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B C ONTROLE DU CYCLE CELLULAIRE PAR E2F

3. E2F1 : Oncogène ou Suppresseur de Tumeur

L’un des effets biologiques résultant d’une expression non régulée d’E2F1 est le déclenchement du cycle cellulaire, ce qui se manifeste par une entrée constitutive en phase S (Johnson et al, 1993; Qin et al, 1994; Shan & Lee, 1994). Chez la Drosophile, la surexpression d’E2F1 conduit à l’entrée ectopique en phase S (Asano et al, 1996; Du et al, 1996). E2F1 provoque également l’entrée en phase S de cellules différenciées et quiescentes d’Arabidopsis (Rossignol et al, 2002). Chez les mammifères, la surexpression d’E2F1 déclenche non seulement la phase S chez des fibroblastes murins quiescents et d’autres lignées cellulaires quiescentes (DeGregori et al, 1997), mais est aussi capable de stimuler la progression du cycle cellulaire de fibroblastes murins dans un contexte antiprolifératif : en absence de sérum, par

inhibition des CDK ou par traitement au TGFb (DeGregori et al, 1995; Johnson et al, 1993; Schwarz et al, 1995). Cette puissante capacité à induire le cycle cellulaire est illustrée par le fait que la surexpression d’E2F1 dans des lignées primaires conduit à leur transformation, seul ou en combinaison avec l’oncogène ras (Johnson et al, 1994; Singh et al, 1994).

Les effets pro prolifératifs et oncogéniques liés à la surexpression d’E2F1, observés à partir de cultures cellulaires, sont aussi retrouvés in vivo. L’expression transgénique d’E2F1 dans des modèles murins transgéniques a pour conséquence l’entrée aberrante en cycle des cellules, une hyperplasie et même la formation de tumeurs au niveau du tissu ciblé (Tableau

2). Ainsi, l’expression transgénique d’E2F1 dans la rétine est capable d’induire l’entrée en

cycle de cellules post mitotiques (Chen et al, 2000). Lorsque surexprimé spécifiquement dans les mégacaryocytes, E2F1 bloque la différenciation terminale et induit la prolifération des cellules (Guy et al, 1996). Ce phénotype non différencié ne peut alors pas être corrigé par l’administration de facteurs de croissance plaquettaires. Dans le modèle murin K5 E2F1, où E2F1 est surexprimé au niveau de l’épiderme et des autres tissus exprimant la kératine 5 (principalement les tissus épithéliaux pavimenteux), E2F1 promeut la prolifération cellulaire et l’hyperplasie (Pierce et al, 1998a; Pierce et al, 1999). La surexpression ciblée d’E2F1 dans le foie et son expression transitoire dans les testicules, sont à l’origine d’une dysplasie, ce qui montre que l’expression dérégulée d’E2F1 suffit à déclencher, in vivo, une prolifération aberrante (Conner et al, 2000; Holmberg et al, 1998).

En plus d’induire la prolifération incontrôlée et non maligne des tissus, l’expression transgénique d’E2F1 peut aussi provoquer le développement de tumeurs, seul ou en combinaison avec d’autres mutations oncogéniques. Le modèle murin K5 E2F1 développe des tumeurs dans la peau, le vagin, l’estomac et les épithéliums odontogènes (Pierce et al, 1999). L’accumulation de la perte de p53 accélère la tumorigènese dans ce modèle (Pierce et al, 1998b). Dans le foie, en plus de la dysplasie, la surexpression d’E2F1 provoque la formation spontanée de tumeurs (Conner et al, 2000). Par ailleurs, des cellules exprimant une version mutée d’E2F1, ne pouvant pas lier pRb, forment des tumeurs dans les souris nude (Johnson et al, 1994).

Tableau 2. Modèles murins transgéniques des membres de la famille E2F.

(Chen et al, 2009)

De façon paradoxale, E2F1 ne possède pas seulement un pouvoir oncogénique important, mais il est également capable d’induire efficacement l’apoptose et d’agir comme un suppresseur de tumeurs (Holmberg et al, 1998; Pierce et al, 1999). Cette fonction biologique peut être considérée comme un mécanisme de sécurité qui contrecarre son potentiel tumorigène quand son expression et/ou son activité sont dérégulées.

Dans les expériences faites à partir de cultures cellulaires, la surexpression d’E2F1 dans les 3T3 conduit non seulement à l’entrée en phase S, mais déclenche également leur apoptose (DeGregori, 2002; Dimri et al, 2000; Trimarchi & Lees, 2002). Dans des fibroblastes murins transformés, la surexpression d’E2F1 réduit la formation de colonies, même dans un contexte où ras est muté (Johnson et al, 1994; Shan & Lee, 1994; Singh et al, 1994).

Cependant, la preuve la plus évidente du rôle d’E2F1 de suppresseur de tumeurs est la souris e2f1/ (Tableau 3). De façon surprenante, cette souris développe des tumeurs. Les

souris e2f1/ développent des sarcomes au niveau du tractus reproductif, des

1996). En plus de ce phénotype, elles présentent une atrophie testiculaire, des anomalies histologiques au niveau de tissus à fonction exocrine (comme la glande salivaire ou le pancréas) et montrent des défauts de l’apoptose au niveau de la sélection négative des thymocytes.

Par ailleurs, les souris double knockout pour e2f7/8, meurent in utero avec des niveaux importants d’expression d’E2F1 et une apoptose massive (Tableau 3) (Li et al, 2008). Ce phénotype s’explique par le fait qu’E2F7/8 sont des répresseurs directs de l’expression du facteur E2F1. De façon similaire, l’inactivation homozygote de RB1/ chez la souris conduit à

une létalité embryonnaire accompagnée de prolifération et d’apoptose massives et ectopiques dans de nombreux tissus (Clarke et al, 1992; Jacks et al, 1992; Lee et al, 1992). L’invalidation du gène e2f1 réussit à compenser partiellement les phénotypes de prolifération et d’apoptose aberrante de ces souris (Tsai et al, 1998). La compensation partielle du phénotype permet la viabilité de l’embryon jusqu’à des stades de développement plus tardifs.

Tableau 3. Défauts d’embryogenèses des souris knockout des membres de la famille E2F.

Au niveau tissulaire, l’expression soutenue d’E2F1 dans les testicules des souris conduit à une apoptose massive et à une atrophie testiculaire (Holmberg et al, 1998). Dans le foie, après une première phase de dysplasie, les cellules entrent également en apoptose (Tableau 2) (Conner et al, 2000).

Enfin, un exemple frappant du rôle complexe d’E2F1 dans la prolifération cellulaire est donné par l’étude des souris hétérozygotes RB+/ ; e2f1/. Les souris hétérozygotes RB+/

développent des tumeurs de la glande pituitaire et de la thyroïde. La génération des souris hétérozygotes RB+/ ; e2f1/ a permis de montrer que la délétion d’e2f1 dans ces souris réduit

l’incidence des deux types de tumeurs (pituitaires et thyroïdiens), en prolongeant la durée de vie « libre de tumeurs » de la souris RB+/ (Yamasaki et al, 1996).

Ces observations illustrent bien le rôle paradoxal d’E2F1 : sa perte peut autant induire le développement de tumeurs que réduire leur formation, en fonction du contexte moléculaire et du tissu concerné. Tant in vitro qu’in vivo, E2F1 peut avoir des fonctions opposées d’oncogène et de suppresseur de tumeurs selon le contexte cellulaire.