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4.  Nosema ceranae, un nouveau parasite de l’abeille domestique

4.2.  Caractéristiques générales de la nosémose de l’abeille

La nosémose de l’abeille est considérée en France comme un danger sanitaire de première catégorie, uniquement lorsqu’elle est déclarée par l’espèce Nosema apis, agent de la nosémose de type A. L’espèce Nosema ceranae, responsable de la nosémose de type C, quant à elle, est classée en danger de catégorie 3, ne nécessitant pas de précautions particulières (Ministère de l’Agriculture de l’Agroalimentaire et de la Forêt, 2017) (Annexe 3).

3 La parthénogénèse arrhénotoque s’oppose à la parthénogénèse thélytoque où les œufs non fécondés ne produisent que des femelles (ex : pucerons au printemps, phasmes). Quant à la parthénogénèse deutérotoque, la descendance est constituées de mâles et de femelles (ex. : pucerons en automne, papillon Lymantria).

                        Figure 21. Cycle de développement de Nosema ceranae. Le cycle de N. ceranae, contrairement à E. cuniculi, a 

lieu  en  contact  direct  avec  le  cytoplasme  de  la  cellule‐hôte  après  le  transfert  du  sporoplasme,  jusqu’à  la  formation de nouvelles spores matures (d’après Texier C., communication personnelle). 

Chapitre 1 – Les Microsporidies

18 Chez les hyménoptères infectés par Nosema sp., les spores ingérées migrent dans le tractus digestif

jusqu’à l’intestin où elles envahissent les cellules de l’épithélium intestinal (White, 1919), où elles se multiplient (Figure 21). À terme, la propagation de Nosema entraîne des lésions irréversibles du tissu intestinal. Il semblerait, selon la littérature, que les cellules basales, cellules souches de l’intestin, soient également susceptibles d’être infectées (Higes et al., 2007). Cependant, des travaux menés au sein de notre laboratoire chez les abeilles infectées par N. ceranae, suggèrent au contraire que les cellules souches seraient exemptes des microsporidies (Figure 13). Ces données, obtenues par des marquages de l’ADN des parasites au DAPI, ont été confirmées par des approches d’hybridation in situ en fluorescence (FISH) (Données non publiées).

N. ceranae est capable d’infecter les ouvrières adultes, mais aussi la reine (Higes et al., 2009; Alaux et al., 2011; Roberts et al., 2015) et les faux-bourdons (Traver & Fell, 2011). La contamination se fait principalement par voie féco-orale par ingestion de spores (Smith, 2012), ou par trophallaxie4 dont la fréquence semble d’ailleurs augmenter lorsque les abeilles sont infectées par N. ceranae (Lecocq et al., 2016). L’étude de Chen et Evans, suggérant la présence de N. ceranae dans les glandes hypopharyngiennes et salivaires (Annexe 2), laisse supposer l’existence d’une contamination possible des jeunes abeilles ou de la reine, nourries avec de la gelée royale produite par les abeilles contaminées. Des analyses moléculaires ont également révélé la présence de Nosema sp. dans d’autres organes comme les tubes de Malpighi ou le corps gras. Cependant, la présence des parasites n’a pas été confirmée visuellement (Chen et al., 2009a). D’autres études ont permis de détecter N. ceranae ou N. apis par PCR dans d’autres glandes (mandibulaires, salivaires, et à venin) (Copley & Jabaji, 2012), ou dans les organes reproducteurs des abeilles, à savoir les ovaires et la spermathèque des reines (Traver & Fell, 2012). La contamination du sperme des mâles a également été mise en évidence, suggérant la possibilité d’une contamination verticale (Peng et al., 2015; Roberts et al., 2015), bien que celle-ci n’a pu être établie puisque la détection de parasites dans les œufs n’a encore jamais été obtenue. De plus, récemment un étude a montré que la mise en contact des spores de N. apis avec du liquide séminal de faux-bourdons diminuait la viabilité des spores de 80%, réduisant les risques de contamination sexuelle, bien que la faible fraction de spores survivantes conserve leur capacité d’infection (Baer et al., 2016).

L’infection par Nosema est souvent asymptomatique. Dans les formes aiguës, la plupart du temps associées à l’infection par N. apis, des troubles digestifs surviennent : polyphagie, abdomen gonflé, diarrhées de couleur jaune brunâtre, ou encore des difficultés à voler (Fries et al., 2006). Des lésions

4 La trophallaxie consiste, chez les insectes eusociaux, à régurgiter de la nourriture prédigérée contenue dans le jabot pour la transmettre aux autres membres de la colonie. En plus du rôle nutritif, la trophallaxie permet de maintenir la communication entre les ouvrières, notamment sur l’emplacement de la source de nourriture.

Chapitre 1 – Les Microsporidies

19 de l’intestin moyen apparaissent également, et peuvent lui donner une structure molle et un aspect

blanc laiteux (Higes et al., 2007). De nombreuses abeilles atteintes de nosémose finissent par mourir généralement à l’extérieur de la ruche. Le plus souvent, ce sont les infections par N. apis qui sont liées à une dysenterie dont les symptômes, notamment des fèces de type diarrhéique, peuvent être visibles sur et dans la ruche, et deviennent alors une source de contamination directe pour les autres individus de la colonie. De tels symptômes ne sont en général pas observés lors d’une infection par N. ceranae (Higes et al., 2008, 2010; Fries, 2010) et la maladie est de ce fait qualifiée de « nosémose sèche ».

Ainsi, l’existence de colonies d’abeilles infectées par N. ceranae mais ne présentant aucun des symptômes associés à la maladie, bien qu’une dépopulation puisse être observée, pose la question du caractère opportuniste de ce pathogène chez l’abeille. Pourtant, certaines études suggèrent que N. ceranae serait plus pathogène que N. apis du fait de d’une intensité d’infection et/ou de mortalité des abeilles plus élevées en présence de N. ceranae (Higes et al., 2007; Paxton et al., 2007; Williams et al., 2014), mais aussi de sa capacité à inhiber la réponse immunitaire de l’hôte, en réprimant notamment l’expression de certains gènes codant pour des peptides antimicrobiens (PAM) (Antúnez et al., 2009; Chaimanee et al., 2012; Badaoui et al., 2017). La virulence de N. ceranae pourrait également dépendre de son origine géographique, suggérant la présence d’isolats génétiquement différents (Chaimanee et al., 2013; Higes et al., 2013b). Cependant, certaines études montrent que lorsqu’une même souche d’abeilles est infectée par deux isolats géographiquement distincts, aucune différence significative n’est observée concernant la survie des abeilles, les lésions tissulaires intestinales ou la charge parasitaire (Roudel et al., 2013; Van der Zee et al., 2014). Une autre étude montre au contraire une réponse immunitaire variable en fonction de l’origine géographique de la souche de N. ceranae (Branchiccela et al., 2017). Ainsi les différences de virulence observées pourraient être le résultat d’interactions avec d’autres facteurs tels que le climat, les pratiques apicoles, le fond génétique de l’abeille (Fontbonne et al., 2013; Kurze et al., 2016b), ou encore être la réponse à des perturbations environnementales, comme la présence d’autres pathogènes ou de xénobiotiques5 (Bromenshenk et al., 2010).

Confrontée à l’émergence de pathogènes durant les dernières décennies, A. mellifera a dû évoluer en développant des caractères de résistance et/ou de tolérance face à la pression parasitaire, et notamment face à Nosema sp. (Kurze et al., 2015, 2016a, 2016b). Certaines lignées d’abeilles sélectionnées pour leur tolérance à Nosema présentent ainsi une plus faible mortalité et une réponse immunitaire plus constante que les abeilles qui y sont sensibles (Huang et al., 2012).

De manière générale, dans une relation hôte-pathogène, le caractère résistant de l’hôte se définit comme sa capacité à limiter les dommages induits par une charge parasitaire donnée, y compris sur

          Figure 22. L’ouvrière : une travailleuse hors norme. Ce graphique représente le polyéthisme d’âge chez une  abeille ouvrière d’été. Après désoperculation de l’alvéole et sortie de l’abeille, cette dernière est dite émergente  et est considérée comme adulte. Elle effectue alors jusqu’à la fin de sa vie différentes tâches nécessaires au bon  fonctionnement de la colonie, dont la plupart s’effectuent à l’intérieur. La fréquence des tâches est représentée  en ordonnée sur une échelle de 0 à 1 (d’après Clément et al., 2013).     

Chapitre 1 – Les Microsporidies

20 leur fitness (leur capacité à survivre et à se reproduire), tandis que les hôtes tolérants voient leur

fitness diminuer avec l’augmentation de la charge parasitaire. À l’inverse, les agents pathogènes ont un effet néfaste sur la fitness des individus sensibles (Råberg et al., 2009). L’étude de ces caractères chez les abeilles nécessite la prise en compte de plusieurs facteurs, tels que la structure sociale de la population et l’haploïdie des mâles (Kidner & Moritz, 2013). Il est également important de différencier la résistance et la tolérance au niveau de la colonie et au niveau individuel, le caractère de résistance des individus ne définissant pas obligatoirement celui de la colonie.

En effet, une colonie composée d'individus résistants à un agent pathogène est de ce fait susceptible d'être également résistante à l’échelle de la colonie. Cependant, si la colonie est composée d’individus tolérants dont la fitness diminue avec l’augmentation des parasites, celle-ci pourrait tout de même devenir résistante (par exemple à Nosema) en compensant cette diminution de fitness individuelle par une augmentation du nombre d’individus au sein de la colonie. En outre, la structure et le mode de reproduction de la colonie, si elle est tolérante plutôt que résistante, lui permettent d’endurer une infection sans subir d’effets négatifs adaptatifs, comme par exemple suite à une invasion par Varroa (Kurze et al., 2016b).

Les moyens de défenses qu’utilisent les abeilles pour lutter contre ce parasite, à l’échelle de la colonie et au niveau individuel, seront abordés dans les prochains paragraphes.

4.3. La nosémose et la colonie