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Les ressorts du laboratoire autonome: un kaléidoscope socio-culturel

1. L’art d’épouser son temps

1.1.2. Déconstruire la culture du risque

Adapter à des fins artistiques l’usage technoscientifique des biotechnologies suppose de pouvoir toucher à l’appareillage techno-instrumental emmuré à l’intérieur des laboratoires

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Un contre-exemple de l’accueil par des universitaires de cette inventivité matérielle a pu être observé lors de l’atelier de transformation bactérienne. Après avoir procédé à l’ensemble des étapes d’insertions des différentes séquences de plasmides aux génomes des bactéries dans le but d’en faire des colonies microbiennes aux couleurs personnalisées, il fallait les incuber pour les faire se multiplier. L’incubateur professionnel fut substitué par un aquarium transformé en chambre à température régulée contenant les bactéries transformées ensemencées dans du agar déposé dans des contenants alimentaires en plastique. Mais il manquait à cet incubateur DIY la source de chaleur constante et à la température adéquate pour la croissance des colonies bactériennes. L’universitaire organisateur de l’atelier, formé dans les laboratoires de prestigieuses universités, s’initiait de toute évidence à la méthode d’« incubation improvisée ». Il n’a pas tardé à être secouru par une bio-artiste qui, forte de ses expériences antérieures, a proposé tout simplement l’utilisation d’une lampe incandescente, expliquant que la chaleur irradiée à un voltage précis suffisait à atteindre les alentours de la température nécessaire pour une croissance optimale des colonies. L’universitaire fut ravi de la solution bon marché et sous la main rapidement dénichée.

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institutionnels. Emportés, semble-t-il, par la prérogative de la classe scientifique sur le travail expérimental, les récits de mise en cause des normes construisant le laboratoire comme lieu inaccessible au commun des mortels revêtent parfois le laboratoire des allures d’un fief confisqué au cœur d’un enjeu de ségrégation socio-politique. Le cas de Tagny Duff (décrit dans le chapitre méthodologique) en est un exemple paradigmatique. Lors de sa conférence publique dans le cadre de l’évènement « The Spaces of Hacking », cette artiste affiche un symbole de risque biologique communément placardé sur les portes des laboratoires biotechnoscientifiques (ce que rappelle ici la figure 2) : un emblème de la culture et de la société du risque dont l’injonction pourrait se résumer par « danger, tenez-vous éloignés ».

Figure 2 - Panneau de risques biologiques associé à l’indication d’accès restreint

Face à ce type de discours, il est difficile de ne pas se rappeler l’anti-conformisme et de l’appel à l’action qui se déclenchait chez les premiers hackers à la vue de « portes closes » : « To a hacker, a closed door is an insult, and a locked door is an outrage10 ». À la différence des hackers du MIT qui ont développé des techniques élaborées de « hacking de serrures » des salles qui les maintenaient à distance de leurs machines de rêve, dans le domaine des biotechnologies, l’accès aux pratiques de laboratoire semble passer par un travail moins manuel et davantage idéologique : il s’agit de « démystifier la biologie high-tech » et de déconstruire la culture du risque sur laquelle prend appui ce tableau et son injonction—laquelle a ceci de particulier qu’elle est invalide pour une certaine population, en l’occurrence les professionnels.

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L’un des pivots de la construction du laboratoire en tant que lieu clos et réservé à une population spécifique réside en effet dans le dispositif de régulation des risques (pour la santé humaine, l’environnement, la sécurité nationale)11. D’après les propos tenus par Tagny Duff, ces règles de santé et de sécurité relèvent en grande partie d’un dispositif socio-normatif de mise à distance des non professionnels vis-à-vis des laboratoires technoscientifiques; elles doivent par conséquent être démystifiées. De là le rôle joué par certaines de ses pratiques artistiques à la démarche plus transgressive qui, accessoirement ou non, pourfendent la culture du risque.

Œuvres de chair, façonnées par l’inoculation de virus rétroviraux synthétiques industriels à des cultures tissulaires d’espèces variées, certaines réalisations de cette artiste constituent d’elles- mêmes une fronde à la société du risque12 dont Ulrich Beck a fait la description classique. Ce n’est pas dire que l’artiste en fasse son cheval de bataille ni sa motivation originelle, mais que la facture de ses œuvres est inextricable de cette problématique. Sans doute, s’attaquer aux « peurs irrationnelles »13 dont est infusée la culture du risque suppose de défier non uniquement les organismes réglementaires et les institutions de recherche, mais également le public, tout autant imprégné de ses représentations14.

La DIYbio active, pour sa part, une tout autre conception du laboratoire et du rapport aux pratiques expérimentales. Nurit Bar-Shai, l’artiste co-fondatrice et directrice du programme en

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Pour un panorama de l’état des lieux en ce qui concerne à la fois les enjeux de sûreté et de sécurité du laboratoire aux États-Unis, voir NATIONAL RESEARCH COUNCIL, Prudent practices in the laboratory: handling and management of chemical hazards, Updated ed., Washington, D.C, National Academies Press, 2011.

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Pour une description conceptuelle de son projet de reliure de livres en peau humaine cultivée par des techniques de culture tissulaire, voir Tagny DUFF, « Cryobook Archives », Canadian Journal of Communication, 2012, vol. 37, no 1, p. 147- 154; pour une vidéo de l’installation, SCIENCE GALLERY DUBLIN, Tagny Duff - Cryobook Archives, 2013; pour le projet Living Viral Tattoos, consulter Tagny DUFF, Jill MUHLING, Maria Grade GODINHO et Stuart HODGETTS, « How to Make Living Viral Tattoos », Leonardo, 2011, vol. 44, no 2, p. 164-165.

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Dans l’un des chapitres de sa thèse, Duff décrit comment son projet Living Viral Tattoos a pu déclencher « [an] irrational concern for public safety », si bien que son exposition fut annulée (Tagny DUFF, « Bioremediality: Biomedia, imaging and shifting notions of liveliness across art and science », Thèse de doctorat, Département d’Humanités, Université Concordia, Montréal, 2014, p. 102).

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Son projet de subversion de l’usage que font les laboratoires institutionnels de l’incubateur ébranle la culture du risque autant chez le public que chez les experts. Alors que les pratiques scientifiques sont pensées de manière à éviter toute « contamination » des organismes qui font l’objet des manipulations, l’incubateur est censé fournir le milieu le plus adapté à la croissance de souches spécifiques tout en conservant le milieu stérile à l’égard de souches non-désirées. Ainsi, résume Duff en présentant son projet, « […] the aim of the incubator is also to remain sterile. You don't want any contamination in the incubator [...]. And what I'm interested in is kind of polluting that relationship, and bringing in the human, having a relationship with different types of bacteria, fungus, viruses, and trying to think about a relationship across scales. So across the human dimension to this microscopic world that we co-exist with everyday. But in scientific practices with different scientific instruments we really try to isolate this relationship. And I wanna see what new kinds of relationships we can have » (GNETWERK, Tagny Duff 2013 SUB H, https://www.youtube.com/watch?v=q3kdbzpjyes, consulté le 9 septembre 2016.)

Arts & Culture du renommé Genspace, écrit au sujet de ce premier laboratoire DIYbio à avoir vu le jour,

« The first lab of its kind, Genspace allows anyone to envision our biotech future, to comment on it and participate in its making15 ».

Avec la DIYbio, on passe de laboratoires biotechnoscientifiques à l’accès fortement régulé et placardés de toute sorte de signes éveillant la peur, à un milieu expérimental alternatif qui en plus d’être ouvert à tous, comme l’exprime ce dernier extrait, peut être mobile, grâce à la mise au point de kits de bioingénierie transportables dans une valise. D’après la chercheuse en communication et membre du réseau DIYbio, Denisa Kera, « […] the DIYbio movement is transforming the laboratory into a public and even nomadic, temporal, and movable space […]16 ». Plus largement, elle associe ce « return of the private and public functions of the laboratory » à un « retour à la science prémoderne », celle où les frontières entre science et politique peuvent enfin s’estomper à nouveau.

De ce nouveau laboratoire bioexpérimental, la figure 3 synthétise l’esprit. Nous y voyons un atelier où des enfants s’initient à la biologie synthétique à l’aide du kit Amino17. Selon la designer à son origine, ce kit « brings synthetic biology to the masses ». Il vise également à « […] to

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Nurit BAR-SHAI, « Art & Science at Genspace, Brooklyn’s Community Biotech Lab », in Annick BUREAUD, Roger F.MALINA et Louise WHITELEY (dir.), META-LIFE: Biotechnologies, Synthetic Biology, ALife and the Arts, E-Book, Cambridge, Leonardo/MIT Press, 2014.

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Denisa KERA, « Do-It-Yourself biology (DIYbio): Return of the Folly of Empiricism and Living Instruments », op. cit.

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À savoir un « mini-labo de bioingénierie » qui selon sa conceptrice « […] enable[s] anyone to learn how DNA can be used to program living systems in order to create things» (Julie LEGAULT, Synbio for the Masses: A Media Lab Grad’s « Deploy or Die » Story, https://medium.com/mit-media-lab/synbio-for-the-masses-a-media-lab-grad-s-deploy-or-die- story-dc712311079a#.hf41rz41h, consulté le 10 décembre 2016). C’est après être tombée sous les charmes de cette discipline qui lui a fait entrevoir un avenir où chacun pourrait « manufacturer ses propres organismes » (que ce soit pour produire des pigments, des arômes, des vitamines ou des saveurs pour intégrer à ses préparations culinaires) que la diplômée du laboratoire de médias du MIT—où selon elle, « […] the norm is to learn by doing and to do by making […] » (Ibid)—a décidé de mettre au point ce kit convivial de bioingénierie : « […] our goal is to make genetic engineering accessible to everyone and enable the next wave of personalized manufacturing using biology » (Julie LEGAULT, Amino: Desktop Bioengineering for Everyone, https://www.indiegogo.com/projects/1463119, consulté le 11 décembre 2016). Inspirée des traditionnels kits amateurs pour chimie et électronique, et convaincue que « […] we should be able to experiment with plug-and-play biotechnology […] » (J. LEGAULT, « Synbio for the Masses », op. cit.), la designer souhaite faire de la biologie synthétique et du génie génétique en général « […] appealing, intriguing to non-biologists, hackers, and regular people » (Ibid). Fabriqué à Montréal et commercialisé depuis l’été 2016, le kit comporte tous les éléments nécessaires à la transformation bactérienne (des souches non régulées car classifiées non-pathogéniques). Au moment d’écrire ces lignes, en attente des prochaines, deux « applications » sont disponibles : transformer les bactéries en médiums de peinture et les faire reluire de lumière phosphorescente.

take away some of the fear and complexity from basic interactions with synthetic biology and bioengineering18 ».

Figure 3 - Atelier d’initiation à la biologie synthétique pour enfants avec le kit de laboratoire personnel Amino19

1.2. De la médiation

Alors que l’ensemble des artistes interviewées, ainsi que Tagny Duff, contestent d’une façon ou d’une autre le principe de séparation des pratiques des scientifiques de celles des profanes, un récit s’en démarque par une intonation moins contestataire et la proximité avec ce que l’on pourrait appeler de la médiation scientifique par la voie de l’art. Par cela j’entends une transmission au grand public, des enfants jusqu’aux adultes, de différentes pratiques technoscientifiques agrémentées d’un souci pour la dimension créative ou ludique. C’est ce que fait émerger l’entretien avec Francine en particulier.

Animée par une soif de connaître le monde par l’entremise de la méthode scientifique, et faisant montre d’une affinité quasi innée pour la méthode expérimentale en tant que dispositif d’apprentissage, Francine va jusqu’à voir son art comme le dernier stade d’un processus

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J. LEGAULT, « Synbio for the Masses », op. cit. Sur la page de financement du produit, la designer rearticule plusieurs éléments parus dans les extraits précédents: « By bringing the science out of the labs with the Amino, we are enabling everyone to take part in their own future by creating and problem-solving at home and in the DIY labs » (J. LEGAULT,

« Amino », op. cit).

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d’enquête expérimentale sur le monde qui l’entoure. Il serait une mise en exposition esthétique d’une question examinée à l’aide des outils de laboratoire. Ici elle précise cette visée cognitive dont s’accompagnent ses travaux :

« I think, yeah, I'd say I don't know if I'm a very good artist, per se. ‘Cause my intention isn't to make things pretty... [...] I just wanna understand, as much as I can, and use whatever materials I think is necessary to understand the question ». (Francine)

Son intérêt pour la DIYbio s’inscrit dans cette démarche dans laquelle se conjuguent art et épistémè:

« I would like… Like, my interest, to do DIYbio is to, yeah, play around. Again, […] in my core, it is just understanding things, right? And I'd love to produce an artwork afterwards [after my experimental inquiry], ‘cause that's my way of fully comprehending, so... […] if I could learn things with this [DIYbio] community […] ». (Francine)

L’intérêt d’un apprentissage auprès de la communauté DIYbio c’est qu’il se réalise sous une modalité autre qu’institutionnelle, dans la mesure où il permet notamment de travailler dans un projet autonome (selon ses mots, « on a project self-directed »). Selon Francine,

« […] a nice thing about doing citizen biology [is that] you don't have maybe the red tape of being in a [university]… There's pros and cons. Sometimes when you work in a university, the materials are there to use […]. But, if we're doing it all ourselves, there's something fun about doing it from the ground up, you know, you have to use cheaper materials20. Maybe, instead of, the, like, medical-grade agar, you have to use agar from a Chinese grocery store, you know. I like that kind of grassroots approach... And it's also fun to do studies and research just for, the joy of doing research. And that's, I think, what DIYbio can be about ». (Francine)

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Il est intéressant de noter que la difficulté d’accès à des matériaux et à des équipements dans le cadre de la pratique DIYbio correspond en même temps à un attrait pour plusieurs adeptes de la DIYbio, et tout spécialement pour ceux et celles à profil artistique. Pour plusieurs, ce type d’obstacle constitue un appel à la débrouillardise avec tout ce qu’elle implique d’inventivité, d’ingéniosité, de créativité. L’esthétique « inachevée » des matériaux et des outils rend en quelque sorte honneur à cette débrouillardise.

On touche ici à plusieurs aspects du rapport de cette artiste avec la DIYbio. Il s’agit pour elle d’un réseau d’échanges de connaissances, mais aussi d’un cadre permettant de « se donner le projet que l’on veut » sans autre fin que la « joie de faire de la recherche ». Ce surcroît d’autonomie et l’affranchissement de la bureaucratique universitaire ne viennent cependant pas sans leur lot d’obstacles, étant donné que le projet doit être mené dans un cadre dépourvu des ressources matérielles et technologiques courantes au sein des institutions de recherche—un défi déterminant pour la pratique de la DIYbio, comme nous le verrons dans un autre chapitre.

Poursuivons avec le cas de Francine. La DIYbio représente pour elle une voie de plus dans l’exploration de sa passion pour l’expérimentation scientifique, exprimée par « la joie de faire de la recherche ». La médiation art-sciences tenant une place centrale dans son travail, l’un de ses projets porte sur la conception et la fabrication d’un « laboratoire mobile » pouvant accompagner des artistes dans des incursions à travers la ville :

« We wanna have a mobile lab, that's bringing the science to everyone ». (Francine)

Construit par des mains artisanes créatives et débrouillardes—et beaucoup moins ambitieux techniquement et commercialement que celui que propose Amino One—, ce laboratoire mobile pourrait même n’être équipé que pour des expériences de simple observation microbiologique ou séquençage génétique. Quel que soit le niveau de l’expérimentation proposée, chez Francine, apporter la science à tous et à toutes revient aussi à médier la joie de la recherche qui accompagne pour cette artiste l’investigation scientifique du monde.

Notes finales sur le cas des artistes

En faisant de l’appropriation des expérimentations biotechnoscientifiques un préalable à leurs créations, les artistes deviennent parties prenantes de la marche technoscientifique : il s’agit davantage d’esthétiser les normes symboliques propres aux biotechnosciences que d’ouvrir une brèche vers des valeurs autres que celles de la société qui voit naître l’art21. Cela dit, comme en

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En d’autres termes, lorsque d’immenses fenêtres vitrées d’une galerie d’art deviennent la vitrine de l’anatomie d’une expérimentation scientifique, il est possible d’avancer, dans la suite des perspectives de certains auteurs sur l’art contemporain et le bio-art, que les démarches des artistes interviewées tendent à se situer à l’intérieur de leur monde. Je me réfère ici notamment à des analyses élaborées par Yves Michaud, pour qui «[…] il ne faut pas oublier que l’art a, ou plutôt peut avoir, une dimension noire, transgressive, peut ne plus être imitation du monde mais production d’un monde nouveau dont les valeurs sont non seulement contraires à celles du monde accepté mais tout bonnement autres »

font foi les propos des artistes, faire œuvre de création à l’intérieur du monde ne rend pas pour autant la pratique artistique uniforme ni socialement inoffensive. À l’intérieur même du groupe des artistes, la diversité des dialogues noués avec la DIYbio est notable.

Certaines artistes attèlent leurs pratiques à une sorte d’« activisme scientifique », d’autres identifient le bio-art ainsi que sa la nouvelle possibilité de développement DIYbio, à une approche quasi intrinsèquement critique, alors que d’autres encore sont attirées par l’aspect cognitif du sondage des matériaux biotiques. Au-delà de ces variations, leurs discours et leurs travaux se rejoignent dans la mise en cause du statu quo du laboratoire comme un espace d’enclosure, où seule une classe de « privilégiés » détient le droit de procéder à l’expérimentation. En cela, il est possible d’affirmer qu’indépendamment de leurs rapports avec l’institution scientifique, ces artistes partagent ce que l’on pourrait appeler un esprit non-conformiste à l’égard de la pratique expérimentale. Délibérément ou pas, leurs démarches incarnent une contestation des normes sociales dont se servent les institutions pour asseoir des formes d’autorité qui légitiment la mise à distance des non-scientifiques des laboratoires professionnels.

Un dernier mot sur les rapports des artistes avec d’autres membres du réseau DIYbio. Il est intéressant de remarquer que celles rencontrées au long des entretiens et des observations paraissent rester des « insiders-outsiders », même si certaines participent activement de communautés DIYbio—l’une d’elles s’est d’ailleurs spontanément auto-déclarée une « insider-

(« Arts et biotechnologies », in Jean-Yves GOFFI (dir.), Regards sur les technosciences, Paris, Vrin, 2006, p. 201) ; je pense également à Cornelius Castoriadis, pour qui l’art établit un « passage et ouverture vers l’Abîme » : « L’œuvre d’Art n’existe qu’en supprimant le fonctionnel et le quotidien, en dévoilant un Envers qui destitue de toute signification l’Endroit habituel, en créant une déchirure par laquelle nous entrevoyons l’Abîme, […] » (Cornelius CASTORIADIS, « La laideur et la haine affirmative du beau », in Enrique ESCOBAR, Myrto GONDICAS et Pascal VERNAY (dir.), Fenêtre sur le chaos, Paris, Éditions du Seuil, 2007, p. 46). Les visées des interpénétrations contemporaines arts-sciences peuvent toutefois faire objet de débat. Des artistes présentent souvent leurs démarches sous le signe de la contestation et de la critique. C’est le cas entre autres du célèbre collectif Critical Art Ensemble (CAE), qui sert d’ailleurs d’inspiration pour la DIYbio: « Formed in 1987, CAE’s focus has been on the exploration of the intersections between art, critical theory, technology, and political activism » (CAE, Critical Art Ensemble, http://critical-art.net/, consulté le 7 septembre 2016). De leur côté, des observateurs se montrent sceptiques quant à la portée critique du bio-art : en prenant la matière et les processus vitaux pour substrat de création à part entière, ne participe-t-il pas à la marche technoscientifique d’expansion de la mainmise technique sur le vivant plutôt qu’il ne la subvertit ? Comme l’écrit Élizabeth Abergel: « Il est […] difficile de concevoir comment le bio-art, imprégné d’un contexte technoscientifique qui, paradoxalement, s’inspire d’une pensée que l’on pourrait qualifier de biopolitique dans le sens foucaldien, puisse aspirer à sa propre autonomie et à l’émancipation du sujet politique à travers ses œuvres » (« La connaissance scientifique aux frontières du bio-art: le vivant à l’ère du post-