Comme pour de nombreux organismes parasitaires, la multiplication des microsporidies nécessite que les spores survivent dans l’environnement afin de rencontrer un organisme hôte et d’accéder aux cellules cibles. Les parasites vont alors proliférer dans le but de produire de nouvelles spores qui seront libérées dans l’environnement, afin d’infecter un nouvel hôte pour débuter un nouveau cycle. Chaque étape est donc un obstacle que le parasite doit surmonter pour survivre.
L’un des moyens dont disposent certaines microsporidies pour lever quelques un de ces verrous, notamment celui de la contamination d’un nouvel hôte, est la transmission verticale, c’est-à-dire une transmission à la descendance, qui s’oppose à la transmission horizontale qui s’effectue d’un individu à un autre. En effet, l’existence d’une transmission verticale a été démontrée chez certaines espèces microsporidiennes telles que Nosema granulosis ou Dictyocoela spp., capables d’infecter le tissu ovarien de plusieurs espèces d’Amphipodes comme les Gammares (Terry et al., 2004; Dubuffet et al., 2013).
Le cycle de développement des microsporidies peut varier d’un genre à l’autre, et, tandis que la plupart des espèces ont un cycle parasitaire monoxène (i.e. un seul hôte), certaines ont un cycle partagé entre plusieurs hôtes (i.e. cycle hétéroxène). C’est notamment le cas des genres Amblyospora, Hyalinocysta et Parathelohania qui parasitent les moustiques, et qui ont besoin d’un copépode comme hôte intermédiaire obligatoire (Solter, 2014). Deux espèces microsporidiennes ont particulièrement été étudiées afin de mieux comprendre le caractère particulier de ces cycles microsporidiens à plusieurs hôtes : (i) Amblyospora connecticus, dont la spore peut être sous 3 formes différentes selon son cycle de vie alterné entre un hôte définitif, le moustique Ochlerotatus cantator (anciennement Aedes cantator), et un hôte intermédiaire, le copépode Acanthocyclops vernalis (Dunn & Smith, 2001) ;
Figure 10. Principaux types d’interfaces microsporidies‐cellules hôtes. (A) Le développement du parasite au
contact direct du cytoplasme de la cellule‐hôte est assez répandu chez les microsporidies, comme c’est le cas de
Nosema ceranae. (B) Chez certaines espèces, les stades parasitaires peuvent être entourés d'une sécrétion
d'origine parasitaire appelée « vésicule sporophore ». (C) D’autres microsporidies, comme Encephalitozoon
cuniculi, se développent au sein d'une vacuole parasitophore qui aurait pour origine une partie de la membrane plasmique de la cellule hôte (d’après Taupin, 2006). Figure 11. Modèle du mécanisme d’invasion et de formation de la vacuole parasitophore. (A) Les protéines du tube polaire PTP1 (marquées en rouge sur le cliché en D grâce à un anticorps anti‐PTP1) interagissent avec des protéines de liaison au mannose présentent à la surface de la cellule hôte. Le tube polaire peut ainsi adhérer à la cellule et former une « synapse d’invasion » en poussant la membrane plasmique. (B) Les épitopes de la protéine PTP4 (Encephalitozoon hellem sur le cliché D) exposés à l’extrémité du tube polaire dévaginé (marquée en vert sur le cliché en D grâce à un anticorps anti‐PTP4, flèche blanche) interagissent à leur tour avec le récepteur de la transferrine (TfR1) à la surface de la cellule hôte, provoquant ainsi une signalisation conduisant notamment à l’endocytose de la membrane cellulaire de l’hôte médiée par la clathrine. (C) La fermeture de la synapse, due aux interactions de PTP1 de part et d’autre du tube, ainsi que l’implication de l’actine de l’hôte, permet la formation d’un micro‐environnement qui protège le sporoplasme microsporidien libéré et la formation de la vacuole parasitophore (d’après Han et al., 2017).
Chapitre 1 – Les Microsporidies
11 (ii) Hyalinocysta chapmani qui débute son cycle dans le copépode Orthocyclops modestus et le termine
chez le moustique Culiseta melanura (Andreadis & Vossbrinck, 2002).
Les microsporidies sont caractérisées par un processus d’invasion original, unique dans le monde vivant. En effet, une augmentation de la pression osmotique intrasporale, induite par un changement environnemental de nature chimique ou physique, entraîne un gonflement du polaroplaste et une rupture au niveau du disque d’ancrage. Le tube est alors expulsé hors de la spore en moins de 2 secondes à grande vitesse (qui augmenterait à mesure que le tube se déroule et atteindrait 105 µm/s) et avec une force suffisante pour percer le plasmalemme de la cellule hôte (Weiss et al., 2014). Ce phénomène est qualifié de processus « d’extrusion » ou de « dévagination » du tube polaire1(Figure 9). C’est par l’intermédiaire de ce tube protecteur qu’est déversé le contenu de la spore, appelé sporoplasme, directement en contact ou non avec le cytoplasme de la cellule hôte (Figure 10).
Le mécanisme par lequel le tube polaire reconnait ses cellules hôtes n’est pas encore bien décrit. La première hypothèse fût que le tube polaire perçait la membrane de la cellule hôte pour injecter le sporoplasme, mais d’autres recherches supposent que l’internalisation du sporoplasme se ferait par endocytose et nécessiterait l’intervention de protéines du cytosquelette de la cellule hôte telles que l’actine (Weiss et al., 2014). Des recherches ont également montré que les protéines du tube polaire, dont certaines sont glycosylées, pouvaient interagir avec des protéines de liaison au mannose à la surface de la membrane de la cellule hôte pour se fixer puis invaginer la membrane de l’hôte afin de créer un microenvironnement protecteur pour le sporoplasme libéré. Ce processus a été décrit chez Encephalitozoon hellem, qui comme les autres espèces du même genre, est caractérisée par un cycle de développement à l’intérieur d’une vacuole parasitophore (Han et al., 2017) (Figure 11). Cette vacuole serait issue de la membrane plasmique de la cellule hôte lors de l’endocytose du sporoplasme libéré. La formation de la vacuole semble extrêmement rapide, estimée à moins de 2 secondes après l’extrusion du sporoplasme (Rönnebäumer et al., 2008). Chez Trachipleistophora hominis, la vacuole parasitophore se forme seulement après la phase de multiplication, lors de la maturation des spores (Watson et al., 2015). Concernant les espèces du genre Nosema, le sporoplasme est a contrario libéré directement dans le cytosol de la cellule hôte et l’ensemble du cycle de développement se déroule au contact de ce dernier.
Après l’invasion, le cycle de vie se déroule en deux principales étapes intracellulaires. Durant la première phase nommée mérogonie, les mérontes se multiplient avant de se différencier, dans une seconde phase dite de « sporogonie », en sporontes, puis en sporoblastes et enfin en spores matures.
1 Une récente vidéo montrant le déploiement du tube polaire de la microsporidie Edhazardia aedis, parasite de moustique, a été publiée par Troemel et Becnel en 2015. La vidéo est disponible sur le lien suivant :
http://microbe.swu.edu.cn/media/video/Polar-tube-firing-of-microsporidian-Edhazardia-aedis/bca03583744a536ebb3f7922b8a5fac0
Figure 12. Représentation schématique des cycles de vie de différents genres microsporidiens. Le
développement des microsporidies se déroule en trois étapes : 1. l’infection (ou invasion) permet de transférer le contenu de la spore (sporoplasme) dans le cytoplasme de la cellule hôte ; 2. la mérogonie durant laquelle les parasites se multiplient ; 3. la sporogonie, étape au cours de laquelle les parasites subissent des étapes de maturation (mise en place de l’appareil invasif et de la paroi) pour former de nouvelles spores. La figure illustre la diversité observée dans les phases de prolifération et de maturation entre les genres microsporidiens (d’après Cali et Takvorian, 2014 and Mehlhorn, 2015). Figure 13. Détachement des cellules épithéliales de l'intestin de l'abeille infectée par Nosema sp. (A) : schéma de l’intestin d’une abeille infectée par Nosema, supposé N. apis à l’époque. ep : épithélium intestinal contenant les parasite (grains noirs) ; bm : membrane basale ; m : muscle. (White, 1919). (B) : photographie d’une coupe longitudinale d’un intestin d’abeille parasité par N. ceranae, 14 jours post‐infection. Les noyaux des cellules et des différents stades parasitaires sont marqués au DAPI (Cliché Diogon M., communication personnelle). Le détachement dans la lumière du tube digestif de cellules remplies de parasites apparaît clairement sur le cliché qui confirme les observations faites il y a presque un siècle. L’absence de marquage de spores dans les cellules souches suggère également que les parasites n’infectent pas ces dernières.
Chapitre 1 – Les Microsporidies
12 Ces étapes, bien qu’elles soient communes à toutes les espèces microsporidiennes, peuvent varier en
fonction des genres considérés (Cali & Takvorian, 2014) (Figure 12).
À la fin du cycle, les spores nouvellement formées semblent se propager au sein du tissu infecté en passant de la cellule initialement contaminée (infection primaire) à une cellule voisine (infection secondaire). La dissémination dans le milieu extracellulaire, quant à elle, aurait lieu par lyse des cellules parasitées. Les spores nouvellement formées et libérées migreraient ensuite jusqu’à une sortie de l’organisme pour être déversées dans l’environnement. Cependant, l’hypothèse de la dissémination par détachement des cellules infectées est envisagée. Par exemple, N. ceranae qui se multiplie dans les cellules épithéliales de l’intestin de son hôte, profiterait du renouvellement naturel du tissu intestinal pour être évacué vers la sortie de l’organisme. En effet, le développement de l’épithélium intestinal se fait depuis les cellules basales (i.e. les cellules souches) qui se divisent et se différencient en cellules épithéliales. Au fur et à mesure du développement, les cellules migrent progressivement du pôle basal de l’intestin, vers le pôle apical, c’est-à-dire la lumière intestinale. Les cellules apicales de l’épithélium sont ensuite délestées dans la lumière intestinale, en se détachant progressivement du reste de l’épithélium. Ce phénomène n’est pas différent lorsque les cellules sont infectées par les microsporidies (Figure 13) et il est très probable que le parasite soit ainsi évacué vers l’ampoule rectale avant d’être disséminé dans l’environnement lors des vols de propretés que les abeilles effectuent pour déféquer hors de la ruche.