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5. ANALYSE DES RÉSULTATS

5.4 Du produit à la diffusion :

5.4.1.2 Une diffusion organisée

Comme dit précédemment, la diffusion est au cœur des projets utilisant les outils de narrativité numérique et c’est aussi ce qui en fait leur particularité. Dans ce contexte, les informateurs ont spécifié que divers moyens ont été employés pour étendre la portée des récits produits. Dans quatre cas, un événement avait été prévu à la fin du projet pour présenter les documents produits aux proches des participants ou à leur communauté. Du côté d’Henri, il

s’agissait d’une présentation dans le cadre d’un cours universitaire auquel ont pu prendre part les participants du projet de RN. Sophie, quant à elle, explique que son organisme prévoit deux présentations publiques dans deux salles différentes, en plus de quatre autres dans des organismes communautaires. Pour assurer la présence d’un public nombreux, Sophie fait savoir que différents moyens sont employés : les participants invitent toutes les personnes qui ont fait partie de leurs films, de même que leurs amis et leurs proches. De même, une invitation plus large est envoyée par courriel via la liste de contacts de l’organisme.

Pour Myriam et Louise, comme les projets se sont déroulés dans une communauté plus circonscrite (membres d’une communauté autochtone et habitants d’un HLM), la présentation a d’abord été destinée aux membres de cette dernière. Ces intervenantes ont d’ailleurs souligné la fierté et la surprise émanant de cette présentation publique. D’un côté, Myriam fait remarquer que « les gens étaient surpris quand ils voyaient, dans le générique, que le son et la

caméra, c’était des gens de leur communauté qui l’avaient fait ». Louise, pour sa part, montre

toute l’attention donnée à l’organisation de la présentation : « Ils se sentaient traités à la

hauteur de Rihanna... Ce n’était pas fait sur le coin de la table ! »

Au-delà de la présentation publique, il importe de penser à d’autres moyens de diffusion. C’est dans ce sens que vont les propos de Christine :

Le travail alors, c’est de partager. C’est de bien réfléchir aux différentes manières possibles de partager les récits : à la radio, par des visites guidées en autobus, sur Internet, par des présentations dans les écoles...

Tous ces moyens ont d’ailleurs été utilisés par Christine dans le cadre des divers projets auxquels elle a participé. Il est donc essentiel, pour cette intervenante, de varier et de multiplier les moyens de répandre les produits dans l’espace public. Cet impératif est partagé par Myriam qui mentionne d’ailleurs la vocation première du projet auquel elle s’est jointe :

C’est un projet à la base de formation audiovisuelle et cinématographique. Donc les gens savent que les films qui sont réalisés, même s’ils sont projetés à la base à la communauté à la fin de chacune des escales, ils seront aussi mis sur le site web, et ils seront envoyés dans les festivals partout dans le monde.

Sophie mentionne aussi que différents modes de diffusion sont utilisés dans le cadre de son projet : les films sont mis sur YouTube et sur le site web de l’organisme, certains films sont envoyés chaque année à quelques festivals et les participants diffusent également leurs films de leur côté. Justine, pour sa part, si elle fait mention de la diffusion via Internet, aborde d’autres possibilités, comme des rencontres thématiques, des visites dans les écoles et un archivage des documents, de sorte qu’ils soient accessibles au public.

À travers ces différentes affirmations, les informateurs montrent leur souci d’assurer une diffusion la plus large possible des produits réalisés. Cette préoccupation fait écho à « l’infrastructure de visibilisation » discutée par Truchon (2012). Pour cette auteure, il ne s’agit pas tant de parler de visibilité « qui est en soi un résultat, mais bien [de] la possibilité

d’apparence, qui, elle, devient un mécanisme de visibilisation permettant d’atteindre ou non ce résultat qu’est la visibilité » (p. 158). Dans ce contexte, différents moyens sont utilisés pour

favoriser la visibilisation. Nos informateurs s’inscrivent également dans cette foulée, puisque différents mécanismes de diffusion ont été prévus afin de maximiser les possibilités d’apparence pouvant conduire vers une visibilité véritable.

Certes, ces propos témoignent d’un souci pour la diffusion des récits produits. Cependant, une autre intervenante, Karine, s’est montrée plus critique en s’interrogeant sur l’écoute réelle qui est faite de ces documents sur Internet :

Est-ce qu’il n’y a pas aussi une banalisation de l’image, une banalisation de ce qui est dit ? Et puis de toute façon, tout le monde se raconte partout, et ça perd de son sens. [...] On est dans une société où on ne fait que s’écouter soi-même, et où on se met en scène. On se jette sur l’Internet comme ça et on s’écoute soi-même. Et je me dis : est-ce que le récit numérique ne va pas perdre de sa force, parce que finalement on n’arrête pas de parler tout le temps ?

Cette réflexion de Karine nous apparaît fort à propos dans un contexte social où les plateformes du type YouTube, dans lesquelles chacun est invité à dire tout et n’importe quoi, ont une popularité croissante. Dans la section 5.2 qui traitait des conditions nécessaires à la mise en place de projets de RN, nous avions mentionné l’importance du contexte. Christine y avait alors affirmé la nécessité de situer les histoires dans un environnement « de parenté », soit de les relier selon certaines affinités, pour leur donner du sens. En réponse à Karine, elle

indique également que ce qui permet de donner leur valeur aux récits, « c’est de mettre votre

histoire dans un groupe. C’est de partager votre histoire ». Certes, il est important de donner

un espace de parole et de favoriser la réalisation d’un produit de qualité duquel les participants pourront être fiers au moment de la diffusion. Cependant, en plus d’envisager la diffusion de ces récits, il faut aussi réfléchir à l’écoute réelle dont ils pourront bénéficier. C’est à ce projet que nous convient les propos de Christine et c’est à cet aspect que nous nous attarderons dans la dernière partie de notre analyse.

5.4.2 « C’est l’expérience d’être écouté qui est fondamentale »

Les intervenants l’ont souligné à plusieurs reprises, l’objectif plus général pour faire ce type de projet, c’est d’abord de diffuser les produits obtenus. Sophie le résume bien dans ces mots : « Le but, c’est de passer un message. Alors ça ne donne rien de vouloir passer un

message s’il n’y a personne qui le voit. Donc on n’en ferait pas de vidéo si ce n’était pas de ça ». Il y a certes d’autres objectifs plus spécifiques à chaque projet, mais il demeure que

l’aspect de la diffusion est central. Cependant, la diffusion est davantage associée à un partage dans la sphère immédiate qu’à une façon d’occuper l’espace public, c’est-à-dire l’idée de prendre une place importante dans l’espace médiatisé. Non pas que les intervenants ne nourrissent aucun intérêt pour ce type de visibilité, mais il semblerait que ce qui est d’abord visé, c’est la visibilité immédiate, ce qui n’exclut cependant pas une articulation avec une visibilité médiatisée. Afin de préciser le partage dont il est question à travers la diffusion, les apports de cet échange au niveau micro, soit celui du groupe, seront d’abord discutés. Par la suite, il s’agira de voir les répercussions plus larges des récits, soit lorsque le « je » est projeté vers le collectif.

5.4.2.1 « L’expérience d’être écouté »