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Inscrite dans la question de recherche générale « Quels sont les conditions, les formes et les effets de la socialisation des enseignants du premier degré par le territoire ? », cette deuxième partie a permis de dévoiler les ressorts multiples de cette socialisation, de montrer à quelles conditions les enseignants se trouvent présents pour avoir ici un ensemble d’expériences sociales potentiellement socialisatrices en lien avec les socialisations antérieures et dans d’autres territoires. Le fait d’arriver dans un territoire rural enclavé et populaire en tant qu’enseignant du premier degré est à l’articulation de logiques territoriales, politiques, administratives et sociales. Ces logiques sont territoriales et politiques étant donné que le territoire d’enquête, le Centre-Est Médoc, qui coïncide avec la zone d’éducation prioritaire de la circonscription de Caudrian, est géographiquement situé entre une métropole « attractive » économiquement et des zones littorales touristiques. Examiner les propriétés, la réputation et les spécificités de ce territoire enclavé situé au Nord de Bordeaux était nécessaire pour comprendre où se passe la vie professionnelle des enseignants enquêtés. Ce théâtre des opérations professionnelles des professeurs doit certes à la géographie de la Gironde et du Médoc, aux relations entre les habitants des différents territoires mais aussi à la manière dont l’action publique se saisit de cette géographie, notamment à travers ses dispositifs territorialisés d’éducation mis en œuvre dans le cadre d’une géographie prioritaire de l’éducation dont une des traductions concrètes est ici le classement en REP. De façon paradoxale, ce classement inscrit dans l’action publique dite territorialisée (Malet, 2010) visant, depuis les débuts de la décentralisation, à revitaliser les espaces urbains et ruraux estimés en difficultés (Rochex, 2011 ; van Zanten, 1990) vient consolider la dimension par certains aspects répulsive du territoire, un territoire où s’activent, néanmoins, des pouvoirs locaux soucieux de sauvegarder ou d’ « améliorer » leurs écoles et de peser dans le traitement local de la question scolaire (Ben Ayed, 2009).

Les logiques territoriales et les logiques politiques s’entremêlent pour constituer le cadre professionnel et existentiel d’enseignants plus ou moins sensibles à cette mauvaise réputation et à cette « mauvaise situation géographique », à cet enclavement potentiellement rédhibitoire. Cette sensibilité est mise à l’épreuve lorsque les logiques administratives en vigueur pour l’affectation des enseignants conduisent certains d’entre eux vers le territoire d’enquête. Ces logiques administratives rencontrent les logiques

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sociales des nommés souvent jeunes mais néanmoins membres de différentes générations, aux parcours scolaires, universitaires et professionnels hétérogènes et aux aspirations non moins diverses. Ces nommés se retrouvent à faire leur métier dans ce territoire pendant que leurs homologues sociaux et de génération se dirigent vers d’autres horizons. L’attention ici accordée aux socialisations déterminées par les origines sociales et géographiques, le sexe, les histoires familiales et les parcours scolaires, universitaires et résidentiels, révèle que se rejoignent ici des enseignants issus de différents milieux sociaux et de différents territoires, autant d’éléments capables de jouer sur la pratique professionnelle et dans la construction conjointe des enseignants, des enseignements et des « enseignés ».

Ces éléments sont instructifs sur les conditions de la socialisation des enseignants par le territoire d’exercice professionnel qui peut devenir aussi le territoire résidentiel. Ces conditions sont liées aux territoires pratiqués antérieurement à l’entrée dans le métier et aux socialisations qui ont opéré alors, tant que sur le plan scolaire et professionnel que sur le plan du rapport aux territoires urbains et ruraux, à la fois dans cette région de la Nouvelle-Aquitaine et au-delà. Ces conditions sont aussi liées aux situations conjugales et familiales au moment d’entrer ou de rentrer dans le territoire. Certes, l’âge d’entrée dans le métier et les formes des socialisations antérieures, contribuent à définir la perception du métier. Mais cette perception est aussi liée à ce qui se joue, au présent, entre ces individus et le territoire dont ils vont, dans ces circonstances, « apprendre à connaître » les caractéristiques et la population. Ainsi lorsqu’ils arrivent, en ce qui nous concerne, dans le Centre-Est Médoc, les nommés engagent une nouvelle séquence de leur existence professionnelle dans le prolongement des expériences socialisatrices antérieures ayant forgé un rapport au métier, aux territoires et aux êtres sociaux des différents milieux susceptible de se transformer au gré des expériences pédagogiques et extra-pédagogiques. Que l’inscription professionnelle dans le territoire du Médoc soit souhaitée ou non, cette séquence plus ou moins prolongée de la carrière participe de la socialisation (Darmon, 2006) et façonne le rapport au métier et au public.

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Après cette restitution des conditions de la socialisation par le territoire dans une perspective diachronique, il convient, cette fois-ci, dans une perspective synchronique, d’abord d’examiner les formes de cette socialisation, en particulier à partir de leur « matrice scolaire », lesquelles touchent à la fois aux formes pratiques de l’action publique éducative locale et aux caractéristiques des établissements implantées dans les communes, des collectifs pédagogiques et des publics scolaires. Ces formes ont trait également aux pratiques des enseignants dans leurs écoles, au contact de leurs collègues et auprès des élèves. Cet examen apportera alors des éclairages sur la manière dont les inscriptions dans les établissements du territoire participent aux socialisations à l’œuvre sur les enseignants dans le territoire. Ces socialisations sont des vectrices potentielles d’effets sur le rapport au métier, peuvent stimuler ou décourager l’engagement professionnel et avoir des incidences sur le rapport au territoire, déboucher sur des aspirations d’ancrage ou au contraire définir des inclinations au départ.

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