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6.4 Le discours rapporté

Cette expression s’applique à tous les cas où un sujet parlant rapporte les propos d’un autre sujet parlant. Toute langue naturelle dispose nécessairement d’un moyen de marquer la différence entre ces deux « sources ». En dagara, par exemple, le discours rapporté est marqué par un connecteur / 19 / en début d’énoncé :

n sag-65 3  sag-65

je accepter-actuel que il accepter-actuel je suis d’accord (il dit) qu’il est d’accord

C’est notamment ainsi que commencent toutes les phrases d’un interprète X traduisant les propos de Y au profit d’une autre personne Z. On peut rapporter de cette manière un énoncé déclaratif comme ci-dessus, mais aussi un énoncé injonctif ou interrogatif : « que tu viennes ! », « que le repas est prêt ? ». Ce connecteur donne à l’énoncé le statut d’une complétive dont la principale, ici sous-entendue, peut ailleurs être explicitée : «  jel 9  sag-65 » = il dit qu’il est d’accord ; il te dit de venir ; il demande si le repas est prêt.

Dans les langues comme le français, le discours peut être rapporté de manière directe ou de manière indirecte. Dans les deux cas, l’énoncé global comporte une première proposition P dont le prédicat est – grosso modo - un verbe d’énonciation et une seconde proposition Q qui contient le propos rapporté. On se trouve dans les deux cas à l’articulation de deux énonciations. Cette Coénonciation peut apparaître explicitement aussi bien dans le

monologue (il se demande si elle viendra) que dans l’interlocution (il me demande si elle viendra).

Au discours indirect, les deux propositions sont reliées par un connecteur (« que, si » ). Alors que dans le discours direct, les deux propositions sont juxtaposées (les guillemets sont inaudibles à l’oral ; et la mélodie des deux types d’énoncé peut être identique) :

Style indirect il dit qu’il est d’accord Style direct il dit : « je suis d’accord »

Corollairement, le rapport entre P et Q sera plus ou moins étroit. Au discours indirect, Q est subordonné à P : les deux propositions sont donc repérées dans le cadre d’une seule et même énonciation. Alors qu’au style direct, Q jouit d’une certaine autonomie syntaxique par rapport à P. Celle-ci se manifeste, entre autres, par la possibilité de permuter les deux propositions, avec P en position d’incise : il dit « C’est la fin » // « C’est la fin », dit-il. Autrement dit, dans le discours direct, le propos rapporté Q constitue une énonciation à part entière, indépendante de celle de P.

La première conséquence se manifeste au niveau des personnes grammaticales. Dans les deux cas, il va de soi que la coénonciation S'0 est définie par rapport à l’Origine S0. Mais au style direct, à gauche ci-dessous, le sujet subordonné est défini par rapport au sujet principal traité comme un énonciateur à part entière (S1 = S'0). Alors qu’au style indirect (S1 = S0), à droite ci-dessous, le sujet de l’énoncé est défini par rapport à l’Origine (l’énonciateur-rapporteur) indépendamment du coénonciateur S'0. Ceci ne veut pas dire que le sujet subordonné coïncide avec l’énonciateur, car je souligne que nous travaillons ici avec des instances énonciatives et non avec les personnes repérées par rapport à ces instances (cf. ch. 4). Ainsi, dans /tu plaisantes/, le S qui est défini comme deuxième personne par rapport à S1 renvoie à l’interlocuteur si S1 est défini par rapport à S0. Mais cette deuxième personne réfère à l’énonciateur si S1 est défini par rapport à S’0 :

S’0 S1 S0 S’0 S1 S0

(Tu dis) « je plaisante » (tu dis que) je plaisante 8 (Il dit) « je plaisante » (il dit que) je plaisante

(Tu dis) « tu plaisantes » (tu dis que) tu plaisantes (Il dit) « tu plaisantes » (il dit que) tu plaisantes

(Il dit) « il plaisante » (il dit qu’) il plaisante

La seconde conséquence se manifeste au niveau des formes temporelles. Dans tous les cas, l’instance T'0 est définie par rapport à l’Origine T0. Au discours direct, le temps T1 de la proposition Q est calculé à partir du repère coénonciatif T'0, indépendamment du moment de l’Énonciation T0. Alors qu’au style indirect, la subordonnée obéit à ce qu’on appelle la « concordance des temps » et se conjugue à la fois par rapport à T0 et à T'0. C’est ainsi qu’on obtient, par exemple, le futur dans le passé, combinant la prospective propre au repérage T'0 1 T1 et une rétrospective propre à l’énonciateur T1 2 T0 :

8

Cette distinction est neutralisée quand toutes les instances coïncident, c’est-à-dire à la première personne: je dis : « je plaisante » = je dis que je plaisante.

T'0 1 T1 2 T0 T'0 1 T1 2 T0

tu avais dit : « il viendra » tu avais dit qu’il viendrait

Autrement dit, dans une proposition Q rapportée au discours indirect, la source du propos est mise en retrait par rapport à l’énonciateur. Au contraire, au discours direct, c’est l’énonciateur qui se met en retrait par rapport à la source du propos. Cette distanciation de l’énonciateur qui caractérise le discours direct a des effets sur la conception même de l’acte de parole : il ne peut y avoir deux locuteurs à la fois. On ne peut faire parler la source qu’au prix d’une mise en scène délibérée, quasi artificielle, visant à restituer à cette source un rôle qu’elle n’a plus au moment même où l’on parle. En fait, l’énonciation de la source Sit'0 n’est plus véritablement un acte de parole, mais un événement qu’on raconte et qu’on décrit – d’où la possibilité d’avoir des verbes descriptifs en position d’incise : « C’est fini », sanglota-t- elle ; « nous gagnons du terrain », triompha-t-il. Ce qui est impossible avec le style indirect, qui exige un verbe de type performatif : *elle sanglota que c’était fini ; *il triompha qu’ils gagnaient du terrain… Finalement, le discours direct apparaît comme une « licence » qui, dans les langues comme le français, est presque entièrement réservée à l’écrit littéraire, mais qui est totalement inconnue dans d’autres langues comme le dagara. Par exemple, dans un conte dagara mettant en scène le Lièvre, on dira : « a song wa jel   zagd-65 » = le lièvre dit alors qu’il refuse. Et jamais : *a song wa jel 1 n zagd-65 = *le lièvre dit alors je refuse, car ce « je » serait obligatoirement interprété comme référant au narrateur S0.

Précisons, pour terminer, que l’opposition discours direct / indirect ne relève pas du mode, mais possède des affinités avec lui. Le mode, en effet, concerne le paramètre qualitatif (rapport Sit1-Sit0-Sit'0), alors que le type de discours concerne les paramètres spatio- temporels : le rapport S1,T1 - S0,T0 est ici établi compte tenu de S'0,T'0. Il s’agit donc de phénomènes dont la complémentarité explique pourquoi certains modes ont deux formes selon qu’il s’agit du discours direct ou indirect. A ma connaissance, ce point n’est pas abordé explicitement chez A. Culioli.