38
Les pesticides : impacts sur la santé des abeilles
Il semble a priori difficile d’anticiper le devenir et l’impact d’un polluant sur un processus biologique, parfois‐même en ayant des molécules et des systèmes modèles. En effet, la définition même d’un écosystème, caractérisé par le biotope et la biocénose qui le constituent, mais surtout par les transferts d’énergie et de matière entre ces derniers, rend complexe la prédiction du devenir des polluants d’une part et de l’écosystème d’autre part. En effet, la grande diversité de polluants, en termes de molécules mères mais aussi de formulation commerciale, de propriétés physico‐chimiques, et de doses utilisées, rend difficile la comparaison des effets des différentes molécules sur un écosystème. À l’inverse, les réactions d’un écosystème sur une molécule (dégradation, persistance, rémanence du produit…) peuvent varier en fonction de l’écosystème.
Dans cet « imbroglio moléculaire » constitué par les polluants environnementaux, certaines classes de molécules forcent naturellement à la suspicion (Vidau, 2009). Seulement, toutes les études ne se retrouvent pas lorsqu’il s’agit d’incriminer une molécule en particulier concernant son impact avéré ou non sur un organisme. Mais force est de constater, grâce notamment aux études écologiques, toxicologiques, ou épidémiologiques, qu’une catégorie de molécules se détache particulièrement quant aux effets néfastes sur l’environnement et les organismes : les pesticides10.
Ainsi, les pesticides de par leur nature à induire des perturbations physiologiques voire des pathologies notamment chez l’Homme, ont largement été étudiés et beaucoup de recherches sont portées sur les modes d’exposition des organismes. Un grand nombre d’entre elles montrent que la présence de ces pesticides, notamment les pesticides systémiques, dans l’environnement a également un impact négatif sur la santé des organismes non‐cibles tels que des microorganismes terrestres et aquatiques, des amphibiens, des annélides ou des arthropodes (Figure 27).
1. Devenir des pesticides dans l’environnement
Le premier pesticide commercialisé à grande échelle dans le milieu du XXème siècle et qui connut un succès fulgurant, fût le dichlorodiphényltrichloroéthane, plus connu sous le nom de DDT. 10 Le terme pesticide est dérivé du latin « pestis » signifiant « fléau ». Les pesticides sont définis, selon la FAO (Food and Agriculture Organisation) et l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) comme « toute substancedestinée à prévenir, détruire, attirer, repousser ou lutter contre tout élément nuisible, plante ou insecte, pendant la production, l’entreposage, le transport, la distribution et la transformation de denrées alimentaires, de produits agricoles ou d’aliments pour animaux ».
Figure 29. Différents domaines d'utilisation des pesticides. Hors du carré noir se trouvent les antiparasitaires et
les biocides n’utilisant pas de molécules pesticides comme principe actif (extrait naturels de plantes, microorganismes, antibiotiques…). Observatoire des Résidus de Pesticides de l’ANSES, www.observatoire‐ pesticides.gouv.fr).
Figure 30. Cartes de contamination des eaux de surfaces et souterraines en France en 2013. La recherche de
pesticides (A et C) et leur quantification (B et D) ont été réalisées dans les cours d’eau de surface (A et B) ainsi que dans les eaux souterraines (C et D).
Chapitre 1 – Les Pesticides
39 Utilisé pour protéger les populations humaines des parasites et insectes vecteurs de maladies, il
contribua fortement à diminuer la présence du typhus et à l’éradication du paludisme en Europe et en Amérique du Nord. Mais au début des années 1960, le doute s’installe quant aux réels bienfaits de cette molécules sur l’environnement et la santé humaine (Carson, 1962), et à partir des années 1970, le DDT fût peu à peu interdit d’utilisation. À l’heure actuelle, il reste cependant le point de référence pour la comparaison de la toxicité des pesticides produits.
Cinq groupes de pesticides existent aujourd’hui : les fongicides (avec lesquels sont regroupés les bactéricides), les herbicides, les insecticides (incluant aussi les acaricides et les nématocides), les molluscicides (limacides et hélicides) et les rodenticides, qui sont respectivement dirigés contre les champignons (ou bactéries), les plantes, les insectes (incluant les acariens et les vers), les mollusques (limaces et escargots) et les rongeurs.
L’immense succès des pesticides en applications agricoles afin d’optimiser la production de denrées alimentaires, a entraîné une étendue rapide de leur utilisation. Mais, en raison de leurs propriétés toxicologiques, leur ubiquité et leur persistance dans l’environnement, leur présence et leur concentration dans la chaîne alimentaire, ils constituent un véritable danger. Ils sont actuellement considérés comme les principaux polluants environnementaux à l’origine de résidus toxiques (molécules mères, produits de dégradation (métabolites), adjuvants) dans les trois compartiments de l’écosystème que sont l’air, l’eau et le sol, mais aussi dans toutes les matrices environnementales
(Figure 28). Le secteur agricole, souvent pointé du doigt, n’est pas le seul secteur utilisant des pesticides. En effet, ils sont largement utilisés dans l’industrie ou encore le domaine médical, pour des usages professionnels ou domestiques, bien que le terme « pesticides » soit réservé au secteur agricole
(Figure 29), et l’intérêt porté quant à leurs effets secondaires est de plus en plus important.
Présents dans l’eau, les pesticides peuvent ruisseler et polluer les eaux de surfaces, et infiltrer le sol en contaminant notamment les nappes phréatiques (Figure 30). Ils peuvent aussi être transportés dans l’atmosphère par l’évaporation et être ensuite retrouvés dans les eaux de pluies.
Les pesticides peuvent également contaminer l’air, suite aux épandages agricoles ou domestiques, ou lors des processus de volatilisation ou d’érosion des sols. Les vents favorisent le transport des aérosols, et peuvent propager les pesticides bien au-delà de leurs zones d’utilisation.
La flore est également exposée à ces molécules toxiques, soit par contact direct suite aux épandages ou via l’eau contaminée absorbée par leur système racinaire, soit indirectement lorsque la graine est dite « enrobée ». L’enrobage des semences consiste à débarrasser les graines de leur coque protectrice, et d’appliquer un traitement chimique (à base d’insecticide et/ou de fongicide) ou biologique (en présence de bactéries), afin de créer une couche protectrice artificielle dirigée contre
Figure 31. Multiples voies d'exposition des abeilles aux pesticides. Les abeilles sont exposées de manière
chronique ou aigüe, par voie orale ou topique, aux pesticides à différents niveaux dans l’environnement (air, eau et plantes). Les butineuses sont les plus exposées car elles rapportent à la ruche ces contaminants qu’elles portent sur elles ou qu’elles transportent dans le pollen, l’eau ou le nectar contaminés (d’après Medrzycki, 2016). De manière indirecte, elles vont ainsi exposer les autres individus de la colonie, et en particulier le couvain via le nourrissage de celui‐ci avec des produits contaminés. Les abeilles peuvent également être exposées directement dans la ruche, via les traitements acaricides par exemple qui sont réalisés par l’apiculteur pour lutter contre les acariens parasites tels que Varroa destructor.
Chapitre 1 – Les Pesticides
40 les organismes nuisibles. Ceux‐ci seront exposés par contact ou de manière systémique, c’est‐à‐dire
que la molécule diffusera à travers toute la plante via le système vasculaire au cours de son développement.