Chapitre V: LES FAIBLESSES DE LA RÉFORME
SECTION 2 DU DEVELOPPEMENT INSTITUTIONNEL ET
L’adoption d’une solution de suppléance au sein des administrations concernées en cas
d’empêchement d’un titulaire serait une bonne solution de compromis pour une meilleure
réduction des délais.
SECTION 2 : DU DEVELOPPEMENT INSTITUTIONNEL ET ORGANISATIONNEL
Le besoin de modernisation de la gestion des finances publiques en Côte d’Ivoire et surtout la
réforme du circuit de la dépense a entraîné le renforcement et le développement de
l’administration financière de façon générale et contribué à créer et à redynamiser les organes
de contrôle de la dépense. Ce besoin a entraîné également une réorganisation de
l’administration. Ces réformes donnent lieu de s’interroger sur leur efficacité, c’est ce que
nous allons essayer de faire.
I. Les limites du développement institutionnel
En analysant les réformes institutionnelles au niveau du contrôle de la dépense, ce qui
apparaît comme un grand changement concerne le renforcement et la création d’institutions
de contrôle a posteriori. Cette nouveauté marque la nécessité de mettre en place un ensemble
de dispositifs pour assurer un bon contrôle afin de promouvoir la bonne gestion des deniers
publics. Ces mesures aussi nobles paraissent-elles, laissent entrevoir quelques faiblesses et
une surabondance dans ce domaine pour une administration en manque de moyens. On
remarque en effet, qu’il paraît assez difficile d’établir une marge assez objective entre les
missions dévolues à l’IGF et celles qui relèvent du mandat de l’IGE. Les deux administrations
interviennent sur les mêmes matières et leurs actions se superposent quelque fois. En plus, il
est établi que les deux administrations évoquent le manque de moyens comme étant le facteur
limitant à l’exercice et à l’atteinte de meilleurs résultats. En plus du manque de moyen
matériel, l’IGF souffre du désintérêt que les cadres de l’administration lui portent. En effet,
cette administration est vue comme une voie de « garage » pour hauts fonctionnaires en
disgrâces. En dehors de la Chambre des comptes de la Cour suprême qui a une existence
constitutionnelle, il est donc souhaitable que n’existe qu’une seule administration de contrôle
a posteriori dotée de plus de moyens d’intervention, ce qui suggère la fusion des deux
institutions.
Dans la phase de contrôle a priori, l’exercice du contrôle budgétaire pose quelques problèmes.
En effet, les contrôleurs budgétaires exercent leur responsabilité complémentairement à
d’autres fonctions dans l’administration, ce qui pose souvent la question de la disponibilité de
ces acteurs majeurs dans l’exécution de la dépense dans les EPN. Il se pose également le
problème de coordination de leur action compte tenu du fait qu’ils sont issus de plusieurs
administrations. Dans tous les cas, il nous paraît irrationnel de laisser coexister deux corps de
contrôle qui interviennent pour appliquer des règles identiques, à savoir le contrôle sur la
conformité et la régularité de la dépense publique. Il paraît nécessaire de fusionner les corps
de contrôleur financier et de contrôleur budgétaire. Une telle décision donnera plus
d’uniformité à l’action de contrôle de la dépense publique.
Les limites du développement organisationnel s’observent au niveau de la nouvelle
organisation administrative mais également au niveau des appuis techniques qui
accompagnent cette modernisation.
1. Au niveau de l’administration
La décentralisation de la gestion publique à travers la politique de développement des
collectivités locales s’accompagne d’une déconcentration de l’administration pour mieux
assurer la fonction d’encadrement des nouveaux gestionnaires des dépenses publiques. Le
développement des règles de gestion qui accordent dorénavant des larges autonomies de
décision aux acteurs locaux a besoin d’être encadré, du moins dans un premier temps. En
effet, Dans le domaine des marchés publics, le nouveau code accorde des pouvoirs étendus de
passation et d’approbation aux collectivités décentralisées. Il accorde également des pouvoirs
étendus aux administrations déconcentrées. De même, le redéploiement des nouveaux moyens
de gestion et de centralisation de l’information budgétaire et comptable sur l’ensemble du
territoire à l’exemple du SIGFIP et d’ASTER demande un encadrement des utilisateurs.
Une déconcentration de l’administration des finances publiques est donc en cours pour
accompagner ce processus. L’objectif d’assainissement et de célérité dans la décision de
gestion publique au niveau local que vise cette déconcentration est à saluer. Cependant, une
observation de la mise en œuvre de cette politique dont l’objectif est d’assurer une dépense
publique plus efficace donne quelques réflexions. Nous constatons que bien qu’en
administration centrale tous les acteurs intervenant dans la phase administrative de la dépense
soient regroupés à la DGBF, en administration déconcentrée on a une pluralité de
responsables ayant chacun le rang de directeur régional. Ainsi, on peut avoir dans la même
localité, un directeur régional des marchés publics, un directeur régional du budget et le
contrôleur financier local. Chacun de ces acteurs gère une administration et des moyens
totalement indépendants. Cette déconcentration vise à terme à doter chaque département de
chacune des représentations précédemment citées. Un tel développement paraît prendre le
contre-pied de l’objectif de réduction des coûts que vise la réforme du circuit de la dépense
publique.
Une représentation unique de la DGBF à l’échelle régionale serait de nature à harmoniser les
interventions des uns et des autres et à assurer la réalisation d’une économie d’échelle. Le
bilan du modèle actuel de déconcentration sur la base des constats faits à partir des
contrôleurs financiers en département dont le redéploiement paraît plus avancé reste dubitatif.
Nous constatons que dans certains départements les budgets à contrôler sont tellement faibles
qu’il ne paraît pas économiquement intéressant de mobiliser un contrôleur financier
spécialement à cet effet. Ce constat vaut pour tous les développements en cours.
2. Au niveau des appuis techniques
L’utilisation de l’informatique est au cœur du nouveau circuit de la dépense publique, cela
semble être le gage de la fiabilité du nouveau dispositif. L’introduction de l’informatique
contribue à réduire à son strict minimum certaines erreurs qui naguère étaient récurrentes. Le
grand lien qui s’est établi entre le processus d’exécution de la dépense et les méthodes
informatiques est sans poser quelques difficultés. En effet, on remarque que la mise en place
de SIGFIP n’a pas prévu de solution palliative en cas de défaillance du système informatique.
Ainsi, l’imbrication entre les utilisateurs et le système a atteint des limites qui tuent leurs
travaux il nous est arrivé de constater des pannes pouvant durer un mois ce qui bloque toute
initiative dans la phase administrative de la dépense. En plus, la gestion trop centralisée du
service de maintenance par la SNDI63 rend difficile et moins efficace ses interventions. La
SNDI assure la supervision et la maintenance de tout le réseau et il apparaît que cette société
d’Etat a un problème de rotation de ses effectifs. La SNDI n’a pas de représentation
permanente en région, si bien que toutes les équipes de dépannages partent d’Abidjan. Il
arrive que face aux retards et aux attentes de dépannages certains acteurs se déplacent à
Abidjan pour assurer la continuité de leur service.
3. Le Renforcement de la politique de gestion des ressources humaines
La gestion des ressources humaines constitue un maillon important et conditionne la réussite
des programmes. Elle a des aspects sur lesquels nous avons fait des constats et sur lesquels il
serait intéressant de revenir. Il s’agit de la mobilité excessive de certains acteurs centraux de
la procédure, de la motivation des acteurs intervenant sur le circuit de la dépense et de leur
capacité de remise en cause.
3.1 La mobilité des ressources humaines
Le SIGFIP a placé les DAAF au cœur du dispositif de la dépense publique. Cet accroissement
de leurs responsabilités ne s’est pas accompagné d’un appui additionnel en personnel de
qualité. Les DAAF se retrouvent au centre d’un processus décisionnel où les écarts de
capacité de maîtrise de la chaîne de la dépense publique entre eux et leurs collaborateurs sont
parfois énormes. Il y a lieu de doter toutes les Directions des Affaires Administratives et
Financières de cadres de haut niveau. Il serait également bon qu’un nombre plus important de
ministères qui ont de grands effectifs ait un directeur spécialement chargé de la gestion des
ressources humaines comme l’ont suggéré les experts de la Banque Mondiale64.
On observe également, des difficultés liées à une mobilité trop excessive de certains acteurs.
En effet, les DAAF qui étaient en fonction lors de la mise en place du SIGFIP en janvier
1999, ont presque tous été remplacés. Un seul DAAF reste encore en fonction, c’est celui du
Ministère de l’Economie et des Finances. Cette forte rotation a pour conséquence une
mauvaise maîtrise du système, et même de l’outil informatique ; cela peut être pour certains
de ces acteurs une limite à l’efficacité de leur prestation. Ce changement excessif entraîne
également le manque de maîtrise par la majorité des acteurs du processus budgétaire qui
demande avant tout de l’expérience et de l’habileté. Dans ces conditions, la politique de
formation et de mise à niveau de ces acteurs majeurs est un perpétuel recommencement.
En effet, l’instabilité des DAAF est liée à leur mode de nomination. Cette instabilité s’est
aggravée avec l’instabilité gouvernementale qu’on observe depuis les évènements
socio-politique qui ont commencé en 1999. Il y a lieu d’envisager de prendre des dispositions pour
protéger ce corps de métier à l’exemple des contrôleurs financiers. Une idée qui fait son
chemin consiste à encourager leur recrutement par appel à candidatures. Ce changement
contribuerait à les évaluer et à les remplacer en cas de besoin sur des bases objectives, comme
63 SNDI : Société Nationale de Développement Informatique. La SNDI est une société d’Etat. Elle a conçu le
SIGFIP et assure sa maintenance ainsi celle des accessoires.
64 Banque Mondiale, Côte d’Ivoire Renforcement de la gestion et du contrôle des dépenses publiques, décembre
2003, p30. « En effet dans leur rapport de mission les experts de la Banque Mondiale ont suggéré que les DAAF
reviennent à une mission stricto susu de gestion des finances publiques, ce qui leur accorderait plus de temps
pour accroître l’efficacité de leur action. »
c’est le cas pour la nomination des directeurs généraux des trois régies financières (Direction
Générale des Douanes, Direction Générale des Impôts, Direction Générale du Trésor et de la
Comptabilité Publique)65.
3.2 La question de la motivation des ressources humaines
La motivation des ressources humaines est une condition de réussite de l’œuvre de
modernisation. Les éléments de motivation concernent les conditions de travail, les politiques
de formation et les diverses primes. C’est un point très sensible parce qu’une politique de
motivation mal conduite peut produire l’effet tout à fait contraire à celui escompté. On note
qu’il y a une disparité de politique dans ce domaine dans l’administration financière. Chaque
administration définit ses facteurs de motivation à l’exemple des motivations pécuniaires
appliquées par les régies financières. Mais retenons que ce qui fait la différence et
naturellement reste très sensible est le niveau de primes accordées ; et à ce propos, les écarts
de traitement peuvent être très grands d’une administration à l’autre.
Dans ces conditions, l’administration qui présente très peu de facteurs de motivation ne
suscitera pas une attraction particulière. Certaines administrations s’en trouvent démunies.
C’est le cas de la Chambre des comptes et de l’Inspection Générale des Finances qui n’offrent
aucune attraction particulière. Elles peinent naturellement à recruter de hauts fonctionnaires. Il
y a urgence à mener une politique qui réduira les écarts parce que tous les acteurs contribuent
à atteindre le même objectif, celui de la bonne exécution de la dépense publique. Au
demeurant, la pratique telle qu’elle est faite pose la question du respect de la règle de non
affectation qui est fondamentale pour la gestion des finances publiques. Tout se passe comme
si les principales régies se payaient sur les deniers collectés.
4. Le rapprochement entre informations comptables et budgétaires
Il y a une limite à la fidélité dans la transmission de l’information comptable au SIGFIP. En
effet, l’exécution de la dépense telle qu’elle est traduite au niveau de SIGFIP avec l’édition
des documents de paiement à savoir, l’ordre de paiement, l’avis de crédit, l’avis de règlement,
le bon de caisse ne correspond pas à la réalité comptable. En effet, dès l’émission de ces
pièces le SIGFIP considère que la dépense est payée, et elle la déduit automatique de la ligne
budgétaire. Dans la réalité comptable le paiement effectif n’intervient qu’à la remise intégrale
de la somme qui est due au créancier. La date du paiement comptable peut ne pas
correspondre à celle considérée au niveau budgétaire, car le règlement effectif est fonction de
la disponibilité de trésorerie. Cette période de flottement peut aller de quelques jours à
quelques semaines. On retrouve de plus en plus cette situation avec la crise de trésorerie de
l’Etat, et surtout avec des urgences liées à la situation de crise qui peuvent déplacer les
priorités de l’Etat à tout moment. On retrouve au niveau comptable de plus en plus de reste à
payer. La remontée de l’information sur les situations réelles de paiements n’est pas assurée
dans l’état actuel du développement de SIGFIP et de sa connexion à ASTER. Les comptables
gèrent cette phase par rapprochement manuel. Cette cassure est génératrice d’un certain
désordre dans un système de gestion qui se veut bien articulé. Il est à souhaiter que dans les
meilleurs délais une solution soit trouvée à ce qui laisse apparaître comme un goût
d’inachevé.
Dans le document
Master en administration publique Des Fonctionnaires internationaux 2004-2005
(Page 70-74)