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Première'partie ! :"Introduction !

CALCUL DE LA MOYENNE

9.2.1 Coarticulation en français : Premier formant

La valeur du premier formant est essentiellement corrélée, comme exposé en 8.3.1, au degré de l’aperture, déterminée par la position verticale de la mâchoire et de la langue. Puisque la langue ou les lèvres empêche le passage de l’air durant l’occlusion des consonnes explosives [p, t, k] et que la mâchoire ou le corps de la langue ne peut s’abaisser qu’après le relâchement de l’occlusion, il n’est pas possible d’anticiper le geste d’ouverture avant le relâchement. En effet, une telle anticipation provoquerait le changement du mode d’articulation de la consonne. Ainsi l’assimilation de l’aperture – notamment dans le cas des voyelles ouvertes – est attendue.

Toutefois, l’assimilation de l’aperture semble moins ample que l’assimilation du lieu d’articulation: Stevens and House (1963) notent des changements de valeurs du premier formant - dus strictement à la coarticulation - moindres qu’au niveau du deuxième formant, du moins en anglais.

Quand ces mouvements surviennent, les auteurs observent deux types de comportements : soit un abaissement du F1 dû à l’occlusion de la consonne (assimilation contextuelle), soit une centralisation acoustique des voyelles fermées visant la valeur de 500 Hz (qui est le F1 de la voyelle neutre, modélisée par un tube uniforme (Fant, 1960).

L’étude de Hillenbrand et al. (2001) sur les mêmes huit voyelles de l’anglais dans des syllabes CVC montre que la variation du premier formant due à l’effet consonantique est également minime mis à part le F1 des voyelles mi-ouvertes [ɛ] et [æ] qui baisse quand ces dernières se trouvent au contact de la consonne coronale [t] ou vélaire [k].

Le résultat est semblable pour le français : en considérant les effets des différents contextes phonétiques séparément (mais avec une seule condition de débit), Gendrot and Adda-Decker (2010) observent un mouvement essentiellement horizontal (changements de valeurs de F2), du moins pour [ɔ] et [a] (les auteurs n’exposent pas les résultats pour toutes les voyelles).

Notons enfin que les études qui s’intéressent à l’effet général des contextes consonantiques (en comparant les formants moyens de voyelles issues de tous les contextes confondus par rapport à ceux des voyelles en isolation) indiquent une centralisation claire (van Bergem, 1993). C’est par exemple le cas de l’étude des voyelles du suédois de Stalhammar et al. (1973) où l’effet du contexte et de l’accent est la centralisation des valeurs formantiques. Ainsi les voyelles produites en isolation sont à la périphérie alors que dès leur insertion dans des contextes consonantiques variés, elles tendent vers la voyelle neutre. La centralisation est la plus marquée dans le cas des voyelles qui apparaissent en syllabes inaccentuées.

Notre étude à partir de données réelles montre qu’en contexte labial, le premier formant de toutes les voyelles varie moins que les formants supérieurs (voir Tableau 39), ce qui est soutenu par la littérature et la modélisation par VTDemo. La différence entre le premier formant des voyelles en contexte symétrique labial pVp et celui des voyelles en isolation est ainsi inférieure à 50 Hz, mis à part

le [ɔ] mi-ouvert dont la valeur augmente de 57 Hz en moyenne par rapport à la cible. Ce résultat inattendu du contexte labial à augmenter le F1 d’une voyelle mi-ouverte pourrait s’expliquer par les règles orthopéiques qui déterminent la distribution semi-complémentaire des voyelles moyennes du français standard : les locutrices produisent le [ɔ] en isolation (ce qui n’est pas naturel) avec une valeur de F1 plus basse (corrélée essentiellement à un plus petit degré d’aperture) que lorsque la voyelle est insérée en contexte phonétique symétrique. La Figure 59 nous fait remarquer ce phénomène : Le F1 de [ɔ] en contextes p, t, k, R est en moyenne plus élevé que celui de [ɔ] en isolation (traits horizontaux).

L’augmentation de la valeur du premier formant de [ɔ] en syllabe initiale – généralement produite avec une forte tension des articulateurs (Straka, 1964) – et en syllabe finale (allongée) des logatomes trisyllabiques par rapport à F1 de [ɔ] en isolation est systématique et concerne tous les environnements phonétiques étudiés.

Figure 59 : Valeurs de F1 et F2 (en Bark) de [ɔ] produit en contexte nul (traits horizontaux) et dans des logatomes CVCVCVC où C = [p, t, k, ʁ], calculées à partir de 4 répétitions par 10 Françaises natives et relevées à un tiers, à la moitié et 2 tiers de la voyelle. L’écart type tracé est de 1

En contexte dental tVt, le F1 de la seule voyelle [a] varie : il baisse – comme attendu- de 56 Hz.

En contexte palato-vélaire kVk, le changement de la valeur du premier formant supérieur à 50 Hz concerne les voyelles de grande aperture [ɛ, a] : le F1 de ces voyelles baisse de 64 Hz et 97 Hz respectivement. Ce résultat est en concordance avec l’étude de Hillenbrand et al. (2001).

Enfin, le contexte uvulaire RVR est le seul à provoquer des changements du premier formant importants et systématiques : ce dernier augmente de manière importante pour [i, y] (en moyenne de 136 Hz et 114 Hz respectivement), ce qui est visible sur le spectrogramme de la Figure 60, mais également pour [e, ɛ, ɔ] (où F1 augmente respectivement de 81 Hz, 71 Hz et 77 Hz) ainsi que pour les voyelles [ø, œ, u] (avec une élévation moyenne respectivement de 54 Hz, 62 Hz, 58 Hz).

Figure 60 : Spectrogramme des voyelles [i, y] du français prononcées isolément et en contexte RVR. Notons que le contexte uvulaire engendre une élévation du F1 et un abaissement des formants principalement dus à la cavité antérieure (F3 pour [i] et F2 pour [y]).

L’élévation de F1 en seul contexte uvulaire correspond également à la littérature car selon les lois acoustiques, toute constriction dans la moitié antérieure du conduit vocal (donc articulation labiale, dentale ou palato-vélaire) conduit vers une baisse du premier formant et seulement les articulations pharyngales ou glottales engendrent une élévation du F1 (Fant, 1960; Stevens, 1998).

En revanche, le premier formant des voyelles [a̠, o] n’est pas affecté de manière importante par le contexte uvulaire (leur F1 n’augmente que de 15 Hz et 21 Hz respectivement).

Le graphe de la Figure 61 illustre les variations de F1 dues au contexte pour chaque voyelle séparément.

Figure 61 : Le F1 des dix voyelles orales du français [i, e, ɛ, y, ø, œ, u, o, ɔ, a] prononcées isolément (0) et en contextes [p, t, k, ʁ] dans des logatomes CVCVCVC par 10 locutrices*4 répétitions.

200%

300%

400%

500%

600%

700%

800%

900%

contexte!1_0% contexte!2_p% contexte!3_t% contexte!4_k% contexte!5_R%

f1%

contexte%

voyelle*contexte%

voyelle!a%%

voyelle!e%%

voyelle!i%%

voyelle!o%%

voyelle!u%%

voyelle!y%%

voyelle!ø%

voyelle!œ%

voyelle!ɔ%%

voyelle!ɛ%%

Le graphe de la Figure 61 montre l’évolution du premier formant des dix voyelles orales du français actuel [i, e, ɛ, y, ø, œ, u, o, ɔ, a] selon si la voyelle avait été prononcée isolément ou en contextes labial, palatal, palato-vélaire ou uvulaire. Le contexte nul (voyelle en isolation) sert de référence. Nous remarquons que le F1 de la voyelle [a] et [ɛ] en contexte kVk est plus bas que celui de [a̠] et [ɛ] isolés. En revanche, le F1 de toutes les voyelles, et notamment celui de [ɛ, ɔ, œ, e, y, i] est plus élevé en contexte uvulaire. Les autres contextes phonétiques engendrent des mouvements formantiques moindres. Ces résultats sont en concordance avec la littérature mentionnée ci-dessus.

Le résultat de l’analyse de variance donné par la valeur de l’ANOVA F(49, 5142) = 761 avec p

< 0,05 du Tableau 40 montre un effet global du contexte consonantique sur les valeurs du premier formant des dix voyelles orales du français.

F1 DDL Somme des carrés Moyenne des carrés F Pr > F Modèle 49 137422738,921 2804545,692 761,215 < 0,0001 Erreur 5142 18944684,169 3684,303

Tableau 40 : Résultat de l’ANOVA à 2 facteurs qui indique l’effet du contexte sur le formant F1 des dix voyelles orales du français (10 locutrices*4 répétitions*3 syllabes)

Le Tableau 41 montre un effet significatif du premier facteur – Voyelle – sur les valeurs du F1 avec F(9, 5142) = 3962, p < 0,05. Il montre également un effet du deuxième facteur – Contexte – sur les valeurs du F1, avec F(4, 5142) = 283, p < 0,05. Finalement, il existe une interaction entre les deux facteurs – Voyelle*Contexte – avec F(36, 5142) = 14, p < 0,05.

F1 DDL Somme des carrés Moyenne des carrés F Pr > F voyelle 9 131360623,958 14595624,884 3961,571 < 0,0001

contexte 4 4176240,315 1044060,079 283,381 < 0,0001

voyelle*contexte 36 1885874,647 52385,407 14,219 < 0,0001

Tableau 41 : Résultat de l’ANOVA à 2 facteurs mesurant l’effet du facteur Voyelle, Contexte et Voyelle*Contexte sur le F1 des voyelles orales du français (10 locutrices*4 répétitions*3 syllabes)

Pour vérifier à quels groupes est du l’effet global combiné des deux facteurs Voyelle*Contexte, nous avons procédé au test a posteriori de Fisher. Le résultat complet se trouve dans les annexes (page 62) et il indique que les valeurs moyennes formantiques des voyelles en isolation et celles des voyelles en contexte sont significativement différentes au niveau du premier formant :

! en contexte labial, pour les voyelles [e, u, ɔ] (contexte-0 vs contexte-p)

! en contexte dental, pour les voyelles [i, e, y, ɔ, a] (contexte-0 vs contexte-t)

! en contexte palato-vélaire, pour les voyelles [ɛ, œ, ɔ, a] (contexte-0 vs contexte-k)

! en contexte uvulaire, pour toutes les voyelles, mis à part le [o, a̠] (contexte-0 vs contexte-R) Ainsi, certains contextes phonétiques provoquent de légers mouvements de F1 de certaines voyelles par rapport à leurs cibles.