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7 Discussions et interprétations des résultats

7.2 L’autonomisation économique et l’empowerment des femmes rurales à travers les CAFE : des

7.2.4 Des insuffisances représentationnelles qui freinent le processus d’empowerment

En analysant les représentations concernant l’empowerment, nous remarquons que les femmes rencontrées ne voient pas dans le processus d’empowerment, la possibilité de transformer leurs rôles sociaux de même que les rapports sociaux qui « […] sont les normes et les valeurs qui régissent les relations […] » entre elles et les hommes dans leurs communautés (Nimaga, 2010, p. 14). Cette vision très restreinte des femmes concernant l’empowerment permet de comprendre la faiblesse des efforts et des engagements de celles-ci au niveau des CAFE et des organisations de base. Les femmes sont plus focalisées sur l’amélioration des revenus pour répondre aux besoins vitaux qui sont les besoins pratiques que sur les intérêts stratégiques qui « […] impliquent des changements dans les rôles, les responsabilités et les capacités de décision » (Nimaga, 2010, p. 13). Ce qui permettrait une amélioration de leur statut social avec comme conséquences l’évolution de leurs rôles sociaux pour plus d’égalité dans la division sexuelle du travail ainsi que leur reconnaissance et leur participation aux processus de décision dans les communautés. Pour Kabeer (2012), l’autonomisation économique permet de lutter efficacement contre la pauvreté des femmes et des populations pauvres. Le concept met l’accent sur la possession d’un revenu par une personne ou un groupe de personnes et l’exercice d’une autonomie dans la gestion et le contrôle de ce revenu par les personnes concernées (Soladie, 2010). Cependant, au niveau des deux localités c’est le contraire qui s’observe puisque les comportements de refus ou de rétention des hommes concernant les dépenses familiales ne facilitent pas un partage équitable de celles-ci entre les femmes et les hommes. En conséquence, cette situation ne permet pas aux femmes d’avoir un contrôle absolu sur leur revenu. Par contre, il est intéressant malgré tout de signaler que les moyens nécessaires pour accéder à plus de capital économique (c’est-à-dire avoir plus d’argent et en maîtriser l’usage), passent par l’acquisition d’autres formes de capitaux (scolaire, culturel), soit les autres formes de pouvoir de l’empowerment notamment le « pouvoir intérieur » car sans son amélioration (notamment), les « gains » en « pouvoir de » ne parviennent pas à transformer les rapports sociaux en profondeur. Il est à priori compréhensible que la situation soit ainsi à Dioïla, car le centre a été l’œuvre d’intervenants externes ; mais à Toubacoro où le centre émane des femmes elles-mêmes qui se sont fait aider par les hommes du village pour l’obtention du terrain et pour la construction du local, la compréhension du phénomène devient difficile120.

Cependant, les femmes rencontrées lors des deux jours de focus group nous l’expliquent comme suit : Depuis que nous avons construit ce centre et que nous avons commencé à faire des activités et recevoir quelques rares partenaires, on ne peut plus parler de dépenses avec les hommes, car leur réponse est toujours : à quoi servent vos activités et vos relations ? Si c’est pour venir nous

120 À Dioïla, le centre a été créé avec l’initiative du ministère qui n’a pas associé les hommes aux processus. Donc pour nous à cause de cette situation les hommes ignorent les exigences que le fonctionnement du centre demande. Pour eux c’est un cadeau du département et les femmes au lieu d’investir ne font que gagner de l’argent. Mais à Toubacoro, les hommes savent que les femmes n’ont pas une base financière et qu’elles doivent à tout prix la construire (la preuve est qu’elles ont été voir un ressortissant de la commune qui a bien voulut les aider par l’achat de mobiliers et la fourniture d’un fond de départ de 2.000.000FCFA).

embêter après des journées au centre, vaut mieux rester à la maison puisque cela veut dire que vous ne gagnez rien.

De ce fait, nombreuses sont les femmes qui ont décidé de ne plus parler de dépenses dans les familles par peur de voir leurs maris leur retirer un jour le droit de participation aux activités des groupes qu’elles ont obtenu avec beaucoup d’efforts et de sacrifices. Si pour la santé des enfants, la situation s’améliore avec l’utilisation des légumes dans l’alimentation et la prise en charge des maladies grâce aux revenus des femmes renforcés par les appuis des partenaires, la situation concernant la scolarisation des enfants reste préoccupante. En se référant aux statistiques présentées dans la description des données sociodémographiques des deux localités dans le chapitre quatre, nous remarquons que la majorité des enfants (garçons et filles) s’arrête au niveau secondaire puisque les parents n’ont pas les moyens de prendre en charge leurs études supérieures. Les conséquences majeures sont : les mariages précoces et forcés pour les filles, l’exode et l’orpaillage121 pour les garçons. De plus, même si les femmes se disent très fières d’elles-

mêmes et fières d’être femmes, les rapports sociaux donnent plus de place et de pouvoir aux hommes de sorte que les représentations sociales que les femmes ont présentées à propos des hommes montrent qu’elles ne remettent pas en cause leur subordination. Avec les femmes des organisations des deux CAFE le « pouvoir intérieur » basé sur le développement de la confiance en soi et de l’estime de soi (Charlier, 2006b), connait une évolution trop lente. D’autant plus que, dans les représentations sociales sur l’empowerment la défense des droits pour plus d’égalité n’est pas intégrée, les efforts des femmes se limitent à comment s’exprimer en public ou devant des partenaires pour mieux exprimer leurs besoins et mieux expliquer leurs capacités. La prise de la parole en public connait donc des évolutions bien que les femmes soient encore très limitées dans le domaine. Un autre facteur qui porte atteinte à la confiance en soi des femmes est l’âge, car il n’est pas permis à n’importe qui de s’exprimer devant n’importe quel public selon DRI2E1 (la vingtaine) : « les jeunes n’ont pas le droit de s’exprimer là où se trouvent des personnes âgées, la parole leur appartient tout comme les décisions, nous ne sommes que des exécutants, c’est pourquoi au centre on leur laisse toujours la parole et la décision. Cependant entre des personnes de même génération, le problème ne se pose pas ». Donc, à cause de leur statut, les jeunes femmes sont limitées dans la parole et dans la décision. Dans les institutions locales, qu’elles soient traditionnelles ou communales, la participation des femmes en général est trop faible et les activités des CAFE et de leurs organisations depuis leur création n’ont pas occasionné de changements politiques favorables à l’intégration des femmes puisque dans les deux localités les conseils des villages sont toujours gérés par les hommes, il en était de même pour les mairies. Cependant, il est important de signaler que les changements par rapport à la constitution des équipes au niveau de la mairie de Toubacoro et de celle de Dioïla annoncé dans les résultats sont l’œuvre des dispositions légales prises par le gouvernement malien. Pour diverses auteures, les dimensions de l’empowerment sont interdépendantes et

l’évolution d’une dimension a tendance à entrainer celle d’une autre (Charlier, 2006a; Kabeer, 2002). La présence de la présidente et de la vice-présidente de l’association Musow jigitugu-ton, et celle de la présidente de l’union Si yiriwa dans l’équipe de sa commune d’origine peuvent être une réponse à un besoin stratégique qui est le positionnement politique des femmes pour accéder aux instances de décisions. Elles peuvent également servir de levier pour la formation d’un bon leadership féminin dans les deux localités et favoriser la mobilisation des autres femmes pour un meilleur empowerment. Aussi, les contributions des femmes des CAFE aux dépenses familiales ont favorisé leur respect et leur considération par leurs maris et leurs belles- mères dans les ménages. Cette situation est un facteur qui modifie déjà les rapports hommes-femmes dans les ménages de certaines femmes que nous avons rencontrées. Elle peut aller plus loin et favoriser l’évolution de la participation des femmes dans les processus de décisions, mais faudrait-il qu’elles en prennent conscience afin de savoir comment exploiter cet atout. Par contre il est intéressant de saisir que les femmes âgées profitent aussi du système et que les femmes jeunes le supportent et attendent d’être un peu plus vieilles afin de profiter à leur tour d’un statut plus facile à vivre. Tout le monde reproduit alors le système, et la profonde intégration de la « normale domination masculine » pèse trop sur les femmes et leur conscience, aussi leurs actions dans les CAFE en pâtissent beaucoup. Par contre les responsabilités des partenaires méritent d’être soulignées.

7.3 Empowerment des femmes rurales à travers les CAFE : des facteurs

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