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8. Propriétés acoustiques des voyelles isolées

8.3 Contrastes vocaliques

8.3.2 Antériorité/ postériorité

Comme attendu, les voyelles antérieures et postérieures du français se distinguent acoustiquement essentiellement par la valeur du deuxième formant, plus élevée pour les voyelles antérieures que postérieures. Il existe ainsi une nette séparation entre les voyelles antérieures étirées [i, e, ɛ] ayant un F2 moyen supérieur à 2000 Hz avec les voyelles antérieures arrondies [y, ø, œ] ayant un F2 supérieur à 1500 Hz et les voyelles postérieures [u, o, ɔ], ayant un F2 inférieur à 1100 Hz (pour les valeurs moyennes et les écart types exacts, se référer au Tableau 28 à la page 131). Le [a̠] quant à lui se réalise avec un F2 moyen d’environ 1300 Hz. Cette répartition de la valeur du deuxième formant suivant l’antériorité/ postériorité des voyelles du français est illustrée à la Figure 51 où les valeurs sont transformées en Bark et l’écart type tracé est de un. Les voyelles antérieures se trouvent dans la partie supérieure, les voyelles postérieures dans la partie inférieure.

Figure 51 : Formants moyens (en Bark) des voyelles françaises antérieures (en haut) et postérieures (en bas) qui se distinguent essentiellement par la valeur du F2. L’écart type est de 1

En tchèque, l’antériorité ou la postériorité de la voyelle est essentiellement corrélée à la valeur du deuxième formant, comme attendu. Alors que les voyelles antérieures [i:, ɪ, ɛ:, ɛ] se caractérisent selon nos données par un F2 supérieur à 2000 Hz, les voyelles postérieures [u:, u, o:, o] se réalisent avec un F2 inférieur à 1000 Hz (pour les valeurs moyennes exactes et les écart types, voir le Tableau 28 à la page 131). Le [a:] long présente un F2 moyen d’environ 1450 Hz et le [a̠] bref un F2 d’environ 1350 Hz. La répartition de la valeur du deuxième formant en fonction de l’antériorité/ postériorité est indiquée à la Figure 52. Les valeurs y sont transformées en Bark et l’écart type affiché est de un.

Figure 52 : Formants moyens (en Bark) des voyelles tchèques antérieures (en haut) et postérieures (en bas) qui se distinguent essentiellement par la valeur du F2. L’écart type est de 1.

En conclusion, dans les deux langues, l’antériorité/postériorité est acoustiquement corrélée essentiellement à la valeur du deuxième formant, ce dernier étant élevé pour les voyelles antérieures et bas pour les voyelles postérieures. La voyelle [a̠] a une réalisation pharyngale dans les deux langues, avec le F2 inférieur à 1500 Hz. La voyelle tchèque [ä:] longue est acoustiquement centrale.

8.3.3 Labialité

La labialité est un troisième paramètre utilisé pour créer des contrastes vocaliques en français : elle y oppose trois voyelles antérieures arrondies [y, ø, œ] et non-arrondies [i, e, ɛ]. Elle est corrélée sur le plan acoustique à la valeur des deuxième et troisième formants qui sont abaissés dans la production de voyelles arrondies par rapport à leurs homologues non-arrondies, comme illustré à la Figure 53 (avec les valeurs en Bark et écart type affiché de un).

Figure 53 : Formants moyens (en Bark) des voyelles françaises antérieures labiales et étirées, ayant F2 et F3 plus élevés.

L’écart type est de 1.

La Figure 53 nous fait remarquer que le couple i/y se distingue essentiellement par la valeur du troisième formant, alors que les couples e/ø et ɛ/œ se distinguent principalement par la valeur du deuxième formant. Il est à noter que le couple ɛ/œ varie légèrement par la valeur du premier formant (avec une valeur plus élevée pour [ɛ]) contrairement aux voyelles des deux autres couples ayant un F1 quasi identique. De cette manière, la valeur des trois premiers formants est nécessaire pour la description acoustique des voyelles antérieures, comme signalé déjà en 6.5.

8.3.4 Durée

La durée est le troisième paramètre en tchèque utilisé pour contraster les voyelles. La comparaison de la durée moyenne (en ms) des voyelles brèves et de leurs homologues longues prononcées en isolation est illustrée à la Figure 54.

Figure 54 : Durée moyenne (en ms) des dix voyelles orales tchèques isolées [ɛ, ɛ:, a̠, a:, ɪ, i:, o, o:, u, u:] chacune produite 4 fois par 20 Tchèques natives

La Figure 54 illustre que les voyelles isolées brèves sont systématiquement plus courtes que leurs homologues longues. Le rapport de durée dépend néanmoins des couples : il est de 1:1,5 dans les paires ɛ/ɛ:, a/a: , ɪ/i: , puis de 1:1,4 dans la paire o/o: et enfin de 1:1,6 dans la paire u/u:.

Concernant les rapports de durée vocalique, la littérature traditionnelle concernant la parole spontanée (Chlumsky, 1928)indique que les voyelles longues seraient deux fois plus longues que les voyelles brèves. Des études plus récentes concluent à une différence de rapport de durée moins prononcée dans les couples ɪ/i: et u/u: par rapport aux autres couples. Par exemple Podlipsky et al.

(2009) reportent, à partir de lecture d’un journal par six locuteurs tchèques natifs, un rapport de durée entre ɪ/i: nettement moins élevé (de 1,3) que celui entre les voyelles des autres paires, à savoir ɛ/ɛ:, a/a:, o/o: et u/u: qui présentent un rapport respectivement de 1 :1,7, 1 :1,8, 1 :1,7 et 1 :1,6.

Ainsi les différences entre nos résultats et ceux des études antérieures sont alors les suivantes :

! les rapports de durée pour les voyelles isolées sont moins importants que ceux pour les voyelles extraites de la parole naturelle de Chlumsky et Podlipsky, Skarnitzl et al. (2009),

! les rapports de durée sont relativement constants indépendamment des couples. Ce résultat est en accord avec les travaux classiques de Chlumsky et en désaccord avec les études récentes de Podlipsky et al. (2009).

Pour vérifier si les voyelles brèves et leurs homologues longues varient uniquement de par leur longueur comme l’indique la littérature traditionnelle ou également de par leurs caractéristiques spectrales, comme le montrent les études plus récentes (Podlipsky et al., 2009; Skarnitzl and Volin, 2012), nous avons comparé également les valeurs de leurs formants. Comme le montre la Figure 55, les voyelles des paires ɛ:/ɛ, o:/o/, a:/a rencontrent des valeurs formantiques semblables car elles se situent à moins d’un écart type les unes des autres (pour les valeurs moyennes ainsi que les écarts types précis, voir le Tableau 28 à la page 131).

Figure 55 : Formants moyens (en Bark) des voyelles tchèques brèves [ɛ, o, a] et de leurs homologues longues [ɛ:, o:, a:].

L’écart type est de 1

Ainsi, le contraste entre les voyelles isolées des trois couples ɛ:/ɛ, o:/o, a:/a repose entièrement sur le paramètre de durée.

En revanche, les voyelles des paires i:/ɪ (et u:/u) ne varient pas uniquement de par leur durée mais également de par la valeur de leurs formants comme visible à la Figure 56.

Figure 56 : Formants moyens (en Bark) des voyelles tchèques brèves [ɪ, u] et de leurs homologues longues [i:, u:].

L’écart type est de 1

Au niveau de la paire i:/ɪ, la différence du patron formantique est évidente car les valeurs varient au niveau des formants F1, F2 et F3. Ainsi, le [i:] long se caractérise par un F1 plus bas et des F2 et F3 plus élevés que le [ɪ] bref. A l’inverse, la différence acoustique entre le [u] bref et son homologue long est moins marquée. Elle concerne essentiellement la valeur du F1 dont la distance dépasse légèrement un écart type. De cette façon, le [u:] long se réalise avec un F1 plus bas que le [u]

bref.

Pour pouvoir comparer nos données avec les données de Skarnitzl and Volin (2012) sur les différences de timbre (l’étude est détaillée en 2.2.1.3.2 : valeurs formantiques des voyelles issues de la lecture par 23 locuteurs masculins) entre les voyelles brèves et leurs homologues longues, nous avons effectué une transformation des valeurs en unités ERB et nous avons calculé la différence (en pourcentage) entre les valeurs formantiques au niveau de chaque paire. Le résultat est indiqué dans le Tableau 35 à la page 148 qui renseigne les valeurs moyennes des formants en Hz, en unités ERB et indique la différence entre les formants au niveau de chaque couple vocalique. Les écarts types se trouvent entre parenthèses.

Nous remarquons que comme dans l’étude de Skarnitzl et Volin, tous les formants vocaliques comparés des paires ɛ:/ɛ, o:/o, a:/a ont une différence de valeurs inférieure à 5 %, ce qui soutient l’idée que ces voyelles possèdent le même timbre. En revanche, la différence du premier formant des voyelles de la paire i:/ɪ est de 30,6 % chez Skarnitzl et Volin et de 36,9 % dans nos données. La différence de F2 du couple i:/ɪ indiquée par les auteurs est de 5,8 % alors que nos résultats montrent une différence moindre, à savoir de 2,8 %. Il existe également une différence du premier formant des voyelles du couple u:/u qui est néanmoins moins importante que celle entre i:/ɪ : nos données montrent une différence de 11,3 % et selon Skarnitzl et Volin elle est de 12,6 %. Ces derniers observent également une différence au niveau de F2 entre le [u] bref et le [u:] long produits en contexte, dans la parole lue, qui est de 11,4 % alors que nous ne notons une différence que de 5 % pour ces voyelles produites en isolation.

Les auteurs relient les différences spectrales aux différents rapports de durée entre les voyelles brèves et leurs homologues longues. Le rapport de durée est, selon les auteurs, de 1 :1,7 à 1,8 au sein des paires ɛ/ɛ:, o/o:, a/a:, de 1,6 dans le cas de u/u: et de 1 :1,3 dans le cas de ɪ/i:. Les paires de voyelles avec des différences spectrales plus importantes seraient ainsi accompagnées de différence de durée moins marquée. Notons que nos données ne soutiennent pas ce postulat, du moins en ce qui concerne les voyelles produites en isolation. Comme précisé ci-dessus, la paire ɪ/i: rencontre le même rapport de durée que a/a: ou ɛ/ɛ: (qui est de 1 :1,5) et la paire u/u: rencontre un rapport de durée le plus important des cinq couples à savoir de 1 :1,6.

Nos données acoustiques sur les voyelles isolées du tchèque montrent que les différences spectrales entre ɪ/i: et éventuellement u/u: renforcent (mais ne suppléent pas) la différence de durée.

Pour vérifier si la différence des formants F1 (de 11,3 % selon nos données) et F2 (de 5 %) des voyelles u:/u de même que la différence formantique de F1 et F3 des voyelles i:/ɪ est perçue et à l’inverse que les couples ɛ:/ɛ, o:/o, a:/a correspondent à seulement trois timbres auprès des auditeurs tchèques natifs, nous avons conduit une expérience perceptive. Nous avons alors raccourci toutes les dix voyelles monophtongues du tchèque (répétées au total onze fois par cinq locutrices tchèques natives de la région de Bohème) à 150 ms en gardant la partie centrale de la voyelle. La description de l’expérience et des résultats se trouve dans les annexes (page 44 de l’annexe du chapitre 8).

Le résultat du test d’identification de voyelles monophtongues abrégées à 150 ms montre que les voyelles longues [a:], [ɛ:], [o:] et [u:] sont difficilement identifiées comme telles sur la seule base du timbre : lorsqu’elles sont abrégées, leur catégorisation se fait majoritairement en termes de leur homologue brève, comme attendu. En revanche, la voyelle longue [i:] abrégée à 150 ms n’est jamais confondue par les auditeurs natifs avec son homologue brève. Ainsi, les voyelles du couple i:/ɪ ne se distinguent pas seulement par la durée, comme les voyelles des autres couples, mais également par le timbre vocalique.

F1

Tableau 35 : Les valeurs formantiques des voyelles tchèques, en Hz (1e colonne), en ERB (2e colonne) et la différence en pourcentage (3e colonne) entre les valeurs formantiques des voyelles brèves et longues au niveau de chaque paire. Les écarts types sont entre parenthèses

8.4 Similarité acoustique des voyelles isolées