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Diagnostic clinique et anatomo-pathologique

3. ETUDE DE LA TUBERCULOSE CHEZ L’ELEPHANT

3.5 Outils diagnostiques disponibles lors de tuberculose chez l’éléphant

3.5.1 Diagnostic clinique et anatomo-pathologique

Les symptômes cliniques (ante-mortem) et les lésions anatomo-pathologiques (post-mortem) rencontrées chez les éléphants tuberculeux ont été décrits dans la partie précédente (cf § 3.4.). Seules sont reprises ici les grandes lignes de ces anomalies afin de comprendre en quoi elles peuvent permettre l’établissement d’un diagnostic de tuberculose, et surtout afin d’illustrer les limites de ces diagnostics clinique et anatomo-pathologique.

a.

Diagnostic ante-mortem

L’établissement du diagnostic clinique ante-mortem chez un éléphant comprend avant tout un examen clinique approfondi, complété ensuite par des examens complémentaires appropriés.

i.

Examen clinique et diagnostic différentiel

Comme évoqué précédemment (cf § 3.4.1.), les signes cliniques de la tuberculose chez l’éléphant sont inconstants :

- Les formes silencieuses sont fréquentes,

- Les signes (lorsqu’ils sont présents) sont souvent tardifs et non spécifiques, - Les localisations sont variées (pulmonaire ou extra-pulmonaire).

Les signes cliniques étant peu spécifiques, de nombreux diagnostics différentiels peuvent être formulés. Lorsque seul un amaigrissement, une anorexie ou un abattement est noté (ce qui illustre le tableau clinique le plus fréquemment rencontré), différentes affections peuvent y correspondre, notamment une affection dentaire, un phénomène néoplasique, du parasitisme gastro-intestinal ou une maladie dégénérative.

Par ailleurs, certaines localisations sont sources d’erreur : il est en effet plus fréquent de suspecter une affection locomotrice (d’origine osseuse ou articulaire) lors de boiterie ou une infection urogénitale (vaginite par exemple) lors d’écoulement vulvaire que de suspecter une tuberculose.

Bien qu’il existe d’autres agents infectieux à localisation pulmonaire pouvant induire une pneumonie chez l’éléphant, des signes cliniques en faveur d’une affection respiratoire (dyspnée, jetage, toux) doivent faire figurer la tuberculose au premier rang des hypothèses diagnostiques chez cette espèce.

Dans tous les cas, la tuberculose doit rester constamment à l’esprit du vétérinaire lorsqu’un éléphant présente une affection chronique ou d’origine inconnue. Tous les examens complémentaires doivent alors être mis en œuvre pour confirmer ou infirmer cette suspicion.

ii.

Examens complémentaires

Les examens complémentaires sont limités chez l’éléphant en raison notamment des difficultés de contention, des risques à l’anesthésie et de l’inadaptation du matériel. Bien qu’ils ne permettent pas d’établir un diagnostic définitif chez cette espèce, ces examens complémentaires peuvent fournir des indications intéressantes pour l’orientation diagnostique.

Détermination des paramètres hématologiques et biochimiques

Bien que la biologie clinique ne permette l’établissement d’un diagnostic de certitude de tuberculose chez aucune espèce, de nombreux praticiens ont cherché à savoir s’il existait une corrélation entre les valeurs des paramètres hémato-biochimiques d’un éléphant et son statut infectieux vis-à-vis de la tuberculose.

Une étude, réalisée en 2001, avait montré qu’il existait des différences significatives pour certains paramètres hématologiques et biochimiques entre des individus sains et des individus infectés par la tuberculose [42]. Ainsi, en comparant les valeurs déterminées chez 20 éléphants en bonne santé (et négatifs à la culture mycobactériologique) avec celles d’éléphants positifs à la culture (et excréteurs au moment du prélèvement sanguin), il était apparu que :

- Les valeurs des ratios A/G (albumine/globuline) et urée/créatinine, de l’hémoglobinémie et de la glycémie étaient plus basses chez les éléphants infectés. - La calcémie et les concentrations sanguines en plaquettes, en neutrophiles, en

Une étude plus récente et plus large, menée sur 115 éléphants asiatiques (Népal, janvier 2006) conclut que seuls deux de ces changements sont statistiquement significatifs [39]. Ainsi, comparativement aux témoins négatifs, les animaux tuberculeux semblent avoir :

- Un rapport urée/créatinine significativement plus élevé (p=0,047). - Un ratio A/G significativement plus faible (p=0,012).

Toutefois, ces différences biochimiques ne peuvent constituer un critère crédible de suspicion, étant donné qu’elles ne sont aucunement spécifiques de la tuberculose :

- Une augmentation du rapport urée/créatinine est difficile à interpréter : elle peut être liée à des désordres d’origine rénale comme à une simple augmentation de l’urémie. - De nombreuses affections chroniques (processus inflammatoires, infectieux, ou

néoplasiques) provoquent par ailleurs une diminution du rapport A/G (souvent due à une augmentation des γ-globulines).

Ainsi l’apport de la biologie clinique dans le diagnostic de la tuberculose reste limité chez l’éléphant. Cependant, le suivi des paramètres hémato-biochimiques reste un examen de choix dans la surveillance de l’état général de l’animal, notamment tout au long du traitement anti- tuberculeux lorsque celui-ci est mis en place.

Clichés radiographiques

La réalisation de clichés radiographiques du thorax fait partie des examens couramment réalisés lors de suspicion d’une tuberculose chez l’homme. La localisation et l’aspect radiographique des lésions fournissent des indications précieuses permettant souvent de confirmer le diagnostic et d’estimer le stade clinique de la maladie.

Chez l’éléphant, la réalisation de radiographies thoraciques n’est pas faisable en pratique à l’heure actuelle chez un adulte, pour des raisons d’inadaptation du matériel radiologique. Cependant, elle est décrite sur des jeunes éléphants, mais reste réservée aux structures très équipées[81]. Par ailleurs, l’interprétation des clichés est délicate et les valeurs prédictives de cet examen sont inconnues, étant donné le peu de données actuellement disponibles.

Analyse d’échantillon de souffle : “Breath sampling Method”[76]

Figure 10 : Analyseur d'échantillon de souffle (Mikota, 2007, [76])

Différents prélèvements (sang, urine, selles, échantillons de lavage de trompe) sont réalisables in vivo. Les examens effectués sur ces échantillons (bactériologie et sérologie notamment) peuvent également être considérés comme des examens complémentaires. Ils sont traités ci- après dans la partie « diagnostic expérimental » pour des raisons de convenance.

En conclusion, du fait de la fréquence des infections inapparentes, de l’absence de spécificité des symptômes et des possibilités limitées d’examens complémentaires, le diagnostic clinique

ante-mortem est difficile et toujours insuffisant. L’apport des données post-mortem peut, au contraire, permettre une orientation diagnostique quasi certaine.

b.

Diagnostic post-mortem

Après la mort de l’animal, des lésions évocatrices de la tuberculose peuvent être découvertes directement à l’autopsie (lésions macroscopiques) et/ou lors de l’analyse histopathologique des organes (lésions microscopiques). L’objet de ce paragraphe n’est pas de décrire les lésions observées (ce qui a été fait précédemment, cf § 3.4.2.) mais de comprendre ce que peuvent apporter les données anatomo-pathologiques dans le diagnostic de la tuberculose chez l’éléphant.

Ce test est basé sur la mise en évidence directe des antigènes mycobactériens dans le souffle lors d’une expiration forcée (« breath sampling method »). Cette méthode est utilisée expérimentalement chez l’Homme et semble prometteuse.

Elle est en cours d’investigation chez l’éléphant. Si ce test est validé, il pourrait être très utile pour détecter les animaux excréteurs et constituerait un outil diagnostique de terrain non invasif, automatisé et avec lecture des résultats sans délai [76].

i.

Recherche de lésions macroscopiques à l’autopsie

Principe : A l’autopsie, le diagnostic de la tuberculose repose avant tout sur l’observation de tubercules, présents à la fois dans l’organe lésé et/ou dans les ganglions satellites de cet organe. Les lésions ganglionnaires doivent être systématiquement recherchées car elles peuvent être présentes sans qu’aucune lésion viscérale n’y soit associée (cf §.3.4.2.).

Lors de tuberculose chez l’éléphant, le tableau nécropsique typique consiste en la présence de tubercules volumineux dans le parenchyme pulmonaire et dans les nœuds lymphatiques thoraco-bronchiques. Bien que ce schéma type soit le plus fréquemment rencontré, il existe un grand polymorphisme des lésions tuberculeuses tant dans leur forme que dans leur taille ou leur localisation :

- Du tubercule bien délimité, purulent, calcifié ou fibrotique à l’infiltration exsudative, les lésions peuvent revêtir des aspects très divers en fonction de l’individu et du stade de l’infection.

- Les lésions peuvent être discrètes et éparses comme volumineuses et étendues. - Des cas de tuberculose extra-pulmonaire ou disséminée ont été décrits chez

l’éléphant [75].

Performances :

Bien que d’autres affections puissent provoquer des lésions macroscopiques semblables, l’observation de tubercules (ou de lésions précédemment citées) chez un éléphant, quel que soit l’organe concerné, constitue une suspicion de tuberculose devant être prise très au sérieux. Par ailleurs, bien que cela ait déjà été décrit [78], il est rare de diagnostiquer une tuberculose sur un éléphant sans qu’aucune lésion ne soit décelée à l’autopsie : l’examen nécropsique est ainsi considéré comme étant hautement sensible. Cependant, le pourcentage d’éléphants infectés sans pour autant présenter de lésions post-mortem pourrait également être sous-évalué par un manque d’investigation complémentaire lorsque l’autopsie ne révèle pas d’anomalie macroscopique.

La réalisation d’une autopsie systématique, à chaque fois qu’un éléphant meurt, a longtemps été le seul moyen fiable de dépister la maladie chez cette espèce et reste un excellent outil dans la surveillance globale de l’affection chez les Proboscidiens. Les valeurs prédictives de l’examen nécropsique sont d’autant meilleures que l’autopsie est associée à l’analyse histologique et bactériologique d’échantillons prélevés.

En pratique : La carcasse doit donc être examinée dans son ensemble et les poumons, le foie, les reins, la rate, les surrénales et le tractus génito-urinaire, ainsi que les ganglions associés à ces organes, doivent être inspectés avec soin. Des prélèvements de ces organes doivent être effectués et envoyés au laboratoire d’histopathologie.

La réalisation d’une autopsie sur un éléphant doit être un acte minutieux, effectué avec rigueur et précision. Il est souhaitable que de nombreuses personnes puissent aider, que des vétérinaires expérimentés (pathologistes et vétérinaires ayant déjà assisté à une autopsie d’éléphant) soient présentes et qu’un protocole pré-établi soit respecté tout au long de la procédure. Un protocole d’autopsie a été édité par des spécialistes américains, les grandes lignes y sont rapportées en annexe A de ce manuscrit.

Les recommandations américaines quant aux démarches à accomplir lorsqu’un éléphant meurt ou est euthanasié, que l’animal soit suspect ou non de tuberculose, sont discutées dans la quatrième grande partie de ce document.

Conclusion : Bien que l’autopsie ne soit pas un moyen diagnostique parfaitement sensible ni hautement spécifique, elle permet d’orienter fortement les hypothèses diagnostiques en faveur d’une tuberculose lorsque des tubercules sont décelés chez un éléphant. L’envoi de pièces anatomiques au laboratoire d’histopathologie afin d’effectuer une analyse microscopique des lésions permet d’affiner la suspicion.

ii.

Recherche de lésions microscopiques à l’histopathologie

Principe : L’examen histopathologique a pour but de détecter la réponse pathologique de l’hôte. Lors de suspicion de tuberculose, cet examen est fondé sur la recherche de lésions microscopiques fondamentales présentes au sein de prélèvements faits au cours de l’autopsie. Chez l’éléphant, la lésion la plus représentative est le follicule tuberculeux (décrit précédemment, cf § 3.4.2.). Cependant, selon le stade de l’infection, les lésions peuvent prendre des aspects très variés et les mycobactéries peuvent être rares ou disséminées.

Par ailleurs, les prélèvements font également l’objet de colorations spécifiques et immuno- histochimiques (type Ziehl-Neelsen, cf 3.5.2.a.), qui ont pour but de mettre en évidence les mycobactéries : ce sont des tests d’orientation rapides mais moins performants que la mise en culture. De plus, il existe dorénavant une technique de P.C.R. utilisable sur des tissus fixés dans du formol et donc directement exploitable par les laboratoires d’histopathologie [83,

84] : les résultats préliminaires sont encourageants lorsque la méthode est employée en combinaison avec la mise en culture [88]. Ces techniques de diagnostic direct sont reprises en détail dans la partie « diagnostic expérimental » ci-après (cf § 3.5.2.a.).

Remarque : L’examen histologique peut également être réalisé à partir de matériel provenant d’un animal vivant (biopsie ganglionnaire ou tissulaire, cytologie d’un liquide d’épanchement) mais ces échantillons ne sont, à l’heure actuelle, pas disponibles chez l’éléphant en raison des difficultés de prélèvement.

Performances :

L’examen histologique n’est pas spécifique de la tuberculose : de nombreuses autres mycobactéries (notamment les mycobactéries opportunistes, cf §.3.1.1.b.) peuvent provoquer des granulomes. Il est alors impossible d’affirmer qu’ils sont dus à un bacille tuberculeux plutôt qu’à n’importe quelle autre mycobactérie. Il s’agit donc d’un élément de présomption et non de certitude.

La sensibilité de cet examen n’est pas parfaite non plus, elle dépend d’une part des compétences du pathologiste et d’autre part de la qualité du matériel observé. En effet, la pertinence des échantillons envoyés ainsi que leurs modalités de prélèvement, de conservation et de transport influent fortement sur les résultats de l’examen. C’est ce qui explique l’importance de former les vétérinaires de terrain aux techniques de prélèvements ou de disposer de pathologistes sur place lors d’une autopsie sur un éléphant.

En pratique : Des sections représentatives de toutes les lésions macroscopiques doivent être effectuées ainsi que des prélèvements de poumons, de foie, de rate et de nœuds lymphatiques mésentériques et bronchiques (même si aucune lésion n’est visible macroscopiquement). Ces échantillons doivent être fixés dans du formol à 10 %, disposés dans des conteneurs étanches puis envoyés dans des centres agrées, en y joignant le rapport d’autopsie détaillé. Les documents CITES adéquats (l’éléphant appartenant à l’annexe I de la Convention de Washington) doivent également accompagner les prélèvements bien que les mesures soient allégées étant donné que les échantillons sont formolés (cf §.1.5.2.).

De nombreux laboratoires d’anatomo-histopathologie sont capables de réaliser ce type d’examen dans un délai d’une semaine environ. Il n’existe pas réellement de laboratoires de référence. Les coordonnées des pathologistes spécialistes (USA) sont tout de même indiquées

Conclusion : Bien que l’examen histopathologique ne permette pas d’affirmer avec certitude que l’animal est tuberculeux, il reste un excellent diagnostic d’orientation chez l’éléphant.

Le diagnostic clinique ante-mortem est donc toujours insuffisant et les lésions macroscopiques et microscopiques post-mortem, bien qu’intéressantes, ne sont pas pathognomoniques. Ainsi, il est nécessaire d’associer à ces examens une ou plusieurs épreuves de diagnostic expérimental.