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Agriculture locale et circulations marchandes au début du XXème siècle

CHAPITRE PREMIER

L A VALLÉE DU B ARADA , DU JARDIN D ’ ÉDEN AUX TERRAINS MILITAIRES

1. Agriculture locale et circulations marchandes au début du XXème siècle

L’attention des observateurs ayant étudié les dynamiques rurales dans la région de Damas s’est largement focalisée sur l’oasis de la Ghouta, au détriment des villages de la vallée du Barada. Au premier abord, on pourrait être tenté d’extrapoler les observations faites sur la vie des jardins damascènes à la région située en amont de la rivière. Céder à cette tentation se révèlerait pourtant fort hasardeux, pour ne pas dire tout à fait contestable. En effet, ces deux espaces diffèrent en de nombreux points. Tandis que le sol riche de la Ghouta est particulièrement bien adapté à une culture maraîchère, le calcaire de la haute vallée du Barada convient mieux aux arbres fruitiers. Par ailleurs, l’isolement de cette région de montagne contraste nettement avec l’intensité des circulations qui animent depuis des siècles la ville de Damas, et ont fait de cette cité l’un des principaux carrefours commerciaux à l’est de la Méditerranée. Dans les pages qui suivent, je m’appliquerai à présenter les principales caractéristiques de la vie quotidienne des habitants du village de Deir Mqaren au début du 20ème siècle. Ce faisant, il s'agira de commencer à retracer la

généalogie des migrations syriennes au départ de Deir Mqaren54.

54 Cette réflexion plus générale est également menée dans le cadre du projet ANR Lajeh (https://lajeh.hypotheses.org/) auquel je participe depuis son lancement en octobre 2015.

Illustration photographique 1La vallée du Barada à la fin du 19ème/début du 20ème siècles

Cliché « a » : Photochrome - réalisé entre 1890 et 1900 - du village de Souk Wadi Barada, situé à cinq kilomètres environ du

village de Deir Mqaren, en amont de la rivière, en direction de Zabadani (source : Library of Congress). Cliché « b » : Photo du seuil rocheux de Tekieh prise en 1895 depuis la voie de chemin de fer reliant Beyrouth à Damas l’année de son inauguration (source : Studio Félix Bonfils, Beyrouth, The Fouad Debbas Collection, British Library). Cliché « c » : Photochrome du Barada à l’entrée de Damas datant de la fin du XIXème siècle (source : Library of Congress) Cliché « d » : Photo de la rivière Barada à la sortie de la plaine de Zabadani datant de la période 1920-1933 (Source : Library of Congress).

- Caractéristiques géographiques de la vallée du Barada

Le Barada est le cours d’eau le plus important du versant oriental de la chaîne de montagnes qui forme l’ossature de la Syrie centrale. Cette rivière endoréique, essentiellement alimentée par les aquifères que constituent les épais calcaires karstifiés du massif de l’Anti-Liban, prend sa source dans la plaine de Zabadani, à 1 100 mètres d’altitude. Quelques kilomètres en aval, elle franchit ses premières gorges au niveau du seuil rocheux de Tekieh, puis serpente jusqu’à Damas en traversant la profonde vallée du Barada dans laquelle se succèdent les villages. Après avoir traversé les quartiers historiques

et la Ghouta orientale55 de Damas, le Barada s’évapore dans la steppe aride située à l’est de la capitale. Jusqu’à son assèchement partiel au cours de la seconde moitié du 20ème siècle,

son régime pluvio-nival se traduisait par de hautes eaux au début du printemps et un étiage marqué en fin d’été [Sanlaville, 2000].

Depuis le début de son existence, l’ancienne Chrysorrhoas, ou « coulée d’or » [Reclus, 2015], alimente en eau la plaine de la Ghouta et la vallée du Barada qui, pour certains, correspondraient au site du jardin d’Eden [Gibb, 1956]. Au delà de toute forme de croyance, on peut en tout cas affirmer que le Barada a largement participé à la construction de l’image de la cité damascène, décrite par Dimashki, un Imam sufi du 13ème

siècle, comme « appartenant aux plus saines, aux plus jolies et plus belles et aux plus élégantes villes

du monde » [Dimašqī, 1874 : 261]. Émerveillé par l’architecture de cette cité, ce dernier

l’est tout autant par la luxuriance de « ses jardins [qui] montent au nombre de 111 000, arrosés

par un seul courant d’eau, qui vient du pays de Zabadâni et de la rivière de Baradâ » [Dimašqī,

1874 : 263]. Les vergers de Damas, connus pour être parmi les plus anciens du monde [Morgan, 2015 : 28] ont largement participé au rayonnement international de cette cité, célèbre depuis l’époque romaine pour l’exportation de ses fruits, qui venaient orner les tables des sujets les plus nantis de l’Empire [Manton, 2016 : 20]. Les eaux du Barada ont également modelé la planification de l’espace urbain, tout comme la forme et le style architectural des maisons damascènes [Châtel, 2014], contribuant ainsi à faire de cette cité l’une des plus illustres de la région. A une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Damas, dans la haute vallée du Barada, au sud de l’Anti-Liban, se trouve le village de Deir Mqaren, situé à environ 900 mètres d’altitude, sur une terrasse fluviale obscurcie par un travertin jaunâtre [Abou Romieh et al., 2012 : 90]. Adossé au versant nord de la vallée, il fait face à un massif calcaire culminant à 1 067 mètres de hauteur. Administrativement, cette localité est rattachée au Gouvernorat de rif-Dimashq56. Depuis la fin de l’époque mandataire, où Deir Mqaren comptait 599 âmes [SGFFL, 1945], cette bourgade a connu une très forte croissance démographique, puisque selon les enquêtés, environ 5 000

55 Le mot arabe Ghouta est généralement traduit par celui d’oasis en français. Il s’agit plus précisément d’un mot « que les

géographes arabes emploient pour désigner une région en creux où les eaux se rassemblent » [Bianquis, 1977 : 35]. Dans le cas damascène, ce

terme fait surtout référence aux terres agricoles qui se situent à l’est de la capitale et qui ont constitué pendant des siècles une oasis luxuriante au milieu de désert. Au cours de la seconde moitié du XXème siècle, les habitations et les usines ont progressivement rongé le cœur de l’oasis, transformant l’ancienne ceinture de verdure de la capitale en une zone industrielle grise et poussiéreuse, où seules survivent quelques minces parcelles de terres cultivées.

personnes y résidaient en 201157.

Carte 15 Villages du Wadi Barada au début du 20ème siècle

En juin 2011, lors de mon dernier séjour sur le sol syrien, j’ai eu l’occasion de fouler brièvement la terre de Deir Mqaren. A cette date, nul n’était en mesure d’envisager la tournure dramatique qu’allait prendre l’insurrection populaire initiée trois mois plus tôt dans la ville de Deraa contre le régime de Bachar al-Assad et son clan. Pour ma part, j’étais encore plus loin d’imaginer que je consacrerai quatre ans de ma vie à étudier le processus de dispersion géographique de la population de cette bourgade de l’Anti-Liban. Avec le recul, la marche anodine effectuée ce jour-là avec des amis sur les rives du Barada prend pour moi une dimension toute particulière…

Venant de Damas, je me rappelle que les lieux nous semblaient nettement plus verdoyants. Le bruit de l’eau et la fraîcheur que nous procurait l’ombre des arbres bordant le sentier que nous suivions le long de la rivière, octroyaient à la scène une atmosphère bucolique encore solidement ancrée dans ma mémoire. Il ne m’a pas pour autant semblé nécessaire de faire de nombreux clichés des environs. Je n’ai pas non plus consigné de descriptions écrites de cette journée, contrairement à ce qu’il m’arrive parfois de faire au 57 Ce chiffre est basé sur les estimations établies par les enquêtés. Aujourd’hui, faute d’accès au terrain et à des données

cours de mes voyages. Mes souvenirs de l’environnement géographique de cette zone sont donc aujourd’hui assez incertains. Je me rappelle toutefois des nombreux noyers alignés à proximité immédiate du cours d’eau, laissant rapidement place à un paysage de garrigue sèche, composé de quelques arbres poussant de manière anarchique : amandiers, oliviers, et figuiers pour l’essentiel. Notre courte marche débutée à Aïn el-Fijeh s’est terminée quelques kilomètres plus loin en amont, à Deir Mqaren, le premier village que nous avons traversé. Ici et contrairement à d’autres localités de Syrie où j’ai eu l’occasion de me rendre58, aucune voiture immatriculée dans le Golfe ni villa clinquante ne laissaient

présager qu’une partie de la population s’était expatriée à l’étranger pour y gagner sa vie. Ce gros bourg rural, essentiellement composé de maisons de parpaings accrochées à flanc de colline, ne témoignait en effet d’aucun « signe extérieur de migrations ». Quelques potagers et basse-cours bordaient les ruelles escarpées de cette localité poussiéreuse, au pied de laquelle coule encore ce qui reste du Barada, cette rivière au débit autrefois si généreux. Les dernières images que je garde de cette journée sont celles des habitants de Deir Mqaren nous souhaitant chaleureusement la bienvenue, avec, en arrière plan, les falaises calcaires qui prenaient une teinte de plus en plus orangée à mesure que le soleil descendait sur la vallée.

58 Je pense en particulier à Al Nebek, une petite ville du massif du Kalamoun, située au nord de Damas en direction de Homs ; et plus encore à Abu Kamal, dernière localité syrienne avant la frontière irakienne, assise sur les rives de l’Euphrate. Il se peut que ce type d’indices, témoignant du départ en migration d’une partie de la population locale, soient plus visibles encore dans d’autres villes de Syrie où je n’ai jamais eu l’occasion de me rendre.

Illustration photographique 2 La vallée du Barada entre Aïn el-Fijeh et Deir Mqaren

Cliché « a » : Lit du Barada depuis la rive sud. Cette partie de la rivière est particulièrement ombragée. Plus on remonte dans les

gorges en direction de Zabadani, plus les bords deviennent arides (source : D. Lagarde, juin 2011). Cliché « b » : L’ancienne ligne de chemin de fer reliant Beyrouth et Damas, inaugurée en août 1895, n’est plus en service depuis 1976. La nature y a depuis doucement repris ses droits. Toutefois, certains tronçons continuèrent d’être utilisés jusque dans les années 2000, principalement pour transporter des touristes entre la capitale et Aïn el Fijeh. En 2015, le régime syrien a rouvert une partie de cette ligne, toujours dans un but touristique… (source : D. Lagarde, juin 2011). Cliché « c » : Quelques noyers poussent encore sur les premières pentes de la falaise faisant face au village de Deir Mqaren (source : D. Lagarde, juin 2011). Clichés « c » et « d » : Les terrains situés au sommet de ces deux pics rocheux ont été expropriés par le Ministère de la Défense et transformés en terrains militaires dans les années 1980. Plusieurs sources jaillissaient autrefois sur ces plateaux au milieu desquels poussaient la majorité des figues, des amandes et des baies d’églantiers vendues par les marchands du village. Ironiquement, c’est depuis ce même site - d’où les habitants de Deir Mqaren ont tiré l’essentiel de leurs revenus pendant de nombreuses décennies - que l’armée du régime a effectué ses premiers tirs de mortier sur le village au mois de février 2012 (source : D. Lagarde, juin 2011).

- Vivre au rythme du calendrier agricole

Jusqu’au milieu du XXème siècle, les populations de la vallée du Barada vivaient

principalement de l’agriculture. Les habitations en terre du village de Deir Mqaren s’étiraient alors à la limite supérieure de la zone irriguée, sur les pentes douces exposées au sud [Thoumin, 1936]. Le climat, beaucoup plus clément que dans le reste du pays en raison de l’altitude, mais surtout de la fraîcheur et de l’humidité qu’entretenaient les eaux

courantes du Barada, était particulièrement adapté à la culture des arbres fruitiers. Si le lit étroit de la rivière suffisait à contenir les eaux de mai à novembre, il ne pouvait empêcher d’importants débordements en hiver et au printemps. Ces crues jouaient alors un rôle fertilisant essentiel à la vitalité des vergers situés au pied du village, dans le fond de la vallée [Thoumin, 1936]. Parmi les nombreux arbres cultivés dans la région, le noyer donnait à celle du Wadi Barada l’un de ses aspects les plus caractéristiques, tandis que la vigne et les figuiers se développaient partout où les terrains le permettaient. Les abricots faisaient également partie des principaux fruits produits localement ; d’autres arbres fruitiers offrant quant à eux des rendements plus faibles.

A la fin de mon dernier séjour d’enquête en Jordanie, nous nous sommes rendus, Ibtissam, Fadia et moi chez Bachar L., à Dahiet al-Rasheed, un quartier du nord-ouest d’Amman, dans l’optique de l’interroger sur son parcours migratoire, tout en sachant qu’il pourrait probablement répondre à plusieurs de mes interrogations sur l’origine des circulations commerciales au départ de Deir Mqaren. Après nous avoir chaleureusement accueilli, Bachar nous invite à partager un déjeuner en compagnie de sa femme et de leur fille, la seule de leurs enfants encore présente en Jordanie59. Tandis que les mezzés60, les poulets rôtis, les plats de riz et de frikeh61 s’amoncèlent sur la large table basse en verre du salon, Ibtissam en profite pour mentionner l’intérêt que je porte aux conditions de vie de la population de Deir Mqaren au cours du siècle passé. Le regard de Bachar s’illumine alors instantanément. Dans un regard malicieux, ce dernier me lance : « Je t’avais bien dit que

j’étais le mieux placé pour répondre à tes questions62 ! » Il n’en faut pas plus pour lancer l’entretien, avant même que nous ayons pu commencer à goûter aux mets succulents qui s’offraient à notre vue… « Mon père est né en 1918 et a vécu jusqu’au début des années 1980.

Autant dire qu’il a largement vu le village se transformer au cours de sa vie. (…) Il était le propriétaire de nombreux terrains agricoles à Deir Mqaren, mais cela ne l’empêchait pas pour autant de travailler en étroite collaboration avec les autres habitants du village. » Bachar interpelle alors Ibtissam en lui

rappelant que leurs pères avaient l’habitude de voyager ensemble en Palestine pour vendre les fruits qu’ils produisaient dans leurs vergers, fait qu’elle atteste dans un regard emprunt 59 Comme nous le verrons par la suite, trois des cinq enfants de Bachar L. et de sa femme Maroussi Z. vivent désormais en Allemagne, tandis que le cadet, souffrant de graves problèmes de santé, suivait au moment de l’entretien un traitement médical aux États-Unis.

60 Les mezzés sont des plats levantins servis dans des petites assiettes disposées au centre de la table, permettant aux convives de multiplier leurs choix.

61 Le frikeh est du blé vert grillé au goût légèrement fumé, servi en accompagnement de plats de viande, à la place du riz ou du boulgour.

d’une certaine nostalgie. Avant de lui demander plus de précisions sur les détails de ces voyages commerciaux, je décide de l’interroger sur l’organisation de la vie quotidienne à Deir Mqaren. « Les gens du village ont depuis toujours travaillé dans le secteur agricole. A en croire les

dires de mon père, leurs conditions de vie étaient extrêmement difficiles. Les hommes comme les femmes travaillaient dur toute la journée, de 5h du matin jusqu’à la tombée de la nuit. Leur vie était calquée sur le rythme du calendrier agricole. L’été, ils étaient occupés par la récolte des fruits dans les vergers, qui commence dès le mois de mai avec la cueillette des cerises. Venaient ensuite celles des abricots, des prunes, des pêches et des pistaches en juillet et en août ; puis des noix, du raisin, des amandes, des pommes et des poires en septembre. Durant l’automne et jusqu’au début du mois de décembre, les villageois s’affairaient à la taille des arbres, ce qui leur permettait ensuite de revendre les surplus de bois lorsqu’ils étaient secs. Cette période correspondait aussi à celle des premières plantations de légumes et de céréales qu’ils récoltaient ensuite au printemps. (…) Ils cultivaient également de la luzerne pour les ânes. (…) Les femmes occupaient une place déterminante dans l’économie du village, car en plus d’aider à la culture des vergers, ce sont elles qui étaient chargées de s’occuper des récoltes lorsque les hommes quittaient Deir Mqaren pour vendre leur production. »

Les propos de Bachar font singulièrement échos aux descriptions que les géographes français faisaient de la vie dans les villages syriens durant la première moitié du 20ème siècle. En effet, « ces aspects de la vie rurale permettent de se représenter à la fois la routine et l’intensité de l’activité paysanne. Ils expriment une adaptation au milieu physique réalisée dès une époque fort ancienne. Les habitudes qu’elle impose ont pénétré les populations, (…) [tandis que] les traditions relatives à la mise en valeur des champs et des vergers ont modelé, pour ainsi dire, la mentalité [des habitants de la vallée] » [Thoumin, 1936 : 139]. « Avec le village une notion nouvelle apparaît, celle de la communauté géographique. Le village-type, le vieux village de sédentaires, est déjà un organisme complexe ; les différentes familles autonomes qui le composent forment un ensemble qui demeure uni, même si elles se détestent, de par la communauté du terroir  » [Weulersse, 1946 : 225]. Si cette structure

communautaire semblait à l’époque déterminer la gestion des tâches quotidiennes à l’échelle villageoise, d’après les données collectées lors de mes différents terrains d’enquête en Jordanie, il semblerait qu’elle influençait tout aussi fortement le système de mobilités dans lequel s’inscrivaient alors les paysans de Deir Mqaren.

- Circulations marchandes vers le début du 20ème siècle

A partir de la fin du 19ème siècle, le développement du secteur agricole au Proche-

Orient – en particulier celui des céréales dans les grandes plaines du Hauran – encouragea de grandes familles de marchands damascènes du Midan63 à s’installer dans les villes transjordaniennes de Salt, Kerak et Ajlun afin d’y développer des activités commerciales [Neveu, 2013 ; Becquart, 2014]. Des négociants syriens étaient également présents dans d’autres localités du Proche-Orient, comme à Jérusalem et Naplouse en Palestine. Ces dynamiques renforcèrent alors considérablement le développement des échanges entre Damas et les principales villes de la région. Les villages les plus isolés, à l’image de ceux situés dans le massif de l’Anti-Liban, restèrent quant à eux à l’écart de ces évolutions. Cela peut notamment s’expliquer par les faibles rendements obtenus dans les fermes de montagne, ainsi que par leur absence de connexion aux principaux réseaux de circulations de l’époque. Selon Weulersse, « l’économie rurale traditionnelle du Proche-Orient était (…) demeurée

jusqu’au XXème siècle d’un type remarquablement archaïque : produisant peu, échangeant moins encore, elle ne pouvait procurer au paysan qu’un niveau de vie des plus bas » [Weulersse, 1946 : 143‑144].

D’après l’auteur, les cadres économiques traditionnels des paysans du Proche-Orient se résumaient donc d’abord et avant tout à celui de leur village, puis de la ville voisine, et dans une moindre mesure au reste de la région. Les échanges semblaient ainsi fonctionner à sens unique, le surplus des campagnes allant aux villes, ces dernières ne rendant en échange que peu de choses au monde rural [Weulersse, 1946 : 140‑144]. La longue marginalité des liens villes-campagnes s’explique aussi par l’absence de moyen de transports véritablement efficaces à l’époque. En dehors de l’entretien et de la sécurisation de la route du Hijaz menant à la Mecque, véritable colonne vertébrale des mobilités à l’intérieur du Bilad esh-Sham ottoman qui a largement participé au développement des localités situées le long de cet itinéraire, les autorités de l’Empire n’investirent que très peu dans l’aménagement du réseau routier et ferroviaire. Ainsi, lorsque Richard Thoumin publia en 1936 un ouvrage consacré à la Géographie humaine de la Syrie centrale, seules six routes permettaient de relier le territoire syrien au Liban et à la Palestine [Thoumin, 1936 : 173]. L’une des plus fréquentées fut ouverte en 1865. Longue de 109 kilomètres et 63 Le Midan est un quartier commerçant de Damas qui, à l’époque ottomane, constituait un important carrefour des