Bien que ces dispositions ne soient pas spécifiques, elles sont à signaler, en contemplation des mesures que nous avons précédemment observées avec les règles administratives. C’est qu’au cours du déroulement des activités, la détection et la sanction des irrégularités à un stade précoce sont les objectifs prioritaires de la prévention de la défaillance. L’organe de direction, en général, a statutairement ou légalement, cette mission, mais dans certaines législations, des organes autres que la direction sont institués par les textes pour s’engager dans cette mission. En outre, la perspective que soit mise en œuvre une responsabilité pour manquement à de telles missions, peut donc influer psychologiquement sur l’efficacité de la prévention. Certes, la mission de ces organes est plus large, mais le risque existentiel est celui de l’insolvabilité. Dans les législations sélectionnées, l’objectif est commun même s’il existe diverses approches dont celle de déterminer qui est susceptible d’agir en responsabilité.
Dans l’organigramme type de la gouvernance de la société, un regard critique doit être porté par des organes de surveillance (Section I) sur la gestion de la direction (Section II).
Section I : La mission d’alerte d’organes de surveillance
Il suffit de rappeler qu’en droit commun de sociétés, la direction non exécutive peut être assurée par des comités obligatoires ou facultatifs selon les institutions. On rappellera que les sociétés qui exploitent des établissements bancaires sont, rationnellement, soumises aux normes de gouvernance applicable à toutes les sociétés et notamment aux codes de bonne conduite.
Ainsi peuton prévoir qu’en cas de sinistre liquidation judiciaire de la société – s’il apparaitrait, par exemple, que le conseil ne comportait aucun comité, qu’il ne se réunissait qu’épisodiquement « autour d’un verre », la responsabilité des dirigeants
et des administrateurs pourrait être recherchée838.
Mais dans ce domaine encore des exigences encore plus contraignants, nous l’avons vu, pèsent sur les dirigeants des établissements bancaires.
Le droit commun des sociétés peut, nous allons le voir, être complété par des dispositions propres aux établissements bancaires. Il s’agit soit d’auditeurs extérieurs dont la responsabilité est envisageable, soit de salariés.
L’auditeur extérieur De manière générale, l’auditeur extérieur n'a pas
nécessairement le devoir de révéler les irrégularités tout au long du déroulement des activités de la société. Sous le régime commun, l’auditeur extérieur doit signaler les irrégularités lors de l’audit régulier (annuel ou semestriel) des comptes. Mais parmi les systèmes sélectionnés, la nomination dʹun commissaire aux comptes, avec une obligation de révélation des faits délictueux au ministère public, pour le contrôle du fonctionnement quotidien des sociétés qualifiées839 est une spécificité du droit
français, qui plus est, en tant qu’auditeur statutaire, ce commissaire a une mission de
contrôle au sein de la société.840 En outre, il est tenu de déclencher une alerte sʹil
constate « des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation »841 au
cours de sa mission. Cette appréciation est formée d'après l’ensemble des éléments qui sont susceptibles d’influencer la viabilité de l’entreprise, et l’état du bilan n’est donc pas le seul élément.842 La situation financière (niveau de fonds propres,
dégradation de l’état financier, caractère irrégulier du financement) et l’état de l’exploitation (perte de marché ou de clientèle, nonrespect des réglementations
838 V. Cozcain M., Viandier A., Deboissy F., Droit des sociétés, [texte imprimé], 28e éd. Paris : Lexis Nexis , 2015, n.
521.
839 La nomination du commissaire aux comptes est obligatoire pour les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions, pour les SARLs ou les SASs, les conditions de seuil sont exigées. V. L 225218, L2261, L 22335 et L22791 du Code de commerce. 840 V. Article L8239 et suivant du Code de commerce. 841 V. Article L2341, I du Code de commerce. 842 V. MONSÈRIÉBON M.H., Entreprises en difficulté (Détection des difficultés), Répertoire du droit commercial [en ligne], éd. Par VOGEL L. Et DELPECH X., France : Dalloz, mars 2012, [réf. du 1er février2015], Disponible sur : http://www.dalloz.fr.bcujasezp.univ paris1.fr/documentation/Document?id=ENCY%2fCOMR%2fRUB000086&FromId=ENCYCLOPEDIES_COMR#Tar getSgmlIdENCY/COMR/RUB000086, paragraphe 92.
importantes, etc.) doivent être signalés par le commissaire aux comptes à l’organe de direction.843
Au début, la procédure d’alerte revêt un haut niveau de confidentialité, puisque c’est une initiative de prévention interne de l’entreprise, mais après avoir parallèlement transmis l’information d’une alerte au président du tribunal de commerce. Le président de son côté, une faculté autonome d’alerte.844 S’agissant du
déroulement de la procédure, le commissaire aux comptes doit alerter si les conditions sont réunies, en premier lieu, le président de l’organe de direction sur les faits 845; si ce dernier ne répond pas ou si l’état de nonréponse ne permet pas
d’assurer la continuité de l’exploitation, le commissaire aux comptes demandera au président de provoquer une délibération au sein de l’organe de direction ou de l’organe de surveillance, et en même temps, d'informer le président du tribunal de commerce, ce qui permet à ce dernier de convoquer devant lui les membres de l’organe de direction.846 Après la réunion de l’organe de direction ou de surveillance,
le résultat de la délibération doit être communiqué au comité d’entreprise (v. infra), au commissaire aux comptes, et au président du tribunal de commerce.847 Si la
réunion n’a pas eu lieu ou n’a pas été convoquée, ou si la viabilité de l’entreprise est toujours menacée, le commissaire aux comptes peut inviter les membres de l’organe de direction à convoquer l’assemblée générale des actionnaires. Le rapport préparé par le commissaire aux comptes est alors diffusé à l’assemblée et explique les faits révélés et les raisons qui font que la continuité de l’exploitation est susceptible d’être
compromise. 848 De même, ledit rapport doit être communiqué au comité
d’entreprise.849 Si les membres de l’organe de direction ne procèdent pas à la
convocation dans le délai exigé par l’article R2343, alinéa 2 et 3 du Code de
843 V. Ibid. 844 V. Ibid. paragraphe 97. 845 V. Article L2341, alinéa 1, Code de commerce. 846 V. Article L2341, alinéa 2, Code de commerce. 847 Ibid. 848 V. Article L2341, alinéa 3, Code de commerce. 849 Ibid.
commerce, le commissaire aux comptes doit convoquer luimême l’assemblée. Et si, selon l’avis du commissaire aux comptes, les décisions prises par l’assemblée ne sont pas suffisantes pour assurer la continuité de l’exploitation, le commissaire aux comptes doit communiquer toutes les informations sur les décisions et son avis sur leur insuffisance au président du tribunal de commerce, ce dernier pouvant intervenir de sa part.850 En droit commun, le commissaire aux comptes engagerait sa
responsabilité à défaut de déclenchement d’une alerte et sauf faute lourde, il bénéfice d’une immunité en cas de déclenchement erroné (v. infra).
En dehors de ce régime commun, selon l’article L61244, II du Code monétaire et financier, le commissaire aux comptes est tenu de signaler à l’autorité régulatrice(l’ACPR), dans les meilleurs délais, tout fait ou toute décision concernant l’établissement bancaire soumis au contrôle et dont il a eu connaissance dans l’exercice de sa mission : toute violation des dispositions législatives ou réglementaires qui lui sont applicables et tout risque dʹeffets significatifs sur sa situation financière, sa solvabilité, son résultat ou son patrimoine, tout fait portant atteinte à la continuité d’exploitation, etc. En dehors de la révélation volontaire des informations, l’autorité régulatrice peut demander au commissaire aux comptes tout renseignement sur l’activité et sur la situation financière de l’établissement visé, ainsi que sur ses diligences dans l’exercice de sa mission.851 De même, l’autorité régulatrice
peut communiquer aux commissaires aux comptes les informations nécessaires à l’exercice de leur mission852.
Au RoyaumeUni, à l’instar des exigences françaises, selon la section 342 et la section 339A et 339B du FSMA 2000, l’auditeur extérieur est tenu de communiquer les informations et son opinion sur les faits sur la demande de l’autorité régulatrice, de même, il appartient à l’autorité régulatrice de communiquer les informations non secrètes, et d’échanger au moins annuellement un avis avec l’auditeur extérieur.
850 V. Article L2341, alinéa 4, Code de commerce. 851 V. Article L61244, I, C.M.F.
Aux EtatsUnis, de même, selon la politique réglementaire du 24 juillet 1992853 émise par les autorités régulatrices fédérales, l’auditeur extérieur de l’établissement bancaire peut exiger que soit organisée une réunion avec l’autorité régulatrice au cours de, ou après l’examen administratif, afin de demander les renseignements qui concernent son audit dudit établissement.854 L’organe de direction peut se présenter à
la réunion entre l’auditeur extérieur et l’autorité régulatrice.855 Cependant, lesdites
parties peuvent aussi organiser une réunion confidentielle ; dans ce cas, l’auditeur extérieur et l’autorité régulatrice peuvent discuter de faits non communiqués à l’organe de direction de l’établissement bancaire. 856
De façon analogue, outre la communication réciproque, la révélation de la part de l’auditeur est encadrée dans les législations allemande et chinoise. La section 29(3) du KWG allemand exige que l’auditeur extérieur signale à l’autorité régulatrice (Bafin et Bundesbank), selon son audit annuel ou semestriel sur l’état financier de l’établissement visé, s’il existe (ou non) des faits qui sont susceptibles de menacer la viabilité dudit établissement ou de mettre en danger son développement et qui constitueraient une violation des conditions d’agrément ou une menace sur le déroulement des activités, et toute violation du droit, du statut constitutionnel et des autres documents sociétaires par son organe de direction857. Par ailleurs, selon
l’exigence de l’autorité régulatrice, l’auditeur extérieur doit communiquer un commentaire du rapport d’audit, et informer des autres faits qu'il juge être des irrégularités 858 . La communication d'informations à l’autorité régulatrice par
l’auditeur extérieur est encouragée par l’article 17 de la Ligne Directrice de CBRC du 11 août 2010 sur la supervision de l’auditeur extérieur des établissements bancaires et
853 FDIC, Interagency policy statement on coordination and communication between external auditors and examiners [en ligne] juillet 1992, [réf. du 1er février 2015]. Disponible sur : https://www.fdic.gov/regulations/laws/rules/5000 3200.html 854 Ibid. 855 Ibid. 856 Ibid.
857 Les points soumis à l’examen, V. Section 29(1). (1a) et (2), KWG.
858Non seulement l’établissement visé est pris en compte, mais les entreprises qui lui sont liées peuvent elles aussi être soumises à cette exigence. V. la Section 29(3), KWG.
financiers, et les établissements visés ne peuvent pas l’empêcher, surtout si elles concernent des violations significative du droit, des règlements, des codes de conduite, etc., ou des faits qui menacent la continuité d’exploitation, ou encore le refus de la certification des comptes, ou encore des fautes graves de l’organe de direction, ou ses conflits internes, ou la démission sans avis de gestionnaires principaux de l’établissement visé. Bien que n’appartenant pas aux dirigeants de la société, un organe interne à l’entreprise est susceptible d’intervenir : l’organe salarial.
L’organe salarial – En droit français, hormis l’auditeur extérieur, le comité
d’entreprise est un autre organe susceptible d’initier une procédure d’alerte859.
Fortement orienté dans le sens de la protection des intérêts des salariés, le comité d’entreprise se charge de « l’expression des intérêts des salariés, de la gestion et de l’évolution économique et financière de l’entreprise »860. Aussi des questions délicates
en France se posent à propos de la confidentialité et de l’information, pénalement protégée, de ce comité lorsque sont envisagées de restructuration de l’entreprise. Mais il existe aussi une alerte spécifique. A l’inverse de l'obligation faite au commissaire aux comptes, le déclenchement de la procédure d’alerte par le comité d’entreprise est facultatif.861 S’agissant du motif de l’alerte, l’article L232378, alinéa
premier du code du travail prévoit que le comité d’entreprise est susceptible de révéler des « faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise ». Bien que le comité d’entreprise doive être informé et consulté sur tous les aspects de l’organisation et de la gestion de l’entreprise,862 au
cours de la prévention de la défaillance, l’intérêt majeur de l’intervention du comité d’entreprise, dans certaines circonstances863, peut ne pas entièrement coïncider avec le
redressement de l’entreprise. Par rapport au comité d’entreprise, le jugement du commissaire aux comptes est plus impartial. 859 V. Article L232378 et suivant, Code du travail. 860 V. Article L 23231, Code du travail. 861 V. Article L232378, Code du travail. 862 V. Article L23231 et suivant, Code du travail.
863 Par exemple, le comité d’entreprise peut avoir un intérêt à sauvegarder l’emploi, cela peut être opposé au plan du redressement économique de l’entreprise.
En ce qui concerne la procédure d’alerte, le comité d’entreprise, en premier lieu, peut demander un dialogue avec son employeur afin d’obtenir une explication sur les faits révélés864. Si la réponse de l’employeur ne satisfait pas le comité
d’entreprise, ou si l’explication confirme l’état préoccupant de l’entreprise, le comité d’entreprise doit établir un rapport, et un expert, y compris le commissaire aux comptes, peut être invité pour assister à la préparation du rapport, et délivrer son avis sur la solution.865 Si le comité d’entreprise considère que les membres de l’organe
de direction en charge ne disposent pas d’une capacité suffisante pour redresser la situation, une délibération peut être demandée au sein de l’organe de direction ou de surveillance.866 A l’inverse de la compétence du commissaire aux comptes, le comité
d’entreprise ne peut pas convoquer l’assemblée générale des actionnaires pour la délibération, mais le rapport préparé par le comité d’entreprise et adressé au commissaire aux comptes peut aider celuici à initier une procédure d’alerte. (v. supra.) Or, comme cela a déjà été évoqué, le commissaire aux comptes dispose éventuellement du droit de convoquer l’assemblée générale.
La mise en œuvre des responsabilités Par rapport à la mission des auditeurs
extérieurs ou de l’organe salarial dans la prévention de la défaillance, la sanction du manquement visàvis des obligations et des exigences est nettement différente. Le commissaire aux comptes à l’obligation de déclencher une alerte si les conditions légales sont réunies. Aussi, le commissaire aux comptes en droit français engagera sa responsabilité sous l'angle de la prévention de la défaillance s’il s’abstient d’intervenir. D’une part, le commissaire aux comptes a des obligations sous le régime de droit commun. L’article 82217 du Code de commerce prévoient la mise en place d'une responsabilité s'il y a, dans l’exercice de la mission, des fautes ou des négligences. Par ailleurs, si le commissaire aux comptes a commis une infraction ou un manquement aux dispositions législatives ou réglementaires y compris au droit 864 V. Article L232378, alinéa premier, Code du travail. 865 V. Article L232378, alinéa trios, Article L232379, Code du travail. 866 V. Article L232380, Code du travail.
bancaire, il peut être soumis à des sanctions disciplinaires et être relevé de ses fonctions.867 On a vu qu’il devait aussi, ce qui est une spécificité française, révéler au
parquet les faits délictueux dont il aurait connaissance. Et pour encourager les commissaires aux comptes à alerter, il est prévu que ce commissaire bénéfice d’une immunité dans le déclenchement prématuré d’une alerte, sauf faute lourde.
Inversement, dans d’autres législations, l’auditeur extérieur a une simple mission de révélation des informations à l’autorité régulatrice, soit de manière volontaire, soit sur demande de cette dernière. Fournir des informations complètes n’est donc pas traité comme un devoir statutaire de l’auditeur extérieur, et pour cette raison, si l’auditeur extérieur agit de bonne foi, mais qu’il y a insuffisance sur l’exactitude et la précision des informations, ce dernier n’engage pas nécessairement sa responsabilité (v. par exemple, la section 29 (3) du KWG ; le section 342 (3) du FSMA 2000). Dans ce cas, la mise en place d’une responsabilité à l’égard de l’auditeur extérieur est difficile. Bien que, dans la majorité des législations sélectionnées, l’auditeur extérieur nʹait pas la mission spéciale de contrôler le fonctionnement quotidien de l’entreprise, il se doit de certifier régulièrement les comptes. Et à travers l’examen des comptes, l’auditeur extérieur peut découvrir des irrégularités, mais cela se limite aux irrégularités au sens de la comptabilité868. Dans le rapport d’audit
certifié, l’auditeur extérieur n’a pas besoin de donner son avis sur le niveau prudentiel de l’établissement bancaire visé, si la base du rapport la continuité d’exploitation n’est pas menacée. Puisque ce sont l’organe de direction et les gestionnaires qui sont responsables du niveau prudentiel de l’établissement visé, l’auditeur extérieur ne peut pas le contrôler à un stade précoce. Il n’a pas à intervenir sur l’opportunité des décisions de gestion. Bien que celuici puisse être mis en cause au cas où l’établissement évoluait ouvertement vers une faillite, sa responsabilité
867 V. Article L8226 et suivant, et Article L61245, C.M.F.
868 Dans l’affaire de Lehman Brothers, l’auditeur de Lehman Brothers Ernst &Young a été accusé par le Procureur de l’État de New York d'avoir aidé Lehman Brothers à maquiller les problèmes financiers (la fameuse repo 105) ; Ernst & Young a réfuté cette accusation, en réclamant que « Lehmanʹs audited financial statements clearly portrayed Lehman as a highly leveraged entity operating in a risky and volatile industry ». Cette affaire a été close en 2015, et Ernst & Young a payé la somme de 10 millions dollars.
peut uniquement être mise en œuvre s'il continue de certifier le rapport avec un avis favorable après constat de l’insolvabilité de l’établissement visé, puisque cela peut tromper les tiers intéressés869. Avant l’état d’insolvabilité, bien que l’état financier de
l’établissement visé soit défaillant, l’auditeur extérieur peut uniquement offrir ses conseils et signaler la situation à l’autorité régulatrice, mais l’opportunité du choix des activités est toujours de la compétence de l’organe de direction et des gestionnaires. Pour cette raison, on ne peut pas exiger de l’auditeur extérieur qu'il engage sa responsabilité dans une mesure qui excède sa mission, et qui risquerait d’ailleurs de faire de lui un dirigeant exécutif du fait (v. infra).
S’agissant de l’organe salarial, seul le comité d’entreprise en droit français dispose d’une réelle mission, et la nature facultative et limitée de cette mission de révélation atténue sa portée sous lʹangle de la prévention de la défaillance. Sa responsabilité supposerait alors des abus ou une intention de nuire dans l’exercice intempestif de cette faculté.