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Les difficultés émanant purement et simplement de la matière juridique à

Section 3. Les sources de difficulté

3.1. Les difficultés émanant purement et simplement de la matière juridique à

Bien sûr, l’une des sources majeures de complication est d’ordre purement juridique. Les juges d’instance que nous avons déjà eu l’occasion de mettre en scène nous l’ont révélé en avouant être momentanément mis en échec par des problèmes juridiques sans solution évidente. En coulisse, le magistrat professionnel l’assume sans réticence, et en parle. Les difficultés techniques s’avouent relativement bien entre

pairs (et il faut entendre ici les JP comme étant également des pairs quand la cohabitation est cordiale). Les JI entre eux, les JP entre eux, les JI et les JP s’exposent des cas difficiles, s’échangent des expériences de dilemmes techniques, d’impasses temporaires, et des « trucs » pour s’en sortir. La difficulté technique est dans l’absence de perception immédiate de la « solution » (souvent une « qualification » juridique) qui permet de faire tenir ensemble une histoire réelle, passablement emmêlée, et un texte juridique ou une procédure grâce auquel ou à laquelle rendre la décision.

Les JP sont bien sûr encore plus touchés. Les premiers mois d’activité les voient ainsi confrontés à d’innombrables blocages et sources de perplexité. Cela d’autant plus que le droit à mobiliser dans la juridiction de proximité est d’une extrême profusion. De nombreuses branches sont sollicitées : droit des contrats, droit de la consommation, droit des impôts, etc., sans compter la procédure civile et la procédure pénale. Il n’est pas de JP qui, par son itinéraire professionnel, arriverait spécialiste de l’ensemble de ces branches. Certaines sont donc des découvertes presque totales. Ce droit se découvre sur le tas, en situation. Tant qu’on ne rencontre pas, par le biais d’une affaire, tel cas concret, on ne sait pas ou on ne sait plus quel est même le problème juridique, la règle de droit, etc. L’une des embûches est bien là : dans le fait que le problème juridique ne se signale pas, ne se fait pas connaître comme tel, reste discret, imperceptible pour celui qui n’est pas accoutumé à le repérer. On peut commettre des erreurs sans le savoir. Une JP l’illustre en évoquant une mésaventure de ce type alors qu’elle siégeait en correctionnelle où la conduite du travail par les magistrats professionnels permet de faire apparaître de tels cas d’ignorance :

L’autre jour un procureur, par exemple, requiert sept ans de prison, dont deux avec sursis. Bon, moi ça ne m’a pas fait sourciller et, finalement, tout de suite, en délibéré le président dit : « Où il va le procureur ? On ne peut pas, si on est au-delà de sept ans, au-delà de cinq ans on ne peut pas donner de sursis. » Autrement dit, sept ans, c’est sept ans, il n’y a pas de sursis. (…) Voilà. Que fais-je en rentrant ? J’attrape mon code pénal, le code de procédure pénale et je regarde. (JP10)

Or, la juridiction de proximité accentue l’exposition au risque par le fait que les débats sont soumis à l’oralité. Celle-ci ouvre la porte à des demandes additionnelles à l’audience ou à toute sorte d’événements qui se présentent devant un JP qui n’en avait pas été averti. Que cela apparaisse au sein d’un formalisme juridique parfaitement respecté et le JP se trouve devant le risque de ne pas avoir encore rencontré ces termes-là. L’affaire où était invoquée la clause in limine litis en est un exemple. Que cela soit présenté de manière plus confuse par le justiciable et le JP est obligé de comprendre in situ de quoi il s’agit et d’en chercher la traduction juridique. En tout cas, dans la juridiction de proximité, prévaut moins de standardisation que dans d’autres, ce qui fait appel à plus de compétence.

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Encore ne suffit-il pas de connaître la règle : il faut aussi savoir la manier et notamment interpréter si elle doit être suivie à tout prix ou s’il y a lieu de faire primer le sens général :

JP-D : C’est une affaire d’instance d’ailleurs, pas de proximité, et il y avait un problème de prescription, c’était un problème de diffamation non publique. Et puis, il y avait un problème de prescription puisque l'action en diffamation, c’est trois mois, pour agir vous avez trois mois à compter de la date de la diffamation. C’est ça. Et tout le problème était de savoir si, oui ou non, il y avait prescription, enfin je ne rentre pas dans les détails. Et là, les deux parties étaient d’accord in limine litis pour traiter cette question de prescription. Et puis s’est posé le problème de savoir si on arrêtait là, et le juge disant : « Bon je vais délibérer sur cette affaire, le délibéré à dans un mois et puis en fonction de la solution que je donnerai, je rejette ou j’accepte la prescription, on en viendra au fond. » Et ça, c’est quand même de la mauvaise justice, parce que, d’abord, il y avait des témoins, c’est une affaire assez compliquée, et on ne pouvait pas renvoyer tout le monde pour les faire revenir après. Donc, donc elle, c’était Madame V., elle a dit : « OK, j’ai bien noté vos positions sur cette question de prescription, maintenant allons-y, continuons, et voyons le fond. »

Bref, il ne s’agit pas seulement d’exercer la justice, il faut aussi apprendre, nous dit ce JP, les manières de le faire : il n’y aurait pas l’exercice de la justice en soi, mais la pratique de la bonne ou de la mauvaise justice.