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Chapitre 5. Discussion

5.3. Discussion sur l’acceptation ou non des recommandations infirmières en lien avec l’usage des AP

Les mentors ont recommandé de réduire ou cesser l’usage des AP pour 93,8% des aînés. Néanmoins, les résultats montrent que les recommandations infirmières engendrent un arrêt de l’usage des AP pour 6,7% des aînés et une diminution de la dose pour 15,1% d’entre eux.

Les mentors de l’équipe de mentorat ont été interrogés afin de connaître leur perception en ce qui concerne l’acceptation ou non des recommandations infirmières en lien avec la médication. Les résultats qualitatifs obtenus viennent enrichir la compréhension des résultats quantitatifs obtenus.

Les mentors ont la perception qu’il y a une diminution de l’usage des AP à la suite des recommandations infirmières en lien avec la médication. En contrepartie, ils n’ont pas l’impression qu’il y a un arrêt complet de la consommation d’AP. Ces résultats corroborent les résultats obtenus dans le volet quantitatif. En effet, les mentors ont recommandé de réduire ou cesser l’usage des AP à 93,8% des aînés. Néanmoins, les résultats montrent que les recommandations infirmières mènent à un arrêt de l’usage des AP pour 6,7% des aînés et à une diminution de la dose pour 15,1% d’entre eux.

Tout d’abord, les informations obtenues dans le volet qualitatif suggèrent que les principaux facilitateurs à l’acceptation des recommandations infirmières en lien avec la médication sont : l’ouverture du médecin, l’accessibilité et la disponibilité des prescripteurs; les connaissances de l’équipe multidisciplinaire; les programmes de formation sur les données probantes; les résultats de la surveillance clinique et la révision du profil médicamenteux.

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Ensuite, les principaux résultats concernant les barrières à l’acceptation des recommandations infirmières en lien avec la médication sont : un manque de temps et de ressources pour l’instauration d’INP efficaces; les croyances sur les TNCM, les SCPD, les INP et les AP; l’inaction et la rigidité des médecins; la collaboration entre les mentors et les médecins qui serait fluctuante; une pression continue exercée sur les médecins dans certains milieux afin qu’ils prescrivent.

La discussion qui suit traitera de certains facteurs facilitants et barrières à l’acceptation des recommandations infirmières.

À la connaissance de l’étudiante-chercheuse, il n’existe pas d’études consacrées à l’évaluation de l’efficacité d’un programme de formation sur l’acceptabilité de recommandations infirmières au sujet de la médication. Toutefois, les infirmières de l’équipe de mentorat s’entendent pour dire que l’éducation et la formation ont des retombées positives sur l’acceptabilité des recommandations infirmières sur l’usage des AP. Les études recensées appuient l’hypothèse des infirmières de l’équipe de mentorat selon laquelle l’éducation et la formation des professionnels de la santé constituent des facteurs facilitant l’usage optimal des AP (Brodaty et al., 2018; Gozalo, Prakash, Qato, Sloane et Mor, 2014; Sirois et Ouellet, 2018; Westbury et al., 2018).

On peut donc présumer que l’acceptation des recommandations infirmières concernant la médication peut être facilitée par des programmes de formation et d’éducation. Cependant, bien que l’éducation et la formation effectuées auprès des professionnelles de la santé et de la famille aient démontré leur efficacité dans plusieurs études pour la gestion optimale de la médication, elles ne constituent pas à elles seules un facteur prédictif de changement important (Walsh et al., 2018). En effet, bien que la plupart des professionnels de la santé possèdent certaines connaissances au sujet de la TNCM, des SCPD ainsi que de la gestion non pharmacologique et pharmacologique, la manière d’appliquer les connaissances issues des données probantes demeure un défi de taille dans ce domaine (Walsh et al., 2018). La discussion suivante portera sur les éléments pouvant également influencer l’acceptation ou non des recommandations infirmières en lien avec la médication.

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À titre de comparaison, l’étude de Jennings et ses collaborateurs (2018) a obtenu des résultats divergents aux mentors de l’équipe de mentorat, mais qui demeurent importants pour comprendre des résultats obtenus dans le volet quantitatif. Bien que ces éléments n’aient pas été abordés dans la présente étude par les mentors, des sentiments tels que l’auto-efficacité ou l’assurance peuvent inciter les médecins à recommander l’utilisation d’INP et à diminuer l’usage des AP (Jennings et al., 2018; Sirois et Ouellet, 2018). Un faible niveau d’auto-efficacité chez les médecins peut occasionner l’inactivité de ceux-ci à suivre les recommandations. En effet, le fait de ne pas agir a pour but d’éviter des situations qui révéleraient une incompétence supposée (Bandura, 1982).

Il est donc possible d’émettre l’hypothèse selon laquelle un faible sentiment d’auto-efficacité et d’assurance chez les médecins peut exercer une influence sur l’acceptabilité des recommandations infirmières en lien avec l’usage des AP s’ils ne maîtrisent pas adéquatement tous les concepts entourant un aîné atteint de TNCM. Évidemment, des études supplémentaires seront nécessaires pour approfondir ces interprétations.

Les mentors ont affirmé dans les questionnaires en ligne que les croyances sur les TNCM, les SCPD, les INP et les AP peuvent avoir des effets sur l’acceptation ou non des recommandations infirmières. Bien que les infirmières de l’équipe de mentorat n’aient pas donné d’exemples concrets de croyances, celles-ci peuvent prendre différentes formes : les INP ne sont pas considérées comme une stratégie crédible de gestion des SCPD; l’interruption des AP entraînerait une exacerbation des SCPD (Jennings et al., 2018); les AP sont efficaces et ne provoquent pas d’effets indésirables (Sirois et Ouellet, 2018); les INP ont une efficacité de 50% et deviennent inefficaces avec l’évolution des TNCM et des SCPD; la médication AP est facile à utiliser, efficace, sûre et répond aux besoins des aînés; contrairement aux INP, les AP constituent la solution la plus facile à mettre en place pour les aînés, le personnel soignant et les médecins (Kerns, Winter, Winter, Boyd et Etz, 2018). Il n’est donc pas impossible que les médecins qui ont été en lien avec les mentors partageaient aussi ces opinions. Toutefois, ceci reste une fois de plus à démontrer.

Ces exemples de croyances peuvent influencer les pensées et les comportements liés à la gestion des SCPD (Dumont, 2017). En effet, il est possible que le fait de ne pas croire en l’efficacité

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d’un traitement tel que l’usage des INP comparativement aux AP ait une influence sur l’acceptabilité des recommandations infirmières concernant les AP (Dumont, 2017).

En résumé, les croyances des médecins peuvent engendrer l’inaction par rapport aux recommandations infirmières au sujet des ordonnances d’AP. Les croyances pourraient donc constituer un facteur expliquant le faible taux de diminution de l’usage des AP (10%) malgré le nombre important de recommandations infirmières (93,8%) en ce qui concerne les changements à apporter pour ce qui est de l’usage des AP.

Les infirmières de l’équipe de mentorat se sont exprimées sur l’importance d’une collaboration interprofessionnelle dans tout le processus de prise en charge des SCPD. À la connaissance de l’étudiante-chercheuse, il n’y a aucune étude consacrée à l’efficacité d’un partenariat infirmière-médecin concernant l’acceptation ou non de recommandations infirmières par des médecins. Toutefois, il est possible d’établir une comparaison avec une revue systématique menée par Supper et ses collaborateurs (2015). Cette revue systématique qualitative sur les barrières et les facilitateurs à la collaboration interprofessionnelle a été menée auprès des professionnels suivants : médecins généralistes, pharmaciens, agents de santé mentale, sages- femmes, physiothérapeutes, assistants sociaux et réceptionnistes (Supper et al., 2015). À la suite de cette revue, les résultats suivants ont été obtenus : la collaboration entre les différents professionnels de la santé améliore la qualité des soins et engendre le passage de la subordination à la complémentarité tout en améliorant la satisfaction des besoins des patients (Supper et al., 2015). Les infirmières de l’équipe de mentorat abondent dans le même sens et avancent que la collaboration interprofessionnelle améliore l’acceptabilité par les médecins des recommandations infirmières en lien avec les ordonnances médicamenteuses. Ces recommandations sont d’ailleurs formulées dans le but d’améliorer le processus de prise en charge des SCPD.

En résumé, l’hypothèse selon laquelle la collaboration infirmière-médecin peut influencer positivement ou négativement l’acceptabilité des recommandations infirmières en lien avec la médication a été reconnue par la revue systématique de Supper et ses collaborateurs (2015). Une future étude devra tester si l’amélioration de la collaboration interprofessionnelle aura le même effet positif sur l’usage optimal des médicaments dans le contexte des SCPD.

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Les infirmières de l’équipe de mentorat ont émis l’hypothèse dans les questionnaires qualitatifs qu’un manque de temps et de ressources pour l’instauration d’INP efficaces pouvait représenter un obstacle à l’instauration d’INP et l’acceptation des recommandations infirmières en lien avec la médication psychotrope. Cette hypothèse est appuyée par diverses études.

Le manque de personnel dans le domaine de la santé au sein des différents établissements avait pour conséquence que les médecins généralistes ne recommandaient pas l’utilisation des INP (Jennings et al., 2018). Selon une autre étude, l’explication résidait dans le fait que le personnel soignant avait l’impression que celles-ci nécessitaient plus de temps que l’administration d’AP (Kerns, Winter, Winter, Boyd et Etz, 2018). De plus, le manque de personnel et de ressources laisserait peu de temps et de moyens à l’instauration de nouvelles pratiques (Walsh et al., 2018). Finalement, selon une dernière étude, les médecins avaient avancé que les ressources professionnelles pour les aider sont variables et que leur disponibilité est discutable puisque celles-ci sont déjà submergées par les demandes (Kerns, Winter, Winter, Boyd et Etz, 2018).

La pénurie de personnel et le manque de ressources sont également des obstacles auxquels sont confrontées les infirmières de l’équipe de mentorat lorsqu’elles font part de leurs recommandations infirmières concernant l’instauration d’INP et la diminution de l’usage des AP. Ces difficultés sont également recensées dans plusieurs études, et elles constituent ainsi une barrière à l’acceptabilité des recommandations infirmières en lien avec la médication. Ceci dit, dans cette étude, les INP ont été mises en place et elles se sont avérées efficaces. Ainsi, il n’est pas possible d’évoquer un manque de temps des infirmières pour expliquer l’absence d’adhésion des médecins aux recommandations infirmières sur la diminution des AP.

Les mentors sont aussi d’avis que les médecins reçoivent de la pression du personnel soignant pour qu’ils prescrivent des AP. La revue de la littérature de Jennings et ses collaborateurs (2018) a obtenu des résultats similaires à nos résultats en ce qui concerne les pressions exercées par le personnel soignant et les familles auprès des médecins afin qu’ils prescrivent des AP. De plus, ces derniers ont affirmé qu’ils recevaient des demandes urgentes de prescription d’AP lorsque les aidants naturels des aînés avec un TNCM étaient épuisés (Kerns, Winter, Winter, Boyd et Etz, 2018). Il est alors possible d’émettre l’hypothèse selon laquelle la pression exercée sur les médecins pour

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qu’ils prescrivent des AP les rend moins favorables à vouloir accepter des recommandations de mentors externes à l’établissement sur la déprescription de la médication. Les médecins souhaitent possiblement rester solidaire au personnel de l’établissement et aux proches.

Les infirmières de l’équipe de mentorat ont identifié des facteurs facilitants et des obstacles à l’acceptation des recommandations infirmières en lien avec l’usage des AP. La discussion précédente montre que les mentors ont des hypothèses crédibles au sujet des éléments qui influencent l’acceptabilité des recommandations infirmières sur la médication. En effet, bien qu’il n’ait pas été possible d’établir un lien direct avec des études sur des recommandations infirmières, les études présentées fournissent des explications potentielles sur les facteurs pouvant influencer la décision des médecins quant à l’acceptabilité.