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Première'partie ! :"Introduction !

3. Apprentissage phonétique

3.2 Difficulté d’apprentissage des voyelles

L’acquisition phonétique des voyelles semble présenter une difficulté majeure pour les apprenants, notamment dans l’apprentissage du FLE (Racine et al., 2012). Plusieurs raisons peuvent expliquer cette difficulté.

1) Nombre de qualités vocaliques : Crothers (1978) qui travaille sur la base de 209 langues du Projet d’archivage phonologique de Stanford (UPSID) ne trouve que sept langues ayant plus de neuf qualités vocaliques de base. Si le français actuel possède dix différentes qualités de voyelles orales, c’est parce que les contrastes sont basés non seulement sur l’antériorité/postériorité mais aussi sur quatre degré d’aperture ainsi que sur la labialité, opposant les trois voyelles antérieures arrondies et étirées. Cette complexité du système phonologique met en évidence les difficultés phonético-phonologiques que peut rencontrer un apprenant de FLE.

2) Imprécision de la configuration articulatoire : Du fait de leur caractère continu (Stevens et al., 1969), il est impossible de décrire avec précision aux apprenants la configuration des organes de la parole dans la production des voyelles, notamment dans le cas des voyelles non fermées (Kamiyama and Vaissière, 2009). Mis à part la voyelle [œ] sans constriction, toutes les voyelles correspondent à un rétrécissement du conduit vocal à un ou plusieurs endroits, mais l’aire de constriction au niveau de la langue est plus large que lorsqu’il s’agit de consonnes et elle est donc moins clairement définissable.

Les lèvres peuvent prendre de différentes configurations : elles sont plus protruses dans la réalisation du [u] que pour celle du [y] (Riordan, 1977), et elles sont le plus protruses dans la réalisation de la voyelle nasale [ɔ̃].

3) Possibilités compensatoires : Du fait des possibilités compensatoires entre les organes, un même timbre vocalique peut être généré par différentes configurations articulatoires (Atal et al., 1978;

Maeda, 1989b). Par exemple, l’allongement de la cavité antérieure (qui résulte en un abaissement de la fréquence des formants principalement associés à cette cavité) peut être obtenu soit par un recul de la langue, soit par une protrusion, soit par un arrondissement des lèvres ou encore par les trois à la fois.

Un recul de la langue provoquera un raccourcissement de la cavité postérieure (qui résulte en une élévation de la fréquence des formants principalement associés à la longueur de la cavité postérieure), mais ce raccourcissement pourra être compensé par un abaissement du larynx. Les gestes articulatoires compensateurs sont flagrants chez un ventrilogue ou un fumeur de pipe qui arrive à suppléer le mouvement de la mandibule par un mouvement plus ample de la langue (Vaissière, 2006).

Riordan (1977) a testé la possibilité d’atteindre la cible acoustique des voyelles labiales [u] et [y] sans arrondir les lèvres. Six locuteurs (quatre Français et deux Chinois Mandarin) ont enregistré les voyelles [i, y, u, ǝ, ɛ] en conditions normales et avec une bande élastique sur la bouche afin d’empêcher les lèvres de s’arrondir. Les valeurs basses de F1 et F2 pour [u] et de F3 pour [y],

nécessaires pour la perception du timbre souhaité, peuvent être assurées par l’action de la langue et du larynx dont les mouvements sont observés à l’aide d’un outil photoélectrique. Ainsi, en conditions normales, les formants moyens F1 et F2 de la voyelle [u] sont respectivement de 283 Hz et 733 Hz alors que quand les lèvres sont étirés par une bande élastique, les formants moyens sont de 300 Hz et 750 Hz. Dans le cas de [y], les formants moyens F1, F2 et F3 en conditions normales sont respectivement de 241 Hz, 1767 Hz et 2283 Hz alors qu’avec la bande élastique, ils sont de 250 Hz, 1791 Hz et 2283 Hz. Le résultat montre donc que la protrusion des lèvres n’est pas nécessaire pour la production de la cible acoustique [u] et [y].

De même, Bell-Berti et al. (1979) ont démontré la possibilité d’atteindre la même cible acoustique des voyelles antérieures de l’anglais [i, ɪ, e, ɛ] avec deux stratégies articulatoires distinctes, en manipulant soit la hauteur de la langue soit la tension de la langue.

Ouni and Laprie (2001) ont modélisé les voyelles arrondies [y, u] du français, en se basant sur le modèle articulatoire de S. Maeda. Ils ont démontré que le timbre de [y] (Figure 25) peut êre généré soit par les lèvres plus ouvertes et une constriction plus postérieure (image a), soit par les lèvres plus fermées et une constriction plus antérieure (image b).

Figure 25 : Modélisation de [y] par Ouni and Laprie (2001)

Le même timbre [u] (Figure 26) est ensuite modélisé par des configurations du conduit vocal différentes. La constriction est alors soit vélaire avec les mâchoires plus écartées (image a) ou vélaire avec les mâchoires plus serrées (image d), soit palatal (image b), soit pharyngale (image c).

L’existence de stratégies articulatoires diverses dans la production des sons de la parole, notamment dans la production des voyelles, montre l’insuffisance des méthodes phonétiques qui reposent sur des descriptions purement articulatoires. Ainsi, selon Borrell (1993, p. 101), « le but est donc de produire des sons à une certaine qualité acoustique sans se préoccuper de savoir quels sont les gestes articulatoires qui permettent de les réaliser. »

4) Élasticité des voyelles : Les voyelles sont caractérisées par une grande élasticité (Duez, 2001) : le nombre de phonèmes vocaliques dans une langue peut varier, selon les régions, et dans le temps, alors que celui des consonnes est stable (Vaissière, 2006; Volin and Studenovsky, 2007). Par conséquent, selon les variétés du français (du Nord ou du Sud, par exemple) à laquelle l’apprenant est exposé durant son apprentissage, il peut rencontrer des qualités vocaliques différentes lors de la réalisation d’un même phonème. Certains contrastes entre voyelles peuvent être neutralisés dans une des variétés. Alors que les Français les plus âgés du Nord distinguent entre pattes /pat/ et pâtes /pɑt/, la jeune génération quelque soit son origine géographique ne fait plus cette distinction. De même alors que les mots Baule et bol sont prononcés de la même manière dans le Sud, les deux qualité [o] et [ɔ] correspondent à deux phonèmes /o/ et /ɔ/ dans une autre région (Vaissière, 2006).

Figure 26 : Modélisation de [u] par Ouni and Laprie (2001)

5) Caractère identique : Les méthodes d’enseignement de LE se mettent d’accord que les sons de la LE identiques aux sons de la LM ne posent aucune difficulté phonétique car ils s’acquièrent par un simple transfert positif (Weinreich, 1953). Alors que plusieurs études interlangues reportent le caractère identique de certaines consonnes dans des langues différentes, notamment des nasales [m, n]

(Wode, 1994), bon nombre d’auteurs généralement hésitent quant à l’emploi de ce terme dans la description des voyelles qui ne sont alors que très rarement décrites comme identiques (Bohn and Flege, 1990; Strange et al., 2005).

6) Conflit entre les tendances générales et les règles particulières : Le français se caractérise par une prédominance de syllabes ouvertes, renforcée par les phénomènes de liaison et d’enchaînement vocalique (Delattre, 1953) où il existe une tendance pour les voyelles moyennes à utiliser le timbre fermé. Ainsi, il est de bon usage de distinguer entre ‘chanterai‘ et ‘chanterais’, mais la tendance générale pointe vers l’utilisation du timbre [e] en syllabe finale des deux mots. Ainsi, l’apprenant se trouve confronté au conflit entre cette tendance générale et les règles particulières.

7) Orthographe : Dans le cas des méthodes qui utilisent des supports écrits, la difficulté à prononcer certaines voyelles du français est également due à l’orthographe qui serait moins divergente pour les consonnes (Léon, 1993). L’orthographe du français est selon Delattre (1960, p. 490) :

« irrationnelle parce qu’elle présente plus de fautes d’étymologie qu’on n’en peut compter, illogique parce qu’elle force à écrire tant de lettres qui ne se prononcent pas » et elle est en fait « un masque qui cache la réalité de la langue ». Pour cette raison, Delattre (1944) sollicite les enseignants de LE à introduire la lecture et l’écriture d’une phrase une fois qu’elle est phonétiquement maîtrisée avec authenticité.

Les sept points développés ci-dessus expliquent pourquoi nous nous intéressons aux limites de l’acquisition par des non-natifs des voyelles plutôt que des consonnes.

Notons que nous ne traîtons pas dans ce travail de la prosodie quoiqu’elle soit aussi importante à maîtriser, si l’on veut ‘faire français’, que les segments.

3.3 Etudes antérieures sur l’apprentissage