• Aucun résultat trouvé

4.3 LES OBSTACLES RENCONTRÉS

4.3.2 Le discours sur les difficultés que rencontrent les intervenantes en reconnaissance des

Lors de leur pratique, les intervenants en reconnaissance des acquis et des compétences sont confrontés à de nombreux obstacles professionnels qui ne sont pas sous leur contrôle. Ces difficultés se répercutent sur leur travail et les tâches qu’ils doivent mener au quotidien et sont impliquées dans la définition qu’ils se font de leur rôle et la construction de leur identité professionnelle.

74

Défaire les préjugés et l’incompréhension face à la reconnaissance des acquis et des compétences

La majorité des participants (7/8), à l’exception de Caroline, considèrent que leur travail est méconnu à la fois au sein de leur organisation et même à l’extérieur de celle-ci. Selon eux, beaucoup de préjugés existent envers les services de reconnaissance des acquis et des compétences de la part des autres membres du personnel ou de certaines organisations. Pour nos intervenants, les professionnels extérieurs à ce domaine auraient une idée préconçue des services offerts en reconnaissance des acquis et des compétences qui n’est pas représentative de la réalité. Selon eux, la RAC s’inscrit dans un autre paradigme que celui de l’éducation et ils témoignent du fait que, trop souvent, la rigueur de la démarche de reconnaissance des acquis et des compétences, et par le fait même, leur fonction et rôle sont mis en doute par leurs collègues, selon qui, le secteur de la RAC serait un service permettant d’obtenir « un diplôme à rabais ». Selon les témoignages recueillis, un changement des mentalités s’impose, et un énorme travail de sensibilisation et d’information devra être réalisé pour défaire les fausses croyances et les préjugés qui se sont instaurés, depuis de nombreuses années, dans les différents milieux de pratiques en éducation. Voici ce qu’Anne raconte à ce sujet :

« Bien, je ne sais pas si vous savez, mais entre le cégep régulier et la formation continue, c’est deux mondes. Donc, on ne se connaît pas. Des fois, on connaît mieux les gens de la formation continue des autres cégeps que les gens de notre propre cégep. Tu sais [on entend des fois] “qu’est-ce qu’ils font donc en formation continue ? Ah ! Eux autres ?... Ils donnent des diplômes”. Il s’agit d’un vieux prof dans les années 70, qui a dit ça à un autre prof dans les années 80, qui a dit ça à un autre prof dans les années 90. En tout cas, bref on se retrouve en 2014 avec les mêmes préjugés et là, nous on travaille justement sur la visibilité de nos formations et par le biais des formations et du sérieux quand on sanctionne, de comment c’est fait. Bien la reconnaissance des acquis va passer par là aussi. Puis c’est pour ça aussi que le Ministère a dit aussi qu’il n’y aura pas de distinction sur le bulletin entre quelqu’un qui fait son diplôme en RAC ou en classe. Il ne faut pas » (Anne, Conseillère pédagogique).

Développement des services de reconnaissance insuffisant et perte d’expertise

Les trois quarts de nos répondants (75 %, soit 6/8) reconnaissent un manque important à combler dans le développement des services en reconnaissance des acquis et des compétences au Québec. Une des tâches du conseiller en RAC consiste à participer au développement des outils d’évaluation : cependant, les intervenants expliquent combien le développement de nouveaux outils d’évaluation ou l’ajout d’un nouveau programme en reconnaissance des acquis puisse être fastidieux. Cette tâche requiert beaucoup de temps et

75

d’investissement de la part des conseillers et des spécialistes de contenu de même des ressources financières et humaines qui sont souvent insuffisantes. Ces aspects seraient démotivants pour les intervenants, qui commencent leur carrière dans ce secteur et influenceraient la rétention de personnel.

« La machine est tellement lourde ‘à partir’ que les gens se découragent. Puis, depuis le temps que j’en fais, j’ai presque perdu tous mes collègues. Ils ne sont plus là. Pas plus là pour la retraite, plus dans le dossier. Ils sont partis faire d’autre chose parce qu’ils n’étaient pas encadrés, qu’ils n’avaient pas de support de la direction, ou tu sais, je ne peux pas juger pour les autres nécessairement, mais, tu sais, il faut que tu mettes de l’argent avant que ça rapporte ou, tu sais, on s’est retrouvé devant des problématiques là, où il n’y avait pas assez de gens pour s’en occuper. C’est une démarche qui est complexe, donc moi, ce que je reproche un peu c’est ça. Donc, dans l’avenir, c’est de mieux former la relève » (Anne, Conseillère pédagogique).

« Le travail d'équipe, les équipes multidisciplinaires, d'avoir des personnes ressources. En fait, c'est parce qu'il y a beaucoup de pertes d'expertises en RAC au sens où il y a des gens qui viennent travailler en RAC, puis parce qu'ils ne sont pas soutenus, par exemple, dans le cadre de leur fonction de conseillers, bien, ils vont choisir de réorienter leur carrière. Donc, d'avoir des piliers d'expertise, ça, c'est facilitant, je pense à ma patronne […] qui travaille en RAC depuis des années, puis dans le Ministère et dans le réseau. Sinon, c’est bien d'avoir une équipe qui se soutient. Puis, ça, ce n’est pas tout à fait au point, mais d'avoir une collaboration au-delà des murs du collège, genre avec Emploi-Québec, avec le ministère de l'Immigration. On est en communication avec eux, par exemple, avec le ministère de l'Enseignement supérieur, les organismes communautaires, etc., et ça, c'est facilitant, mais c'est loin d'être au point et il y a encore beaucoup de travail à faire là. Mais je pense que toute la société en serait gagnante » (Colette, Conseillère pédagogique/API).

Le manque de soutien et d’encadrement de la part des hautes instances responsables, comme le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur constitue un obstacle important pour les intervenants dans la réalisation de leurs tâches et de leur rôle.

« Le Ministère, il ne nous a pas cadrés, parce qu'il ne nous a jamais cadrés, dans le sens que lorsqu’il développe des programmes, il envoie [les compétences] dans les collèges, puis les collèges développent des plans-cadres en département, donc il y a au moins une vingtaine de personnes qui interprètent la compétence et la transforment en cours. Ça, c'est un processus avec lequel on est habitué de travailler dans les collèges. Depuis les années 70 que l'on fait ça. Mais là, avec la RAC, on ne nous dit rien. Par exemple, on nous ”garroche“ des compétences, mais on n'a pas de département spécialiste pour répondre à la demande du Ministère et de se dire : OK? Bien, comment on va faire ça, on ne le sait pas ? Le financement en classe, il est établi, c'est facile, celui de la RAC, c’est un peu plus complexe. Des fois, c'est ci, des fois, c'est ça. Donc, c'est tous des éléments qui ne sont pas clairs et qui font qu'au fur et à mesure que l'on avance, on s'arrête, on se questionne. OK? On continue. Mais là, c'est toujours l'œuf ou la poule, est-ce que l'on met une nouvelle ressource ou on attend d'avoir de l'argent pour mettre la ressource ? Tu sais, est-ce que ça va marcher la RAC? On ne le sait pas, les programmes d'études on le sait. […] On a fait un méchant bout de chemin, mais ce n'est pas gagné encore » (Anne, Conseillère pédagogique).

76

Travail en silo, compétition et hiérarchie des statuts

Précédemment, nous avons décrit l’importance de la collaboration et de son esprit. La collaboration est une thématique qui émerge comme une représentation identitaire essentielle des savoirs situés dans l’action chez nos répondants, et s’applique au réseau restreint des intervenants en RAC. Bien que plusieurs intervenants constatent qu’il existe une intention des différentes organisations du secteur de se regrouper pour permettre l’élaboration de solutions conjointes, les participants à notre recherche constatent que les organisations travaillent en silo (4/8). Selon eux, même si depuis quelques années, différentes actions aient été entreprises et des groupes de travail en reconnaissance des acquis aient été créés, malgré de bonnes intentions, les institutions scolaires d’une même zone entreraient en compétition. Une compétition qui s’expliquerait, en partie, par l’offre limitée des services offerts en reconnaissance des acquis. Voici ce que Charlotte précise à ce sujet :

« On doit ramener du cash, nous autres, notre job c’est comme une entreprise privée. Il faut qu’au bout de la ligne, tu ailles amasser le montant qui t’a été demandé. Ça fait que ’chacun tire la couverte de son bord’ étant donné qu’on est tous les trois sur le même territoire, et même si on est dans des secteurs différents. Et bien, il y a toujours quelqu’un qui, à un moment donné, peut ramasser quelque chose qui aurait dû être à toi, puis que finalement, c’est l’autre qui l’a ramassé. Des fois, tu ne comprends pas pourquoi tu t’es fait avoir, et ça te met en maudit. Donc, il y a plein de petites “guéguerres” qui se jouent derrières les coulisses-là, qui font partie de ça » (Charlotte, API).

Ça prend de l’argent !

La moitié des participants (4/8) considèrent que le manque d’argent est un obstacle important dans leur pratique et que cela se répercute sur la clientèle. Selon leurs dires, les coupures dans l’éducation ont eu un impact dévastateur sans précédent dans le secteur de la reconnaissance des acquis et des compétences. Selon eux, des ressources financières, humaines et matérielles doivent être intégrées dans le système afin d’assurer la pérennité des services, le développement d’outils et le recrutement de personnels qualifiés.

« Oui, puis les coupures aussi. C’est pas mal contextuel, mais les coupures gouvernementales dans l’éducation, bien… c’est des coupures directes dans les services. Si nous on en subit les conséquences et bien, les candidats aussi. Il y aurait des services qu’on pourrait leur offrir davantage, on pourrait développer plus d’outils, on pourrait être plus de conseillers. Donc, les coupures c’est sûr que ça n’affecte pas juste la RAC, mais ça affecte tout le monde. Ça c’est extrêmement démotivant et difficile, parce que je pense que ceux qui prennent ces décisions-là, bien, ils ne réalisent pas à quel point cela a un impact sur les personnes » (Colette, Conseillère pédagogique/API).

77

« De toujours recommencer avec un enseignant qui ne sait pas trop et bien c'est du temps. C'est du temps au niveau des corrections, c'est du temps avant que le produit sorte, c'est du temps. Puis même au niveau de la direction et je ne parle pas seulement de la direction ici, mais bouger un cégep, ça vire pas de même ça. C'est que c'est long, c'est compliqué et si on veut le faire, mais que tu n'as pas de ressources, c'est toujours l'argent là » (Anne, Conseillère pédagogique).

La profession de conseillère d’orientation : ambiguïté et méconnaissance persistantes Deux de nos participantes, Caroline et Charlotte (qui ont été formées en sciences de l’orientation) croient que la profession de conseiller et de conseillère d’orientation et la définition de son rôle professionnel sont encore méconnues. Selon Caroline, dans son contexte de travail, les gens ont une représentation du rôle du conseiller d’orientation qui n’est pas représentative de la réalité. Cet aspect représente pour elle un obstacle important à la construction de son identité professionnelle dans la mesure où elle considère qu’il y a beaucoup de jugement et d’incompréhension de la part de la population. Voici ce qu’elle rapporte :

« C’est sûr que socialement parlant, il y a encore beaucoup à faire par rapport à la vision de c’est quoi un c.o. Puis, ah… la fameuse boule de cristal, puis les tests. Tu sais, il y en a qui arrivent dans mon bureau, puis qui me disent : “J’ai entendu que tu pouvais me faire passer des tests”. Et je leur réponds : “OK ? Mais, attends une minute, je ne suis pas une passeuse de test”. Donc, il y a la démystification du rôle de façon sociale, oui c’est sûr, mais […] je pense que c’est avec une personne à la fois qu’on va réussir à faire un bout de chemin » (Caroline, Conseillère d’orientation).

Charlotte, quant à elle, mentionne que les conseillers d’orientation ne développeraient pas les connaissances appropriées au sujet de la reconnaissance des acquis et de compétences lors de leur formation et explique que la méconnaissance de ce secteur pourrait être un facteur qui contribue au fait que les c.o. y soient peu nombreux.

Nous avons vu, à travers le discours des représentations identitaires, que les obstacles rencontrés par les intervenants en reconnaissance des acquis et des compétences relèvent de facteurs externes ou imposés par leur environnement de travail. En incitant les professionnels à réagir et à innover pour trouver des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent et que rencontre leur clientèle issue de l’immigration ces obstacles contribuent à la construction et à la redéfinition de leur rôle et leur identité professionnelle.

78