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Les ressorts du laboratoire autonome: un kaléidoscope socio-culturel

1. L’art d’épouser son temps

1.1.1. Distribuer l’autorité

L’autorité correspond à l’un des dispositifs du pouvoir scientifique méritant d’être tempéré aux yeux de certaines artistes. C’est le cas de Theodora, qui arrime d’emblée son implication dans la DIYbio à une motivation politique. Questionnée au sujet de son intérêt pour le mouvement de la DIYbio, elle répond :

« Hmm... I have a political interest. In the sense that, I'm interested in... demystifying a little bit the authoritative value that, the significance that we give to science. In the sense that we created this big monster that has all the power and all the authority and we can't do anything. And, not just because they are super powerful, but because we don't know

what they are doing. A lot of things they are doing are not... I mean, they are not that

special ». (Theodora)

Cet intérêt politique se conjugue à ce qu’elle appelle un « activisme scientifique », inspiré, précise-t-elle, de celui développé par certains groupes de patients, lesquels se seraient rendu compte que, pour se faire entendre par les décideurs politiques, il leur fallait aller au-delà des traditionnelles manifestations dans les rues et acquérir des connaissances en science et en politiques publiques. Elle brosse ici certaines particularités de cet activisme scientifique :

« I'm very interested in activism within science because it's a little bit different than activism that you play on the street. And it's more tricky... I think. Because […] you need to be knowledgeable in order to act. You can't do direct action only. Otherwise they will just

shut the door of the lab! And you won't be able to enter anymore... But you need information. So you need to infiltrate the labs, you need to know what they are doing, you need to work with them ». (Theodora)

Cette mise en question de l’autorité scientifique a pour particularité qu’elle ne repose pas sur une connaissance des limites théoriques et épistémologiques des assertions produites par les scientifiques, mais plutôt sur la popularisation des pratiques de ces derniers. C’est là tout le sens d’une approche manuelle (hands-on) 7: si l’on suit la perspective de Theodora, c’est en devenant chercheur soi-même par une initiation aux pratiques expérimentales que le citoyen pourra amenuiser l’effet d’autorité qu’exerce sur lui la parole scientifique. Aussi la DIYbio est-elle perçue comme un outil permettant à cette artiste de poursuivre une action politique de démystification de la science auprès du public. Au sujet de la DIYbio, Theodora déclare:

« It's a way to introduce the public to science and it's way to tell the public that science is not this untouchable entity that cannot be contested, or cannot be discussed, or cannot be understood ». (Theodora)

La pratique profane d’expérimentations scientifiques de règle réservées aux laboratoires professionnels devient ici l’outil par excellence de déconstruction des supposées « autorité et valeur accordées à la science ». Il va presque de soi que le matériel des laboratoires professionnels fasse également partie des éléments à être démystifiés. Là encore, la DIYbio, par sa philosophie de la fabrication autonome, recèlerait un important potentiel. Les profanes, insiste Theodora, n’ont pas à se procurer des équipements et instruments de niveau professionnel produits industriellement. Même si, face à leurs analogues commerciaux, les créations matérielles (au sens de hardware) des adeptes de la DIYbio peuvent arborer les codes d’objets bricolés sur-le-champ et inachevés, pour elle, l’important est de se rendre compte que les solutions DIYbio peuvent être tout aussi fonctionnelles que les équipements professionnels (tout dépendant certes des pratiques expérimentales en jeu et de leur visée).

7

Cette même approche est mise en avant par Adam Zaretsky, un bio-artiste très proche des communautés DIYbio européennes qui offre notamment des ateliers de « bioéthique en action » lors desquels les participants « […] have to learn lab techniques such as DNA extraction because he is convinced that one needs to have hands-on experience to be able to do bio-ethics » (J. KEULARTZ et H. VAN DEN BELT, « DIY-Bio - economic, epistemological and ethical implications and ambivalences », op. cit., p. 11).

Aussi banale qu’elle ne paraisse, cette démystification matérielle ne va pas toujours sans heurts. Lors d’une réunion de membres DIYbio à laquelle j’ai assisté, un participant universitaire reprochait aux équipements fabriqués informellement leur « imprécision », car les expérimentations génétiques en discussion demandaient, d’après lui, une rigueur sans concession; pour l’artiste qui privilégiait l’usage de matériaux non-commerciaux, il s’agissait d’une facette de plus de la délégitimation scientifique des pratiques profanes8. Avec conviction, Theodora affirme:

« And, yes, the DIY instruments are ugly!, but they work the same as the super clean instrument that sits in the lab in the sterile environment. So these are the things that I think we should be aware of. And, I think we should experiment with the tools that we have at hand so that we can show people: “Look, you can do these kinds of things, to a certain extent. Science is difficult, but it's not as difficult as you think it is” ». (Theodora)

L’essentiel, paraît-il, en est de démontrer que la science—réduite à son travail expérimental— est à la portée des non-scientifiques. C’est d’ailleurs exactement ce que font résonner certaines études sur la DIYbio: « By using simple methods, unconventional tools (working in a ‘use what is there’ mode), approximated metrics, non-standardized mediums and a non- systematic data collection, we were shown [in a DIYbio workshop] that doing biology is easy and accessible and that you can also do it9 ». Cette approche manuelle est d’ailleurs perçue comme un moyen de mettre en question jusqu’au « monopolies of the pharmaceutical industry ».