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Contours du champ migratoire syrien à la veille de l’insurrection

CHAPITRE PREMIER

M IGRATIONS INTERNATIONALES ET « SYSTÈME DE MOBILITÉ » TRANSFRONTALIER

1. Contours du champ migratoire syrien à la veille de l’insurrection

Après le développement des courants migratoires reliant les pays du Levant aux continents américains, africains et européens durant la première moitié du 20ème siècle, les

migrations au départ de Syrie vont s’intensifier à partir de la décennie 1970. Les liens politiques établis entre le régime al-Assad et les pays du bloc communiste vont constituer le moteur d’une mobilité étudiante donnant parfois lieu à l’installation durable de ressortissants syriens en Europe de l’Est. Néanmoins, le champ migratoire syrien de la seconde moitié du 20ème siècle est surtout caractérisé par une considérable intensification

des migrations de main d’œuvre entre la Syrie et les autres États du Moyen-Orient. Koweït, Arabie-Saoudite, Libye et Émirats arabes unis constituent notamment d’importants pôles d’attraction, du fait de l’augmentation des opportunités d’emploi, liée à la forte hausse des cours des prix du pétrole. Plus encore que ces pays producteurs d’hydrocarbures, c’est surtout le Liban et la Jordanie qui accueillent l’essentiel du contingent des migrants syriens. En effet, jusqu’à la veille de l’insurrection contre le régime de Bachar al-Assad en 2011, plusieurs centaines de travailleurs syriens y étaient employés dans les secteurs du bâtiment, de la restauration et de l’agriculture ; la majorité d’entre eux s’inscrivant dans une migration circulaire, les amenant à multiplier les allers- retours entre leur pays d’origine et leur lieu de travail à l’étranger.

Alors que le Proche-Orient se connecte rapidement au reste du globe, par le fait d’une augmentation croissante des effectifs d’émigrants quittant la région, la population de Deir Mqaren continue pour sa part de vivre d’une production agricole locale et de mobilités marchandes, s’inscrivant uniquement dans un cadre régional. Néanmoins, à partir des années 1980-1990, un nombre croissant d’hommes71 de Deir Mqaren

confrontés aux difficultés d’accès au marché de l’emploi syrien vont chercher à se procurer des revenus alternatifs au Liban et en Jordanie. Mais avant d’étudier en détail le fonctionnement de ces filières migratoires, commençons par voir comment ces mobilités 71 Le réseau marchand de Deir Mqaren est exclusivement masculin. Selon les enquêtés, aucune femme du village n’a jamais

transfrontalières sont venues s’inscrire dans une tendance générale d’intensification des migrations de main d’œuvre entre la Syrie et les autres pays du Moyen-Orient, initiée depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, dans un contexte d’accroissement rapide et profond des inégalités économiques entre les différents États de la région, désormais « indépendants ».

- Le temps des premières migrations syro-libanaises

L’Égypte, terre d’accueil des marchands levantins depuis le 12ème siècle

Les premiers mouvements de population d’importance au départ de Syrie ont été observés au 12ème siècle en direction de l’Égypte, durant le règne des Ayyoubides, lorsque

ces deux pays furent intégrés au sein d’un même empire. A cette époque, de nombreux marchands syriens s’installèrent dans la ville du Caire pour vendre des produits ramenés du Levant dans le grand marché du Khan al Khalili. La période ayyoubide marqua également l’arrivée de nombreux enseignants et étudiants syriens, qui contribuèrent largement à la vitalité intellectuelle de la prestigieuse université islamique d’al-Azhar. Au 18ème siècle, de nouveaux marchands syriens - essentiellement chrétiens et originaires de

Damas - s’installèrent en Égypte, cette fois-ci dans les ports de la côte méditerranéenne de Damiette, Rosette et Alexandrie. Le nombre de Syriens en Égypte ne fit ensuite qu’augmenter entre la moitié du 19ème siècle et le début de la Première Guerre mondiale,

au point d’atteindre plus de 30 000 personnes selon le recensement de 1917 [Hourani, 1992b]. A cette migration de faible distance, composée majoritairement de personnes originaires de Damas et issues des classes les plus aisées de la société syrienne, succédèrent des flux qui prirent la direction de terres plus lointaines, et concernèrent des populations rurales plus défavorisées.

Premières migrations outre-Atlantique au 19ème siècle

Durant la seconde moitié du 19ème siècle, les progrès en matière de transports

maritimes permirent aux Levantins de rejoindre plus facilement les ports du sud de l’Europe, et de là, le continent américain. Parallèlement, le développement de Beyrouth comme centre d’export de la soie et d’import de biens manufacturés en provenance d’Occident favorisa la connexion de la région au reste de la planète. Des journaux publiant quotidiennement les dernières nouvelles du globe attisèrent alors les envies d’ailleurs d’une partie de la jeunesse levantine, attirés par des conditions de vie jugées plus

clémentes de l’autre côté de l’Atlantique [Hourani, 1992a]. A cette époque, la croissance démographique de la population, la rudesse du climat et les difficultés d’accès à la propriété rencontrées par les jeunes rendaient la vie particulièrement difficile dans les régions semi-désertiques du Proche-Orient. « En outre, et à un degré moindre, des facteurs de

nature politique et religieuse, liés à la désagrégation de l’Empire Ottoman ou à des conflits entre factions religieuses influencèrent ces départs » [Truzzi, 2002 : 123]. Ainsi, dès le début des années 1880,

des effectifs croissants de Syro-libanais commencèrent à se rendre aux États-Unis, au Canada, et dans une moindre mesure au Mexique et à Cuba. Si l’essentiel des émigrants étaient originaires des districts libanais du Mtein, de Kesrouan ou encore du Chouf, en Syrie, les villages du Kalamoun furent de loin les plus concernés par ce phénomène. Dès le début du 20ème siècle, certaines localités situées dans le nord de l’Anti-Liban, étaient

reliées par des courants migratoires à des espaces d’installation précis sur le continent américain. D’après les observations effectuées par Richard Toumin entre 1924 et 1931, les émigrants grecs-catholiques du village d’al-Nebek sont ainsi presque exclusivement partis à Jacksonville en Floride, tandis que dans les localités voisines de Yabroud et Qara, les chrétiens privilégiaient l’Argentine et le Brésil [Thoumin, 1936 : 337].

Si certains Syro-libanais avaient déjà commencé à prendre la direction de l’Amérique du Sud dès la fin du 19ème siècle, c’est surtout au sortir de la Première Guerre

mondiale que leur nombre a considérablement augmenté. En effet, l’introduction de quotas limitant le nombre annuel d’entrées de migrants arabes au Canada et aux États- Unis à partir des années 1920 a progressivement détourné le flux en direction du sud du continent américain. Ainsi, « près de sept émigrants sur dix choisissent, à cette époque, l’Amérique du

Sud (Argentine, Brésil, Uruguay et Chili). [Les Syriens] forment, entre 1920 et 1939, 44% du total des Levantins selon les statistiques officielles mandataires, installées en Amérique latine, les autres étant Libanais et Palestiniens. Ils constituent la majorité des arabes en Argentine. Les chrétiens, les Alaouites et les Druzes composent la quasi-totalité de l’effectif global (environ 70% de chrétiens et 20% de Druzes et d’Alaouites) car très peu de sunnites partent alors vers l’Amérique » [Roussel, 2015b : 306]. A

l’image des pionniers partis de Syrie et du Liban pour les États-Unis dans les années 1880 [Naff, 1992], lors de son arrivée en Amérique latine, cette nouvelle génération de migrants réussit à s’insérer rapidement sur le marché du travail en exerçant la profession de colporteur. Bien que ces individus aient travaillé majoritairement dans le secteur agricole avant de quitter le Proche-Orient, ils n’ont pas hésité à se reconvertir dans la vente ambulante, en s’appuyant sur le développement rapide d’un réseau commercial ethnique

facile à intégrer. Comme le souligne Oswaldo Truzzi « l’activité de colporteur offrait plusieurs

avantages, mais surtout elle n’exigeait pas d’habiletés spécifiques ou d’investissements. [Les Syro-libanais] commençaient en portant les panières et les énormes valises de ceux qui étaient déjà du métier et après avoir acquis quelques rudiments linguistiques, ils partaient seuls. Il y avait toujours la possibilité de remplir un plateau ou une valise de quincailleries variées et de les vendre dans les quartiers de la capitale, à l’intérieur du pays, ou dans les campagnes avides de nouveautés commerciales. Mais cette facilité d’installation ne doit pas masquer la dureté, la pénibilité du travail » [Truzzi, 2002 : 131]. Ces

activités de colportage ne sont pas sans rappeler celles des marchands de Deir Mqaren qui, à la même époque sillonnaient les chemins du Proche-Orient pour revendre leur production. Nous verrons également que les pratiques marchandes et la diffusion spatiale de cette activité en Jordanie à l’époque contemporaine sont parfaitement similaires aux descriptions faites par Oswaldo Truzzi sur le Brésil. Néanmoins, la comparaison s’arrête là. En effet, mis à part la mention faite par Ibtissam d’un membre de la famille S. parti « faire fortune en Amérique » durant la première moitié du 20ème siècle, personne à Deir

Mqaren ne semble s’être inscrit dans ces flux migratoires de longue distance entre la fin du 19ème et le début du 20ème siècle.

L’Afrique, l’autre destination des migrants levantins

A l’époque mandataire, la France et ses colonies représentent une autre destination de choix pour les Levantins. En effet, sur la période 1920-1930, l’hexagone constitue en volume « le quatrième territoire d’installation des Syriens derrière l’Argentine, le Brésil et

l’Uruguay » [Roussel, 2015b : 307]. Au lendemain de la Première Guerre mondiale,

plusieurs milliers de Syro-libanais, attirés par les potentialités de développement du continent africain, profitent également des facilités administratives qui leur sont accordées par l’administration coloniale pour s’installer dans les colonies françaises d’Afrique de l’Ouest. D’autres s’établirent en Égypte, en Érythrée, en Guinée, en Afrique anglophone ou encore en Abyssinie (Éthiopie). Les Syriens restèrent toutefois très minoritaires dans ce total comparé aux Libanais, puisqu’ils ne représentaient que 10% des Levantins installés en Afrique au tournant du 20ème siècle [Roussel, 2015b].

Carte 20 Principales destinations des migrants syro-libanais dans les années 1930-1940

- Développement des migrations de main d’oeuvre

Une amélioration de l’accès à l’éducation qui favorise les mobilités étudiantes

Dès son arrivée au pouvoir dans les années 1960, le parti Baas a considérablement amélioré l’accès à l’éducation des Syriennes et des Syriens afin d’atteindre les objectifs qu’il s’était fixé en terme de développement industriel du pays. Au cours des décennies suivantes, les effectifs de l’enseignement secondaire général et professionnel ont donc connu une très nette augmentation. D’après les enquêtés, plusieurs habitants de Deir Mqaren ont bénéficié de ces évolutions et réussit à accéder ainsi au statut de « petits fonctionnaires ». Ces progrès en matière de scolarisation se sont également traduits par une remarquable augmentation du nombre d’inscrits dans l’enseignement supérieur. La loi dite d’absorption - adoptée dans les années 1970 afin de rendre l’accès à l’enseignement supérieur gratuit et garantit à tout élève ayant obtenu son baccalauréat - a permis à de nombreux jeunes issus des couches moyennes et défavorisées d’accéder à l’université72

[Hanafi, 1994].

Au sein des grands pôles universitaires du pays, à Damas, Alep, Lattaquié et Homs, 72 « Les effets pervers de cette loi produisent un nombre pléthorique d’ingénieurs diplômés qui ne correspondait pas du tout à la capacité du marché

le nombre d’étudiants est passé d’environ 40 000 en 1970, à près de 170 000 vingt ans plus tard73. Par ailleurs, un nombre croissant d’étudiants a bénéficié de bourses allouées

par l’État afin d’aller étudier à l’étranger, généralement dans des pays du bloc soviétique ayant signé des accords de coopération avec le gouvernement syrien [Longuenesse, 1995]. Ceux qui ne disposaient pas du capital social leur permettant d’accéder à ces financements - généralement accordés sur la base de relations privilégiées avec des fonctionnaires de l’État - ont parfois choisi de partir sur leurs propres deniers. Dans ces cas là, l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du nord apparaissaient comme les destinations les plus prisées. S’il est difficile de se procurer des chiffres sur l’ampleur de ce phénomène depuis les années 1960, on estime néanmoins qu’entre 1980 et 2000, environ 250 000 Syriens auraient décroché un diplôme à l’étranger. Parmi eux, plus de 98 000 ont obtenu le grade d’ingénieur, et 90 000 celui de médecin [Marzouk, 2010]. Une partie des boursiers syriens partis en Europe de l’Est au cours des décennies 1970-1980 ont ensuite profité des liens privilégiés dont ils disposaient avec cet espace afin d’y développer des relations « affairistes » lors de l’introduction du marché libre dans les années 1990 [Tarrius, 2016]. Salam Kawakibi mentionne ainsi que « les Syriens étaient les premiers à exploiter leurs anciennes

connexions et connaissances dans ces pays suite à l’effondrement du mur de Berlin en 1989 » [Kawakibi,

2008 : 8].

De nouvelles opportunités d’emploi dans les pays du Golfe

A partir de 1973, l’augmentation spectaculaire des cours des prix du pétrole favorisa la multiplication de gigantesques programmes d’équipement et d’industrialisation dans les pays producteurs d’hydrocarbures du Moyen-Orient. Ces grands projets nécessitèrent un recours à une importante main d’œuvre étrangère, dont une partie était originaire de Syrie [Bourgey, 1985]. Ainsi, en 1975, si le nombre de travailleurs syriens au Liban commençait déjà à décroître du fait du conflit, il était à l’inverse en pleine augmentation dans la péninsule arabique ainsi qu’en Libye. A cette date, la population syrienne y était estimée à 183 000 individus, le Koweït et l’Arabie Saoudite étant les deux principaux pays d’accueil de ressortissants syriens dans le Golfe. En plus de ce total, on dénombrait au cours de la même année environ 22 000 Syriens supplémentaires en Jordanie [Winckler, 1997]. Dans les années 1980, en dépit de la crise économique mondiale et du premier acte de la guerre Iran/Irak, les chiffres du nombre de Syriens dans le Golfe et en Libye continuèrent d’augmenter lentement durant toute la décennie.

Néanmoins, à partir du mois d’août 1990, au moment où l’Irak envahit son voisin koweitien et que la Syrie prend part à la coalition internationale dirigée par les États- Unis afin de répondre militairement à cette agression, 110 000 Syriens quittent le Koweït pour rentrer dans leur pays d’origine ; ramenant leur total dans les pays producteurs de pétrole au Moyen-Orient - Libye comprise - à environ 112 000 personnes [Winckler, 1997]. Comme l’illustrent les deux cartes qui suivent, cette migration de travail est essentiellement masculine, en particulier en Arabie Saoudite. Il arrive néanmoins que femmes et enfants prennent également part à ce phénomène migratoire dans le cadre d’une migration familiale. C’est le cas en particulier au Koweït, dès le début des années 1980.

Les travailleurs syriens du Liban, une force de travail sans droits

A la fin des années 1940, lorsque le Liban et la Syrie sont devenus deux entités nationales distinctes, de plus en plus de Syriens ont commencé à traverser la frontière séparant les deux pays afin d’y trouver un emploi. Le dynamisme économique de certaines régions libanaises, leur proximité géographique par rapport au territoire syrien, ainsi que l’intensité historique des liens sociaux et des échanges parcourant l’espace syro-libanais furent à l’origine d’un flux migratoire qui se développa de manière constante dans les années 1950-1960, au point de devenir un véritable « phénomène de masse » avant le début du conflit [Chalcraft, 2009]. Toutefois, « durant la guerre civile libanaise, et

particulièrement durant l’invasion de l’armée syrienne74, les travailleurs migrants syriens ont fait l’objet de graves discriminations, et, par conséquent, ce groupe s’est retrouvé contraint de retourner en Syrie après une longue période de reconnaissance au Liban75 » [Tabar, 2010 : 11].

La fin du conflit libanais - conclu lors de la signature de l’accord de Taef en 1990 - marqua un retour significatif des Syriens sur le marché de l’emploi au Liban. Comme le souligne Assaf Dahdah, cette « main-d’oeuvre syrienne au Liban reste une population très

majoritairement masculine, faiblement qualifiée, sous-payée, travaillant principalement comme ouvriers dans le BTP, l’agriculture, et tout autre secteur d’emploi relevant des 3D jobs (Dirty, Difficult and Dull) [Ambrosetti et al. 2008]76 ; des secteurs largement délaissés par les Libanais qui, à niveau de qualification équivalent et même s’ils le souhaitent, ne peuvent de toute façon pas concurrencer une main- d’oeuvre sans droits et aux exigences salariales nettement inférieures » [2015 : 101]. Au cours des

entretiens que j’ai menés en Jordanie, plusieurs marchands de Deir Mqaren ont précisément insisté sur le caractère ingrat de leur profession, et en particulier sur la question de la pénibilité de leurs conditions de travail qui, selon eux, constitue le principal facteur ayant permis aux hommes du village d’accéder à une position de quasi-monopole dans un secteur d’activité totalement délaissé par les Libanais et les Jordaniens. Une sorte de mythe semble même s’être développé autour du métier de colporteur dans l’imaginaire collectif du village. En effet, une majorité d’enquêtés a insisté sur la force physique et le talent commercial hérités de leurs ancêtres, qui exerçaient une activité similaire par le passé, au point que ces caractéristiques seraient, pour reprendre les mots de plusieurs de mes interlocuteurs, « inscrites dans l’ADN des enfants du village… ». Si nous laisserons de côté

74 L’occupation syrienne au Liban a débuté en 1976, pour se terminer près de trente ans plus tard, en avril 2005.

75 « During the Lebanese Civil War, and particularly during the Syrian army invasion, Syrian migrant workers were greatly discriminated against, and, as a result, this hard-working group of people saw the need to return to Syria after what had been a long period of acceptance in Lebanon ».

76 Ambrosetti Elena, Tattolo Giovanna, Toader Alina, Kateb Kamel et Diguet Dominique, 2008. « Femmes, rapports de genre et dynamiques migratoires », Population, 63, p. 767-793.

l’hypothèse de la modification génétique, il ne semble en revanche faire aucun doute que ces pratiques marchandes, qui se sont transmises sur plusieurs générations, ont permis « l’autonomisation » [Missaoui, 2008] de ce groupe villageois face aux régimes centralisateurs et autoritaires qui se sont succédés à la tête de la Syrie depuis les années 1960. Nous y reviendrons.

En 1993, les régimes syriens et libanais signent des accords politiques venant entériner une situation existante de facto depuis des décennies : celle de la liberté de circulation, de séjour et de travail pour les ressortissants des deux pays [Naufal, 2011]. Il demeure par conséquent difficile d’estimer précisément la taille de la population syrienne résidant effectivement au Liban à la veille de l’insurrection contre le régime al-Assad. Selon le socio-démographe Philippe Fargues, les Syriens étaient environ 400 000 à 500 000 à résider dans ce pays sans permis de séjour à la fin des années 2000 [Fargues, 2009 : 552]. Si l’on s’en tient en revanche aux chiffres contenus dans la base de données des Nations Unies - utilisée afin de réaliser une partie des cartes contenues dans ce chapitre77 - seulement 5 325 Syriens résidaient au Liban dix ans plus tôt [United Nations,

Department of Economic and Social Affairs, 2008]. Cette différence vient directement du fait que ce nombre ne correspond qu’à la population syrienne inscrite sur les registres des autorités, sachant que « les avocats, les médecins et les hommes d’affaires représentent la grande partie

d’entre [elle] » [Kawakibi, 2008 : 6], bien qu’ils soient très loin d’être majoritaires parmi les

Syriens du Liban. L’image statistique délivrée par les Nations Unies est par conséquent fortement biaisée et les chiffres ridiculement bas comparé aux réalités observées sur le terrain [Chalcraft, 2009]. C’est d’ailleurs sûrement la raison pour laquelle aucune information n’est apportée sur le nombre de Syriens résidant au Liban dans la version réactualisée de cette base portant sur la période 2000-2010.

La présence syrienne en Jordanie avant le début du conflit

S’il est tout à fait impossible d’établir des estimations raisonnablement fiables sur le nombre de Syriens présents au Liban avant le début du conflit en Syrie, l’exercice se révèle à peu près aussi périlleux pour la Jordanie. Néanmoins, il est possible d’affirmer que ce 77 Au cours des années 2000 une équipe de chercheurs réunis dans le cadre d’un programme coordonné par les Nations Unies a entrepris de créer une base de données portant sur les migrations bilatérales à l’échelle mondiale pour chaque décennie