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2. L'ochratoxine A

2.5 Effets toxiques

La toxicité aigüe de l’OTA varie en fonction de l’espèce, du sexe et de la voie d’administration. Les DL50 sont répertoriées dans le tableau 3. Le rein est l’organe cible de

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Tableau 3 : DL50 de l’ochratoxine A chez différentes espèces animales.

2.5.2 Toxicité subaiguë et chronique.

L’exposition à de faibles doses d’OTA est à l’origine de néphrotoxicité et de cancers des voies urinaires. L’OTA est aussi immunotoxique , hépatotoxique et tératogène, mais nous ne décrirons pas ces effets dans cette introduction (pour un article général voir Pfohl- Leszkowicz, 1999 ; JECFA, 2001).

2.5.2.1 Néphrotoxicité.

L’OTA est potentiellement néphrotoxique chez toutes les espèces testées à l’exception de ruminants adultes (Ribelin et al., 1978). Des études effectuées au Danemark, en Hongrie, en Scandinavie et en Pologne, ont montré que l’OTA pourrait jouer un rôle majeur dans l’étiologie de la néphropathie porcine, en conjonction avec la citrinine (Krogh et al., 1973 ; Krogh et al., 1974).

Expérimentalement, des porcs exposés chroniquement à 0,2 ppm d’OTA développent des néphropathies en quelques mois. Aux doses de 1 à 1,4 ppm d’OTA, une décoloration des reins et des nécroses apparaissent après deux semaines d’exposition (Elling, 1983 ; Elling et al., 1985). Kane et al. (1986b) ont constaté chez des rats, traités par gavage avec 290 µg d’OTA/kg de poids corporel tous les 2 jours pendant 8 à 12 semaines, une augmentation significative dans l’urine de trois enzymes spécifiques d’une nécrose de la bordure en brosse des tubules proximaux (phosphatase alcaline, leucine aminopeptidase, et γ-glutamyl transférase). Parallèlement, ces enzymes diminuent dans le néphron, confirmant la cytotoxicité de l’OTA au niveau des tubules contournés proximaux.

Dès 1972, Krogh a montré des similitudes entre la néphropathie porcine et la Néphropathie Endémique des Balkans (BEN) et a proposé l’OTA comme l’un des agents qui pourrait jouer un rôle dans l’étiologie de cette maladie. Dans plusieurs localités situées sur les bords d'affluents du Danube, une incidence inhabituelle d'insuffisance rénale chronique a été décrite, concernant 10% à 30% de la population rurale des 2 sexes. Cette néphropathie endémique, limitée à 40km de large et 200 km de long, réunit tous les critères d'une néphropathie chronique.

La BEN est une néphropathie qui est caractérisée par une tubulonéphrite interstitielle avec enzymurie. Son tableau clinique est bien identifié (Radonic & Radosevic, 1992 ; Vukelic et coll., 1992) : (i) céphalées fréquentes (ii) douleurs lombaires (iii) asthénie (iv) anémie et l'amaigrissement (v) pigmentation pseudoaddisonienne (de type urochrome) (vi) absence

Animal DL50 (mg/kg de poids) Voie d'administration

Souris Swiss (mâle) 51-68 orale

Souris femelle 22 intrapéritonéale

Rat (mâle-femelle) 28 et 21,4 orale

Rat (mâle-femelle) 12,6 et 14,3 intrapéritonéale

rat (nouveau-né) 3,9 orale

Caille japonaise 16,5 orale

Cobaye (mâle-femelle) 9,1 et 8,1 orale

Poulet 3,3 orale

Dinde 5,9 orale

Truite arc-en-ciel 4,7 intrapéritonéale

Porc 1 orale

36 d'hypertension (vii) polyurie s'accompagnant d'une langue rouge et d'une sensation de soif et

de goût amer, (viii) insuffisance rénale chronique sans syndrome néphrétique et sans œdèmes. L'évolution de la pathologie est lente et souvent asymptomatique. À long terme, elle conduit à une atrophie rénale sévère voire à des tumeurs du tractus urinaire chez l'homme (Bordas et coll., 1973 ; Chernozemsky et coll., 1977 ; Markovic, 1985). La survenue de tumeurs bénignes, surtout malignes, de l'uretère, du bassinet et de la vessie est signalée dans 1/3 des cas. La mort survient par urémie l'urémie peu de temps après la manifestation des symptômes (Chernozemsky et al., 1977 ; Markovic, 1985). Des études épidémiologiques mettent en avant le lien entre la présence d’OTA dans la nourriture et l’incidence de la BEN (Petkova-Bocharova et al., 1988). Les différents facteurs pouvant intervenir dans l’étiologie des tumeurs du tractus urinaire associées à la BEN ont été discutés par divers auteurs (Pfohl- Leszkowicz et al., 2002b ; Pfohl-Leszkowicz & Manderville, 2007 ; Peraica et al., 2008).

2.5.2.2 Carcinogénicité

Dès 1971, Purchase et Van der Watt avaient émis l’hypothèse de la carcinogénicité de l’OTA. Dans un groupe de 10 rats Wistar ayant reçu chacun une dose de 300 µg/kg d’OTA, 5 jours par semaine pendant 50 semaines, un animal avait développé un cancer rénal. Chez des souris ayant reçu une nourriture contaminée par de l’OTA, Kanisawa et al. (1975) ont observé non seulement l’apparition de tumeurs rénales, mais également des tumeurs hépatiques.

Les effets cancérogènes de l’OTA sur des souris ont été vérifiés par l’étude de Bendele et al. (1985). Deux groupes de souris B6C3F1 (49 mâles et 49 femelles) ont été nourris, pendant 24 mois, avec une alimentation contenant 40 µg d’OTA par kg de nourriture. Tous les mâles souffraient de néphropathie. Quatorze mâles ont développé des carcinomes rénaux et 26 des adénomes rénaux. Peu de femelles souffraient de néphropathies et aucune n’ont développé de carcinome ou d’adénome rénal. Cependant, une augmentation du nombre de néoplasmes hépatocellulaires a été observée chez les mâles et les femelles traités.

L’étude du programme national de toxicologie américain (NTP) sur des rats F344/N mâles et femelles, a permis de confirmer le pouvoir cancérogène de l’OTA (Boorman, 1989). Trois doses d’OTA ont été administrées à ces rats par voie orale, 210, 70 et 21 µg d’OTA par kg de poids corporel quotidiennement pendant deux ans. A la forte dose d’OTA, 72 % des mâles et 16 % des femelles ont développé des néoplasmes. A la dose de 70µg d’OTA, l’incidence des néoplasmes est de 39 % pour les mâles et 4 % pour les femelles. A ces 2 doses, l’OTA provoque également des modifications rénales non néoplasiques, comme des hyperplasies, des proliférations cellulaires, des altérations cytoplasmiques, des karyomégalies au niveau des cellules tubulaires et des dégénérescences de l’épithélium tubulaire.

Une étude effectuée par le Centre Internationale de Recherche sur le Cancer (CIRC), sur deux espèces de rats (Lewis et Dark Agouty), a montré une susceptibilité plus importante des rats mâles par rapport aux femelles. La différence est beaucoup plus flagrante dans l’espèce Dark Agouty où les mâles développent des tumeurs alors que les femelles sont complètement épargnées (Castegnaro et al., 1998). Des études concernant le patrimoine génétique des rats a permis de mettre en évidence que la différence de susceptibilité était essentiellement liée au CYP 2C, qui est de nature différente chez le mâle et la femelle (Pfohl-Leszkowicz et al., 1998).

Lors de la dernière évaluation réalisée par le CIRC (IARC 1993), l’OTA a été classée dans le groupe 2B : « cancérogène possible pour l’homme ». En effet, les études épidémiologiques faites sur les patients bulgares réalisées en 1993 n’ont pas été prises en compte car le groupe de travail a estimé qu’il était difficile de séparer les patients atteints de BEN de ceux atteints de cancer des voies urinaires. Néanmoins ces études ont démontré que la BEN est associée à une augmentation significative du nombre de tumeurs des voies

37 urinaires supérieures et qu’elle peut être directement reliée à la consommation de nourriture

contaminée par l’OTA dans cette région (Bordas et al., 1973 ; Markovic, 1985 ; Chernozemsky et al., 1977 ; Castegnaro et al., 1987).

2.6 Mécanismes de génotoxicité et mutagénicité