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Diffusion et logiques de fonctionnement d’un réseau marchand transfrontalier

CHAPITRE PREMIER

M IGRATIONS INTERNATIONALES ET « SYSTÈME DE MOBILITÉ » TRANSFRONTALIER

2. Diffusion et logiques de fonctionnement d’un réseau marchand transfrontalier

Au Moyen-Orient, la diversité des mobilités transfrontalières et leur ancrage dans la durée imposent une grille de lecture des mouvements de réfugiés qui dépasse le seul temps de la crise. Elles doivent en effet se lire dans le prolongement de systèmes réticulaires préexistants, à l’image du réseau marchand de Deir Mqaren. Pour cela, nous serons amenés à revenir dans les pages qui suivent sur le contexte économique de la vallée du Barada du milieu des années 1980, lorsqu’à la suite de l’accaparement de terres par le régime, puis de l’assèchement partiel de la rivière, les marchands du village ont été amenés à revendre des denrées alimentaires produites à l’étranger, avant d’être importées en Syrie, puis revendues par leurs soins au Liban et en Jordanie. Nous verrons qu’un ensemble d’acteurs clés - grossistes, exportateurs, colporteurs, policiers jordaniens - ont favorisé le développement et le bon fonctionnement du réseau marchand à l’origine de ce « système de mobilité ». D’un point de vue topographique, cette structure réticulaire était constituée de plusieurs points d’ancrages fixes - usines agroalimentaires à Damas et Sahab, magasins détaxés à la frontière, poste frontière de Nassib/Jaber, appartements et hôtels en Jordanie - entre lesquels circulaient sans entraves un ensemble de flux de biens et de personnes. Néanmoins, l’insurrection contre le régime de Bachar al-Assad, initiée le 15 mars 2011 dans la ville frontalière de Deraa, est rapidement venue entraver les rouages de ce système, remettant par là même en cause la principale source de revenus des habitants du village.

A travers la description détaillée de cette activité de vente ambulante, cette partie de la thèse entend souligner sa profondeur historique, et plus encore son influence sur les logiques de flux et de pratiques des exilés de Deir Mqaren, ayant trouvé refuge en Jordanie. En effet, c’est précisément ce dispositif marchand qui a déterminé la « géographie de l’exil » au départ de cette bourgade, depuis 2011. Mais avant de présenter en détail l’activité des colporteurs entre le milieu des années 1980 et le début de l’insurrection, je commencerai par apporter un éclairage sur la notion de réseau dans le

champ des sciences-sociales en général, et dans celui des études migratoires en particulier. Comme le souligne Laurent Faret, si « migrer est un acte individuel, (…) devenir migrant (…) est

un processus éminemment social » [Faret, 2003 : 183]. Ainsi, il apparaît nécessaire de porter une

attention particulière aux logiques de réseau afin de mieux saisir l’origine des flux, leur canalisation dans l’espace, la perpétuation de certaines pratiques, ainsi que l’acquisition de savoir-faire par les populations migrantes. L’objectif sera donc ici de montrer les apports de ce concept à la compréhension et à l’analyse du phénomène migratoire ici étudié ; tout en apportant un éclairage supplémentaire sur l’ancrage théorique de cette thèse.

- La notion de « réseaux sociaux » en migration

Émergence de la notion de « réseau » dans le champ des sciences sociales

Les premières analyses en terme de « réseaux » sont apparues au cours des années 1920, dans les situations décrites par les sociologues de l’École de Chicago. Néanmoins, il a fallu attendre les années 1950 pour que ce terme soit utilisé de manière systématique sous la plume de l’anthropologue britannique John Barnes [2014], qui semble être à l’origine de sa formalisation dans le cadre de ses recherches sur Bremnes, un village de pêcheurs norvégien. En s’appuyant sur le terme de « réseau social », l’auteur cherchait à rendre compte de l’enchevêtrement complexe et multiforme, ainsi que du caractère changeant des relations sous-jacentes à la stratification sociale de cette communauté insulaire de Norvège [Hannerz, 1996]. Par la suite, la question des réseaux sociaux a connu un engouement tel au sein de la recherche en sociologie que deux revues spécialisées sur cette thématique ont été créées à la fin des années 1970 : Social Networks et

Connections. Aussi diverses soient elles, les études portant sur l’analyse de réseaux ont pour

dénominateur commun d’êtres toutes « habitées par une préoccupation constante de saisir les

« formes sociales » à un niveau « intermédiaire » entre l’individu et la société, celui des interactions entre les individus » [Mercklé, 2011 : 15]. Autrement dit, « la compréhension d’un fait social s’inscrit à la fois dans un contexte macro et microsocial : les relations sociales [étant] le produit d’interactions entre individus qui s’articulent selon des contextes (politiques, économiques et sociaux) plus larges » [Hily et al.,

2004 : 7]81.

L’approche en terme de réseaux dans le champ des migrations internationales

Depuis le début des années 1970, un nombre croissant d’auteurs se sont intéressés à l’analyse des réseaux comme élément de compréhension des migrations internationales82 ; l’étude de ces structures relationnelles constituant un outil

méthodologique particulièrement adapté à la compréhension des « situations de mobilités qui

caractérisent les sociétés contemporaines » [Monsutti, 2004 : 62]. En privilégiant l’analyse des

migrations à partir du niveau meso, cette approche a permis d’identifier la manière dont les ressources, les biens et les idées circulent au sein de configurations socio-spatiales singulières. Cette intention est d’ailleurs clairement perceptible dans la définition que Douglas S. Massey et ses collaborateurs donnent des réseaux des migrants, constitués d’un « ensemble de liens interpersonnels qui relient les migrants, les futurs migrants et les non-migrants dans les

espaces d’origine et de destination83 » [Massey et al., 1993 : 448]. Ces réseaux peuvent donc être

constitués à la fois de liens familiaux [Litwak, 1960], de relations d’amitiés, ou encore de lointaines connaissances [Choldin, 1973]. D’un point de vue spatial, ils n’apparaissent pas non plus restreints à une aire géographique strictement délimitée [Muanamoha et al., 2010]. A l’instar d’autres domaines de la vie quotidienne, telle que la recherche d’un emploi ou d’un logement, la « force des liens faibles » [Granovetter, 1973] est également déterminante afin d’accéder à des ressources susceptibles de faciliter l’entrée en migration. D’une manière générale, les réseaux peuvent donc être considérés comme des structures dynamiques, évolutives, aux contours parfois difficilement identifiables. Ils sont aussi susceptibles de s’adapter, de se réagencer, ou de se recomposer en fonction des contraintes exogènes auxquelles ils peuvent être confrontés.

82 Je n’entends pas faire ici une recension des travaux portant sur les liens entre réseaux sociaux et migrations internationales. De nombreux auteurs ont déjà réalisé cet exercice. Parmi eux, on pourra consulter les travaux de Gurak & Caces [1992], Ma Mung et al. [1998] ou encore Hily et al. [2004].

83 « Migrant networks are sets of interpersonal ties that connect migrants, former migrants, and nonmigrants in origin and destination areas

De l’origine et de la permanence des flux migratoires

Selon James T. Fawcett, les facteurs susceptibles d’expliquer l’émergence et la direction des flux migratoires résident principalement dans les liens de nature politique, économique, culturelle, voir militaire qui relient de façon formelle les pays de départ et de destination des migrants [Fawcett, 1989]. Ce sont néanmoins leurs réseaux relationnels, inscrits à la fois dans l’espace et le temps, qui alimentent de manières constante les courants migratoires [Boyd, 1989 ; Massey et al., 1993]. Étudier les logiques de mobilités à travers le prisme des réseaux offre donc la possibilité de mieux saisir l’origine, la direction, la composition et la permanence des flux de population à différentes échelles, ainsi que la façon dont certaines trajectoires individuelles viennent s’y greffer. Thomas Faist considère pour sa part que les réseaux sociaux permettent de condenser le capital social84, en

premier lieu à l’échelle locale, puis au delà des frontières des États nations par la suite. Il affirme ainsi que si le capital social est susceptible de « limiter la mobilité durant les premières

phases de la migration, il peut ensuite fonctionner comme une courroie de transmission et aider à l’accélération du mouvement international lors des phases suivantes85 » [Faist, 2000 : 14]. En effet,

alors même que les coûts humains et financiers sont particulièrement élevés pour les pionniers de la migration, leurs actions permettent progressivement d’établir des liens entre leurs espaces d’origine, de transit et d’installation ; et d’accumuler par là même des ressources susceptibles d’influencer les trajectoires migratoires de leurs proches [Massey et

al., 1990]. L’insertion d’un futur migrant dans un réseau complexe de relations semble de

ce fait apparaître comme un facteur déterminant au départ. Dans son étude sur les communautés transnationales vivant entre le Mexique et les États-Unis, Laurent Faret évoque quelques-unes des manifestations concrètes des effets de réseaux pour les migrants : « aide active dans le lieu d’arrivée, (…) accès à un emploi, aide à se loger et se nourrir, prêt

d’argent et, plus généralement, circulation d’informations sont les principaux domaines où s’exercent les échanges réciproques » [Faret, 2003 : 184]. A mesure qu’ils se développent, ces réseaux

tendent aussi à remplir d’autres fonctions. Ils peuvent réduire le coût de la mobilité spatiale des individus, participer à déterminer quelles sont les personnes susceptibles de migrer au sein des espaces de départ et des familles, ou encore sélectionner les lieux d’origine et de destinations [Gurak et Caces, 1992].

84 La définition du capital social donnée par Alejandro Portes apparaît comme étant la mieux adaptée aux phénomènes observés et décrits dans cette thèse : « The resources themselves are not social capital; the concept refers instead to the individual's ability to

mobilize them on demand » [Portes, 1995 : 12].

« Filières » et « circulations » migratoires : deux notions essentielles à la compréhension des mobilités marchandes au départ de Deir Mqaren

C’est dans ce contexte qu’apparaissent des « chaînes migratoires86 » [MacDonald et

MacDonald, 1964] et que se dessinent des « filières », reliant des régions et des sous- populations spécifiques à des destinations précises à l’étranger [Guilmoto et Sandron, 2000]. La notion de filière recouvre en effet l’idée de chaînes de solidarités sociales inscrites dans une structure spatiale en réseau, unissant les membres d’un groupe fondé sur des appartenances familiales, villageoises, ethniques, religieuses [Durand, 1994 ; Simon, 1995]. Dans son mémoire de DEA, Fanny Schaeffer [1998] - mentionnée ici par Chadia Arab - expose les « mécanismes qui amènent un groupe originaire d’un même lieu à s’installer

dans un autre lieu, à la fois pour répondre aux besoins qui ont poussé à la migration et pour assurer un

continuum avec la communauté de départ, en reconstituant ailleurs une mini communauté villageoise

répondant aux mêmes règles et à la même organisation que la communauté mère, et cela en restant en relation très étroite avec cette dernière. (…) [C]’est à partir de ces filières que se créent des chaînes de solidarité et des circuits d’échange qui relient directement les espaces de départ aux espaces d’arrivées » [Arab, 2009 : 28]. C’est précisément ce type de mécanismes qu’il m’a été donné

d’identifier à travers les récits de vie des enquêtés ayant pris part à des activités de colportage avant le début de la crise syrienne ; et de comprendre par là même « que dans le

cadre des déterminismes globaux à l’intérieur desquels s’inscrit le phénomène, la migration est d’abord l’affaire d’une communauté singulière qui, face à un événement qui vient perturber ses équilibres fondamentaux doit trouver en elle-même et forger les solutions pour y faire face » [Longuenesse et al.,

1986 : 11].

Néanmoins, rares sont les personnes originaires de Deir Mqaren à s’être installées durablement en Jordanie et au Liban avant 2011. En effet, l’écrasante majorité des marchands ne passait la frontière que pour des périodes relativement courtes, le temps d’écouler leur marchandise ramenée de Syrie. Après s’être longtemps cantonnés à l’étude des seules migrations dites « définitives », les analystes du fait migratoire se sont efforcés au cours des années 1980-1990 d’élaborer des concepts permettant de mieux prendre en compte les transformations récentes des différentes formes de mobilités humaines. A travers la notion de « circulation » [Chapman et Prothero, 1983], « la migration n’est plus 86 « La migration en chaîne peut être définie comme le mouvement par lequel les migrants potentiels sont tenus au courant d’opportunités, sont

pourvus d’un moyen de transport, dispose d’un hébergement initial et d’un emploi obtenu par le biais de relations sociales avec de précédents migrants » [MacDonald et MacDonald, 1964 : 82].

nécessairement perçue comme un événement à portée définitive, supposant une rupture avec le lieu de départ et une « insertion » dans un autre lieu. (…) Que ce soit des parcours de migration circulaire avec retour au point de départ ou des mobilités observables dans les deux sens, c’est donc la mobilité alternante, à caractère répétitif et cyclique, entre un pays et l’autre, reliant une ville à l’autre, un village à une métropole, souvent sous le mode du « va-et-vient » entre deux ou plusieurs lieux et échappant par là même aux définition traditionnelles de la migration qui semble pouvoir constituer le fil conducteur de l’approche des migrations par la circulation » [Cortes et Faret, 2009 : 11‑12]. A travers ces pratiques, les

circulants élargissent leur espace de vie et d’activité en basant leurs logiques de subsistance sur la complémentarité des lieux. Les réseaux et les filières qui sous-tendent les circulations des migrants amènent ainsi à une structuration de l’espace et à l’organisation d’un « système de mobilité », une notion définie « par l’ensemble des liens ou relations

qu’établissent les acteurs-migrants entre les différents espaces qu’ils fréquentent » [Cortes, 1998 : 267].

Il s’agit ainsi de considérer les interactions spatiales à différentes échelles, le critère n’étant pas nécessairement le changement définitif du lieu de résidence, mais plutôt l’utilisation simultanée ou successive dans le temps de différentes unités spatiales - telles qu’un village, une communauté, une ville, ou une région - à partir d’un même espace de référence. Comme le souligne Geneviève Cortes, grâce à cette approche, la migration est délivrée de son « ambigüité conceptuelle ; le déplacement ne s’inscrit plus dans un projet de rupture » [1998 : 267].

Tous ces apports théoriques se sont révélés pour moi déterminants afin de réussir à analyser le système de mobilité qui s’est mis en place entre Deir Mqaren et quelques- unes des principales villes de Jordanie dans le courant des années 1990. Si la description de ces dynamiques peut sembler assez « déconnectée » du cœur de mon objet de recherche sur les réfugiés syriens, nous verrons dans la suite de cette thèse qu’il s’agit au contraire d’une étape essentielle de ma réflexion. En effet, l’ancrage socio-spatial de ce dispositif marchand et migratoire constitue un élément déterminant afin de saisir les logiques de l’exil au départ de ce village depuis 2011, dans le contexte de la guerre en Syrie.

- Réseau marchand et « système de mobilité » transfrontalier

Obtenir des informations sur l’émergence du « système de mobilité »

«  D'un point de vue professionnel, [avant le début du conflit] il n'y avait pas vraiment d'autres options [que de travailler dans la vente ambulante pour les habitants du village]. Certains arrivaient à se

faire embaucher comme fonctionnaire dans la police, ou dans d’autres services administratifs, mais la plupart travaillaient dans les mokasarat. Mon père et mon beau-père travaillaient dans les mokasarat ; mon mari travaillait dans les mokasarat ; ses frères travaillaient dans les mokasarat… 90% des hommes du village travaillaient dans les mokasarat !!! (…) La majorité des vendeurs n’avaient pas de diplôme et sont entrés très jeunes dans le métier, mais Wassim, mon mari, est allé jusqu'au bac. Il s'est ensuite inscrit à l'université et a suivi des cours d'histoire pendant un an, mais au final, il a arrêté parce qu'il s’est rendu compte qu’il n’arriverait jamais à obtenir un diplôme sans wasta87. C’est pareil dans l’administration. Sans connexion avec des gens proches du pouvoir, il était quasiment impossible pour les gens venus de la campagne comme nous de trouver un emploi attrayant en Syrie. Et comme l’État syrien ne s’est jamais préoccupé de notre village, nous avons toujours du nous débrouiller seuls. De tout temps ce village n’a vécu que grâce à la débrouille de ses habitants. Pour les mokasarat par exemple, c'est parce que les Jordaniens et les Libanais n'acceptent pas de petits emplois pénibles et dévalorisés que les gens du village se sont engouffrés dans cette activité. (…) Il s’agit pourtant d’un travail rentable, puisqu’en passant une vingtaine de jours seulement à l’étranger, Wassim arrivait à gagner 35 000 livres syriennes88, ce qui lui permettait ensuite de vivre environ 3 mois d’affilée au village avant de devoir repartir travailler [en Jordanie] ».

En octobre 2015, lors de notre seconde rencontre à Amman, Rim A. s’est longuement confiée sur les raisons ayant amené son mari Wassim N. à se lancer dans la vente ambulante au cours des années 199089. Ce court extrait de nos échanges résume à lui

seul le contexte et les motivations de l’ensemble des vendeurs ayant pris part à cette activité depuis le début des années 1980 : accéder à des revenus à l’étranger en l’absence de perspectives d’embauche en Syrie. Personne en effet n’a jamais avancé d’autre raison que celle-ci afin de justifier sa prise de décision migratoire. Il ne m’a donc pas été difficile d’identifier les principaux facteurs ayant amené à l’émergence de ce flux. Néanmoins, réussir à comprendre comment celui-ci a réussi à perdurer dans le temps, tout en s’enracinant au sein de l’espace jordanien s’est révélé être une tâche beaucoup plus ardue. Afin de trouver des réponses à ces questions, il m’a semblé nécessaire d’identifier quels étaient les pionniers de ce négoce, à l’origine de la branche jordanienne du réseau marchand de Deir Mqaren, du moins dans sa configuration contemporaine. Les premières questions adressées en ce sens donnaient généralement lieu à des réponses pour le moins 87 En arabe, le terme wasta fait référence à une relation personnelle permettant d’obtenir un service, y compris dans l’administration. On pourrait le traduire en français par « piston ».

88 Environ 560€ selon le taux de change moyen de 2010.

89 Wassim N., vit en Suède depuis l’hiver 2014. Il est le frère de Faysal N., mon hôte de Dortmund. Si je n’ai jamais eu l’occasion de le rencontrer, j’ai en revanche mené deux entretiens avec Rim, sa femme, au cours de mes séjours en Jordanie de 2014 et 2015. En juillet 2016, lorsque j’ai séjourné chez Faysal et Yasmin à Dortmund, le couple m’a affirmé que Rim était toujours dans l’attente d’une réponse à sa demande de regroupement familial. Nous y reviendrons en détail à la fin de cette thèse.

évasives, renvoyant non pas à des personnes, mais plutôt aux pratiques de circulations saisonnières remontant à l’époque ottomane, présentées dans le cadre du chapitre précédent. Néanmoins, lorsque j’insistais auprès des enquêtés afin qu’ils me fournissent des informations portant sur une période plus contemporaine, le nom de Karam F. revenait quasi-systématiquement dans leur bouche. Lors du premier entretien que nous avons réalisé avec l’un des colporteurs du village, Fadia m’avait indiqué que Karam était devenu leur principal fournisseur depuis le début du conflit en Syrie, et qu’il entretenait des liens étroits avec la population de Deir Mqaren depuis plusieurs années déjà90. Face au

piétinement de mes recherches concernant la question de l’émergence du réseau de vente ambulante en Jordanie, cet entrepreneur m’est donc apparu comme la personne idoine afin de me sortir de l’impasse dans laquelle je semblais m’être engouffré. Après avoir plusieurs fois sollicité Fadia pour qu’elle convienne d’un rendez-vous avec Karam, elle a finalement obtenu une réponse positive de sa part à quelques jours seulement de mon retour en France, à la toute fin du mois de novembre 2014. Dans la mesure où son travail lui prenait beaucoup de temps, il nous a proposé deux options : le rencontrer un soir après 22 heures, ou l’accompagner le temps d’un après-midi à bord de la fourgonnette qu’il utilise pour livrer sa marchandise à ses clients. Pour ma part, la deuxième proposition m’ait apparue de loin comme la plus intéressante du point de vue de ma recherche ; quant