• Aucun résultat trouvé

Approches internalistes et externalistes

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 128-143)

contextualisation compréhensive

A. Quel monde des idées ? Critique du paradigme contextualiste

1. Approches internalistes et externalistes

Si l’on part du principe que « contexte » est ici un équivalent de « domaine », on admettra que situer des idées dans un contexte, dans un domaine de réalité, n’est pas forcément les y réduire.

Pourtant, dès lors que l’on se donne les « idées » pour objet, on les dégage du reste de la pratique, ce qui implique de leur prêter suffisamment d’autonomie pour justifier leur étude isolée, en lien ou non avec le contexte qu’on leur attribue. La dissociation conceptuelle n’est donc pas innocente : elle pave la route à des questionnements sur ce qui, du « contexte » ou des « idées », est censé mener le cours du monde.

Il faudra caractériser ce paradigme contextualiste, mais on peut déjà affirmer qu’il n’est pas sans risques. Peter Bol en appelle à notre vigilance dès les premières pages de son Neo-Confucianism in History, dans un passage qui vaut mise en garde : « Ceux qui pensent philosophiquement contestent à bon droit que les intérêts sociaux puissent expliquer les idées philosophiques », tandis que « ceux qui pensent historiquement doutent à juste titre que l’idéologie [c’est-à-dire les idées] détermine le cours de l’histoire » [the philosophically minded rightly deny that social interests explain philosophical ideas, and the historically minded rightly doubt that ideology determines the course of history] »339. Face au clivage théorique ainsi formulé, l’historien tente d’indiquer une issue conciliatrice. Il préconise une sorte de voie moyenne qui cumulerait les avantages de l’approche par les « intérêts sociaux » avec ceux de

on associe souvent les noms de Skinner et Pocock, notons que les intéressés ne s’en réclament nullement (Hamel 2012, 12-13). Pour ce qui est de la perspective pragmatiste développée dans le présent travail, la recherche de Quentin Skinner nous paraît la conforter à au moins deux niveaux. D’abord par son souci de relocaliser les pratiques de pensée : le philosophe critique une approche des textes qui se contenterait d’en « élucid[er] la doctrine » sans se soucier des

« relations intellectuelles » entre les textes en question et les « discours politiques » de leur époque. Ensuite par son refus du réductionnisme : la relocalisation opérée recourt à des concepts reposant sur une réflexion proprement philosophique (tels qu’« intention », « motif », « signification », « explication »). Or, la notion que nous empruntons à Descombes d’« institution du sens », ainsi que ses implications en termes de « valeurs » et d’« intention », nous paraissent participer d’une conception similaire de la production du sens, en tant qu’elle n’est jamais réductible à un contexte – puisque ce dernier n’est pensable qu’en vertu d’un sens préalable à travers lequel les faits sont perçus. On rejoint ici la nécessité, clairement énoncée par Skinner, d’un « dialogue entre l’analyse philosophique et le fait historique » (ibid., 21-23).

339 Bol 2008, 3. Pour une préoccupation à peu près similaire sur les limites de l’« histoire de la philosophie » appliquée au cas de la Chine traditionnelle, Bol 1992, 6. Voir également le questionnement méthodologique que Bol tire de sa lecture de l’ouvrage de Yu Yingshi, Zhuxi de lishi shijie, dont il dit qu’il « ne met pas seulement au défi l’histoire de la philosophie », mais qu’il se demande « en quel lieu la “pensée” relève de l’étude de l’histoire » (Bol 2004b, 60).

127 l’approche par l’« idéologie » : d’où la proposition (qu’il formule parallèlement à d’autres chercheurs) d’une synthèse de l’histoire politique et de l’histoire culturelle en vue d’embrasser la

« culture politique » des Song dans toutes ses implications340. En se donnant cet objectif, Bol s’inscrit dans la lignée de l’historien Yu Yingshi, qui dans son ouvrage largement commenté, Le monde historique de Zhu Xi, fustige l’approche purement philosophique de ce qu’il appelle en chinois

« lixue

理學

» – notion complexe dont on se borne à dire à ce stade qu’elle recouvre peu ou prou la notion déjà évoquée mais non moins complexe de « néoconfucianisme ». Pour Yu Yingshi, la réduction du « néoconfucianisme » à une « philosophie » autonome se paie au prix fort : elle empêche la réflexion sur les idées d’analyser la place que ces idées occupent dans le « tout du phénomène néoconfucéen » [lixue zhengti

理學整體

]. À rebours de cette approche philosophante, l’historien sino-américain défend une vision englobante dudit phénomène, mais sans pour autant vouloir remplacer un panphilosophisme par un panhistoricisme : il s’agit pour lui de trouver un

« équilibre dynamique » [dongtai de pingheng

動態的平衡

]341. C’est à la lumière de cette exigence critique qu’il faut comprendre le titre de l’ouvrage de Yu : si « le monde de Zhu Xi » est bel et bien un monde « historique », c’est, explique l’historien de Princeton, que l’identité fondamentale de Zhu Xi est celle d’un lettré ; c’est cette identité, ainsi que les prérogatives qui lui sont attachées, qui

« rend[ent] possible le fait que [Zhu Xi] explore la morale, commente les Classiques et fonde des académies, le tout dans une certaine aisance » [ta zhi suoyi neng congrong faming yili zhushi jingdian xingjian shuyuan

他之所以能從容發明義理注釋經典興建書院

]. Autrement dit, ajoute Yu Yingshi, si l’on peut reconnaître que par l’ampleur de sa pensée Zhu Xi transcende la condition lettrée, il reste que c’est bien dans les termes qu’impose cette condition qu’une telle pensée s’énonce342.

Incontestablement, la perspective englobante qui se dessine ici permet de préciser ce qu’il convient d’entendre par « contexte des idées ». Pour autant, toutes les difficultés ne sont pas levées.

Certes, l’alternative que dresse Bol entre une « approche par les idées » et une « approche par les intérêts » a un mérite évident : elle identifie un débat théorique d’importance qui pèse sur les

340 Voir Bol 2008, 4 : « J’espère que [les spécialistes de] la pensée chinoise trouveront que le contexte historique mérite réexamen, et que [les spécialistes de] l’histoire de la Chine jugeront qu’il vaut la peine de réfléchir sur les néoconfucéens et leurs idées » (nous laissons pour l’instant en suspens la question de savoir ce que l’on peut entendre par

« néoconfucéen ») ; voir aussi Bol 2004b, 63. Actuellement au centre de la réflexion des historiens sinophones (voir Yu Yingshi 2003, 5 ; Deng Xiaonan 2006), la notion de « political culture » est en usage depuis plusieurs décennies chez les sinologues anglo-saxons (voir notamment Metzger 1977). Charles Hartman, dans sa revue critique de l’ouvrage de Yu Yingshi, reprend à son compte cette notion et le programme qu’elle dessine (voir Hartman 2006, 107-108 ; également Bol 2004b, 67). Le mérite de la notion est de donner un nom à une réalité complexe. Aborder cette réalité en termes d’institutions du sens nous paraît en revanche plus économique, la notion moderne de « culture » ayant ici un aspect objectivant, voire plaqué, qui ne peut selon nous que fausser la description des actions et des propos.

341 Voir la préface générale incluse dans Yu Yingshi 2004, 3 (où il est question d’un « point de vue holiste » [zhengti guandian 整體觀點], mais dans un sens assez éloigné de celui que lui donne l’anthropologie dumontienne qui inspire le présent travail).

342 Yu Yingshi 2004, 4-5 pour la citation. Ces considérations sont tirées de la longue préface à l’ouvrage de Yu, qui constitue en fait le quatrième texte liminaire de l’édition pékinoise. Sur l’exceptionnalité de Zhu Xi, voir notamment l’introduction du présent travail.

128

monographies d’histoire intellectuelle, quoique celles-ci préfèrent souvent le reléguer dans l’implicite. Mais la clarification apportée peut paraître incomplète, en particulier parce qu’en ramenant la discussion à une simple polarité entre « intérêts » et « idées », le sinologue affadit les formulations classiques du débat en question. Prenons Marx et Weber, figures emblématiques de la réflexion sur le rôle des idées dans l’histoire : ni l’un ni l’autre de ces auteurs ne cautionneraient une opposition aussi tranchée dans la façon d’envisager le problème. Marx, tout en fustigeant l’« Idée » coupée des intérêts du grand nombre – dont il affirme dans La Sainte Famille qu’elle s’est

« toujours ridiculisée dans la mesure où elle était distincte de l’intérêt » [Die « Idee » blamierte sich immer, soweit sie von dem « Interesse » unterschieden war] –, Marx, donc, est loin de réduire la dynamique des idées à la seule « infrastructure »343. De même, si Weber semble, contre Marx, réévaluer le poids des idées dans la dynamique des intérêts – lorsqu’il rappelle par exemple que « les “images du monde”, qui ont été créées par le moyen d’idées, ont très souvent, tels des aiguilleurs, déterminé les voies à l’intérieur desquelles la dynamique des intérêts à constitué un moteur de l’action » [die

« Weltbilder », welche durch « Ideen » geschaffen wurden, haben sehr oft als Weichensteller die Bahnen bestimmt, in denen die Dynamik der Interessen das Handeln fortbewegte] –, il n’en reconnaît pas moins, avec Marx, et en particulier à propos de l’élite lettrée chinoise, que « l’espace des positions différentielles des agents sociaux […] joue son rôle dans la détermination des caractères d’une éthique » comme celle du confucianisme, ainsi que des formes de rationalisation que cette éthique peut favoriser344. Par conséquent, une enquête sur le rôle des idées dans l’histoire ne saurait s’en tenir au balancement entre deux versions d’un même schématisme monocausal. La contextualisation des idées se stérilise elle-même si elle part du principe que ce sont soit les idées, soit les intérêts qui « mènent le monde ».

C’est certes au dépassement de cette alternative figée qu’en appellent aussi bien Peter Bol que Yu Yingshi. Mais si le gain de leur démarche paraît considérable sur le plan des données mises à jour, il n’est pas sûr qu’elle renforce l’enquête sur le plan théorique. Or celui-ci ne paraît pas sans incidence sur le traitement des données. En effet, même dans l’« équilibre dynamique » préconisé par Yu, il semble que l’on maintienne les unités de base de la description : les « idées » sont là, les

« intérêts » aussi ; il s’agit simplement de les articuler d’une façon plus exhaustive et plus fidèle aux faits documentés. Ce faisant, on obtient certes une vision plus large dans l’inventaire des données ; mais a-t-on pour autant été plus précis quant à la logique qui les organise ?

343 Citation (trad. Maximilien Rubel) extraite du chapitre VI de La Sainte famille (Marx 2005, 255). Pour une relativisation de la polarité « infrastructure / superstructure » (traductions contestables de « Grundlage » et « Überbau ») dans la pensée de Marx, voir ci-dessous Godelier [1984] 2010, 16 (à mettre en regard avec l’Avant-propos [1859] à la Critique de l’économie politique, dans Marx 2005, 488-489).

344 Citation (trad. Jean-Pierre Grossein) extraite de l’« Introduction » à l’Éthique économique des religions mondiales [1921]

(Weber 1992, 38). Comme le note Catherine Colliot-Thélène à qui nous empruntons la remarque ci-dessus, la relativisation du rôle des idées se double dans le cas de Weber d’une critique d’ordre épistémologique quant à

« l’attribution d’une portée ontologique aux artefacts conceptuels » (Colliot-Thélène 1990, 28 [en référence à Weber 1964, 187], et ci-dessus 43).

129 En proposant ici une contextualisation compréhensive, nous visons moins un nouvel accroissement des données qu’un changement de perspective. Il s’agit de s’abstenir du découpage des matériaux en entités prédéfinies, les idées faisant en quelque sorte face à leur contexte (que celui-ci soit fait d’intérêts ou d’autres réalités), pour s’interroger sur les processus d’idéation en tant que tels, et donc sur le geste de la contextualisation elle-même. Il s’agit notamment de prendre au sérieux la capacité qu’ont les individus historiques que nous étudions à contextualiser leur action.

Au terme de cette section, on en viendra finalement à rejeter la notion potentiellement dichotomique de « monde des idées » pour nous concentrer sur une forme de conscience, la conscience lettrée en l’occurrence, mode de présence à soi directement en prise avec des pratiques, et en lui-même constitutif du monde qu’il exprime.

Cependant, nous n’en avons pas fini avec le diptyque notionnel par lequel nous avons commencé : il mérite qu’on y revienne, ne serait-ce que pour les enseignements qu’on peut tirer de ses limites. Ci-dessous nous passons divers travaux sinologiques en revue : en classant leurs postulats en fonction des rapports qu’ils prêtent aux « idées » et aux « contextes », nous espérons faire sentir la nécessité d’une perspective différente. On va voir que dans ce cadre binaire un vaste éventail de positions est possible : certaines études optent pour l’isolement total des deux domaines, d’autres pour leur simple juxtaposition, d’autres encore pour des tentatives d’imputation causale plus ou moins systématiques entre les deux plans. Derrière ces nuances, on peut ramener à deux les approches qui s’opposent : l’approche internaliste et l’approche externaliste (dont l’antagonisme est aussi bien de principe que de méthode). De leur convergence doit pouvoir résulter une méthode plus sûre pour notre enquête.

a. isolement, juxtaposition, imputation causale

Pour la première position évoquée – l’isolement total – c’est souvent l’idée de « système » (tixi

體系

ou xitong

系統

en chinois) qui permet de justifier l’entrée de plain-pied dans un registre apparaissant comme « spéculatif ». Dans Le néoconfucianisme des Song et des Ming, Chen Lai ouvre ainsi son propos en séparant ce qu’il appelle le « système intellectuel » du confucianisme [ru xue

儒學

] du « système religieux » où ce dernier s’insère également [rujiao

儒 教

]345. Cette dissociation inaugurale rend possible une étude centrée sur le premier système, sans investigation particulière quant au second, et encore moins quant à l’articulation éventuelle des deux « systèmes ». C’est en partant également de la notion de « système conceptuel » [fanchou xitong

範疇系統

] qu’un Meng

345 Chen Lai 2004, 1. Voir les généralisations du sociologue Randall Collins au sujet de différents cas de dissociation philosophie / religion (Collins 1998, 388-392).

130

Peiyuan aborde les « concepts fondamentaux […] du néoconfucianisme » sous leur aspect polarisé et relationnel (Meng Peiyuan 1997, 6). De même, quand ce dernier auteur évoque une notion centrale qui s’avèrera cruciale dans la deuxième phase des rapports de Zhu Xi et Lu Jiuyuan, celle de « Pôle Suprême » (taiji

太極

), il affirme que la pluralité et simultanément la convergence de ses emplois chez les différents « néoconfucéens » donne sa « diversité au système conceptuel de la cosmologie néoconfucéenne » (ibid., 55). Dans ce dernier ouvrage en particulier, l’inscription biographique ou tout simplement historique des énoncés commentés est réduite au minimum.

Dans ce type d’approche, la frontière entre l’objet et le contexte a finalement tendance à se rétracter à l’intérieur de l’objet lui-même. On voit ainsi un spécialiste de Zhu Xi se donner pour but de « placer les idées » du lettré au sujet d’une certaine méthode analogique « dans le contexte de ses théories », en l’occurrence de théories touchant à l’usage du savoir346. Or il n’est pas certain qu’un tel objectif nous garantisse ni la compréhension des idées de Zhu Xi, ni celle du contexte – idéel ou non – dans lequel ces idées sont censées apparaître.

Quoique trop sommaire, cette esquisse de la première version de l’approche internaliste nous paraît suffisante pour prendre la mesure de son indifférence à ce qui nous intéresse au premier chef : la question de l’inscription matérielle et énonciative des énoncés. On peut dire en cela qu’elle se situe à l’opposé de la perspective pragmatiste développée ici. Pourtant, une telle démarche fournit bel et bien un éclairage utile sur un échange comme celui de Zhu Xi et Lu Jiuyuan. En soi, la propension même de ces études à présenter une tel échange en termes spéculatifs constitue une indication précieuse, tant sur le cadre que sur l’objet et le rythme de l’interaction. Le fait est que contrairement à de nombreuses discussions qui occupent les lettrés du temps, l’échange de Zhu et Lu semble se situer dans un espace extra-institutionnel. Il évoque un plan de généralité apparemment étranger aux contingences du moment ; sa temporalité est relativement distendue ; elle se déroule selon une dynamique globalement cumulative. En somme, c’est l’abstraction et la réflexivité de l’échange qui permettent de parler ici d’une séquence isolable, elle-même potentiellement assimilable à un plan d’analyse beaucoup plus large qu’un Randall Collins nommerait « histoire interne des idées » [inner history of ideas] (Collins 1998, 164). Selon le sociologue nord-américain, la relative autonomie structurelle des mondes intellectuels favorise plutôt qu’elle n’entrave l’expression de la conflictualité interne à ces mondes ; c’est aussi, d’après lui, ce qui les rend justiciable d’une approche comparative347. Sans citer les travaux de Collins, Peter Bol semble faire écho à ses conceptions quand il souligne la dimension « cumulative » et « autoréférentielle »

346 Voir Kim 2004, 42 (nous soulignons). Il paraît prématuré d’entrer dans le détail de la signification de ces termes.

Ne retenons ici que le geste – plus intrigant qu’il n’y paraît – consistant à « placer des idées dans le contexte de théories ».

347 Voir une « séquence épistémologico-métaphysique » de très long terme donnée en exemple par Collins à partir du cas de l’hindouisme : Collins 1998, 818-826.

131 de cette « tradition » qu’il appelle lui aussi pour sa part « néoconfucianisme » (Bol 2008, 79, 83-84, 86, 108, 110-111 ; 2004, 62). Il n’est pas jusqu’à Yu Yingshi – plus enclin à l’approche que nous appellerons externaliste – qui ne reconnaisse l’existence de « facteurs internes » [neizai de yinsu

內在 的因素

] dans les dynamiques macrohistoriques de la conflictualité intellectuelle. Dans la préface générale de l’ouvrage précédemment cité, il évoque la façon dont un lettré des Ming, Luo Qinshun

羅 欽 順

(1466-1547), confronté à l’opposition récurrente des deux thèses traditionnellement attachées à Zhu Xi et Lu Jiuyuan, « xing ji li

性即理

» et «

心即理

» (impossibles à traduire pour l’heure), finit par en appeler à un retour aux « Classiques et aux livres anciens pour y collecter des preuves » [quzheng yu jingshu

取證於經書]

348. Selon Yu Yingshi, une telle proposition ne saurait s’expliquer « uniquement par des facteurs externes » : une chaîne de causalité endogène, intellectuelle, justifie que l’on traite à part du domaine concerné.

L’internalisme comme mode de lecture n’est pas qu’affaire de commentaires rétrospectifs.

Pour Zhu Xi et Lu Jiuyuan eux-mêmes, un grand nombre de ce qui se présente à eux comme des problèmes est généré par les contingences internes de la tradition scripturaire. Pour peu que l’on accepte de voir dans ces contingences des problèmes « intellectuels », l’approche internaliste desdits problèmes peut dès lors paraître justifiée. Pour prendre un exemple parmi d’autres, quand Zhu Xi fait valoir les difficultés que rencontrent les lettrés de son époque quant à l’établissement d’un texte comme l’Ordonnancement des Poèmes (Shijing

詩經

), aucune contextualisation « sociohistorique » ne lui est nécessaire, exception faite de quelques repères dynastiques. Il n’est que de lire la « Postface aux Notes sur la lecture des Poèmes de l’école familiale du clan Lü », écrite après la mort de Lü Zuqian, pour voir comment est retracée la trajectoire textuelle et commentariale de ce Classique.

Cette trajectoire commence avec l’unique rescapée des quatre versions antiques (la version de Mao Heng

毛亨

et Mao Chang

毛苌

, le Maoshi zhengyi

毛氏正義

, prolongée par les annotations de Zheng Xuan

鄭玄

[127-200]) ; elle continue avec les commentaires additionnels, puis la version orthodoxisée du Classique au début des Tang (due à Kong Yingda

孔穎達

[574-648] que Zhu Xi estime incapable de s’affranchir de la version antique) ; elle se poursuit jusqu’à la moisson de commentateurs des Song du Nord (960-1127) – notamment Ouyang Xiu

歐陽修

(1007-1072) et Su Che

蘇 澈

(1039-1112) – dont les explications variées, quoique libérées des lectures traditionnelles, sont supposées avoir précipité un engorgement commentarial. De sorte que c’est

348 Yu Yingshi 1970, 30-31, repris dans 2004, 2. Dans son étude sur Luo Qinshun, représentant du courant « Cheng-Zhu » sous les Ming, Irene Bloom voit une impulsion décisive dans ce retour aux Classiques conçu comme un moyen de départager des antagonismes hérités de la tradition intellectuelle : ce retour marquerait le début des recherches proprement textuelles des lettrés de la fin de l’empire (voir Bloom 1987, 25-26).

132

bien un même fil – nullement rectiligne, mais continu – que Zhu Xi déroule à travers cette narration et qu’il prolonge à sa manière349.

Ainsi donc, si l’on pouvait être fondé à décrire des « idées » indépendamment de leur contexte non idéel, ce serait en vertu d’un certain plan de discours. Il suffirait dès lors d’analyser le

Ainsi donc, si l’on pouvait être fondé à décrire des « idées » indépendamment de leur contexte non idéel, ce serait en vertu d’un certain plan de discours. Il suffirait dès lors d’analyser le

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 128-143)