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La diversité des emplois du temps au sein des communes : condition ultime de la mise en œuvre

SOCIALISATION PAR LE TERRITOIRE

Chapitre 7. Le territoire comme catégorie d’action publique éducative : formes et implications pour les

2.2 La diversité des emplois du temps au sein des communes : condition ultime de la mise en œuvre

Pour les différents acteurs locaux, l’instauration des nouveaux emplois du temps scolaire et périscolaire liée à la réforme ne va pas de soi. Dans la circonscription de Caudrian, les emplois du temps sont différents d’une commune à l’autre et souvent même au sein d’une même commune, comme à Bourdat et à Toupienne, par exemple. Qui plus est, ces emplois du temps, dans le but de satisfaire le plus de personnes possibles, changent d’une année sur l’autre. Cette hétérogénéité des horaires apparaît problématique aux directeurs d’écoles :

Jimmy : « L’école finit à 15h30 tous les jours. Ils (les élus) voulaient homogénéiser mais on n’était pas spécialement favorable. On a déjà dû changer déjà l’année dernière, une demi-heure de plus le matin, ça nous permettait… euh… le fait d’avoir une demi-heure 45 l’après-midi ça nous convenait, c’est plus agréable pour nous que ce soit pour les élémentaires que pour les maternelles. Ben c’est bénéfique pour les apprentissages, les enfants sont plus disponibles le matin… la mairie nous a demandé de changer cette année car ils voulaient regrouper les NAP sur un après-midi, et euh…nous on trouvait que c’était pas l’objectif de la réforme et ils cherchaient pas le meilleur pour les enfants, donc on a refusé. C’était plus l’aspect économique qui les intéressait. Mais y’a une école qui a accepté donc on n’a pas tous les mêmes horaires, celle de Goya. La troisième école a dit non, celle d’Anatole France qui a choisi de faire comme nous, je trouve que le fonctionnement est assez agréable, on a plus de temps le matin, ici il y a beaucoup de multi-niveaux, il n’y a qu’une classe de CP, et ça nous permet de décloisonner beaucoup, ça nous permet d’être plus efficaces, quoi ! Moi je me retrouve qu’avec les GS, 3 heures 30 le matin avec une pause de 20 minutes. On manquait toujours un peu d’temps le matin et maintenant, c’est mieux ! ».

Ce discours est significatif des possibles difficultés de l’ensemble des acteurs éducatifs à obtenir un consensus minimal. Parmi les enseignants, certains sont surtout attentifs à l’objectif principal de la réforme de réduction des journées de travail des élèves (Forgeard, 2013, p. 6). Mais cette intention n’est que peu respectée, compte tenu notamment de la difficulté, pour les communes, à recruter des personnes compétentes et

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disposées à travailler aux horaires demandés. Qui plus est, d’autres enseignants préfèrent qu’une de leurs journées de travail dans la semaine soit plus courte que les autres et qu’une demi-journée soit consacrée aux NAP. Selon eux, l’organisation des temps périscolaires est plus efficace sur un temps long ponctuel hebdomadaire que sur des temps courts disséminés dans la semaine.

Catherine (enseignante de maternelle à Caudrian) : « Les NAP ont lieu le vendredi après-midi et ça se passe bien, déjà le fait d’avoir cette plage horaire, c’est bien. Et on a une équipe investie, du personnel formé et compétents et i foncent, ce qu’ils font pour encadrer les enfants, c’est organisé, c’est bien ! Je suis pas d’accord avec les NAP. Dans le sens où on diminue la journée scolaire, c’est le vendredi après-midi ici, ça va. Là où j’étais, les NAP étaient après l’école, c’était infernal, les enfants en pouvaient plus ! Même si la journée d’école a été raccourcie, il faut quand même repartir sur quelque chose et c’est très fatigant pour les enfants. La semaine au final est plus longue ! » 152.

Ces points de vue disparates expliquent pour partie la diversité des emplois du temps scolaires sur le territoire et, d’une année sur l’autre, leur instabilité, laquelle est liée aux mécontentements des enseignants et des parents conduisant à des tentatives d’ajustement des personnels des communes. Serge, l’Inspecteur, souligne : « les parents ont du mal à se retrouver ». L’hétérogénéité et l’instabilité des emplois du temps, déroutante pour les parents, favorise une réflexion sur un retour vers l’unité et la stabilité. En 2016, deux ans après la mise en œuvre de la réforme, Serge déclare :

« On a décidé qu’au Centre Médoc ils finissent à la même heure, c’est en pleine négociation, il faut que la copie soit rendue pour le 31 mars, une ligne qui permette d’organiser de manière plus lisible pour les parents pour les enfants. Ici c’est morcelé, c’est très difficile de trouver des animateurs ! ».

Mais ce retour vers l’existant n’aura pas lieu. Cet impossible retour est notamment lié à la possibilité, pour les communes, de regrouper les activités périscolaires sur un après-midi. Lorsque la réforme est instaurée en 2013, les communes sont dans l’obligation de « passer », pour la rentrée 2014, à cinq journées d’école assorties d’activités périscolaires de 45 minutes quatre jours par semaine. Or Benoît Hamon, nommé Ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en avril 2014 par Manuel Valls, modifie les possibilités d’organisation de la réforme. Le gouvernement laisse alors la possibilité de « regrouper les activités périscolaires sur une seule après-midi 152 Catherine, est originaire de région parisienne, née en 1961, mariée à un professeur de danse à la retraite, fille d’artisan et d’une mère au foyer, mère de trois enfants. L’entretien est réalisé à l’école Paul Verlaine à Caudrian en novembre 2015.

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dans le cadre d'un projet pédagogique de qualité »153. Ainsi les écoles peuvent concentrer ces dernières sur une seule après-midi de trois heures. Cette inflexion contredit l’objectif initial de réduction des journées de classes des écoliers, puisqu’avec une après-midi consacrée aux NAP, trois journées de la semaine restent aussi longues qu’avant la réforme. Benoît Hamon autorise également les communes à réduire leur temps de vacances mais cette dernière mesure n’est pas mise en application. Alors que la réforme est appliquée dans près de 4000 communes à la rentrée 2013, une partie d’entre elles vont se saisir de cette possibilité et modifier leur emploi du temps à la rentrée 2014. Cette organisation convient souvent aux enseignants – ces derniers récupèrent une demi-journée de libre (après-midi) qu’ils avaient perdue (le mercredi matin) – ainsi qu’aux collectivités locales, notamment les Communautés de communes au sein desquelles les mêmes animateurs peuvent travailler pour des municipalités ayant instauré des emplois du temps différents. Gilles a ces mots :

« L’année dernière (en 2013) les horaires avaient été installés. Et puis Hamon a dit qu’on pouvait changer, ça a tout foutu en l’air. Pour l’organisation des NAP, tout a changé. La mairie a décidé que les NAP se feront le vendredi après-midi. J’étais très partisan de cette réforme, ça me semblait très intéressant mais pas comme ça. En fait si on voulait aller au bout du raisonnement, il fallait l’imposer, si les enfants travaillent 5 jours par semaine, on a modifié la semaine de 4 jours pour arranger tout le monde… ».

En modifiant la possibilité de l’organisation des temps scolaire et périscolaire, le gouvernement visait à apporter

«

une souplesse en réponse aux craintes et réserves exprimées par des maires » (Gaulène, Chevalier, 2016, p. 112), notamment pour les communes rurales en difficulté pour recruter des encadrants de NAP. Cet assouplissement permet que la réforme, bien qu’altérée dès lors de ses justifications initiales, soit appliquée sur l’ensemble du territoire national. Pour Gaulène et Chevalier, « un regroupement des activités sur une demi-journée répond plus à une organisation comptable qu’au respect du développement de l’enfant » (2016, p. 113). Qui plus est, cette diversité des emplois du temps légitimée par le gouvernement recoupe une diversité, d’une commune à l’autre, d’une école à l’autre, de l’offre périscolaire, en termes de contenus et de qualifications des encadrants.

153 Décret n° 2014-457 du 7 mai 2014 portant sur l’évolution d’expérimentations relatives à l’organisation des rythmes scolaires dans les écoles maternelles et élémentaires.

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2.3 Des offres périscolaires inégales

L’offre périscolaire est dépendante des moyens disponibles et mobilisés par les municipalités. Diverse dans son organisation, cette offre l’est aussi dans ses propositions. Celles-ci peuvent être culturelles, sportives ou artistiques154, mises en œuvre par des enseignants, des personnels municipaux tels que les ATSEM ou des animateurs. Par conséquent, selon la fonction des encadrants, et les formes de leurs encadrements, périscolaires – celles-ci sont-elles inscrites dans un projet collectif, dans une programmation ou organisées ponctuellement et individuellement –, en fonction également du temps prévu et/ou de la fréquence de chaque activité, les temps périscolaires sont de nature très variable. Lors des différentes observations et rencontres avec les enseignants, les activités périscolaires sont souvent comparées à de la « garderie ».

Julie : « Les NAP c’est plus une garderie, deux fois une heure et demie. Mais ici c’est une équipe non formée, pas de moyens. La condition humaine fait la différence. Si les instits ont envie de faire quelque chose mais il faut en avoir envie. En tant que directrice, je suis passée voir, c’est une grande garderie, il y a beaucoup d’enfants parce que c’est gratuit. Il y a des possibilités, on est vite arrêté par la question des moyens. Il n’y a pas besoin de beaucoup de moyens, on peut faire du dessin, du théâtre, du sport. Il faut qu’il y ait une volonté pour que ça marche. Moins de temps à l’école mais pas d’activité de qualité. A Picasso, ça a l’air de marcher donc j’imagine que c’est l’affaire des équipes. Si je m’écoutais, je gèrerais les NAP, je gèrerais tout et j’aurais plus de vie de famille, donc ça irait pas ».

Il apparaît, en effet, que « les difficultés de financement peuvent conduire des communes (…), à mettre en place une garderie avec des activités de loisirs : « jeux de société, poupées, garage, activités libres et de repos, etc. », s’éloignant en partie du sens de la réforme (Gaulène, Chevalier, 2016, p. 113.). En général, les enseignants rencontrés estiment ainsi que les activités ne sont pas à la hauteur de ce pour quoi elles étaient destinées. Pour Julie, la qualité des activités ne dépend pas uniquement des moyens alloués à leur organisation mais davantage à l’implication des équipes. Dans le même ordre d’idées, Jimmy observe qu’ « il faut trouver des animateurs qui ont envie d’avancer ». Il ajoute :

154 Ministère de l’Éducation nationale, dossier de présentation, La réforme des rythmes à l’école primaire, janvier 2013.

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« L’an dernier, i sont partis sans programmation, on leur a conseillé de nous interpeller pour qu’on les aide. Ils ont établi une programmation à not’ demande mais c’est pas très motivant pour les enfants ».

Pour les enseignants et les animateurs, les difficultés à mettre en place ces activités périscolaires et à travailler ensemble sont liées aux tensions entre enseignants et encadrants des NAP, animateurs, qui « s’opposent généralement au « scolaire » que les enseignants incarnent et revendiquent volontiers une filiation avec l’éducation populaire (Netter, 2016, p. 65). En outre, selon Netter,

« Pour tenir l’objectif d’écoute des enfants, et adapter l’activité proposée à leur demande et à l’évolution de la situation, les animateurs accordent une large place à l’improvisation des contenus à l’inverse de ce qui se passe dans une classe centrée sur les savoirs auxquels les élèves doivent s’adapter » (2016, p. 66).

La divergence des points de vue sur l’éducation entre les enseignants et les animateurs ainsi que la différence des conditions de travail et de statuts entre ces professionnels – « les enseignants appartiennent à la catégorie A de la fonction publique d’État, quand les animateurs relèvent de la filière animation, généralement associée à la catégorie C » (Lebon, Divert, 2017, p. 32) – apparaissent, dans ce contexte de redistribution du temps et de l’espace éducatifs, comme étant un obstacle au partenariat. « Le difficile partage de professionnels du travail éducatif » (Lebon, Divert, 2017, p. 32) impliqués dans cette réforme est, dans ce territoire rural, manifeste. Et il est particulièrement marqué dans les plus « petites » municipalités en raison d’une part du plus faible nombre d’acteurs mobilisables pour mettre en œuvre les activités périscolaires que les localités plus grandes et, d’autre part, des contraintes d’emploi du temps spécifiques aux localités ne comprenant qu’une seule école : ici, les animateurs sont tenus de partager leur temps de travail entre différentes communes parfois éloignées les unes des autres de plusieurs dizaines de kilomètres.

Conjugués aux déficits de moyens et de compétences mobilisables, ces difficultés d’implication conduisent nombre d’enseignants à souhaiter un retour en arrière complet :

Sabine : « Les NAP (…) il aurait fallu mettre des gens qui avaient des compétences particulières pour les faire, c’est une aberration, il aurait fallu garder la semaine de quatre jours et réduire les programmes ».

197 « le principe de la coéducation qui réunit les parents, les enseignants et les animateurs, posant les bases historiques d’un véritable partenariat entre l’ensemble des référents qui entourent l’enfant, est mis en difficulté sur les petites communes » (2016, p. 14).

Par ailleurs, « la multiplicité de statut des travailleurs éducatifs engagés dans les écoles accroît le défaut de coordination des actions menées » (Lebon, Simonet, 2017, p. 584). En somme, il est possible de penser que le sentiment des enseignants sur « l’inefficacité » des NAP est significatif de leur souhait que l’éducation scolaire des enfants leur demeure exclusivement réservée, confirmant alors leurs compétences spécifiques (Netter, 2016). Il y a un consensus général chez les enseignants, quels que soient leurs profils, leurs origines sociales et leurs trajectoires scolaires et professionnelles, pour considérer que cette réforme est non seulement impossible mais impertinente. Cette conviction se forge au travail avec les collègues et les collaborateurs animateurs des temps périscolaires. Elle se forge aussi dans l’observation des parents aux prises avec la réforme, dont l’enquête informe qu’ils sont assez effacés au moment de son application (Périer, 2019).

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