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2 Synthèse de la littérature

2.3 Moyens peptidiques de livraison inspirés de mécanismes naturels

2.3.2 Domaines de fuite des endosomes

Des peptides ont été étudiés ces dernières années, spécialement à partir de séquences protéiques virales, pour effectuer la fuite des endosomes d’un cargo endocyté. Ces peptides, dénommés domaines de fuite des endosomes (Endosomal Leakage Domain, ELD), peuvent interagir avec la membrane endosomale afin de provoquer une dégradation, déstabilisation ou une formation de pores, donnant la possibilité pour des molécules présentes dans la lumière endosomale de transiter vers le cytoplasme58,177. Ils ont diverses

origines, mais pour la plupart dérivent de séquences peptidiques virales, même si l’on retrouve des séquences ELDs provenant de toxines ou de peptides synthétiques178–180.

Les ELDs ne peuvent dégrader ces membranes qu’à un certain pH et concentration, empêchant ceux-ci de dégrader la membrane plasmique depuis le milieu extracellulaire, ou d’autres organites cellulaires depuis le cytoplasme, ce qui résulterait en une forte toxicité. Ces ELDs sont classés en deux catégories, selon les mécanismes d’action mis en jeu. Des peptides deviennent actifs dans les endosomes en raison du changement de pH (pH-dependant Membrane Active Peptides, PMAP), et d’autres deviennent actifs par leur augmentation de concentration, due à leur accumulation dans la voie endocytaire (Membrane Active Peptides, MAP). Le tableau suivant, issu de trois publications, recense des peptides responsables de la fuite des endosomes de différents types de cargos, associés à différents types de système de livraison178,179,181. Des

CPPs sont retrouvés dans cette liste puisque ceux-ci peuvent également avoir une activité de fuite des endosomes.

Tableau 2 - Peptides de fuite des endosomes couramment rapportés dans la littérature

Peptide Séquence Mécanisme de fuite des endosomes Références TAT GRKKRRQRRRPPQ Indéterminé, fuite des endosomes inefficace 181

Pénétratine RQIKIWFQNRRMKWKK Indéterminé, fuite des endosomes inefficace 181

EB1 LIRLWSHLIHIWFQNRRLKWKKK Déstabilisation membranaire 179,182–185

MPG GALFLGFLGAAGSTMGAWSQPKKKRKV Indéterminé 179,186

HGP LLGRRGWEVLKYWWNLLQYWSQELC Déstabilisation membranaire, formation de pores 179,187

Pep-2 KETWFETWFTEWSQPKKKRKV Indéterminé 179,188,189

HA2 GLFGAIAGFIEGGWTGMIDGWYG Fusion et déstabilisation membranaire 178,181,190–192

H5WYG GLFHAIAHFIHGGWHGLIHGWYG Déstabilisation membranaire 181,193,194

INF-7 GLFEAIEGFIENGWEGMIDGWYG Fusion et déstabilisation membranaire 178,195,196

E5 GLFGAIAGFIEGGWTGMIDG Fusion et déstabilisation membranaire 179,197

JST-1 GLFEALLELLESLWELLLEA Déstabilisation membranaire 181,198

ppTG1 GLFKALLKLLKSLWKLLLKA Déstabilisation membranaire 181,199

GALA WEAALAEALAEALAEHLAEALAEALEALAA Déstabilisation membranaire, formation de pores

et flip-flop des lipides membranaires 181,200–203

KALA WEAKLAKALAKALAKHLAKALAKALKACEA Déstabilisation membranaire 101,181,188,204,205

CADY GLWRALWRLLRSLWRLLWRA Indéterminé 179

Peptide 46 LARLLARLLARLLRALLRALLRAL Déstabilisation membranaire 179

HEL KLLKLLLKLWKKLLKLLK Déstabilisation membranaire 179

LLKK CLLKKLLKKLLKKC Déstabilisation membranaire 206,207

LAH4 KKALLALALHHLAHLALHLALALKKA Déstabilisation membranaire 179,208–215

Mélittine GIGAVLKVLTTGLPALISWIKRKRQQ Formation de pores 178,216,217

CM18 KWKLFKKIGAVLKVLTT Déstabilisation membranaire, formation de pores 218–221

VSVG KFTIVFPHNQKGNWKNVPSNYHYCP Fusion membranaire 222–226

LL-37 LLGDFFRKSKEKIGKEFKRIVQRIKDFLRNL

VPRTES Indéterminé, fuite des endosomes inefficace 227,228

2.3.2.1 ELDs dépendants du pH

La maturation endosomale tout au long de la voie endocytaire amène le pH à diminuer depuis le pH extracellulaire, vers les endosomes précoces (pH 6,5), puis les endosomes tardifs (pH 5,5), jusqu’aux lysosomes (pH 4,5). Cette évolution du pH est due à l’action de pompes à protons ATPase situées dans la membrane endosomale. La dépendance au pH offre à ces peptides une spécificité d’action dans les endosomes, empêchant leur action de perméabilisation sur les membranes non-souhaitées, comme la membrane plasmique depuis l’extérieur de la cellule, ou des organites depuis le cytoplasme. Leur capacité de dégradation des membranes dans les endosomes est due à quelques acides aminés dont certaines propriétés évoluent avec le pH. Deux mécanismes ont été présentés dans la littérature, pour les acides aminés aspartate et glutamate d’une part, et pour l’histidine d’autre part.

2.3.2.1.1 Protonation des acides aminés aspartate et glutamate

Le rôle de l’aspartate et du glutamate est décrit dans l’exemple du peptide de fuite des endosomes HA2, peptide de l’extrémité N-terminale de l’hémagglutinine du virus influenza. Le rôle du glutamate a été démontré dans plusieurs articles pour conférer une action dépendante du pH à HA2 via l’ajout de plusieurs glutamates (changement du pH limite)58,229–233. La baisse du pH provoque la protonation de ces acides aminés, favorisant

alors l’hydrophobicité de la chaîne carbonée du radical. Cette augmentation de l’hydrophobicité aide à l’insertion dans la membrane endosomale, pour provoquer la fusion d’une membrane associée (dans le cas d’un virus enveloppé ou d’un liposome). Le contenu du virus ou du liposome peut alors se déverser dans le

cytoplasme. Cette insertion est aussi présentée comme inductrice de la déstabilisation de la membrane endosomale.

Les peptides INF-7 et GALA emploient cette approche195,234,235. GALA présente une structure simple car il a

été créé suivant une liste de critères déduite des peptides viraux202. Il est composé d’une alternance d’acides

aminés hydrophobes (alanine et leucine) et d’acides aminés acides (glutamate). L’ancrage dans la membrane est facilité par le changement d’hydrophobicité du peptide dans l’endosome, et l’amphiphilicité de l’hélice formé aboutira à la formation de pores. Cette propriété de protonation a récemment été utilisée pour la conception de peptides endosomolytiques possédant plusieurs glutamates236.

2.3.2.1.2 Protonation de l’histidine

Dépendant du pH comme l’aspartate et le glutamate, l’histidine elle devient chargée positivement dans les endosomes. Cette charge provoque la baisse de l’hydrophobicité du peptide dans lequel il est inclus. Un dérivé de HA2, H5WYG, comporte 5 histidines qui se présentent sur la même face de l’hélice alpha. Ainsi, les acides aminés plutôt hydrophobes tels que l’alanine, la leucine et le tryptophane permettent un ancrage dans la membrane endosomale237,238, et les charges des histidines et la baisse de l’hydrophobicité provoquent sa

déstabilisation, résultant en la fuite du contenu endosomal vers le cytoplasme. Le peptide LAH4 a également été développé pour utiliser la dépendance du pH de l’histidine, afin de provoquer la déstabilisation membranaire239. Les acides aminés hydrophobes tels que la leucine ont d’ailleurs été employés pour améliorer

la fuite des endosomes de systèmes de pénétration protéiques240. L’histidine est aussi employée pour réaliser

l’effet d’éponge à protons (proton-sponge) dans la lumière endosomale241. En effet, avec un résidu de pKa 6,0,

l’histidine va absorber les protons des endosomes à pH plus faible que ce pKa, entraînant un choc osmotique et une déstabilisation membranaire242. TAT a notamment été associé avec 10 histidines par fusion afin de

favoriser la pénétration cellulaire jusqu’au cytoplasme242.

2.3.2.2 ELDs indépendants du pH

Certains ELDs peuvent provoquer la dégradation des membranes de cellules de mammifères (et même de bactéries ou de levures) indépendamment du pH. Ces peptides sont pour la plupart toxiques, comme la mélittine. L’effet peut néanmoins être variable selon la concentration du peptide près des membranes. Ces peptides peuvent être issus de peptides antimicrobiens, qui sont des protéines produites par des cellules eucaryotes pour lutter contre une infection bactérienne243. Certains peptides antimicrobiens ont la capacité de

dégrader les endosomes de cellules de mammifères, malgré les différences de composition membranaire. Le cholestérol est par exemple absent des membranes bactériennes, contrairement aux membranes de cellules

de mammifères. C’est pourquoi le peptide chimérique CM18218, fusion des acides aminés 1-7 de la cécropine-

A et 2-12 de la mélittine, ne dégrade pas les membranes de cellules de mammifères à basse concentration. C’est par effet d’accumulation dans les endosomes qu’il peut dégrader la membrane environnante.

2.3.2.3 Différents emplois des ELDs

Les ELDs ont démontré un potentiel intéressant pour la fuite des endosomes via un système protéique. Les ELDs, qui ont une affinité pour la membrane endosomale, vont rester ancrés dans la membrane malgré la déstabilisation. Les cargos associés à un ELD peuvent donc rester liés à la membrane. Lee et al. ont ainsi montré que HA2 empêche la livraison du cargo, malgré la lyse des membranes endosomales197. Les travaux

de Niikura et al. en 2015 confirment ces conclusions, avec la protéine GFP détectée sur les membranes cellulaires ou dans des vésicules244. Ainsi, il est important de dissocier le cargo à livrer du domaine ELD

utilisé, tout du moins lors de cette étape. Il est envisageable de lier le ELD au cargo par un pont disulfure, permettant une association jusqu’à la fuite des endosomes, les cystéines ne se séparant que sous les conditions réductrices du cytoplasme.

Ces peptides de fuite des endosomes ont souvent été employés associés à des systèmes de livraison synthétiques. En effet, la présentation de ces peptides à des systèmes lipidiques ou polymériques a permis d’augmenter les rendements de transfection (cargos de nature ADN ou ARN). L’association d’histidine à de la polylysine a permis de conférer une meilleure fuite des endosomes par effet de pompe à protons dépendant du pH181, et la conjugaison de mélittine à du PEI a amélioré les transfections245.