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La construction territoriale des enseignant.e.s : la socialisation des professeur.e.s des écoles dans un territoire rural et populaire

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Submitted on 3 Mar 2020

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La construction territoriale des enseignant.e.s : la

socialisation des professeur.e.s des écoles dans un

territoire rural et populaire

Muriel Marnet

To cite this version:

Muriel Marnet. La construction territoriale des enseignant.e.s : la socialisation des professeur.e.s des écoles dans un territoire rural et populaire. Education. Université de Bordeaux, 2019. Français. �NNT : 2019BORD0267�. �tel-02496838�

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Thèse présentée pour obtenir le grade de Docteur de l’Université de Bordeaux

ÉCOLE DOCTORALE SOCIÉTÉS, POLITIQUE, SANTÉ PUBLIQUE

Sciences de l’éducation

Par Muriel MARNET

La construction territoriale des enseignant.e.s

La socialisation des professeur.e.s des écoles dans un territoire

rural et populaire

Sous la direction de Régis MALET et de Stéphanie RUBI

Soutenue le 2 décembre 2019

Jury :

Stéphane BONNERY, Professeur de sciences de l’éducation, Université Paris VIII, président du jury Régis MALET, Professeur de sciences de l’éducation, Université Bordeaux/INSPÉ/IUF, directeur Pierre PERIER, Professeur de sciences de l’éducation, Université Rennes 2, rapporteur

Patrick RAYOU, Professeur émérite de sciences de l’éducation, Université Paris VIII, rapporteur Stéphanie RUBI, Professeure de sciences de l’éducation, Université Paris-Descartes, directrice Pascal TOZZI, Professeur de géographie et d’urbanisme, Université Bordeaux-Montaigne, examinateur

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Résumé de la thèse

La construction territoriale des enseignant.e.s

La socialisation des professeur.e.s des écoles dans un territoire rural et populaire Résumé : Cette thèse vise à montrer en quoi la socialisation des enseignant.e.s du premier degré est territoriale. Le territoire est ici appréhendé dans ses dimensions géographique, sociodémographique et politico-administrative. Mobilisé pour enquêter, entre 2015 et 2019, dans une zone enclavée, rurale et populaire, ce mode d’appréhension est propice à la compréhension des liens entre les engagements comme enseignant.e et le territoire comme générateur de pratiques professionnelles et extra-professionnelles. Comme le montre une première partie, l’analyse de ces processus nécessite de construire une enquête qui retrace les parcours des enseignant.e.s et dévoile les conditions, les formes et les effets de leur socialisation par le territoire. Ces dynamiques sont examinées au prisme des outils des sciences de l’éducation et de la sociologie les plus opératoires pour interroger cette socialisation. Une deuxième partie peut alors s’atteler à restituer les conditions de celle-ci, à montrer comment les inscriptions enseignantes dans un territoire se situent au croisement de logiques individuelles et collectives et de logiques sociales et politico-administratives. Etant donné que cette socialisation par le territoire est fondée sur l’engagement comme enseignant.e, une troisième partie reconstitue ensuite sa « matrice scolaire » : les formes de ces processus sont fondées sur l’inscription dans des collectifs pédagogiques, sur les modalités locales de l’action publique éducative ainsi que sur les caractéristiques des publics scolaires. Les effets de cette socialisation ne sont pas cloisonnés à l’univers scolaire. Par conséquent, une quatrième et dernière partie identifie ces derniers en replaçant les pratiques et les représentations du territoire liés à l’engagement scolaire dans la vie à côté et dans la temporalité des enseignant.e.s – les carrières professionnelles mais aussi les trajectoires dans leur ensemble. Ces analyses révèlent la multidétermination territoriale des socialisations et leurs variations selon les caractéristiques des lieux et des acteurs. Cela étant, l’enquête effectuée est éclairante sur la réalité plus vaste des socialisations territoriales des enseignant.e.s et sur la manière dont, en retour, ils interviennent dans les existences des publics scolaires et des habitants : pendant que les territoires construisent les enseignant.e.s, ces dernier.ère.s construisent les territoires.

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Remerciements

En arrivant quasiment au terme de ce parcours doctoral, je pense à tou.te.s celles et ceux y ayant participé, chacun.e à leur façon.

Tout d’abord je voulais adresser mes remerciements à Stéphane Bonnery, Pierre Périer, Pascal Tozzi, Patrick Rayou et Agnès van Zanten d’avoir bien voulu participer à ce jury.

Je voulais aussi exprimer ma sincère reconnaissance aux personnes rencontrées sur le terrain. Merci beaucoup pour le temps consacré à me recevoir et échanger avec moi. Cette thèse repose sur ces moments précieux passés dans un territoire dont j’ai encore beaucoup à découvrir et dont j’espère avoir pu, à travers cette thèse, restituer aussi fidèlement que possible ce qu’il est et ce qu’il s’y passe.

Au moment de terminer ce manuscrit, je pense aussi aux premières prises de contact avec les chercheur.e.s qui allaient m’accompagner dans l’élaboration de ce travail, dans sa fabrication puis dans sa finition, Régis Malet et Stéphanie Rubi. Merci à lui pour la confiance qu’il m’a accordée et l’exigence bienveillante qu’il m’a exprimée depuis notre rencontre. Merci à elle pour sa présence, ses interventions toujours constructives et son énergie communicative, merci également pour son souci de la rigueur et ses relectures nombreuses, riches et stimulantes, jusqu’au point final !

Cet accompagnement dans la thèse s’est inscrit dans le cadre du Laboratoire Cultures, éducation et sociétés (LACES), notamment de son équipe ERCEP3, de l’axe transversal Diversité et du séminaire des doctorants. Je remercie leurs animateur.rice.s pour leur enthousiasme à faire vivre ces lieux d’échanges qui ont alimenté sans cesse ma réflexion et m’ont aussi permis, à travers la présentation de mon travail, d’avancer dans la construction de la thèse.

Cette construction doit aussi beaucoup aux comités de thèse auxquels ont bien voulu participer, aux côtés de Régis Malet et Stéphanie Rubi, Martine Derivry, Eric Dugas, Jean-Yves Rochex, Fabien Sabatier, Pascal Tozzi et Joël Zaffran. Merci pour leurs lectures et conseils avisés.

La thèse s’est aussi nourrie des échanges avec les collègues rencontrés à l’INSPÉ et à l’Université de Tours dans le cadre de mes missions d’ATER. A l’INSPE, Jacques Mikulovic et Gianni Colamonico ont beaucoup contribué à rendre possible mon engagement dans ce parcours. Et à l’IUT Carrières sociales, je trouve aujourd’hui une équipe pédagogique très accueillante et compréhensive de mes contraintes de (future-ex.) doctorante. L’intérêt que Selma Josso, Frédéric Chateigner, Laurent Besse, Sylvie Fortin et Jérôme Camus ont manifesté pour mon travail a été depuis l’automne 2018 véritablement salutaire.

Je pense aussi à tou.te.s mes collègues et ami.e.s des écoles de Gennevilliers et de Paris auprès desquel.le.s j’ai commencé ma formation de recherche en Sciences de l’éducation à Paris 8.

J’ai eu la chance aussi pendant la thèse d’avoir le soutien d’ami.e.s dont je me suis particulièrement réjouie de l’existence ces derniers temps... Merci pour les relectures scrupuleuses, les gardes d’enfants (chapeau à ceux ayant rempli les deux missions !) et les messages d’encouragements à Gaëlle Pochat, Ronan Bleno, Marie Delcroix, Julien Paréja, François Harambat, Céline Joulin, Maryline Cotentin, Alix Letourneux, Cécile Picart, Freddy Limpens, Christelle Dormoy-Rajramanan, Séverine Trayaud, Carine Vigneau, Marianne Miossec, Vincent Froustey, Matthieu Saint-Denis, Fanelie Briand, Florent Paclet, Irène et Thomas Goubin, Elisette Garnier, Alina Surubaru, Antoine Bernard de Raymond, Hélène Rotrou, Gilles Delarue-Ducan, Géraldine Dourlhès et Yoann Lafon-Jalby.

Un remerciement chaleureux aussi à ma grand-mère Raymonde, ancienne institutrice loin d’être étrangère à ce travail et à qui je dois beaucoup.

Et enfin, évidemment, un immense merci à Sylvain pour ses encouragements et son soutien sans failles et à Lucien et Eugène pour leur belle patience.

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4 Sommaire

INTRODUCTION ... 7

PREMIÈRE PARTIE... 15

LA CONSTRUCTION TERRITORIALE DES ENSEIGNANT.E.S. : QUESTION DE RECHERCHE ET CONSTRUCTION D’ENQUÊTE ... 15

CHAPITRE 1. COMPRENDRE LA CONSTRUCTION TERRITORIALE DES ENSEIGNANT.E.S : DES SAVOIRS EXISTANTS A LA CONSTRUCTION D’UN NOUVEL OBJET ... 17

CHAPITRE 2.ENQUETER SUR LA CONSTRUCTION TERRITORIALE DES ENSEIGNANT.E.S ... 41

DEUXIÈME PARTIE ... 63

ENTRE LOGIQUES ADMINISTRATIVES ET LOGIQUES INDIVIDUELLES : ENTRER DANS UN TERRITOIRE RURAL ET POPULAIRE COMME PROFESSEUR(E) DES ÉCOLES ... 63

CHAPITRE 3.UN TERRITOIRE RURAL ET POPULAIRE COMME POSSIBLE PROFESSIONNEL ET RESIDENTIEL ... 66

CHAPITRE 4.PARCOURS FAMILIAUX, GEOGRAPHIQUES ET SCOLAIRES VERS LE METIER : DEVENIR ENSEIGNANT(E) DU PREMIER DEGRE ... 90

CHAPITRE 5.ARRIVER DANS LE TERRITOIRE, ENTRER DANS LES ECOLES : LE MEDOC COMME CONSEQUENCE DU PROJET PROFESSIONNEL (OU INVERSEMENT ?) ... 113

TROISIÈME PARTIE ... 143

ACTION PUBLIQUE ÉDUCATIVE, INEGALITÉS SOCIALES ET SCOLARISATION : LA « MATRICE SCOLAIRE » DE LA SOCIALISATION PAR LE TERRITOIRE... 143

CHAPITRE 6.DES ENSEIGNANT.E.S ET DES FORMES D’EXERCICE PROFESSIONNEL : ORGANISATION ET DIVISION DU TRAVAIL DANS LES ECOLES DU TERRITOIRE ... 146

CHAPITRE 7.LE TERRITOIRE COMME CATEGORIE D’ACTION PUBLIQUE EDUCATIVE : FORMES ET IMPLICATIONS POUR LES ENSEIGNANT.E.S ... 173

CHAPITRE 8.TRAVAILLER AVEC LES MEDOCAIN.E.S : L’ENCASTREMENT DU RAPPORT AUX PUBLICS SCOLAIRES DANS LES QUESTIONS SOCIALE, MIGRATOIRE ET LINGUISTIQUE ... 210

QUATRIÈME PARTIE ... 245

DES EMPREINTES MUTUELLES : LES ENSEIGNANT.E.S ET LE TERRITOIRE EN INTERACTIONS ... 245

CHAPITRE 9.CARRIERES ET TRAVAIL DANS LE TERRITOIRE : ANCRAGES, MOBILITES ET SENS DU METIER ... 248

CHAPITRE 10.LES ENSEIGNANT.E.S DANS LE TERRITOIRE ET LES TERRITOIRES « DANS » LES ENSEIGNANTS ... 281

CONCLUSION ... 317

BIBLIOGRAPHIE ... 327

SOURCES ... 343

TABLES DES TABLEAUX, CARTES ET ENCADRES ... 348

REPERTOIRE DES SIGLES ... 350

ANNEXES ... 352

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Note sur la présentation de la thèse

Cette note présente les formes typographiques de mise en page adoptées ainsi que des avertissements (mode d’anonymisation des personnes et des lieux, rédaction du texte). Ce paragraphe est écrit dans le style utilisé dans le corps du texte.

« Les courtes citations d’auteurs sont écrites dans le même style utilisé que pour le corps du texte mais mises entre guillemets ».

« Les citations d’auteurs assez longues pour nécessiter un détachement du corps du texte sont écrites dans ce style ».

« Les citations d’auteurs placées en note de bas de page sont écrites dans ce style. »

« Les citations d’enquêtés et les extraits de documents ne nécessitant pas un détachement du corps du texte sont écrits dans ce style ».

« Précédées des prénoms des locuteurs, de leur qualité professionnelle et de leur lieu d’exercice professionnel, les citations d’enquêtés nécessitant un détachement du corps du texte sont présentées dans ce style. La majorité des citations d’enquêtés sont le résultat d’entretiens enregistrés. Ces citations résultent plus rarement de conversations informelles ayant été retranscrites le plus rapidement possible après leur survenue. » La quasi-totalité des prénoms qui sont utilisés dans le texte sont des pseudonymes. Seuls les prénoms et patronymes de personnages publics connus au-delà du territoire d’enquête ont été conservés.

En ce qui concerne les territoires, les communes et les quartiers, l’ensemble de leurs noms ont été anonymisés, à l’exception du territoire du Médoc, de Bordeaux et des villes importantes de sa métropole. Par ailleurs, les noms de vins « prestigieux » ont été conservés.

Le texte est principalement rédigé à la première personne du pluriel. La première personne du singulier (je) est cependant utilisée à quelques reprises pour restituer des situations précises d’enquête. Enfin, si l’écriture inclusive n’a pas été systématisée, son usage est néanmoins privilégié dans les différents titres et sous-titres.

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6 « (…) Mais que serait un individu sans déterminations ? Nous naissons au milieu d’elles, d’emblée héritiers d’une nation, d’une région, d’une famille, d’une race, d’une langue, d’une culture. Ce sont elles qui constituent et nourrissent notre individualité. Nul ne peut se former sans se référer à elles, et l’innovation elle-même comme la création doivent y trouver leur point d’appui », Mona Ozouf, Composition française. Retour sur une enfance bretonne, Paris, Gallimard, 2009, p. 242.

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« A la rentrée 2019, 359 écoles rurales ont fermé » peut-on entendre dans un reportage diffusé sur la radio publique France info le 2 septembre 20191. Ce document est

significatif d’un phénomène plus global : c’est principalement lors des fermetures d’école et de classe en milieu rural qu’une parole publique sur les établissements de ce type de territoires est relayée médiatiquement. En général, les parents, les élus et les enseignants expriment alors d’une même voix leur désarroi pour les élèves et les familles, contraints notamment, par ces fermetures, à des déplacements et à de nouvelles dépenses financières. Ils expriment aussi à ces occasions leur inquiétude pour les communes, hautement dépendantes, dans le maintien de leur activité sociale et économique et, par conséquent, dans la construction de leur attractivité, de l’école. Si des déplorations et des contestations similaires opèrent dans les quartiers populaires urbains, reste que la (menace de) disparition d’une école en milieu rural présente un caractère plus dramatique. Derrière cet événement se profile le spectre de l’ « extinction des campagnes ».

Dans cette parole médiatique d’une seule voix pour les écoles rurales, les mots des enseignants sont quelque peu dilués dans le « message » collectif et politique de défense de l’école. Cette dilution s’inscrit dans une certaine méconnaissance générale de ces acteurs scolaires. En effet, si l’on dispose d’informations sur leurs parcours universitaires, leurs modes de recrutement par concours et leur âge moyen – 41,6 ans en 2016 (Robert, Carraud, 2018, p. 40) –, le savoir sur leurs trajectoires sociales et spatiales, sur leurs inscriptions dans les territoires, sur leurs manières de voir l’école rurale et de s’y voir et, enfin, sur leurs manières de vivre en dehors de l’école, apparaît plus limité. En concentrant leur attention, lorsqu’elles s’intéressent aux enseignants d’ « aujourd’hui », sur les acteurs du secondaire des quartiers populaires (Périer, 2014 ; Barrère, 2002 ; Lantheaume, Hélou, 2008), et en examinant principalement les professeurs des écoles au prisme de leur entrée et de leur sortie dans la carrière (Broccolichi, Joigneaux, Mierzejewski, 2018 ; Broccolichi, Kurdziel, 2019, Bouchetal, 2019), la sociologie et les sciences de l’éducation laissent ouvertes un espace de recherches sur les enseignants du premier degré dans les territoires, sur la manière dont ils sont façonnés par ces derniers

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et sur la manière dont, en retour, ils façonnent ces espaces (Darmon, 2006 ; Ripoll, Tissot, 2010 ).

Ces recherches peuvent prendre la forme d’enquêtes localisées, en milieu urbain et en milieu rural, dans des territoires riches ou pauvres permettant une étude fine de ces dynamiques de socialisation (Lahire, 2013 ; Dubar, 2000). Dans la continuité d’une première recherche conduite dans un quartier populaire urbain et dont l’objet était les ressorts de l’ancrage scolaire et extra-scolaire enseignant dans ce type de territoire (Marnet, 2013), notre réflexion porte ici à nouveau sur l’école des territoires populaires. Cependant notre regard se déplace vers les espaces ruraux. Ce déplacement est en grande partie déterminé par le projet d’apporter à la connaissance de ces enseignants surgissant ponctuellement dans les médias lorsqu’une classe ou une école disparait mais demeurant, hormis ces séquences, dans l’ombre et dans un certain silence. En dehors de ce temps médiatique, que sont-ils pour leurs administrations mais aussi pour leurs collègues, leurs élèves, les parents et les habitants ? Que font-ils dans le territoire où ils sont affectés ? Quels effets ces rôles et ces pratiques produisent-ils sur eux ? Nous allons apporter des éléments de réponses à ces deux ensembles de questionnement liés – quelle est la force du territoire sur les vies des enseignants et quelle est la force des vies enseignantes sur le territoire ? – à partir des éléments d’une enquête réalisée dans la péninsule du Médoc, dans le département de la Gironde, au Nord de Bordeaux, ville classée par le guide de voyage Lonely Planet en 2017 comme la plus attractive au monde2.

Cette attractivité est pour une grande partie liée aux vins prestigieux élaborés dans les châteaux des espaces ruraux de Gironde. Chaque année, des touristes par centaines de milliers affluent dans la ville du Port de la Lune et dans les exploitations viti-vinicoles de la région et en l’occurrence du Médoc (Daney, 2016). Cependant, ces territoires sont irréductibles au rayonnement touristique favorisé par les monuments historiques et les traditions culinaires. En effet, à l’image de certains quartiers de la métropole bordelaise (Victoire, 2014), les zones viticoles sont aussi le théâtre de la précarité (Cingolani, 2004). C’est à la pointe de la péninsule du Médoc que commence cette zone du Sud-Ouest de la France à laquelle l’INSEE donne le nom de « couloir de

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pauvreté »3 et qui s’étend jusqu’à Agen, préfecture du département du Lot-et-Garonne.

Notre recherche nous a conduite vers l’exploration de cette péninsule principalement rurale et peuplée de près de 90 000 habitants. Coexistent, ici, les grandes fortunes liées au « monde du vin » à des positions de dirigeants et les grandes infortunes également impliquées dans le secteur viti-vinicole mais à des postes de subalternes (Delaporte, 2019). Comme le montre la restitution écrite ci-dessous d’extraits d’un documentaire intitulé « Le couloir de pauvreté »4, nul besoin de travailler à la vigne pour mesurer la

puissance de ces forces économiques « du vin » et la relative impuissance de la majorité des Médocains face à leurs employeurs : chacun, ici, est le spectateur de contrastes économiques et sociaux capables de révolter élus, acteurs associatifs, enseignants et habitants5.

Documentariste : « Maraye, petite commune de 1300 habitants, située en lisière de ce que l’on appelle le couloir de pauvreté. Très près des grands crus mais en même temps très loin de la prospérité agricole. Le Médoc est connu pour ses vins, Margaux, Mouton- Rothschild.

Maire de Maraye : Une seule de ses bouteilles, c’est parfois le revenu mensuel de toute une famille. Derrière moi, c’est 1000 euros la bouteille, ici c’est 800 euros la bouteille. A certains endroits, le prix courant d’une bouteille d’un grand cru est de 200 euros la bouteille ! ».

Dans ce document, les plans larges sur les vignobles alternent avec des resserrements de focale sur les communes frappées par le chômage et la fermeture des commerces en centre-ville. C’est le cas de Caudrian, ville de 6000 habitants, sous-préfecture de la Gironde, située au Centre-Est du Médoc et où l’enquête a pris place

Documentariste : « A Caudrian par exemple une ligne de chemin de fer, mais unique, les trains sont rares. Les usines sont à l’abandon comme les petits commerces qui mettent aussi la clé sous la porte. Résultat dans cette partie du couloir de pauvreté, le chômage atteint 21%. C’est deux fois plus que la moyenne nationale. »

Kadidja : « Aujourd’hui quatre heures ce matin, trois heures cet après-midi, je fais pas mal de remplacements dans la restauration donc on peut m’appeler à n’importe quel moment de la journée ! Il faut être disponible toujours. J’ai 48 ans. Aujourd’hui j’ai neuf employeurs pour 900 euros. Je gagne moins bien que mes parents c’est-à-dire il y a trente ans ! ».

3 D’après un travail réalisé par l’INSEE en juin 2011, « la pauvreté est intense dans un vaste couloir reliant la

pointe du Médoc à Agen », Quatre pages INSEE Aquitaine N° 194, 06/2011.

4« Le couloir de pauvreté », https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/l-angle-eco/video-le-couloir-de-pauvrete_826843.html

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Un autre interviewé, présenté dans le reportage comme un travailleur précaire de 25 ans et « montré » à une distribution des « Restos du cœur », relate :

« J’ai perdu mon boulot parce que j’avais pas le permis, les bus dans le secteur ils desservent rien. (…) On est abandonné, on est le fin fond du monde ! ».

Ces témoignages apparaissent significatifs de l’instabilité économique et du sentiment d’exclusion de nombreux médocains passés par les écoles publiques du territoire et/ou y ayant leurs enfants scolarisés dans des établissements. Ces établissements sont souvent animés par des enseignants initialement étrangers à ce territoire. En effet ce dernier est très souvent non pratiqué par les professeurs avant qu’ils n’aient à y venir pour des raisons professionnelles. La plupart des girondins ne vont dans le Médoc pour leurs loisirs que lorsqu’ils prennent la direction des stations balnéaires du Nord-Ouest et de l’Ouest du territoire telles que Rabanne et Galvaud. Cette distance objective de la capitale de la Gironde et ces représentations négatives – ne négligeons pas que de similaires classements de territoire opèrent en milieu urbain – font du Médoc un territoire largement « à éviter » au moment des (premières) affectations. Mais ce ne sont pas tant les écoles qui sont craintes que le territoire, notamment sa partie rurale et estuarienne.

Qui sont alors ces enseignants venant (quand même) ici malgré cette mauvaise réputation ? Que disent et pensent-ils du territoire ? Comment y travaillent-ils et qu’y font-ils ? Y habitent-font-ils ? Que révèlent ces venues, ces pratiques et ces représentations de la « condition enseignante » (Farges, Guidi, Métais, 2018) et de son tribut au(x) territoire(s) – les territoires administratifs de l’Éducation nationale et des politiques publiques d’éducation, les territoires pratiqués et les territoires aspirés, les territoires appréciés ou dépréciés, les territoires recherchés et les territoires évités, les territoires habités et/ou les territoires investis pour travailler ? La présente thèse ambitionne d’éclairer ces questions à lumière d’une enquête de terrain réalisée entre 2015 et 2019 essentiellement auprès d’enseignants du premier degré et d’administrateurs locaux de l’éducation. Cette enquête vise à apporter des réponses à la question de recherche suivante : « Quels sont les conditions, les formes et les effets de la socialisation des enseignants du premier degré par le territoire ? ».

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Structure de la thèse

Comme nous proposons de l’expliciter dans une première partie, cette enquête est construite pour saisir l’ensemble des ressorts territoriaux et des effets du territoire sur les enseignants. Cet objectif nécessite, à partir de la mobilisation des savoirs sur l’école et les enseignants contemporains, de combiner les outils d’analyse des trajectoires biographiques et des carrières – les socialisations « générales » et les socialisations professionnelles » – avec les outils d’analyse des inscriptions spatiales des positions sociales et, plus généralement, de la dimension territoriale des existences, dans leurs ressorts individuels et politico-administratifs (chapitre 1). Cet objectif nécessite également, d’un point de vue méthodologique, de réaliser des entretiens approfondis sur la biographie, la vie scolaire et la vie extra-scolaire, et des observations, et de produire des données empiriques sur ce qui a conduit les enseignants vers ce territoire pour travailler et parfois y habiter, ainsi que sur ce qui structure leurs existences et ce qui alimente leurs aspirations (chapitre 2). Une fois les termes du questionnement scientifique posés et les modalités de l’investigation explicitées, il sera possible, dans une

deuxième partie, d’opérer une incursion concrète dans l’espace d’enquête pour montrer

en quoi le fait d’entrer dans un territoire rural et populaire comme professeur(e) des écoles est le produit combiné de logiques administratives et de logiques individuelles. Ces logiques s’expriment en constituant le territoire rural et populaire enquêté, avec ses caractéristiques géographiques et sociodémographiques, avec ses attraits et ses aspects répulsifs potentiels, comme possible professionnel et résidentiel (chapitre 3). Ces possibilités ressortissent, en amont, aux cheminements vers le métier d’enseignant du premier degré, dont les modalités doivent à la fois à la territorialisation des conditions de l’engagement professoral et aux parcours familiaux, géographiques et scolaires vers le métier (chapitre 4). Ces possibilités peuvent, sous l’impulsion des procédures d’affectation, se traduire par une arrivée dans le territoire d’enquête et une entrée dans ses écoles. Loin de se réduire à une procédure administrative, cette arrivée a partie liée avec les représentations et les pratiques initiales du territoire, les perspectives conjugales et familiales présentes et à venir, les projets résidentiels et les aspirations professionnelles (chapitre 5).

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Cette deuxième partie aura permis de restituer les multiples ressorts d’entrée des enseignants dans le territoire. Cette entrée est le produit de socialisations scolaires et universitaires ayant conduit vers le métier d’enseignant du premier degré, socialisations inscrites dans des trajectoires biographiques et géographiques favorables, dans le cadre des procédures officielles de certification et d’affectation, à une orientation vers la péninsule du Médoc pour travailler. Restant attentive à la dimension territoriale de la « condition enseignante », une troisième partie pourra alors s’attacher à l’analyse de la relation entre d’un côté conditions et expressions de la pratique professionnelle et, de l’autre côté, caractéristiques du territoire représenté et pratiqué et ses populations. Le territoire rural, avec ses caractéristiques géographiques, sa composition sociodémographique et ses enseignants, participe de la définition de l’organisation et de la division du travail dans les écoles (chapitre 6). Le territoire (rural) comme catégorie d’action publique éducative dédiée aux espaces « problématiques » joue un rôle non moins central dans les modalités de la pratique professionnelle (chapitre 7). Conjointement, le territoire comme théâtre d’existence principal de ces populations « à problèmes » en vertu de leur précarité économique et de la distance avec les normes culturelles dominantes « offre » aux enseignants une possible cohabitation avec ces populations dont ils sont éloignés socialement mais avec lesquelles ils peuvent construire des complicités (chapitre 8). Force est de constater que les enseignants investissent le territoire, ses écoles, ses communes, et s’investissent dans la vie des habitants, en l’occurrence dans celles des publics scolaires. Mais ces investissements ne sont pas unilatéraux, ne vont pas sans générer, à la faveur des interactions et des coprésences qu’ils génèrent, certaines réciprocités. Une quatrième et dernière partie s’attachera à mettre au jour ces investissements mutuels producteurs d’effets mutuels. Le territoire entendu à la fois comme entité administrative de l’Éducation nationale – la circonscription – et comme espace d’exercice professionnel et d’installation résidentielle participe de la définition des orientations et des stratégies de carrière, des formes de la vie conjugale et résidentielle et de la construction du rapport au métier (chapitre 9). Pour celles et ceux qui restent et qui s’ancrent, le territoire devient une composante centrale de l’existence tant sur le plan professionnel que personnel. Celui-ci engendre ou consolide un sentiment d’attachement à l’espace local, à sa population et à ses publics scolaires, lequel peut

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offrir, en retour, des opportunités professionnelles « improbables » en d’autres circonstances. Cet accomplissement dans l’éducation se complète alors dans les autres sphères sociales, depuis la vie associative jusqu’à l’engagement politique (chapitre 10).

Cette recherche réalisée à partir d’une enquête localisée dans un territoire rural et centrée sur les professeurs des écoles met au jour les spécificités éventuelles des inscriptions territoriales et professionnelles déterminées par le « rural » et le « premier degré ». Cependant, la portée des enseignements de cette investigation se veut plus ample en offrant des éléments de réflexion généraux sur la « condition enseignante ».

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PREMIÈRE PARTIE

LA CONSTRUCTION TERRITORIALE DES

ENSEIGNANT.E.S. : QUESTION DE

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La production d’une connaissance sur les enseignants du premier degré dans les espaces ruraux à la fois pertinente et capable de produire des apports de portée générale sur les enseignants est conditionnée à trois préoccupations centrales. La première de ces préoccupations est de concevoir un projet de connaissance autour de notions et concepts opératoires pour éclairer cette construction. Ces concepts sont mobilisés pour éclairer les parcours familiaux, scolaires, universitaires et professionnels des enseignants et pour étudier les territoires qui sont le « théâtre » de leurs existences professionnelles et extra-professionnelles, de leurs mobilités spatiales et de leurs ancrages résidentiels. L’objet de recherche va ainsi se construire autour de trois concepts – socialisation (Lahire, 2013 ; Darmon, 2006), biographie (Dubar, Nicourt, 2017 ; Bertaux, 1996) et territoire (Di Méo, 1998) indispensables pour concevoir des données de terrain éclairantes sur les processus qui sont ici l’objet de notre attention. La production d’apports empiriques est la deuxième de nos préoccupations centrales. Il s’agit, en allant à la rencontre des enseignants, en les faisant parler, en faisant parler d’eux, en les écoutant et en les observant, dans leurs établissements et dans « leurs » territoires, de comprendre ce qu’ils sont, ce qu’ils font et ce que ces situations professionnelles, résidentielles et territoriales font de leur personne. L’articulation de ces données de terrain aux notions les plus opératoires pour les analyser, et ceci est la troisième préoccupation centrale nous ayant guidée dans ce projet, est capable de dessiner des perspectives de réflexion générale sur la construction de la « condition enseignante », entendue, avec Farges, Guidi et Métais, comme étant :

« (…) les situations contrastées (…) permett[a]nt (…) de "penser ensemble différentes dimensions composant les conditions enseignantes et contribuant à les transformer : les politiques scolaires qui les orientent, ou ambitionnent de le faire, les statuts et les identités enseignantes qui se renouvellent, s’adaptent ou résistent au changement, et enfin le travail enseignant lui-même tel qu’il est défini ou effectivement mis en œuvre » (2018, p. 20).

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Chapitre 1. Comprendre la construction territoriale

des enseignant.e.s : des savoirs existants à la

construction d’un nouvel objet

L’objectif de ce chapitre est double : il vise d’une part à expliciter la manière dont nous avons construit cette recherche à partir des savoirs existants et, d’autre part, à livrer les outils théoriques et les notions qui se sont révélés les plus opératoires pour produire une connaissance sur la construction territoriale des enseignants (du premier degré en milieu rural). Selon cette perspective, un premier point est consacré à l’examen des principaux travaux de recherche en éducation qui nous ont conduite vers ce projet. Ces travaux ont en commun de s’intéresser à la fonction d’enseignant et aux activités d’enseignement. Ils développent une attention pour les relations des personnels éducatifs à leurs publics scolaires, relations où entrent en jeu les parcours biographiques, les caractéristiques et les vies extra-scolaires des uns et des autres6. Ces travaux ont aussi en commun de

réinscrire ces activités scolaires et sociales dans les territoires où elles sont effectuées. La plupart du temps, ils se focalisent sur les quartiers d’implantation des écoles et de résidence des publics et s’intéressent, plus rarement, aux territoires où vivent les enseignants, qui peuvent être les mêmes que ceux des élèves. Un autre point commun à ces travaux est de privilégier une approche monographique propice à la construction d’une connaissance fine d’une part des formations scolaires, universitaires et professionnelles des enseignants et, d’autre part, de leurs pratiques sociales, ces analyses se focalisant, en général, sur les pratiques scolaires. En s’appuyant sur les démarches des différents auteurs déjà mobilisés, un deuxième point s’attache à mettre au jour les notions scientifiques pertinentes pour élaborer ce projet de connaissance (Lahire, 2012) sur la construction territoriale des enseignants. Ces notions ont à voir à la fois avec la vie 6 Nous empruntons la définition de relation à Max Weber : « Nous désignons par "relation" sociale le

comportement de plusieurs individus en tant que, par son contenu significatif (…), celui des uns se règle sur celui des autres (…) et s’oriente en conséquence. La relation sociale consiste donc essentiellement et exclusivement dans la chance que l’on agira socialement d’une manière (significativement) exprimable, sans qu’il soit nécessaire de préciser d’abord sur quoi cette chance se fonde (…). Le concept ne se prononce pas sur l’existence d’une "solidarité" entre les agents ou le contraire » (1995, p. 58).

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des acteurs et avec l’intervention des politiques publiques, en particulier éducatives et territoriales. Il s’agit de fait de combiner la mobilisation des outils théoriques pertinents pour étudier la socialisation des individus (Dubar, 2000 ; Darmon, 2006 ; Lahire, 2013) dans le monde scolaire et la mobilisation des concepts nécessaires pour comprendre en quoi ces socialisations, leurs dimensions professionnelles mais aussi extraprofessionnelles, sont territoriales.

1. Les enseignant.e.s du premier degré dans les territoires ruraux

et populaires : un objet scientifique à construire à partir des

savoirs existants

Notre intention de construire, à partir de cet objet de recherche sur les enseignants du premier degré en milieu rural, une connaissance de portée générale sur la construction territoriale des personnels d’enseignement, nécessite de replacer leurs trajectoires et leurs pratiques d’une part dans la forme scolaire, que Vincent définit comme une forme socialisée d’enseignement visant à la formation pour tous et dont la construction liée à l’histoire longue du système scolaire (1980) a contribué « de manière centrale à l’instauration d’un nouveau rapport à l’enfance et d’une nouvelle façon de socialiser » (Thin, 1998, p. 27), et, d’autre part, dans l’école, considérée comme « construction socio-spatiale » collective :

« Sa localisation, son fonctionnement, ses difficultés, ses atouts dépendent des représentations et des choix des partenaires de l’éducation : l’État central et les services déconcentrés, les élus, les enseignants, les parents » (Jean, 2007, p. 9).

Cette perspective permet de combiner une attention pour le premier degré et le rural – leurs spécificités ? – et une attention pour les dynamiques qui caractérisent possiblement l’ensemble de l’institution scolaire et des enseignants – n’oublions pas que les professeurs des écoles, encore communément appelés « les instits », font partie de la « communauté » des professeurs. De plus, cette perspective peut avoir pour nous l’intérêt, après avoir réalisé une enquête en milieu urbain dans le cadre d’un master 2 en sciences de l’éducation, de réinterroger ce qui nous a semblé, à l’issue de cette investigation, relever spécifiquement de la ville, et plus précisément des zones urbaines ciblées par l’éducation prioritaire (Marnet, 2013). Par ailleurs, le développement de ce

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regard est utile pour considérer que l’ensemble des personnels et des territoires scolaires sont travaillés par l’action publique scolaire territorialisée (Ben Ayed, Guillon, 2015).

1.1 Les enseignant.e.s du premier degré dans la forme scolaire

Depuis plusieurs dizaines d’années, la sociologie, l’histoire et les sciences de l’éducation étudient les enseignants du premier degré, leur fonction et leur place dans l’institution scolaire. Des ouvrages tels que Les Instituteurs d’une génération à l’autre (Berger, 1979), Le Métier d’éducateur. Les instituteurs de 1900, les éducateurs de 1968 (Muel-Dreyfus, 1983), ou La République des instituteurs (Ozouf, Ozouf, 1992), rendent compte du métier d’enseignant du premier degré à différentes périodes, le métier étant entendu, dans notre travail, avec de Lescure, comme « une notion polysémique qui oscille entre les deux acceptions principales, l’une liée à l’idée de corps professionnel et l’autre liée à son activité » (2013, p. 189). Cependant, la production sur les enseignants tend le plus souvent à privilégier leur étude globale et cela à partir d’enquêtes sur les professeurs du second degré (van Zanten, Rayou, 2014 ; Périer, 2016 ; Lantheaume, Hélou, 2008 ; Barrère, 2002). On peut faire l’hypothèse que cette concentration sur le secondaire est révélatrice de la domination symbolique, dans le « monde enseignant », des professionnels du second degré, dont on peut noter qu’ils demeurent, à niveau d’étude égal, étant donné que dans la période contemporaine, les enseignants du secondaire et les professeurs des écoles entrent dans l’enseignement avec le même type et le même niveau de formation et de certification, à savoir un master 2 et un concours de l’Éducation nationale7, mieux rémunérés que leurs homologues du premier degré. Plus que ceux du

premier degré, les professeurs en collège et lycée représenteraient le monde enseignant et seraient de fait les enquêtés « naturels » des chercheurs, eux-mêmes parfois issus de ce segment du corps professoral. Cette concentration sur l’enseignement secondaire est peut-être aussi la marque d’un relatif effacement symbolique de ce « groupe professionnel » des enseignants du premier degré, moins visible dans les mouvements sociaux et dans les négociations des syndicats avec les pouvoirs politiques (Geay, 1999). Ce retrait relatif est enfin possiblement lié aux différences d’origine sociale et de

7 Le master 2 est le plus souvent préparé en parallèle du concours du CRPE pour les enseignants du primaire

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conditions de travail entre les acteurs du premier degré et ceux du deuxième degré (Farges, 2017).

Les professeurs du secondaire sont majoritairement originaires des « classes moyennes »8, avec souvent un ou deux parents employés de la fonction publique voire

dans l’Éducation nationale (Périer, 2014). Ils sont ainsi les représentants, selon Chapoulie, d’un « métier de classes moyennes » (1987) de plus en plus situés, dans la période contemporaine, en position de reproduction sociale (Farges, 2011, p. 170). L’origine sociale des professeurs des écoles est plus modeste. En effet, si, au fil du temps, les milieux sociaux d’origine des enseignants des deux degrés se sont rapprochés – dès 1964, Berger montre que le recrutement des enseignants du primaire s’élève, le recrutement social des professeurs des écoles reste plus bas et, en outre, plus féminin. De fait, ces enseignants sont davantage que leurs homologues du second degré inscrits dans des parcours sociaux d’ascension (Farges, 2017).

Ces différences d’origine sont recoupées par des différences de conditions de travail. Alors que les professeurs du secondaire dispensent des enseignements d’une ou de deux disciplines de leur spécialité et enseignent en moyenne 18 heures par semaine à des niveaux allant de la sixième à la terminale, leurs homologues du premier degré en charge des écoliers de la petite section à la deuxième année du cours moyen sont tenus à 27 heures de présence hebdomadaires à l’école9. Ces derniers, s’ils ont seulement dans

leur classe, chaque année, la responsabilité d’un ou de deux niveaux, dispensent cependant toutes les disciplines inscrites aux programmes officiels.

Réinscrivant les enseignants dans la vie scolaire « générale », les recherches menées sur le premier degré prennent assez largement pour objet les publics scolaires (Bautier, Rochex, 1997, Duru-Bellat, 2002) et les relations des parents à l’école (Thin, 1998 ; Millet, 2005 ; Périer, 2019). Par ailleurs, ne se concentrant pas, la plupart du temps, sur un des différents groupes parties prenantes de la vie scolaire – enseignants, publics, 8 Cette notion désigne, avec Serge Bosc, ces personnes qui seraient dans un entre-deux aux formes variables entre les classes supérieures et les classes populaires, entre « la France d’en haut », celle des élites sociales et « la France d’en bas », celle des fractions défavorisées de la structure sociale (2008).

9 Le temps de service, appelé « obligation réglementaire de service » (ORS) s’élève à 15 heures pour les

professeurs agrégés et de chaires supérieures, 18 heures pour les professeurs certifiés (et assimilés) et 20 heures pour les professeurs d’éducation physique et sportive (PEPS), http://cache.media.education.gouv.fr/file/2013/46/4/DEPP_NI_2013_13_temps_travail_enseignants_second_ degre_public_2010_260464.pdf

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parents, ATSEM (Agent territorial spécialisé des écoles maternelles) –, les enquêtes tendent à développer un regard global sur l’activité des établissements ne permettant pas de soutenir un regard appuyé sur la vie scolaire et extra-scolaire des enseignants. Cependant, des recherches récentes se consacrent entièrement aux enseignants du premier degré. Mais en focalisant leur attention sur la formation professionnelle et les entrées dans la carrière10 (Broccolichi, Joigneaux, Mierzejewski, 2018 ; Geay, 2010) et aux

démissions (Farges, Garcia, Danner, 2017), ces recherches laissent ouvert l’espace des enquêtes contemporaines possibles sur les parcours sociaux des enseignants dans leur globalité et sur la condition enseignante (Farges, Guidi, Métais, 2018). Cet espace peut s’appuyer sur les apports de quelques recherches notables conduites dans les années 1980 et 1990. Geay réalise ainsi le portrait social des instituteurs dans un ouvrage intitulé Profession : Instituteurs. Mémoire politique et actions syndicales (Geay, 1999). L’auteur expose la construction sociale et historique de ce corps professionnel façonné à la fois par des « logiques de reproduction et des logiques de transformation » (1999, p. 223). Dans une approche également socio-historique, Charles, avec son livre Instituteurs : un coup au moral (Charles, 1988), souligne le caractère socialement construit de la vocation professorale et de son inscription dans une conjoncture socio-économique et universitaire inégalement propice, selon les périodes, à la vitalité de cette vocation.

Marquées par la « transformation » des instituteurs en professeurs des écoles, les années 1980-1990 apparaissent comme une période à la fois de dépréciation symbolique et de transformation du métier. Faisant résonance à ces dynamiques, paraît en 1994 l’ouvrage « Instituteur des cités HLM » de Careil, lequel, à partir d’une enquête par questionnaires, interroge la diversité des enseignants du premier degré dans une école « à plusieurs vitesses » et prend en considération, pour l’analyse, des « variables identitaires, idéologiques et institutionnelles » (1994, p. 197). Ensuite, Peyronie explore d’une part la construction de l’identité professionnelle des enseignants du premier degré en examinant l’engagement dans la formation et, d’autre part, la recomposition de celle-ci « dans les interactions socelle-ciales liées à la situation professionnelle » (1998, p. 68). Ces auteurs ont en commun de souligner une évolution structurelle du métier qui dépasse le 10 On peut ici appréhender, avec Howard Saul Becker, le concept de carrière comme une série d’adaptations

des individus aux institutions, aux organisations officielles et aux relations informelles inhérentes aux activités professionnelles (1951).

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seul cas des enseignants du premier degré et qui serait liée à celles de l’école et de la formation professionnelle. Comme le souligne Farges, les enseignants connaissent une revalorisation des carrières et une augmentation du niveau d’études requis pour accéder au métier11. Néanmoins, Périer souligne le double processus de désaffection des

catégories les plus favorisées et d’« intensification de l’autorecrutement »12 qui définit les

contours de l’engagement professionnel et entraîne une baisse de la valeur sociale du métier d’enseignant (Périer, 2014, p. 23). Désormais, par certains aspects, l’activité enseignante serait pratiquée comme une activité comme les autres, accomplie surtout par la nécessité d’avoir un travail (Méda, 2015).

Attendu que les travaux les plus récents se concentrent sur l’entrée dans le métier et les démissions, notre recherche entend contribuer aux parcours enseignants « récents » dans leur globalité depuis les années 1990. Dans la continuité des recherches évoquées plus haut, cette contribution est attentive aux trajectoires enseignantes. Elle propose en outre d’organiser ses réflexions autour de l’inscription de ces acteurs dans la construction socio-spatiale de l’école.

1.2 Les enseignant.e.s du premier degré dans les écoles comme

constructions socio-spatiales

De façon générale, les territoires d’inscription de la vie scolaire demeurent un objet relativement peu étudié par les sciences de l’éducation. Par conséquent, la relation entre pratiques du métier d’enseignant et pratiques des territoires n’est pas toujours considérée par les chercheurs. Cependant on sait, avec van Zanten, que les « contextes locaux [jouent] un rôle central dans la structuration de l’activité éducative » (2012, p. 2). C’est à partir de cette considération pour le contexte local que l’auteure définit la notion d’école périphérique, qui

11 Remplacés en 2013 par les ESPÉ (Ecole supérieure du professorat et de l’éducation), les IUFM (Institut

Universitaire de Formation des Maîtres) avaient pour fonction de préparer les candidats aux concours de l‘Éducation Nationale et de former les professionnels de l’enseignement public. Leur création est contemporaine de la disparition du corps professionnel des instituteurs, qui deviennent professeurs des écoles et dont le niveau de recrutement passe du baccalauréat à la licence.

12 L’autorecrutement concerne les enseignants ayant au moins un parent enseignant. Pour Géraldine

Farges, « le statut d’enseignant s’inscrit donc de plus en plus dans une logique de reproduction sociale, qui modifie le rapport qu’entretiennent les jeunes enseignants avec les générations précédentes » (2011, p. 170).

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23 « renvoie (…) à une localisation spécifique de l’institution scolaire à l’extérieur des grandes villes (…) [et s’adressant] à une population spécifique : les familles des classes populaires marginalisées parmi lesquelles les familles d’origine immigrée sont largement surreprésentées » (2012, p. 3)13.

Comme le souligne l’auteure, ces effets de territoire ne concernent pas seulement les élèves et les établissements mais aussi les espaces géographiques dans leur ensemble :

« Il faut analyser la ségrégation dans l’espace scolaire comme un état qui, à un moment donné, peut produire des effets spécifiques soit sur le fonctionnement des établissements, soit, plus largement, sur le fonctionnement du contexte local environnant et de la société globale » (1996, p. 281).

Ben Ayed détaille les ressorts et les enjeux scolaires et socio-économiques de cette interaction entre école et territoire :

« L’incidence du territoire sur les parcours scolaires résulte ainsi de la combinaison de phénomènes complexes qui associent des facteurs externes au système éducatif (variables démographiques, taux d’urbanisation, ségrégations urbaines), et des facteurs internes (modes de régulation des migrations scolaires, présences d’enseignants expérimentés…) Ces différentes sources de variations locales des parcours scolaires mettent ainsi à mal l’illusion d’unité du système scolaire » (2008, p. 655).

Comme nous nous attachons ici à le faire, les recherches en éducation peuvent mettre au jour les expressions rurales de cette interaction, liées d’après Jean et Champollion, à la localisation géographique et aux dynamiques démographiques (2007, p. 39). Rayou et van Zanten soulignent que l’école rurale est « un élément déterminant de la dynamique des territoires ruraux, et un enjeu des politiques d’aménagement du territoire » (2011, p. 65). Dans ces dynamiques et ces politiques relatives à l’administration locale de l’institution, les responsables politiques locaux jouent, en milieu rural, un rôle crucial et spécifique. Ce rôle peut s’inscrire dans le cadre d’une « plus grande responsabilisation des partenaires locaux de l’Éducation nationale » et se traduire « par une meilleure prise en compte de l’environnement local » (Derrien, 2007, p. 130). Sur ce sujet, Barrault-Stella estime, quant à lui, que

« la question de la présence des institutions éducatives publiques dans les campagnes constitue toujours un enjeu politique et social en France, se posant avec d’autant plus

13 Sans figer l’appréhension de cette notion de classes populaires, on peut considérer, avec Louis Chauvel,

que d’un « point de vue statistique, si l’on se réfère aux PCS, la majorité des classes populaires font partie des groupes employés et ouvriers : « (…) c'est-à-dire les exécutants du travail conçu comme routinier respectivement dans les services et dans l’industrie » (2001, p. 323).

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24 d’acuité dans le contexte contemporain d’augmentation des déficits publics qui semble conduire à une amplification des fermetures » (2016, p. 34). 

Dans le travail de compréhension des « variations locales » (Ben Ayed, 2009) du fonctionnement des écoles et de leur contribution à la construction des inégalités scolaires (van Zanten, 2008, p. 115), il faut examiner la contribution des enseignants à ces dernières. Cet examen passe pour une attention pour les

« relations qui se sont construites historiquement entre les écoles et les gestionnaires des territoires, entre ce qui est attendu socialement et politiquement des enseignants et ce à quoi ils sont eux-mêmes disposés en fonction de leurs trajectoires et de leur socialisation professionnelle » (Jean, 2007, p. 107).

Cette perspective « socio-spatiale » caractérise la recherche de Careil sur Les Instituteurs des cités HLM (1994), qui est éclairante sur ce que les enseignants du premier degré doivent au territoire dans leur pratique scolaire et extra-scolaire. Par la suite, ce travail sur l’urbain a trouvé, avec les recherches menées par Alpe et ses collaborateurs, son pendant rural (et « montagnard ») (Alpe, Champollion, Fromajoux, Poirey, 2001). Il convient, pour comprendre la construction contemporaine de cette école, d’examiner les caractéristiques et les trajectoires de ses enseignants. A ce sujet, Duru-Bellat et van Zanten observent que « quelques enseignants ʺenracinésʺ » exercent au côté d’une proportion de « jeunes enseignants mobiles » plus importante que dans les villes (2012, p. 93). Ainsi notre recherche est attentive à ces dynamiques d’enracinement et de mobilité liées aux appartenances générationnelles.

Pour comprendre l’expérience territoriale de ces enseignants, il ne suffit pas de prendre en considération leurs parcours et les caractéristiques des espaces locaux où ils se retrouvent à travailler. Il faut aussi examiner en quoi l’action publique territorialisée détermine les modalités de leurs expériences professionnelles.

1.3 Les enseignant.e.s du premier degré dans l’action publique

territorialisée

Issue des premières lois de décentralisation du début des années 1980, l’action publique dite territorialisée, c’est-à-dire une action publique ne ciblant plus prioritairement des secteurs ou des problèmes mais des territoires, trouve en l’éducation

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prioritaire une de ses principales expressions emblématiques, cela dans le cadre politico-administratif plus large de la Politique de la ville (Ben Ayed, 2013), avec laquelle elle entretient des liens officiels et symboliques assez « forts »14. Pour Ben Ayed, ces

politiques de décentralisation contribuent à « l’émergence d’un nouvel ordre éducatif local » (2009, p. 2). Désormais,

« le territoire traduit des politiques éducatives supranationales, nationales, régionales en instruments d’action concrets sur des espaces sociaux, ce qui suppose une série d’opérations d’adaptation aux dynamiques locales et de mobilisation des acteurs concernés » (2018, p. 7).

Concrètement, la prise en compte de la « différenciation géographique inégalitaire du système éducatif (…) aboutit en 1981 à la création des zones d’éducation prioritaires » (Ben Ayed, 2008, p. 654). Avec la création des ZEP, la question scolaire s’intègre clairement dans la question sociale. Merle souligne notamment une « surreprésentation de (…) [la] violence scolaire dans les médias » (2007, p. 51). Pour Moignard et Rubi, à la suite d’Isambert-Jamati qui montre comment l’échec scolaire devient un problème social (1996), les problématiques initialement scolaires telles que la violence à l’école, le décrochage scolaire et les discriminations « débordent des cadres de l’école » (2018, p. 48), deviennent des problèmes publics et politiques et s’invitent sur la scène sociale et publique, générant alors des plans nationaux, des programmes et des dispositifs spécifiques (2018).

La géographie prioritaire a pour objectif de réduire les inégalités scolaires en apportant des soutiens institutionnels et financiers aux établissements situés dans des aires géographiques estimées « problématiques » (Ben Ayed, 2017 ; Heurdier, 2014 ; Rochex, 2011). L’accès à ces soutiens est conditionné à la satisfaction à des critères externes et internes au système scolaire. La circulaire du 1er juillet 1981 définissant les

contours de ces zones d’éducation prioritaire, énumère ces critères :

« L’implantation géographique, la composition socio-économique des familles, la présence d’enfants étrangers, de retard scolaire, la part des élèves de CPPN-CPA par rapport à l’ensemble des élèves, les abandons de scolarité au niveau des collèges » 15. 14 Sur l’instauration des politiques éducatives territorialisées, cf. Agnès van Zanten, L’école de la périphérie.

Scolarité et ségrégation en banlieue, Paris, PUF, 2012, notamment le chapitre 1, « Montée et déclin du modèle des banlieues rouges », p. 39-66.

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Cet extrait de circulaire est significatif de la prise en considération du contexte local, non plus exclusivement à partir de données scolaires mais aussi à partir des données géographiques, sociales et économiques. La création des zones d’éducation prioritaire révèle en même temps qu’elle développe et renforce une territorialisation du domaine scolaire. D’après Charlot, celle-ci légitime « la diversité et l’hétérogénéité » de celui-ci (Charlot, 1994, p. 39). Ben Ayed souligne alors le rôle donné aux territoires dans l’action éducative :

« Dans les textes officiels, le territoire est investi d’un ensemble de vertus telles que la gestion de proximité, l’adaptabilité, la réactivité et la transversalité de l’action éducative » (2008, p. 655).

Ce zonage produit des effets sur les modes de gestion des écoles, dont, dès lors, une part revient aux collectivités locales (Ben Ayed, 2009 ; Bernard, Berthet, 2018 ; Duru-Bellat, van Zanten, 2002). D’après Ben Ayed, le local devient officiellement « une nouvelle ressource éducative » et, par conséquent, « un nouvel espace politique » (2008, p. 655) producteur d’effets sur les enseignants en poste et l’offre pédagogique :

« (…) l’inscription locale des établissements, la planification spatiale de leur recrutement et leur offre d’enseignement (…) ont également entériné au sein de l’école des différences existantes entre les campagnes et les villes, et au sein des villes, entre les différents quartiers » (van Zanten, 1996, p. 282).

La focalisation médiatique sur les ZEP des écoles des banlieues urbaines et les nombreuses enquêtes scientifiques réalisées sur ce dispositif dans ces territoires (Bouveau, Rochex, 1997 ; van Zanten, 2001 ; Thin, 1998) peuvent détourner l’attention sur le fait que des ZEP sont aussi instaurées en milieu rural. Comme nous le soulignons dans notre travail, ces effets ne concernent pas seulement les territoires urbains « à problèmes » mais aussi certaines zones rurales touchées par la précarité sociale. En outre, cette territorialisation de l’action publique éducative trouve des prolongements récents dans la réforme des rythmes scolaires appliquée en 2013 (Lebon, Simonet, 2017 ; Gaulène, Chevalier, 2016 ; Netter, 2016) et dont nous rendrons compte des expressions et des effets. Avant cela il convient de livrer les concepts et les notions opératoires que nous avons choisies de mobiliser pour étudier ces enseignants, leurs parcours, leurs existences et « leurs » territoires.

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2. Construction d’objet. Une attention synchrone pour les

trajectoires scolaires et spatiales, les modes de vie et les

territoires

L’objectif central de ce travail est de construire une connaissance sur les enseignants du premier degré des territoires ruraux de pauvreté. Par connaissance, nous entendons une production de savoirs sur ce qui les a constitués et les constitue dans la période contemporaine. Il s’agit, à bien des égards, de saisir quelle est leur identité sociale, notion définissable, avec Dubar, comme

« le résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et définissent les institutions » (2000, p. 109).

Il est ainsi question d’examiner, dans un même mouvement, comment les institutions font les enseignants et ce que les enseignants font des institutions.

« (…) l’identité humaine n’est pas donnée, une fois pour toutes, à la naissance : elle se construit dans l’enfance et, désormais, doit se reconstruire tout au long de la vie (…). L’identité est un produit des socialisations successives » (2000, p. 15).

Conformément à l’approche processuelle et relationnelle de la construction des individus développée par Dubar, nous allons saisir les enseignants dans les ressorts biographiques, inséparablement sociaux, scolaires et spatiaux, de cet engagement professionnel. Sans écarter de la réflexion le cycle de vie, il s’agira aussi de saisir les enseignants dans les caractéristiques de leurs modes de vie, au travail et en dehors du travail, modes de vie impensables sans une attention conjointe pour les territoires où les existences prennent place.

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2.1 Devenir enseignant.e du premier degré : trajectoires sociales, scolaires

et spatiales

Ici, la biographie des enseignants, en l’occurrence dans les dimensions sociales, familiales, scolaires, universitaires, spatiales et géographiques ayant conduit vers l’activité professorale, doit être reconstruite. Dans cette partie du projet, les réflexions de Levi sur la manière dont les individus – ici des personnes ayant à passer un/des concours dont la réussite implique des mobilités géographiques – composent avec les contraintes sociales et institutionnelles pour se frayer un « chemin » ajusté a minima à leurs attentes et à leurs croyances, sont utiles. Comme l’écrit cet auteur, la biographie peut constituer

« (…) le lieu idéal pour vérifier le caractère interstitiel – et néanmoins important – de la liberté dont disposent les agents, comme pour observer la façon dont fonctionnent concrètement des systèmes normatifs qui ne sont jamais exempts de contradictions » (1989, p. 1333).

Notre manière d’envisager le fait de devenir enseignant du premier degré (en milieu rural) comme un processus connaissant un premier aboutissement avec l’obtention d’un concours donnant le droit à un premier poste conduit vers la mobilisation de la notion de trajectoire théorisée par Bourdieu, lequel s’attache à ne jamais dissocier les activités individuelles des protagonistes de leur contexte collectif – la position des enseignants est liée à un établissement lui-même lié à une académie et à une politique publique éducative, et ainsi de suite. Pour ce même auteur, une trajectoire est la « série des positions successivement occupées par un même agent (ou un même groupe) dans un espace lui-même en devenir et soumis à d'incessantes transformations ». Cela étant, « (…) les événements biographiques se définissent comme autant de placements et de déplacements dans l'espace social » (1994, p. 72). Ces mouvements doivent être appréhendés en prenant en considération les différentes temporalités des personnes et des instances qu’ils pratiquent : une enseignante peut prendre son premier poste aux côtés d’une équipe pédagogique majoritairement constituée de personnes proches de la retraite. Il convient, dans ce cas, d’interroger les expressions et les effets de ces temporalités différentes. Dubar et Nicourd estiment ainsi qu’« une des singularités d’une analyse sociologique des biographies consiste à considérer la temporalité au cœur des connaissances à produire : temporalité des phases, des âges, des scènes, des contextes

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de la vie, etc. » (2017, p. 4). Ce regard répond, comme le souligne Wright Mills, au « besoin de connaître la signification sociale et historique de l’individu, dans la société et durant la période où il plonge et vit » (1997, p. 9). Seule cette contextualisation permet de saisir les différents éléments constitutifs du « capital d’expérience biographique » des enseignants (Bertaux, 1996, p. 24).

Ce capital s’enracine pour partie dans l’origine sociale et géographique, d’où l’importance, au moment de considérer les biographies des enseignants, de prêter attention à ces aspects. Leur expérience biographique s’insère dans une dynamique globale de hausse du recrutement social des professeurs des écoles et assimilés :

« Les recrutements parmi les pères indépendants, les ouvriers et les employés ont globalement décliné dans la seconde moitié du XXème siècle, tandis qu’ont augmenté les recrutements parmi les pères cadres/ professions libérales, professions intermédiaires ou enseignants » (Farges, 2015, p. 171).

Cette hausse s’accompagne d’un accroissement de la féminisation. Il faut ainsi noter, avec Charles et Cibois, l’« arrivée de plus en plus importante dans la profession d'instituteur de jeunes femmes issues des classes moyennes et supérieures » (2010, p. 10). Tant pour les hommes que pour les femmes, cette arrivée intervient à l’issue de cursus scolaires et universitaires dont il convient d’interroger les modalités. On sait que les professeurs des écoles sont souvent des anciens « bons élèves » mais pour lesquels la poursuite de longues études n’est pas facilement imaginable (Périer, 2014 ; Rayou, van Zanten, 2004). Cet engagement professionnel résulterait alors assez largement, chez les enseignants entrant tôt dans le métier, d’un sentiment d’évidence à propos de l’enchaînement des études avec la voie professorale (Périer, 2014 ; Rayou, van Zanten, 2004).

L’inscription dans le métier s’inscrit non seulement dans l’origine sociale et les parcours scolaires et universitaires mais aussi dans la situation conjugale et familiale. Ainsi, comme le soutien Delcroix, la féminisation de la profession peut s’expliquer par le fait que le professorat des écoles est ajusté à « la vie de certaines femmes mariées avec enfants […] qui leur permet d’articuler vie professionnelle et vie familiale » (2011, p. 10). Cet ajustement peut intervenir à la sortie des études ou à la suite d’autres expériences professionnelles. Comme dans d’autres « mondes du travail » (Pailhé, Solaz, 2009), ces

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