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Cas du fipronil, un insecticide de la famille des phénylpyrazoles

Le fipronil (5-amino-1-[2,6-dichloro-4-(trifluromethyl)phenyl]-4-[(trifluromethyl)sulfinyl]-1H-pyrazole), de formule brute C12H4Cl2F6N4OS, est un insecticide de la famille des phénylpyrazolés. La première synthèse de phénylpyrazole a eu lieu en 1979, tandis que celle du fipronil a été mise au point par la société française Rhône-Poulenc en 1987. Introduit sur le marché en 1994 (Afssa & Afsse, 2005), il fut successivement la propriété du groupe français Aventis, puis de Bayer et enfin de BASF, deux sociétés allemandes. Depuis le milieu des années 1990, le fipronil est largement utilisé dans différents domaines, pour des usages domestiques et/ou professionnels.

11 Ces données sont issues du site Eurostat, office de statistique de l’Union européenne (ec.europa.eu/eurostat/fr/home), consulté le 22 août 2017. Ces données regroupent l’ensemble des groupes de pesticides énoncés précédemment, sans prendre en compte les rodenticides. De plus, elles ne considèrent pas l’utilisation avérée de la molécule.

Chapitre 1 – Les Pesticides

42 Il est en effet présent dans les produits commerciaux permettant de lutter contre des ectoparasites

des animaux de compagnies comme les puces et les tiques (Frontline®, Fiprospot®, Fiprokil®…) et ceux du bétail, mais également contre les fourmis (Fourmidor®), les blattes (Goliath®) ou les termites (Termidor®). Il est également employé en agrochimie dans la lutte contre certains ravageurs tels que les sauterelles, les criquets ou encore les larves de taupins (insectes coléoptères). Commercialisé notamment sous le nom de Regent® en agriculture, le fipronil est disponible sous plusieurs formes, en granulés, en solution ou en enrobage de semences, et utilisé dans le traitement des cultures fruitières, céréalières, maraichères et même horticoles. Le mode d’application et l’exploitation de ses propriétés systémiques dépendent du type de ravageurs visés mais aussi de la plante à protéger.

En France, le Regent® s’est vu interdit d’utilisation en 2004 sur les semences de maïs et de tournesol. En fin d’année 2013, l’Union européenne a voté l’interdiction temporaire d’utilisation des cultures en plein air pour deux ans, et définitive pour certaines cultures sous serres (excepté les poireaux, les oignons et les brassicacées comme les choux ou les radis). De septembre 2015 à janvier 2016, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA pour European Food Safety Authority) a lancé un appel à la collecte de données afin de réévaluer les risques de l’utilisation de ce produit. Alors que la Commission européenne devait décider fin 2016 des suites à donner quant à l’utilisation du fipronil ainsi que celle d’autres molécules, celle-ci a décidé de maintenir le moratoire jusqu’à l’automne 2017, le temps pour l’EFSA de finaliser la réévaluation complète des risques. Il semblerait toutefois que le fipronil soit tout simplement abandonné en Europe, BASF ne souhaitant pas investir dans des études couteuses nécessaires à la ré-homologation de la molécule en agriculture12.

Cet été, le fipronil a fortement fait de parler de lui en Europe au travers du « scandale des œufs contaminés ». Ce scandale alimentaire a débuté en Belgique où l’Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaîne Alimentaire (AFSCA), l’agence sanitaire belge, alerte la Commission européenne que des traitements à base de fipronil ont été utilisés sur des animaux destinés à la consommation humaine malgré l’interdiction. Ces traitements ont été utilisés lors de la désinfection de plusieurs exploitations agricoles belges, allemandes et néerlandaises, par des entreprises spécialisées, dans le but de traiter celles-ci contre le pou rouge des poules, un acarien parasite hématophage provoquant une inflammation et infection de la peau et pouvant être vecteur de virus. Tandis que la viande de poulet ne semble pas concernée par le retrait du commerce, des millions d’œufs de poules sont retirés dans 17 pays européens, dont la France, mais aussi plusieurs pays asiatiques. Outre les œufs, une trentaine de produits sont retirés en France, dont la liste a été diffusée le 24 août dernier par le Ministère de

12 Informations publiées dans l’article du journal Le Monde le 12 Janvier 2017.

http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/01/12/2017-annee-decisive-pour-les-insecticides-tueurs-d-abeilles_5061281_3244.html

                  Figure  32.  Mode  d'action  du  fipronil  sur  les  récepteurs  GABA.  L’acide  γ‐aminobutyrique  (GABA)  est  un 

neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux central. En activant son récepteur (GABA‐R), il entraine une  entrée  massive  d’ions  chlorure  à  l’intérieur  du  neurone  postsynaptique,  permettant  une  dépolarisation  du  neurone et la transmission du signal nerveux. En présence du fipronil, antagoniste non‐compétitif du GABA, le  fonctionnement du GABA‐R est ralenti, diminuant l’entrée d’ions chlorure Cl dans le neurone. La diminution de  la dépolarisation entraine à terme une hyperexcitabilité du neurone provoquant la mort de l’insecte. 

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43 l’Agriculture et de l’Alimentation. Ces produits, bien que considérés comme « ne présentant pas de

risque pour la santé », contenaient en effet du fipronil en concentration supérieure à la LMR, fixée à 0,005 mg de fipronil par kg de produit.

3.1. Mode d’action et toxicité

Comme la plupart des insecticides, le fipronil agit au niveau du système nerveux central (SNC) des insectes mais également au niveau du système nerveux intestinal. C’est un antagoniste non-compétitif de l’acide γ-aminobutirique (GABA), principal neurotransmetteur inhibiteur du SNC chez les mammifères et les oiseaux. Les insectes ayant un système circulatoire ouvert, le GABA est par conséquent présent dans tout l’organisme. Le GABA a pour fonction, dans des conditions physiologiques normales, de permettre une entrée rapide des ions chlorures dans le neurone postsynaptique en se fixant sur les récepteurs membranaires GABA (GABA-R) des canaux chlorures des cellules nerveuses (Figure 32). L’entrée des ions entraine une dépolarisation de la membrane des neurones, abaissant leur activité électrique et permettant ainsi la transmission du signal neuronal (Vidau, 2009; Casida & Durkin, 2012).

Le fipronil, comme tous les phénylpyrazolés, a pour cibles primaires les GABA-R, et plus précisément les récepteurs ionotropes GABAa et GABAc. L’insecticide se fixe sur un site du GABA-R différent de celui du GABA, limitant la fixation des neurotransmetteurs (Figure 32). L’ouverture des canaux ainsi inhibée diminue l’entrée d’ions dans le neurone postsynaptique, limitant la dépolarisation des cellules nerveuses et entraînant par conséquence une hyperpolarisation de celles-ci. À terme, des tremblements et des convulsions apparaissent, pouvant aller jusqu’à provoquer la mort de l’organisme (Vidau, 2009; Casida & Durkin, 2012).

L’affinité du fipronil pour les GABA-R des invertébrés est bien supérieure à celle pour ceux des mammifères chez qui davantage d’ions chlorures parviennent à passer les canaux (Hainzl et al., 1998). De plus, le fipronil possède également une forte affinité pour les récepteurs neuronaux ionotropes au glutamate GluCl-R (Narahashi et al., 2009). Ces canaux chlorures sont activés par le glutamate. Ils sont exprimés chez les invertébrés dont les insectes et absents chez les mammifères, et leur activité semble fortement inhibée en présence de fipronil. Bien que GABA et GluCl génèrent tous deux un courant d’ions chlorure à l’intérieur des neurones, leurs récepteurs spécifiques fonctionnent indépendamment, et l’inhibition de l’un n’est pas corrélée à celle de l’autre (Narahashi et al., 2009).

Ainsi, du fait de son affinité pour ces deux familles de récepteurs qui lui confère une toxicité sélective très intéressante et très efficace contre les insectes considérés comme nuisibles, le fipronil n’épargne malheureusement pas les organismes non cibles tels que les vers de terre, les invertébrés aquatiques ou bien les insectes pollinisateurs comme les papillons, les bourdons ou les abeilles (Pisa

                    Figure 33. Dégradation du fipronil dans le sol et de ses principaux métabolites. La DT50 est la durée nécessaire  à la dégradation (au laboratoire) ou à la dissipation (au champ) de 50% de la quantité initiale de substance active  présente dans le sol. Elle est calculée à partir des concentrations mesurées au cours du temps dans un sol donné.  Au champ, la dissipation comprend les différents processus de dégradation, mais aussi, parfois, la volatilisation  ou le transfert de la substance à travers le sol. Synthèse réalisée à partir des données de l’AGRITOX et de Connelly  et al., 2011.     

Chapitre 1 – Les Pesticides    44  et al., 2015). En outre, à des doses plus élevées que celles retrouvées chez les invertébrés, le fipronil  peut entraîner des effets néfastes chez les vertébrés tels que les mammifères, les oiseaux, les poissons  ou les amphibiens. Les organismes présentent alors des symptômes d’intoxication de type retard de  croissance  et  de  développement,  diminution  de  la  reproduction,  ou  encore,  atteinte  des  systèmes  immunitaires (Gibbons et al., 2015).  

 

3.2. Dégradation du fipronil 

3.2.1. Devenir du fipronil dans l’environnement 

Une fois dans l’environnement, le fipronil est dégradé principalement dans les compartiments eau  et  sol.  En  effet,  la  molécule  subit  une  étape  d’oxydation  et  de  réduction  dans  le  sol,  mais  peut  également,  tout  comme  dans  l’eau,  subir  des  étapes  d’hydrolyse  et  de  photolyse  (Connelly,  2001).  Selon  l’ANSES  et  sa  base  de  données  AGRITOX13,  91  à  149  jours  sont  nécessaires  pour  que  le  pourcentage de fipronil minéralisé dans le sol soit inférieur à 1% (Figure 33). La vitesse de dégradation  et la formation de métabolites dépendent toutefois du type de sol et des conditions d’oxygénation du  milieu.  Le fipronil peut être transformé en 3 principaux métabolites (dégradation biologique) : (i) le fipronil‐ sulfone, métabolite majoritaire dans le sol, qui est essentiellement formé par oxydation du fipronil  près de la surface du sol, (ii) le fipronil‐sulfure principalement formé après réduction, et (iii) le fipronil‐ carboxamide qui apparaît après hydrolyse à la fois dans le sol et dans l’eau. Le fipronil‐desulfinyl est  quant à lui, issu de la photolyse (dégradation physico‐chimique) du fipronil (Figure 33). Le fipronil peut  également être dégradé par les micro‐organismes présents dans les eaux et les premières couches du  sol  pour  former  le  fipronil‐sulfone  par  oxydation,  ainsi  que  le  fipronil‐sulfure  par  réduction  de  la  molécule mère. 

 

3.2.2. Métabolisation du fipronil chez l’abeille 

Chez l’abeille, la détoxication se déroule principalement dans le corps gras, assurant la détoxication  des xénobiotiques pénétrant au travers de la cuticule, et dans l’intestin, permettant l’élimination des  xénobiotiques  ingérés.  Le  but  de  la  détoxication  est  de  transformer  les  substances  liposolubles  en  molécules hydrosolubles devenues excrétables, afin de favoriser leur évacuation vers l’extérieur de  l’organisme. Ce processus est assuré par deux systèmes enzymatiques à l’intérieur des cellules : les  enzymes de phase I, principales actrices de la transformation des xénobiotiques, et les enzymes de  phase II.          13 http://www.agritox.anses.fr/ 

      Figure 34. Schéma du processus de détoxication chez l’abeille Apis mellifera. L’existence d’un comportement  social de détoxication dans les colonies, comparable au comportement d’immunité sociale, n’a pas encore été  clairement étudiée. Toutefois, les comportements naturellement exécutés par les abeilles tels que la récolte de  nectar et de pollen sur différentes plantes permettent la dilution des toxiques. De plus, la fermentation du pain  d’abeilles  peut  engendrer  la  dégradation  des  molécules  toxiques  par  les  champignons  et  bactéries.  Enfin,  la  transformation  du  nectar  en  miel  grâce  aux  enzymes  digestives  peut  altérer  les  molécules.  L’effet  de  ces  comportements sur une première phase d’élimination ou de réduction des concentrations des toxiques dans la  ruche avant leur consommation est noté «Phase 0» sur ce schéma (d’après Berenbaum and Johnson, 2015).   

Tableau  4.  Toxicité  de  différents  pesticides  sur  l’abeille,  comparée  au  DDT.  La  dose    utilisée  est  donnée  en 

gramme par hectare, la dose létale médiane (DL50) en nanogramme par abeille à 48h suite à une administration  par voie orale. La dernière colonne exprime la toxicité par rapport au DDT (d’après Pisa et al., 2015, mis à jour  d’après les données de l’AGRITOX). Ainsi, le fipronil serait 6 429 fois plus toxique que le DDT. 

Pesticide  Famille  Exemple  Principale utilisation Dose  

DL50 aigüe  par contact  en 48h  (ng/ab)  DL50 aigüe  orale en  48h  (ng/ab)  HQ   (g/ha;  µg/ab)  Ratio  dose  orale  DDT/DL50

Boscalide  Carboxamide  Cantus®   Fongicide  ‐  200 000 166 000  ‐  0,2 Glyphosate  Amino‐phosphonate  Roundup®  Herbicide  ‐  100 000 100 000  ‐  0,3

DDT  Organochloré  Dinocide® Insecticide 200‐600  ‐  27 000  22  1

Thiaclopride  Néonicotinoïde  Proteus®  Insecticide 62,5  38 820 17 320  1,6 Acétamipride  Organochloré  Supreme® Insecticide 30 à 150  8 090 14 530  ‐  1,9 Tau‐fluvalinate  Pyréthrinoïde  Apistan®  Acaricide  ‐  12 000 12 600  ‐  2,1

Amitraze  Formamidine  Apivar®  Acaricide  ‐  ‐  12 000  ‐  2,3

Coumaphos  Organophosphoré  Perizin®  Acaricide  ‐  ‐  3 000  ‐  9,0

Methiocarb  Carbamate  Merusol®  Insecticide 150 à 2 200  230 470  9 565  57

Carbofuran  Carbamate  Curater®  Insecticide 600  ‐  160  3 750  169

Deltaméthrine  Pyréthrinoïde  Décis®  Insecticide 7,5  1,5 79  3 000  342 λ‐cyhalothrine  Pyréthrinoïde  Karate®  Insecticide 150  ‐  38  3 947  711 Thiamétoxame  Néonicotinoïde  Cruiser®  Insecticide 69  24 5  13 800  5 400 Fipronil  Phénylpyrazole  Regent®  Insecticide 50  5,9 4,2  11 990  6 429 Clothianidine  Néonicotinoïde  Poncho®  Insecticide 50  44,3 3,8  12 500  7 105 Imidaclopride  Néonicotinoïde  Gaucho®  Insecticide 75  81 3,7  20 270  7 297

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