des objectifs de l’enquête. Soit parce que le magistrat a lui-même traité certaines affaires en dehors de la situation d’observation, soit parce qu’il est allé trop vite dans ses opérations ou ses conclusions de sorte que nous n’avons compris que très imparfaitement de quoi il retournait, soit encore parce qu’il y a une proportion d’affaires que nous n’avons découvertes qu’à l’audience, il n’a pas été possible de suivre vraiment le travail des juges en situation pour la totalité des affaires. C’est pourquoi un corpus à données corrigées a été défini. Il recouvre les seules affaires qui répondent positivement aux trois critères suivants : (a) le traitement de l’affaire a été observé de bout en bout ; (b) la nature de l’infraction est parfaitement connue ; (c) la décision finale (jugement sur le siège, mis en délibéré pour une autre audience, renvoi, peu importe) est également connue. Dans la mesure où il n’a pas été possible d’observer le juge d’instance faisant fonction de juges de proximité de la monographie D en situation de préparation pénale , ce corpus réduit ne concerne que les juridictions de proximité tenues par des magistrats non professionnels (tableau n°3) (67).

Corpus général

Cas-limites de l’observation Corpus corrigé

66.- Voir Fortier, V. et Fabre, M., Le juge de proximité. Une nouvelle offre de justice ?, Rapport de

recherche UMR5815-IRETIJ, Mission de recherche Droit et Justice, avril 2007, p.59sq. Le rapport indique, parmi les infractions de classe 4, celles relatives à la circulation routière (60,1% du contentieux), puis les voies de fait ou violences légères sans entraîner d’ITT (20,8%), puis les tapages nocturnes et diurnes (10%).

67.- Sur les limites de l’observation et les conditions d’accès au travail en train de se faire, voir aussi

- 52 - Monogr. Nbre de cas

appartenant au corpus général Nbre d’affaires non observées de bout en bout Nbre d’affaires dont la décision demeure inconnue Nbre d’affaires dont la nature de l’infraction demeure inconnue Nbre d’affaires retenues A 76 2 3 18 53 B 65 37 3 0 25 C 23 0 1 0 22 D 48 48 5 6 0 Total 212 87 12 24 100

Tableau n°3.- Corpus corrigé des affaires pénales