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9.7 Les auxiliaires Avoir et Être

Ce chapitre contribuant d’une certaine manière à une théorie de l’auxiliation, je crois opportun de faire le point sur les valeurs respectives de nos deux auxiliaires en français. E. BENVENISTE (1996) considère les auxiliaires être et avoir comme symétriques (“Le verbe avoir est un être renversé”) :

français : la clé est chez le concierge // le concierge a la clé

latin: domin-o pecunia est // domin-us pecunia-m habet au-maître de l’argent il-est le maître de l’argent il-a Le maître a de l’argent Le maître a de l’argent

Toutefois, on peut se demander pourquoi, dans le lexique des langues du monde, il est assez rare de trouver un mot traduisant “avoir”, alors que “être” est relativement bien attesté - comme si la relation de possession était moins fondamentale que la relation de localisation. De fait, en y regardant de plus près, on s’aperçoit que, dans les énoncés possessifs, on peut récupérer une relation locative, apparaissant plus ou moins en filigrane:

Le concierge a les clés // il a les clés (qui sont) chez lui

le maître a de l’argent il a de l’argent (qui est) dans sa poche. La spécification locative étant incontournable, son ellipse provoque une ambiguïté: avoir avec soi // avoir chez soi. On peut donc dire que nos deux auxiliaires sont à la fois symétriques et dissymétriques. Ce constat est capital, car il permet de dégager deux opérations distinctes qui interviennent dans la construction du sujet, et qui éclairent le statut de nos deux auxiliaires.

La visée est déterminée, au départ, par le choix de la lexis. Dans un procès locatif, l’intérieur notionnel est exprimé soit par une préposition, comme en français, soit par une postposition, comme dans beaucoup de langues africaines, soit encore par un verbe équivalent

(précéder, surplomber, jouxter, etc). La source de ces lexis < b r c > est un item et le but est un localisateur spatio-temporel. Si le sujet sélectionné est la source, il est construit à la fois comme repère prédicatif et comme repère conceptuel: les instances S1 et S2 concordent totalement. Je reprends ici la représentation donnée plus haut en 9.1.3, mais en me concentrant sur le paramètre inter-sujets :

S1

|¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ |

(15a) B < b ∈ c > ∋ < b R c > C

|_______________|

S2

Jean (n') est (pas) devant Marie

Cependant, pour des raisons contextuelles ou subjectives, l’énonciateur peut promouvoir le terme-but (C) en position sujet. Dans ce cas, la relation primitive est reconstruite par un dédoublement prédicatif, l’image de la lexis étant marquée par l’auxiliaire « avoir ». Et c’est le sujet C qui devient le point de départ à partir duquel se construisent les marques de personne et les marques aspecto-temporelles.

(15b) C ∋ < c ∋ b > ∋ B < b R c > ∈ c |____________| |_______________|

S1 S2

Marie a Jean devant elle

Cette opération strictement syntaxique ne change pas l’orientation conceptuelle de la lexis primitive. Alors que les énoncés comme “Marie est derrière Jean; Jean a Marie derrière lui” dériveraient d’une lexicalisation différente du procès dès le départ (en Sit2).

Par ailleurs, « être » et « avoir », outre leur usage prédicatif, ont également un usage aspectuel, dans l’expression du passé composé. Je vais essayer de montrer que ces deux auxiliaires sont constamment complémentaires, chacun gardant une valeur spécifique et constante à travers ces deux types d’emplois.

9.7.1 - ETRE construit un sujet « repéré »

« Être » est l’auxiliaire du passé composé avec les verbes de changement de lieu (entrer, monter, partir). Le sujet de ces verbes est un item repéré par rapport à un localisateur, dans un schéma de lexis < b r c >.

« Être » est auxiliaire de prédication d’abord quand il s’agit d’exprimer une localisation (« la clé est sous le paillasson », schème < b r c >. Pour attribuer une qualité, le sujet est un item B repéré soit par rapport à une qualité stable (« Marie est belle » = schème < ( ) r b >), soit par rapport à un état contingent (« Marie est en beauté » = schème < b r c >). De plus, « être » est aussi auxiliaire de la voix stative et passive (« la branche est cassée, Marie est suivie » ), où le sujet sélectionné est le terme B repéré par rapport à un agent, dans < a r b >.

On pourrait penser que le terme repéré est toujours un item B. C’est le cas le plus fréquent, mais pas toujours. Notamment, « être » est l’auxiliaire du passé-composé de tous les types de voix moyenne. Dans « son livre s’est bien vendu », on a certes un sujet B repéré par rapport à un agent. Mais on a « être » également dans « Marie s’est beurré une tartine », où le sujet est clairement l’agent A. On verra plus loin en quoi ce sujet « moyen » est repéré par rapport à autre chose.

9.7.2 - AVOIR construit un sujet « repère »

Comme on vient de le voir, « avoir » est auxiliaire de prédication quand le sujet est le repère d’une relation prédicative dont il est le localisateur (« Jean a tous les torts // tous les torts sont de son côté).

Par ailleurs, « avoir » est l’auxiliaire du passé composé avec les verbes d’activité de schème < a r b > et plus généralement quand il s’agit de construire un sujet qui est le repère aspectuel, en tant que déclencheur d’un processus (« Marie a marché, elle a timbré sa lettre » ) ou siège d’un état (« elle a aimé le film » ).

On pourrait penser qu’avec « avoir », le terme repère est toujours un agent A. Mais ce cas, bien que fréquent, n’est pas toujours vrai. Notamment, « avoir » est l’auxiliaire du passé- composé, même lorsqu’un item B assume l’agentivité : (i) avec les verbo-adjectivaux comme « Marie a grandi » = < b r b >; (ii) avec certains verbes discrets comme « casser » (« la branche a cassé » = < b r b > vs « elle s’est brisée » = < ( ) r b > 35 . Ce sujet est alors le

repère à la fois du point de vue prédicatif (agentivité interne) et du point de vue aspectuel (il

est le déclencheur du processus).

Enfin, notons qu’au parfait du passif, on a les deux auxiliaires : « la porte a été défoncée » : le sujet est B, marqué par « être » comme terme repéré du point de vue prédicatif (par rapport à un agent) et marqué par « avoir » comme repère du point de vue aspectuel (sujet délimiteur de l’état « défoncé » ). Remarque analogue pour le parfait des verbes d’état (« Marie a été malade » ), sujet repéré du point de vue qualitatif, et repère du point de vue temporel (elle maintenant, elle avant).

35

10 - CONSTRUCTION DU TERME DE DÉPART