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5.6 Étude locale

5.6.3 Discussion

La surface de 67P ne présente que de faible hétérogénéités spectrales entre les différentes régions ou entre différentes zones arbitraires (Capaccioni et al.,2015;Ciarniello et al.,2015;Quirico et al.,2016). De manière générale, la composition est la même sur l’ensemble de la surface et il n’existe pas une diversité telle que l’on peut retrouver sur d’autres corps du Système Solaire. Cette étude est la première à étudier la photométrie des terrains morphologiquement distinct au sein d’une région précise de la surface de 67P. Elle ne s’intéresse non pas aux caractéristiques globales de cette surface mais bien aux particularités pouvant se trouver à une échelle qui n’est pas toujours prise en compte.

Les écarts constatés dans les niveaux absolus des albédos de diffusion simple et des pentes spectrales doivent être interprétés à la lumière de plusieurs processus. Les terrains habituellement plus clairs à la surface de 67P sont généralement associés à une pente moins rouge, ces indicateurs étant interprétés comme l’indice d’une plus forte teneur en glace d’eau (Fornasier et al., 2015; Fornasier et al., 2016;

Filacchione et al.,2016a;Ciarniello et al.,2016) ; c’est par exemple le cas de la région de Hapi qui est par ailleurs une région d’aspect lisse. Cette tendance n’est pas observée ici : le terrain lisse sélectionné sur la région d’Imhotep présente un albédo de diffusion simple plus élevé mais une pente spectrale plus rouge que le terrain accidenté. Ces observations ne semblent donc pas compatibles avec l’interprétation d’une teneur en glace d’eau plus importante et celle-ci ne peut s’appliquer.

Il est dès lors nécessaire de passer en revue d’autres processus pour essayer d’expliquer la différence observée entre les deux types de terrains. L’altération spatiale est par exemple à l’œuvre sur tous les objets sans atmosphère du Système Solaire. Ceux-ci subissent le bombardement incessant de micromé-téorites, des rayons cosmiques et sont frappés par le vent solaire, ce qui altère leurs surfaces et modifie les propriétés spectrales en surface : c’est ce phénomène que l’on appelle l’altération spatiale (ou « space weathering») et dont les effets peuvent être variés. Parmi ces effets, l’étude deLantz et al.(2013) rap-porte notamment un spectre plus bleu observé sur des astéroïdes de type C (carbonés) par rapport à leurs météorites correspondantes les CM (chondrites carbonées), phénomène dont l’altération spatiale serait responsable. D’autres cas de bleuissement ont été observé dans des expériences de bombardement si-mulant cette altération (voir par exempleLantz et al. (2017) et les références de la table 1). Selon ces

5.6. ÉTUDE LOCALE

(a) Albédo de diffusion simple des zones sélectionnées dans la région d’Imhotep.

(b) Albédo de diffusion simple des zones sélectionnées dans la région d’Imhotep normalisé à 2.8 µm.

(c) Paramètre d’asymétrie des zones sélectionnées dans la ré-gion d’Imhotep.

FIGURE5.35 – Paramètres photométriques des terrains couverts lisses ou irréguliers sélectionnés dans la région d’Imhotep dans la période MTP006-MTP015 avec les données VIRTIS-M. Les paramètres issus de l’étude globale (voir 5.4.3) ont été ajouté pour comparaison.

interprétations, on peut penser que les terrains accidentés, dont la pente est moins rouge que les terrains lisses, ont ainsi été exposés plus longtemps aux acteurs responsables de l’altération spatiale. Cette inter-prétation est renforcée par le fait que ces terrains sont vraisemblablement exposés depuis plus longtemps que les terrains lisses. En effet, le matériau présent sur ces derniers provient de l’érosion des terrains accidentés d’aprèsAuger et al.(2015) et non de la redéposition des poussières, phénomène efficace sur d’autres régions mais pas sur Imhotep (Thomas, N. et al.,2015). Constitués de poussières, les terrains lisses de la région d’Imhotep sont également sujet à des processus mettant à jour des couches de maté-riau plus récentes comme l’ont montré le suivi de la région (Groussin, O. et al.,2015). L’éjection des poussières proposé parFilacchione et al.(2016a) peut également être évoquée puisqu’elle conduira au même résultat. Cependant, il est nécessaire de considérer ici l’échelle de temps qui est à l’œuvre pour les

(a) Image OSIRIS NAC du régolithe dans la gion de Ash, similaire à celui d’Imhotep. La ré-solution est de 14 cm/pixel. Image NAC_2014-10-20T11.38.55.625Z_ID10_1397549400_F22 tirée deThomas, N. et al.(2015).

(b) Image OSIRIS NAC (N20140929T132930598ID30F22) de la région Imhotep illustrant les types de terrains sélection-nés. La résolution est de 20 cm/pixel environ. La granulo-métrie est moins fine sur les terrains accidentés en haut de l’image que sur les terrains couvert de poussières.

FIGURE5.36 – Images OSIRIS de la NAC (« Narrow angle camera ») illustrant les terrains sélectionnés pour l’étude locale.

processus d’altération. Celle-ci est bien supérieure à la période orbitale de 67P (environ 6 ans) au cours de laquelle la comète subira un « rafraîchissement » de sa surface en raison de la sublimation des glaces et de l’éjection de la poussière en surface. L’altération spatiale n’est donc, dans le cas des comètes, pas l’hypothèse favorite pour expliquer les différences spectrales observées.

La profondeur de la bande centrée à 3.2 µm est un indicateur de la quantité en matériaux organiques présent à la surface. Le faible écart constaté entre les deux types de terrains est également ce que l’on observe dans les études deFilacchione et al.(2016a) etCiarniello et al.(2016) où le centre de la région d’Imhotep possède effectivement une profondeur de bande d’absorption plus faible par rapport à la péri-phérie. On notera cependant que l’écart n’est pas aussi grand qu’entre la région de Hapi et les autres par exemple.Filacchione et al.(2016a) rapporte aussi la corrélation entre la pente spectrale et la profondeur de bande à 3.2 µm : plus la pente est faible (dans le visible et l’infrarouge), plus la profondeur de la bande est importante. On retrouve ce résultat ici. Dans les études deFilacchione et al.(2016a) etCiarniello et al.

(2016), les auteurs relient la pente spectrale, la profondeur de bande et son centre à la teneur en glace d’eau à la surface. Dans le cas présent, le manque de données et leur intégration sur un temps assez long ne permet pas d’en tirer les mêmes conclusions. La profondeur de bande des organiques comme indica-teur de leur quantité en surface doit être étudiée en tenant compte de la température. Si celle-ci est trop élevée, elle viendra en effet influencer l’aile droite de la bande. Ce peut être le cas pour certains spectres utilisés ici où, pour MTP014 ou MTP015 par exemple, les températures peuvent atteindre 250K sur ces régions. Cela signifie qu’à partir de 3.0 µm environ, ils doivent être étudiés avec précaution et qu’une correction pour retirer l’émission thermique devrait être faite.

5.6. ÉTUDE LOCALE

Les différences observées dans l’albédo de diffusion simple et le paramètre d’asymétrie s’explique dif-ficilement par des phénomènes liés à l’activité et de façon très peu probable par l’altération spatiale. La composition reste globalement la même entre les régions observées mais peut jouer un rôle localement, notamment par qu’elle peut influencer la texture des terrains qui est en réalité à l’origine des variations observées ici. Rugosité, taille des grains, porosité sont des paramètres cruciaux puisqu’ils vont influen-cer les spectres et donc provoquer ces différences. Il reste cependant difficile de distinguer leurs effets respectifs : des efforts dans la modélisation de ces effets de même que dans leur étude expérimentale sont nécessaires pour mieux les comprendre.

Bien que la gamme d’angles de phase ne nous permette pas de contraindre parfaitement le paramètre d’asymétrie, elle est la même pour les deux zones étudiées et la comparaison est donc possible. Les va-leurs indiquent ainsi que les terrains couverts de régolithe rétrodiffusent moins que les terrains irréguliers. Cette différence trouve son origine dans la forme et l’opacité des particules constituants le sol, et donc potentiellement dans la composition avec un possible effet de la teneur en glace si celle-ci est impliquée. La différence observée dans ce paramètre entre les deux terrains est d’une importance cruciale. En effet, la cartographie de l’albédo de diffusion simple réalisée en section 5.4.4 page 94 ainsi que les études de

Filacchione et al.(2016a) etCiarniello et al.(2016) étudient les propriétés de la surface de 67P durant plusieurs MTP à partir du calcul du spectre de l’albédo de diffusion simple qui est lui-même inversé à partir de l’équation 5.10. Pour cela, il est nécessaire de faire l’hypothèse que la paramètre d’asymétrie bet la fonction d’ombrage S( ¯θ) sont constants sur l’ensemble de la surface en plus de l’être au cours du temps. Or, on voit avec la présente étude que le paramètre b n’est pas le même selon les terrains (sa variation temporelle ne peut être évaluée par manque de données étendue en phase sur une période restreinte). On notera ainsi que faire l’hypothèse d’un paramètre b constant augmente l’incertitude sur la dérivation du spectre d’albédo de diffusion simple et donc sur le calcul d’indicateurs spectraux basés sur ce spectre.

Pour approfondir cette étude il serait nécessaire de l’étendre à l’ensemble de la surface. Cela consisterait alors à trouver des zones relativement proches géographiquement et de la même nature pour vérifier si la différence observée ici est bien retrouvée ailleurs et dans les mêmes tendances. Cela reste cependant difficile pour nombre d’endroits car l’ensoleillement ou les observations disponibles ne permettent pas toujours une disponibilité accrue et la construction d’une courbe de phase suffisamment complète. Dans les périodes plus lointaines de la mission, au-delà de MTP015 typiquement, il n’est ainsi plus possible de couvrir une large gamme d’angle de phases sans devoir intégrer une période de temps très longue. Or, c’est ensuite l’activité qui peut venir modifier la surface sur de longues périodes et donc biaiser ce type d’étude.

Conclusion

L’étude photométrique globale a permis de dériver les paramètres photométriques de la surface de 67P tout en comparant deux modèles couramment utilisés dans les analyses de la surface des corps du Sys-tème Solaire. Une étude à l’échelle globale de l’albédo de diffusion simple (sous certaines hypothèses)

et de la pente spectrale a été réalisé afin d’étudier les faibles variations que présente la surface. Cette pre-mière phase a été complétée dans un second temps par une étude à l’échelle locale tenant compte de deux types de terrains géologiquement différents, en l’occurrence ceux couverts de poussières et des terrains nus et plus accidentés. Un des points importants à été de mettre en évidence les écarts entre VIRTIS-M et VIRTIS-H. Dans l’optique d’une amélioration future de la calibration des données de VIRTIS-H, il est important de caractériser en détails ces écarts dans différents cas d’études. C’est ce que l’on s’attache à faire dans le prochain chapitre grâce à une étude thermique comparative entre VIRTIS-M et VIRTIS-H. La conclusion du présent chapitre sera détaillée dans la section dédiée de cette partie, à la page 129.

Chapitre

6

Étude thermique de la surface de 67P :

caractérisation des températures obtenues par

VIRTIS-M et VIRTIS-H

6.1 Enjeux, méthodologie et contraintes

Le rayonnement émis par une surface planétaire n’est pas uniquement constitué de la lumière réflé-chie, le rayonnement thermique contribue également en grande partie au bilan énergétique. VIRTIS-H et VIRTIS-M infrarouge sont les deux seuls instruments à bord de Rosetta à observer dans l’infrarouge thermique et donc à pouvoir être utilisés pour calculer la température de la surface ou des poussières dans la coma. L’étude des températures avec VIRTIS-M infrarouge fût principalement menée par F.Tosi à l’IAPS, Italie (Tosi et al., 2017, soumis – utilisant la méthode publiée dansTosi et al.(2014)) et par C. Leyrat du LESIA (Leyrat et al.(2015a,b,2016)). La défaillance du cryocooler de VIRTIS-M infrarouge en avril 2015 l’a rendu inopérant et a donc mis un arrêt à la cartographie systématique de la température à la surface de 67P. VIRTIS-H est donc devenu à ce moment le seul instrument sur lequel se baser pour calculer ces températures.

Cependant, sa couverture spatiale est moins importante et la tache réalisée est par définition différente de VIRTIS-M car plus locale. Pour pallier à ce manque en couverture spatiale globale et pour compléter les observations réalisées localement, des rasters ont été réalisés à plusieurs reprises. Ces modes d’ob-servations consistent à balayer le champ de vue grâce à la sonde de façon à scanner en x et y le noyau, le couvrant ainsi même avec le champ de vue restreint de VIRTIS-H (voir figure 6.1). Les observations tirées de ces sessions restent cependant tributaires de la distance entre 67P et la sonde et donc de la ré-solution spatiale au moment de l’acquisition, celle-ci étant souvent importante puisque scanner le noyau nécessite dans tous les cas d’être à une distance minimum de ce dernier. Enfin, VIRTIS a parfois profité de rasters définis par d’autres instruments, provoquant alors un échantillonnage non optimal pour notre instrument mais permettant d’obtenir une plus grande couverture spatiale.

FIGURE6.1 – Exemple de raster de VIRTIS-H dédié à scanner le noyau mais aussi la coma. Avant l’étude détaillée de la température, et sachant les problèmes de calibration absolue de VIRTIS-H, il est primordial de réaliser une étude comparative avec VIRTIS-M sur des données existantes. L’enjeu principal de cette étude thermique a donc été de mettre en évidence et de caractériser l’écart relatif entre les températures calculées à partir des données VIRTIS-M et celles calculées à partir des données VIRTIS-H.

La principale difficulté consiste à comparer ces températures : il est nécessaire que la zone couverte soit identique entre les deux instruments, il faut que les conditions d’illuminations soient les mêmes, c’est à dire l’heure locale réelle, sans compter l’époque, la résolution etc... On voit alors qu’il est presque impossible de réunir ces conditions étant donné que VIRTIS-M et VIRTIS-H observent indépendamment l’un de l’autre Il existe cependant un mode d’observation dans lequel VIRTIS-M n’utilise pas son miroir pour scanner la surface. C’est uniquement dans ce cas que VIRTIS-M et VIRTIS-H observent le même champ de vue de façon synchronisé et donc que toutes les conditions évoquées précédemment sont réunies.

Ce type d’observation n’a pas été utilisé régulièrement puisque lorsque la sonde se trouve à une dis-tance d’environ 10 km et plus, le miroir de balayage est préférablement utilisé pour couvrir une grande zone. C’est donc uniquement lors de phases où Rosetta était particulièrement proche de la comète que de telles observations ont été réalisées, lorsque ce miroir n’est pas utilisé et que le balayage se fait par