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Des vies parallèles ?

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 106-114)

Le refus du paradigme chronologique ne conduit évidemment pas, pour ce qui est des individus décrits, à l’exclusion de tout élément de biographie. Certes, c’est un système du sens (institutions, certifications, qualifications réciproques, supports d’expression, cadres d’énonciation) qu’il nous faut expliciter en amont de la reconstitution des faits, afin d’éviter l’écrasement des faits sous nos propres institutions du sens. Mais il reste que seuls les faits et gestes de Zhu Xi et de Lu Jiuyuan (et de quelques contemporains) sont susceptibles de nous faire accéder à ce système du sens. Comme souvent dans les sciences sociales, il nous faut donc assumer une forme de cercle herméneutique, fait de descriptions, de montées en généralité, puis de vérifications par retour à d’autres descriptions, etc. La particularité de notre cercle est qu’il doit tenir compte de la géométrie variable des « moments et des hommes ». Ce prologue l’a montré : les traces sur lesquelles nous appuyons nos descriptions sont des énoncés aux statuts divers, pris dans situations d’énonciations pas toujours superposables, et réclamant par conséquent une compréhension spécifique des relations qu’ils expriment. Le risque sera donc de niveler le relief, d’égaliser les propos, bref de réduire des énoncés situés, adressés, consacrés, à la manifestation d’un discours impersonnel.

C’est le danger que pointe Jean-Claude Passeron lorsqu’il évoque le genre biographique des

« vies parallèles », dont le modèle plutarquien a connu en Europe à partir la Renaissance une fortune considérable (Passeron 1989, 4-7), mais qui n’est pas très éloigné des biographies de l’historiographie officielle chinoise dont Sima Qian

司馬遷

a fixé l’étalon. Ce genre traditionnel serait tout à fait susceptible de devenir un mode d’exposition dans une recherche historienne. Il présente en effet l’avantage de conjurer la tentation « boulimique » qui peut être celle du biographe : la recherche de l’irréductible singularité de l’« individu en tant qu’individu ». Mais du fait de leur dimension sérielle, les biographies parallèles exposent à l’excès inverse : en faisant de chaque portrait une vignette visant « l’excellence de la manière dont [elle] réalis[e] une essence » (ibid., 13-14), elles tendent à typifier les itinéraires ; et si ce n’est pas ici à des fins édifiantes comme chez Plutarque ou Sima Qian, ce peut être à des fins taxinomiques. Si nous avions opté pour ce mode d’exposition et pour la perspective qu’il induit, Zhu Xi et Lu Jiuyuan auraient simplement exemplifié, chacun à leur façon, l’itinéraire d’un lettré chinois dans la seconde moitié du XIIe siècle.

Mais nous aurions alors manqué ce qui peut apparaître comme l’essentiel dans la description d’un monde : les logiques d’appartenance et de distance qui le structurent, et qu’exprime la façon dont s’engagent les interactions et les échanges. Or, comme nous l’avons aperçu, à ce niveau

105 d’analyse les sources auxquelles nous recourons ne peuvent se réduire à des documents : elles ne nous permettent pas seulement d’accéder progressivement à un panorama sur des états de fait et sur des itinéraires ; elles sont aussi la trace d’actes qui modifient une situation et participent directement de l’identification des acteurs. À cet égard, on peut revenir sur la première lettre (1173) où Lü Zuqian annonce à Zhu Xi, suite à une visite des frères Lu à la capitale, que « Le lettré de Fuzhou Lu Jiuling, [de son nom social] Zishou, est un homme intègre, filial et amical » et que « Lui et son cadet ont l’un et l’autre de quoi s’ériger »273. Comme nombre de lettres échangées entre lettrés à l’époque, cet écrit possède une dimension performative. Ce ne sont pas des « hommes », ni non plus d’ailleurs des « hommes de savoir » (xuezhe

學者

) qu’introduit Lü Zuqian à Zhu Xi : ce sont des « lettrés », ou plus précisément des « lettrés de la préfecture Fuzhou ». Il se peut que l’onction des examens (que les deux frères ont donc passés victorieusement en 1169 et 1172) ait ici une valeur discriminante – en d’autres termes il est probable que la qualification lettrée de ces deux individus s’appuie sur une certification officielle – ; mais c’est le geste de présentation lui-même qui actualise la coappartenance lettrée des différents individus ainsi mis en rapport. Loin de simplement nous donner accès à une relation qui lui préexisterait, cette lettre doit donc être prise comme l’expression même de cette relation et de cette coappartenance.

Cependant, ce geste de présentation exprime aussi une logique de distance. Par sa simple valeur d’intermédiaire, il montre que la mise en rapport n’a pas ici le caractère d’évidence que pourrait avoir une autre entremise. Par exemple, avec cette lettre de Lü Zuqian on se trouve dans une configuration assez différente que celle d’un Zhu Xi écrivant – en 1173 également – à un inconnu, Chen Yizhi

陳抑之

, pour lui annoncer que des « lettrés amis » (shiyou

士友

) lui ont parlé de lui et qu’il aimerait le rencontrer274. Dans ce dernier cas, le rapprochement s’effectue directement et non pas par des tiers. Est-ce à dire que pour des lettrés comme Lü Zuqian et Zhu Xi (qui se connaissent alors depuis presque vingt ans et dont les lieux de résidence sont par ailleurs assez voisins), des lettrés « de Fuzhou » sont moins naturellement accessibles que des lettrés d’autres provenances ? Cela est possible, mais apporter une réponse ferme demanderait de prendre en compte les différents critères ayant cours à l’époque dans l’identification régionale des groupes.

Parmi ces possibles critères, citons les trajectoires historiques des différents ensembles régionaux (avec notamment la question du morcellement de la Chine du Sud au Xe siècle)275, l’influence des

273撫州士人陸九齡子壽,篤實孝友,兄弟皆有立 (cité dans Chen Rongjie 1988b, 581 ; traduction anglaise dans 1989, 447).

274 « Da Chen Yizhi 答陳抑之 », Wenji 54, 2547, in Zhuzi quanshu, vol. 23 (Chen Lai 1989, 112).

275 Contrairement à Wang Anshi et Sima Guang, dont les ancrages familiaux se situaient dans des ensembles régionaux que tout opposait, la Chine du Nord et la Chine du Sud (ce qui allait s’en ressentir dans leurs prises de positions respectives sur les priorités politiques : voir Bol 1993, 130, 167), Zhu Xi et Lu Jiuyuan, en dépit de l’origine putative de la famille de Lu Jiuyuan, sont l’un et l’autre des hommes de la Chine du Sud – c’est-à-dire, selon les termes de Peter Bol, d’un « terrain multicentré contrastant fondamentalement avec le nord où, mis à part les vallées irriguées du

nord-106

procédures de certification officielle (avec par exemple la question des quotas pour l’accession aux examens)276, l’existence de réputations couramment attachées à telle région au sein de telle autre (comme semblent en témoigner certains propos de Zhu Xi à ces disciples)277. En revanche, cette simple différence que nous relevons entre deux façons d’entrer en contact – l’une médiée par un grand nom (Lü Zuqian) et dont on a vu qu’elle ne conduira à des échanges épistolaires qu’après plusieurs années, l’autre manifestement plus simple et plus directe – montre une nouvelle fois que la relation lettrée est travaillée par des logiques qui ne sont pas toujours homogènes.

Il en va de même de certains faits que le nivellement biographique, et plus encore la mise en parallèle de biographies conjointes, tendrait par typification à présenter comme des passages obligés278. Ainsi de l’examen jinshi, que Zhu Xi et Lu Jiuyuan passent l’un et l’autre à plus de vingt ans d’écart. La raison de cet écart est double : non seulement leurs naissances sont séparées de quelque neuf années, mais la réussite de Zhu Xi à l’examen est d’une précocité exceptionnelle pour l’époque (il n’est que dans sa dix-neuvième année lors de sa première tentative victorieuse)279. Les normes du jinshi édictées au début des Song, et stabilisées au cours du XIe siècle avec la suppression des « disciplines variées » (zhuke

諸科

) sous Wang Anshi, prévoyaient un ordonnancement de l’examen en trois étapes (de Weerdt 2007, 174-175). L’examen préfectoral (jieshi

解試

) se déroulait tous les trois ans à l’automne (il commençait le cinquième jour du huitième mois) ; les candidats retenus, les « hommes présentés » (juren), qui se voyaient attribuer une part active dans les affaires locales, se rendaient alors à la capitale pour l’examen départemental (shengshi

省試) organisé au

printemps par le Ministère des Rites ; les ultimes sélectionnés passaient quelques semaines plus tard

ouest, la majorité de la population vit dans une plaine continue » (Bol 2008, 16). De ce partage d’un même écosystème découlait sans doute des intérêts communs, même si les différences intrarégionales étaient non négligeables (on sait par exemple que la région du Fujian était une région particulièrement prospère, quoique globalement le Jiangxi apparaisse aussi comme une région dynamique : ibid., 18-19, 92). Il reste que ce qu’on a appelé le « néoconfucianisme » est pour l’essentiel un phénomène sudiste (ibid., 23, 92).

276 Sur la question des quotas d’admission aux examens, débattues semble-t-il à partir de la fin du XIe siècle, et qui fait l’objet de propositions précises de Zhu Xi, voir Bol 2008, 17-18 ; Lee 1985, 147 ; de Weerdt 2007, 47, 94, 130, 178, 237.

277 Dans les propos notés par ses disciples, dont la plupart en l’occurrence sont postérieurs à la « discussion » avec Lu Jiuyuan, on remarque plusieurs affirmations à caractère général sur les « lettrés du Jiangxi » (Jiangxi shi 江西之士) ou les « hommes du Jiangxi » (Jiangxi ren ). Voir par exemple « Lu shi 陸氏 » (Le clan des Lu), Zhuzi yulei 124, 2971 (vol.

8) : 江西士風好為奇論,恥與人同,每立異以求勝 (Les lettrés du Jiangxi aiment à forger des arguments singuliers : ils auraient honte d’être équivalents aux autres et cherchent systématiquement à ériger du différent pour chercher la victoire). Mais les exemplifications qui suivent se limitent la plupart du temps à deux figures attachées au Jiangxi, et plus précisément à la préfecture de Fuzhou : Lu Jiuyuan et Wang Anshi (voir également « Lun wen shang 論文上 » [Au sujet de l’écriture, 1], Zhuzi yulei 139, 3302 [vol. 8]). C’est pourquoi il est difficile d’attribuer une valeur doxique à ces jugements exprimés par Zhu Xi.

278 Ou comme des « structurations longitudinales », pour reprendre l’expression de Jean-Claude Passeron citée plus haut.

279 Sur le passage de l’examen du Palais par Zhu Xi, voir Shu Jingnan 2003, 88-89 ; sur son passage de l’examen préfectoral à Jianzhou 建州 en 1147 et de l’examen départemental à la capitale début 1148 : ibid., 81-82, 84-86. L’âge moyen d’obtention du grade jinshi sous les Song du Sud était de 31 ans et demi environ (ce qui pouvait évidemment impliquer plusieurs tentatives) : voir Chaffee 1985a, 216-217 ; 1985b, 52.

107 l’examen du Palais, en principe en présence de l’empereur (dianshi

殿試

)280. Telles sont, résumées à grands traits, les normes qui régissaient certains aspects majeurs de la certification officielle des lettrés. Mais nous l’avons dit plus haut : les normes (ici de carrière) ne suffisent pas à faire une trajectoire lettrée. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le format virtuellement typologique des vies parallèles ne convient pas à leur description. À cet égard, un fait saillant doit être noté ici. Il se trouve que la liste de l’examen auquel a participé Zhu Xi nous est intégralement connue : cela n’est pas anecdotique ; c’est même apparemment un fait rarissime pour la période allant des Tang aux Song, et selon l’un des travaux pionniers d’Edward Kracke, la présence de Zhu Xi sur la liste n’est pas étrangère à cette conservation281. Voilà un premier point qui relèverait de la trajectoire posthume de Zhu Xi, en tant que figure de respect et de vénération.

L’autre point concerne la trajectoire de Zhu Xi vivant. Or ici, le constat est négatif : il est lié au fait que Zhu Xi n’a manifestement pas fait de son obtention du jinshi un moment décisif de sa trajectoire lettrée 282. La précocité n’apparaît pas ici comme un critère d’excellence supplémentaire ; et le classement du jeune lauréat dans le dernier groupe de l’examen du Palais (qui n’était pas éliminatoire, mais seulement classificatoire) ne semble pas non plus en cause283. Si Zhu Xi n’insiste pas sur cet épisode de son itinéraire, c’est probablement, comme le montre Shu Jingnan, d’une part qu’il était alors sous l’influence d’un bouddhisme qu’il reniera par la suite, d’autre part que l’examen fut marqué par un encadrement contraignant dont le candidat dut probablement tenir compte pour ne pas être sanctionné : la politique de paix face aux Jürchens scellée en 1142 par Gaozong (traité de Shaoxing

紹興

) et portée par le Grand Conseiller Qin Gui

秦檜

(1090-1155 ; zi Huizhi

會之

) est toujours en vigueur, et Zhu Xi dans son « essai » (lun

) et ses trois « réponses sur la politique » (ce

) ne peut se permettre d’exprimer les aspirations irrédentistes qui sont celles de sa famille et de ses éducateurs (Shu Jingnan 2003, 88-89 ; de Weerdt 2007, 186-187). En d’autres

280 On trouve un résumé de cette organisation et des réformes qui l’affectent dans de Weerdt 2007, 7-10 ; voir aussi Lee 1985, 146-147. L’envoi des juren 舉人 (hommes présentés) depuis les préfectures pour la capitale et l’examen départemental était appelé « fajie 發解 » (dispersion) : voir ibid, 217. À l’époque de Zhu Xi et de Lu Jiuyuan, les deux premières phases du jinshi sont composées de trois sessions chacune (voir de Weerdt 2007, 179).

281 L’autre année est 1256. Edward Kracke formule l’hypothèse que c’est la présence de Zhu Xi sur cette liste de 1148 (où l’on dénombre 330 noms répartis en 5 groupes, et qui comporte un certain nombre d’informations sur les noms, l’âge, la famille, les lieux de résidence et l’ascendance patrilinéaire des lauréats, les états de service des ascendants étant également notés) qui explique qu’elle ait été transmise. Voir Kracke 1947, 105, 108-110.

282 L’enquête devrait ici être poussée plus avant, mais un indice important de cette relative minoration de l’épisode du jinshi de Zhu Xi est la brièveté avec laquelle en rang compte le xingzhuang de Zhu Xi réalisé par son gendre et disciple Huang Gan黃幹 (1152-1221 ; zi Zhiqing 直卿), écrit rédigé en 1221 : voir […] Zhu xiansheng xinzhuang 朱先生形狀 (Rapport de réalisations de Maître Zhu), 534-567 (534), in Zhuzi quanshu, vol. 27.

283 Classé 90e du 5e groupe (jia ), Zhu Xi fait partie des lauréats simplement dits « tong (jinshi) chushen (進士)出身 » (docteur associé) : voir Shu Jingnan 2003, 88-89 ; Kracke 1947, 108. Contrairement aux deux examens préalables, l’objet du dianshi 殿試, qui se déroulait sous la supervision de l’empereur au début de la dynastie, n’était pas de sélectionner les lauréats mais de les départager : voir Lee 1985, 147.

108

termes, ce sont la trajectoire familiale de Zhu Xi et la sienne propre qui l’amènent à ne pas accorder une valeur significative à cet épisode pourtant déterminant dans sa carrière de lettré-fonctionnaire284.

Il en va tout autrement du jinshi de Lu Jiuyuan. Sur le plan factuel, on peut certes noter que Lu obtient le même grade que Zhu Xi lors de son propre passage à l’examen du Palais en 1172, à savoir le dernier – celui de « docteur associé » (tong jinshi chushen

同進士出身

). Mais à notre connaissance, l’importance qu’il donne à son passage à la capitale pour les examens dans son eulogie à Lü Zuqian est sans équivalent dans le corpus des écrits de Zhu Xi285. Entre 1148 et 1172, ce sont pourtant les mêmes directives qui prévalent dans le déroulement de ces épreuves : Gaozong a en effet stabilisé les procédures au sortir de la séquence militaire avec les Jürchens, en opérant à ce sujet une forme de synthèse entre les options antagonistes des camps « réformistes » et

« conservateurs » qui s’étaient succédé pendant les cinq décennies précédant l’invasion de 1126286. Certes, il faut noter le changement de climat à la Cour entre les deux examens : d’un empereur à l’autre (de Gaozong à Xiaozong), la prohibition qui frappe à partir de la fin des années 1130 les propos des frères Cheng, assimilés à un « savoir exclusif » (zhuan men zhi xue

專門之學

)287 – dans lesquels Zhu Xi et Lu Jiuyuan se reconnaissent chacun à leur manière – se relâche progressivement ; aussi le succès de Lu Jiuyuan en 1172 coïncide-t-il avec une montée en puissance de ce groupe de lettrés que la recherche occidentale qualifiera de « néoconfucéens » (ibid., 187-188). Mais il reste que dans ses procédures et son format d’épreuve, c’est un type de certification désormais établi de longue date qui encadre les candidatures de Zhu Xi et Lu Jiuyuan288. Notons en particulier les procédures d’anonymisation des copies, qui font l’objet de vérifications par plusieurs agents (ibid.,

284 Il faudrait pousser plus avant l’étude des narrativisations de soi quant à la place qu’y occupe l’épisode des examens.

L’hétérogénéité des formes d’écriture serait à prendre en compte. On note par exemple que dans un document officiel adressé à un supérieur, les étapes du jinshi sont simplement résumées, avant la mention finale du classement dans la dernière classe des lauréats : voir « Shen Jianning fu zhuang yi 申建寧府狀一 » (Document officiel pour la préfecture de Jianning, 1), Wenji 22, 978-980 (979), in Zhuzi quanshu, vol. 21.

285 Notons que ce n’est pas pour autant l’ensemble de l’itinéraire de Lu Jiuyuan vis-à-vis des examens qui est reflété dans son Nianpu : un premier échec aux examens préfectoraux en 1165, qu’atteste une lettre incluse dans le recueil de ses écrits (et quant à elle indiquée dans le Nianpu) ; voir « Yu Tong Boyu 與童伯虞 » (À Tong Boyu), Lu Jiuyuan ji 3, 33. 286 Voir de Weerdt 2007, 177-187 pour une présentation des différentes étapes de la « politique de Grande Impartialité » (da gong 大公) que Gaozong 高宗 (Zhao Gou 趙構, 1107-1187, r. 1127-11622) et Qin Gui mettent en place quant aux examens, en nette démarcation avec l’instabilité des cinquante et quelques années précédant l’invasion (sur cette instabilité, voir ibid., 174-176). En jouant à la fois d’une certaine ouverture sur les programmes d’enseignement et de mesures prohibitives à l’encontre de « savoir exclusif » (zhuan men zhi xue 專門之學) associée aux frères Cheng, d’un certain retour de la poésie parmi les disciplines évaluées et d’un renforcement de l’évaluation de l’« éclaircissement des Classiques » (ming jing 明經), la politique de Gaozong globalement reprise par Xiaozong procédait d’une volonté de stabilisation qui se traduira par une permanence de ces réformes jusqu’à la fin des Song.

287 Traduite par « confined learning » dans de Weerdt 2007, l’expression est rendue de manière moins convaincante par

« specialist learning » par Tao 2009, 693.

288 Sur la notion de format d’épreuve, sur laquelle nous revenons dans le chapitre suivant (cf. IIB2b), voir l’ouvrage de Luc Boltanski et Laurent Thévenot, représentants du courant pragmatiste d’inspiration post-bourdieusienne dans la sociologie française (Boltanski & Thévenot 1991).

109 217 n. 107). Or, c’est dans ce cadre officiel, manifestation même du « pouvoir impersonnel de l’État »289, que semble s’exprimer une forme d’idiosyncrasie du côté de Lu Jiuyuan.

Chez Lu en effet, l’épisode du jinshi n’est pas seulement évoqué dans son eulogie à Lü Zuqian, il est notamment rapporté de manière assez détaillée dans la Biographie chronologique que lui consacrent ses disciples290. Cette générosité dans la reprise de l’épisode contraste avec la valeur minimale qu’il semble revêtir dans les narrativisations de Zhu Xi. Mais une fois encore, les différences sont aussi internes : à l’instar des exemples présentés ci-dessus, il y a là deux récits relevant de genres d’écriture différents, qui participent de relations non superposables. Dans le jiwen, la situation d’adresse au défunt Lü Zuqian implique la mise en avant du destinataire : celui-ci se voit valorisé pour sa « perspicacité étonnante », soit pour sa capacité à reconnaître le propos d’un candidat particulier derrière une copie pourtant réécrite par les scribes ; Lu Jiuyuan rend également grâce à feu son examinateur pour avoir su trouver les mots de la consolation après son « classement en bout de liste » au terme de l’examen du Palais, qui est présenté dans l’eulogie comme un résultat

« humiliant ». Quand on se tourne vers la biographie de Lu Jiuyuan, on constate qu’elle porte une autre vision de l’épisode. Comme nous l’avons vu, la règle implicite de l’écriture d’un nianpu par des disciples consiste dans la convergence des faits relatés dans le portrait unitaire d’un lettré accompli : le moindre événement est dès lors présenté sous l’angle téléologique de l’accomplissement de soi.

Sur le plan factuel, le format de la biographie autorise l’insertion de détails qui ne sont pas présents dans le jiwen : on voit par exemple dans la biographie que le « grand malheur » qu’évoquait Lu Jiuyuan au sujet de Lü Zuqian renvoie à la mort de son père, événement qui survient pendant la correction des copies de l’examen départemental et oblige l’intéressé à s’absenter en pleine procédure291. Par ailleurs, le Nianpu rapporte qu’après avoir lu les essais de Lu Jiuyuan sur deux formules tirées d’écrits anciens, en l’occurrence l’Ordonnancement du changement (Yijing

易 經

– également nommé Changement des Zhou [Zhou yi

周易

]) et l’Ordonnancement de la piété filiale (Xiaojing

Sur le plan factuel, le format de la biographie autorise l’insertion de détails qui ne sont pas présents dans le jiwen : on voit par exemple dans la biographie que le « grand malheur » qu’évoquait Lu Jiuyuan au sujet de Lü Zuqian renvoie à la mort de son père, événement qui survient pendant la correction des copies de l’examen départemental et oblige l’intéressé à s’absenter en pleine procédure291. Par ailleurs, le Nianpu rapporte qu’après avoir lu les essais de Lu Jiuyuan sur deux formules tirées d’écrits anciens, en l’occurrence l’Ordonnancement du changement (Yijing

易 經

– également nommé Changement des Zhou [Zhou yi

周易

]) et l’Ordonnancement de la piété filiale (Xiaojing

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