• Aucun résultat trouvé

4.  Nosema ceranae, un nouveau parasite de l’abeille domestique

4.6.  L’abeille face à Nosema

4.6.1. L’abeille, taillée pour se défendre

Comme la majorité des insectes, l’abeille possède différentes barrières pour se défendre des attaques par des agents pathogènes. La première ligne de défense réside dans leur anatomie par la présence d’un exosquelette, la cuticule, ainsi que d’une membrane (ou matrice) péritrophique au niveau de la lumière intestinale (Antúnez et al., 2009).

La cuticule des arthropodes, et notamment celle des abeilles, est formée de trois couches : (i) la plus externe nommée épicuticule, est une couche de cire et de lipoprotéines imperméable à l’eau, limitant la déshydratation de l’insecte ; (ii) la couche médiane, l’exocuticule, est principalement constituée de sclérotine (protéine tannée) responsable de la rigidité de la cuticule ainsi que de quelques molécules de chitine et de mélanine ; (iii) la couche la plus profonde, l’endocuticule, est constituée de différentes protéines associées à la chitine, la rendant plus flexible. La présence de poils de tailles et de formes différentes confère également une barrière physique contre les agressions.

La membrane péritrophique est une structure anatomique qui entoure le bol alimentaire chez la plupart des insectes. Elle est constituée de protéines, les péritrophines, entrelacées de molécules de chitine (Bolognesi et al., 2008). Secrétée par les entérocytes du ventricule, elle est formée chez l’abeille quelques jours avant l’émergence (Verbeke et al., 1985). Ainsi, la présence de la membrane permet de remplacer l’absence de mucus dans l’intestin des insectes. Cependant, cette matrice semble fortement altérée en présence du parasite (García-palencia et al., 2010; Dussaubat et al., 2012).

Aussi, ces différentes structures constituent des barrières physiques contre les agents pathogènes, tantôt en empêchant leur pénétration et en limitant les dommages mécaniques qu’ils provoquent, tantôt en les piégeant.

 

 

 

Figure 24. Principaux hémocytes présents dans l'hémolymphe des insectes et fonctions. Il existe un très grand 

nombre de réponses immunitaires cellulaires chez les insectes en fonctions des espèces. Cependant, certains  mécanismes  sont  fréquemment  retrouvés,  en  particulier  la  mélanisation  (production  de  phénol  oxydase  aboutissant  à  la  formation  de  mélanine),  la  phagocytose  (ingestion  et  destruction  de  grandes  particules),  la  nodulation  (se  déroulant  en  soutien  de  la  phagocytose  par  formation  d’agrégats  d’hémocytes)  et  l’encaspulement (agglutination en plusieurs couches autours des parasites de grandes tailles). La classification  des  hémocytes  est,  à  l’heure  actuelle,  basée  sur  leur  morphologie  et  ne  correspond  pas  toujours  bien  aux  différentes fonctions cellulaires existantes. Trois types cellulaires sont régulièrement retrouvés chez les insectes :  les cellules à cristaux, les plasmocytes (hémocytes majoritaires) et les lamellocytes (présents au stade larvaire).  Les schémas des hémocytes ne sont pas à l'échelle (d’après Rosales, 2017).    Figure 25. Les différentes voies immunitaires chez l’abeille. Le génome de l’abeille code pour les principales  voies de l’immunité précédemment décrites chez les insectes, y compris les voies : RNAi (ARN interférence) ; Jak  / STAT (Janus kinase/Signal Transducer and Activator of Transcription) ; Toll ; NF‐κB (Nuclear Factor κB) ; JNK (c‐

Jun  N‐terminal  kinase)  ;  et  MAPK  (Mitogen‐Activated  Protein  Kinases),  ainsi  que  les  orthologues  des  gènes 

impliqués dans l'autophagie, la biosynthèse d’eicosanoïde (acide gras impliqué dans le phénomène de migration  des hémocytes et de la nodulation), l'endocytose et la mélanisation. La production des peptides antimicrobiens  (AMPs) de l’abeille (abaécine, apidaécine, hyménoptaécine et défensine) résulte de l’activation  de la voie Toll et  Imd (Immune deficiency) (d’après  Brutscher et al., 2015).

Chapitre 1 – Les Microsporidies

30

4.6.2. Immunité cellulaire

L’immunité innée constitue la seconde ligne de défense des insectes, ces derniers ne possédant pas d’immunité adaptative. Elle est composée de l’immunité cellulaire et de la réponse humorale. La réponse cellulaire, plus rapide que la réponse humorale (Rosales, 2017), est effectuée par les hémocytes, équivalents des phagocytes chez les invertébrés, circulant en très grand nombre dans l’hémolymphe. Elle est caractérisée par des processus de défense tels que la phagocytose, la nodulation et l’encapsulement qui sont souvent accompagnés d’une mélanisation catalysée par une phénol oxydase (Lemaitre & Hoffmann, 2007; Antúnez et al., 2009; Texier et al., 2010) (Figure 24). Il a été démontré que l’activité de la phénol oxydase augmente au cours de la vie des abeilles, tandis que le nombre d’hémocytes diminue avec le temps, de façon différente selon la caste étudiée (Schmid et al., 2008). De plus, elle nécessite également la contribution d’une glucose déshydrogénase durant l’encapsulement et l’élimination de champignons pathogènes. Étonnamment, le nombre total d’hémocytes et de phénol oxydase n’augmente pas chez les abeilles infectées par N. ceranae (Antúnez et al., 2009; Alaux et al., 2010), alors que l’expression du gène codant pour la phénol oxydase augmente en présence de N. apis 7 jours post-infection (Antúnez et al., 2009).

4.6.3. Immunité humorale

À l’échelle moléculaire, l’infection par Nosema entraîne des perturbations de l’expression de gènes et de l’activité de certaines enzymes au niveau des cellules intestinales. Les principaux gènes dont l’expression est modifiée au cours de l’infection sont impliqués dans le métabolisme énergétique, la production de peptides antimicrobiens, le renouvellement cellulaire ou encore le stress oxydant (Antúnez et al., 2009; Vidau et al., 2011a; Aufauvre et al., 2012; Chaimanee et al., 2012; Dussaubat et al., 2012).

La réponse humorale chez les insectes est en partie réalisée par la production de peptides antimicrobiens (PAM) réquisitionnés pour lutter contre les attaques virales, bactériennes, fongiques et parasitaires (Figure 25), en altérant par exemple la perméabilité des membranes bactériennes. Chez Apis mellifera, quatre peptides microbiens ont été décrits : la défensine, l’abaécine, l’apidaécine et l’hyménoptaécine (Brutscher et al., 2015). Il a été montré qu’ au cours d’une infection par N. ceranae, l’expression des gènes codant pour ces PAM était significativement inhibée (Antúnez et al., 2009; Dussaubat, 2012), particulièrement dans les premiers jours suivant l’infection (Chaimanee et al., 2012), empêchant l’hôte de se défendre contre le parasite par ce biais et le rendant plus sensible aux autres agents pathogènes.

De façon complémentaire à la production de PAM, la production d’espèces réactives de l’oxygène (ERO), telles que le peroxyde d’hydrogène H2O2, fait partie intégrante de la réponse humorale. Les ERO

Chapitre 1 – Les Microsporidies

31 peuvent être produites à différents moments durant la réponse cellulaire, comme par exemple, lors

de la phagocytose, ou libérées avant même l’action des cellules immunitaires7.

Aussi, l’étude menée par Dussaubat et al. en 2012, a montré qu’un grand nombre de gènes de l’abeille impliqués dans la signalisation cellulaire est inhibé par l’infection. Or, les systèmes de signalisation permettent aux cellules de saisir les informations de leur environnement et d’y répondre de façon adaptée, tout au long de la vie d’un tissu. Ceci est essentiel pour son développement, son maintien et son renouvellement qui permettent de garantir son homéostasie. En outre, l’épithélium intestinal des insectes se régénère par différenciation et migration des cellules basales de l’épithélium jusqu’à la partie apicale du côté de la lumière intestinale (Higes et al., 2007). Ce mécanisme est régulé par la voie de signalisation Wingless qui serait inhibée par N. ceranae au cours de l’infection (Dussaubat et al., 2012).

Le mécanisme de mort cellulaire programmée, ou apoptose, peut également être un moyen de défense de l’hôte utilisé contre l’agent pathogène pour limiter sa prolifération comme suggéré par James et Green (James & Green, 2002). Parfois, l’apoptose peut être déclenchée par le parasite lui-même pour provoquer sa propre libération. Mais il semblerait cependant, qu’en plus de limiter la régénération de l’épithélium, conduisant pourtant in fine au détachement des cellules, que N. ceranae inhibe la machinerie apoptotique de son hôte pour favoriser sa multiplication. En effet, des marquages des cellules de l’épithélium intestinal au TUNEL (marqueur de l’ADN fractionné lors de l’apoptose) a permis de montrer une plus faible quantité de cellules en apoptose chez les abeilles infectées par N. ceranae (Higes et al., 2013a; Kurze et al., 2015). De surcroît, les abeilles tolérantes ne présentent pas de différence significative avec les abeilles non infectées contrairement aux abeilles sensibles. Il semblerait que N. ceranae induise une augmentation de l’expression du gène codant pour une protéine régulant l’apoptose, IAP-2, chez les abeilles sensibles. Cette protéine est une homologue de la protéine anti-apoptotique DIAP-1 de la drosophile (Kurze et al., 2015). Higes et collaborateurs ont également estimé, à l’aide d’un anticorps anti-caspase-3 (protéase impliquée dans le processus apoptotique), que le tissu intestinal des abeilles infectées semblait présenter moins de cellules en apoptose que celui des abeilles saines. Leurs résultats sont toutefois à prendre avec précaution, puisqu’ils sont basés uniquement sur des observations histologiques et sont à confirmer par des mesures moléculaires, Kurze et collaborateurs n’ayant pas mesuré de différence significative de l’expression des gènes casp-2 et casp-10.

De plus, chez d’autres insectes comme la drosophile, il existe un mécanisme d’autophagie, consistant à décomposer le cytoplasme par la voie de dégradation lysosomale. Ce processus se produit en réponse à un stress, tel que le stress énergétique, afin de recycler les macromolécules de la cellule.

                  Figure 26. Evolution de la propagation de l’acarien parasite Varroa destructor chez l'abeille Apis mellifera. La  distribution temporelle de V. destructor chez A. mellifera a été basée sur les premiers enregistrements estimés  par pays. À l'heure actuelle, les seuls grands espaces possédant un grand nombre de colonies et où Varroa est  absent sont l'Australie et Terre‐Neuve. De plus en plus de données indiquent que l'Afrique subsaharienne a été  envahie par le parasite depuis le début du siècle (d’après Wilfert et al., 2016).     

Chapitre 1 – Les Microsporidies

32 L’autophagie a également été démontrée comme un mécanisme de défense contre les agents

pathogènes intracellulaires, mais il est possible que certains aient la capacité d’inhiber, d’éviter ou d’utiliser ce processus pour leur propre développement (Moy & Cherry, 2014). Un tel mécanisme durant l’interaction N. ceranae/A. mellifera n’a jamais été décrit dans la littérature, alors qu’il a par exemple déjà été observé dans le cas de l’infection des larves d’abeilles par la bactérie Paenibacillus larvae, l’agent de la loque américaine (Gregorc & Bowen, 1998).